Jan 17, 2025
Trêve, cessez-le-feu, pause ? Les termes varient, reflétant les sentiments mitigés que laisse l’accord annoncé pour ce dimanche 19 janvier 2025. Mitigés, d’abord, car nous savons le déchaînement de feu et de sang qui s’abattra dans les prochains jours sur la bande de Gaza, jusqu’à la minute ultime prévue pour sa mise en œuvre ; à l’image de ce qui s’est passé au Liban, et comme il en a toujours été dans les guerres menées par Tel-Aviv.
Mitigés ensuite à cause du calendrier dont les contours semblent à peine esquissés. Ce flou permet à Israël d’échapper à ses engagements, comme lors du cessez-le-feu avec le Hezbollah, qui ne concerne visiblement pas les villages frontaliers du Sud Liban. Sans oublier l’insoutenable tergiversation du gouvernement israélien qui fait planer jusqu’à la dernière minute le doute sur son acceptation du compromis, accuse fallacieusement le Hamas, et reporte à ce vendredi la réunion du cabinet pour ratifier l’accord.
Échec de la stratégie israélienne
Ce n’est pas le moindre paradoxe que l’accord signé pour un cessez-le-feu à Gaza ait été rendu possible par un engagement déterminé du président américain Donald Trump, tordant le bras à Benyamin Nétanyahou. Bien qu’il ait tenté de s’attribuer le mérite d’une telle issue, le président Joe Biden avait, dès le 8 octobre, cautionné la politique du premier ministre israélien. Il avait livré tout le matériel nécessaire à la dévastation du territoire palestinien, y compris en violant les lois américaines sur l’usage des armes vendues par Washington1. Il avait aussi accepté tous les subterfuges et les mensonges israéliens pour justifier l’usage de l’arme de la famine contre la population.
L’argument avancé par l’administration démocrate était qu’Israël ne cède jamais aux pressions. En quelques jours, Donald Trump a prouvé le contraire. Il a imposé un texte dont les grandes lignes (et les détails) sont les mêmes que celui proposé il y a huit mois. Point d’illusions toutefois quant à ce marché de dupes : si le futur président américain tient absolument à se targuer d’un succès diplomatique obtenu juste à temps pour sa cérémonie d’investiture, il ne compte pas pour autant tourner le dos au gouvernement israélien d’extrême droite. Ce qu’il retire d’une main à Israël à Gaza, Trump pourrait le rendre abondamment, si on en croit des articles de la presse israélienne, en Cisjordanie, où les colons pourront continuer à agir, plus que jamais, en totale impunité. D’une épuration ethnique à l’autre.
Cette trêve, plus ou moins durable, illustre aussi l’échec de la stratégie israélienne qui se fixait un double objectif : éliminer le Hamas et libérer les otages. Les destructions sont d’une ampleur sans précédent, et le chiffre effroyable de morts — plus de 46 000 « selon le Hamas », comme l’aiment à le rappeler nombre de médias— a été revu à la hausse par la revue médicale The Lancet. Ce 9 janvier, elle révélait que, selon ses propres calculs, le nombre de tués avait dépassé les 60 000 fin juin 2024, dont près de 60 % de femmes, d’enfants et de vieillards de plus de 65 ans2. L’armée israélienne n’est pas venue à bout de la résistance armée qui s’est poursuivie jusqu’au bout — une quinzaine de soldats israéliens ont été tués durant ces dix derniers jours. Tous les observateurs reconnaissent que l’implantation de l’organisation dans la bande demeure, malgré les pertes sévères de son appareil militaire. Le secrétaire d’État américain sur le départ, et sans doute l’un des plus grands responsables du génocide à Gaza, Antony Blinken, a reconnu le 14 janvier devant l’Atlantic Council que le Hamas avait recruté autant de combattants qu’il n’en avait perdu.
La poursuite du génocide, autrement
Antony Blinken se tenait, avec la vice-présidente Kamala Harris, aux côtés de Joe Biden lors de l’allocution que ce dernier a donnée suite à l’annonce du cessez-le-feu. « Profondément satisfait », il a affirmé, toute honte bue, que les Palestiniens de Gaza pourront désormais reconstruire « leurs vies et leur avenir ». L’on sait pourtant que la fin des bombardements et le retrait relatif de l’armée israélienne ne signifieront pas pour autant un retour à la vie normale pour les Gazaouis. Bien que les opérations militaires s’arrêtent, le génocide se poursuivra par d’autres moyens. Car durant ces 15 derniers mois, Israël a mis en place toute la structure — ou toute la déstructuration — nécessaire et méthodique pour que l’annihilation des Palestiniens de Gaza puisse se poursuivre, non plus en les tuant, mais en empêchant toute possibilité de vie. Avec plus de 100 000 tonnes de bombes larguées, 80 % des bâtiments détruits, le système de santé et le réseau d’eau et d’électricité anéantis, et les 12 universités que compte le territoire démolies, de quel avenir ose encore parler le locataire en fin de bail de la Maison-Blanche ? Malgré cela, la détermination des habitants à rentrer chez eux, à planter une tente, même au milieu des ruines — leurs ruines — force le respect.
Ces quinze mois de massacres ont été possibles non seulement par le soutien de Biden, mais aussi par celui de nombre de pays occidentaux et européens, dont la France, qui se sont gardés de prendre la moindre sanction contre « le risque de génocide » dénoncé par la Cour internationale de justice (CIJ).
Paris a été, avec Berlin, une des capitales qui a le plus criminalisé non pas les « soutiens du génocide » qui paradent sur les chaînes d’information continue, mais ceux qui s’opposent à l’écrasement de tout un peuple. De la censure jusqu’à la condamnation judiciaire, les moyens de l’État ont été mobilisés et instrumentalisés à rebours de tous les principes du droit international. Alors que la Cour pénale internationale (CPI) a inculpé Benyamin Nétanyahou et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, Emmanuel Macron et son gouvernement ont laissé planer le doute sur le fait que Paris les arrêterait si l’occasion s’en présentait. Le 8 janvier, le chef de l’État a même décoré de la Légion d’honneur le secrétaire d’État Antony Blinken. Certains gestes se passent de commentaires. Et malgré les larmes de crocodile sur les pertes civiles, la France n’a pas mis un terme à la coopération militaire entre les deux pays, qui dépasse les ventes d’armes, et comprend de nombreux composants à double usage utilisés par la technologie de guerre israélienne3. Et on attend encore l’arrestation de soldats israéliens de nationalité française pour participation à un génocide.
Une faillite déontologique
Enfin, sans « l’escorte médiatique du génocide », tous ces crimes n’auraient pas pu se prolonger pendant plus de 460 jours. Orient XXI a maintes fois rappelé la manière dont les médias ont repris des récits falsifiés du 7 Octobre. Ils ont aussi longtemps refusé de donner la parole aux journalistes palestiniens sous prétexte qu’ils n’étaient pas « objectifs », contrairement aux journalistes franco-israéliens. Ils n’ont protesté que du bout des lèvres le refus d’accès au terrain imposé par les autorités israéliennes et l’assassinat d’un nombre de journalistes sans précédent dans aucun autre conflit. En invisibilisant les Palestiniens et en épousant consciemment le narratif israélien, transformés en caisse de résonance de la propagande militaire, ces médias ont activement participé à la fabrique du consentement collectif de leur société au premier génocide « diffusé en direct » du XXIe siècle. Rarement la profession aura connu une telle faillite déontologique.
Récemment, une enquête de L’Humanité magazine4 établie à partir des journaux Libération, Le Figaro, le JDD, Le Monde et L’Humanité, montre que le problème n’est pas seulement celui de CNews et des télévisions poubelles. Ainsi, le débat sur le risque de génocide n’a jamais vraiment eu lieu en France. L’usage de ce terme ne se retrouve que dans 6 à 8 % pour les trois premiers journaux, dans 11 % pour Le Monde et ne dépasse pas 18 % pour L’Humanité. À l’exception de ce dernier, l’usage du mot « frappe » a largement remplacé celui de « bombardement ». Tandis que dans 63 % des articles de Libération et 72 % de ceux du Figaro, consacrés à Gaza, les Palestiniens ne sont même pas évoqués. On peut rappeler que l’euphémisation du mot bombardement a commencé avec la guerre contre l’Irak de 1990-1991 et la volonté de l’armée américaine d’imposer un vocabulaire conforme à ses objectifs. Les destructions de bâtiments civils deviennent alors des « dommages collatéraux », les assassinats des « frappes ciblées » et les enfants tués par Israël sont mystérieusement « retrouvés morts ». Le génocide est réduit au fait divers.
Rien n’est encore réglé. Déjà dans la soirée du 15 janvier, durant les quelques heures qui ont suivi la conférence de presse du premier ministre qatari, 73 personnes ont été tuées. Le cessez-le-feu comprend trois phases, et rien ne dit que la deuxième sera mise en œuvre ni que l’armée israélienne se retirera. Il reste aussi le terrible pari de la reconstruction de Gaza, de ses hôpitaux, de ses écoles et, surtout, de son tissu social. Parallèlement, l’offensive israélienne contre les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est s’intensifie, avec l’interdiction des activités de l’UNRWA à partir de la fin janvier, la confiscation des terres, le déplacement des populations, et la mort de plus de 800 Palestiniens depuis le 7 octobre 2023, y compris par des colons en roue libre. On peut craindre aussi qu’Israël utilise ses « concessions » pour essayer d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran.
Pourtant, malgré ces craintes et ces interrogations, pour les vies humaines qui seront épargnées, pour les centaines de détenus palestiniens et les otages qui seront libérés ; aussi pour notre correspondant à Gaza Rami Abou Jamous, pour son fils Walid de trois ans et ses trois grands frères, pour sa femme Sabah, enceinte, on ne peut qu’être soulagés. Même provisoirement.
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