12 janvier 2020
Les annonces d’Edouard Phillippe samedi vont aller tout droit à la poubelle bien encombrée où gisent déjà les trouvailles de dernière minute des précédents gouvernements « droits dans leurs bottes » qui finissent en capilotade. Il faut tenir bon. Les embrouilles de dernières minutes ne changent rien au fond ni même à la forme du projet gouvernemental. Ces gens surestiment leur pouvoir et sous-estiment l’exaspération populaire.
Cette semaine, nous enchaînons plusieurs journées d’actions interprofessionnelles. C’est un moment décisif. Pas à cause des médias qui ont déjà écrit d’avance leur commentaire « à chaud » : « le mouvement faiblit, etc. ». Ni du pouvoir qui n’écoute plus rien ni personne à part son chef un peu perché, il faut bien le dire. Ni des bandes a Castaner et à Lallement qui se préparent à tabasser en barbares tout ce qui leur semble possible à capturer dans une manifestation. Ni bien sûr de Belloubet, leur bagage accompagné judiciaire. L’effet attendu est sur le patronat et tous les secteurs économiques qui ont soutenu ce régime jusqu’à ce jour sans rien dire mais en pleurnichant. À eux de se demander si ça en vaut la peine compte tenu du résultat. À eux de se demander si ça vaut la peine. Sont-ils prêts à payer si chères les faveurs que la réforme des retraites réservent au secteur de la finance qui leur ponctionne déjà un impôt privé sur chaque paiement en carte bleue !
Ce qui est en cause désormais implique toute la société, toutes ses composantes sociales. C’est cela qui se met en place sous nos yeux. Avec notre implication. Tenons-bon ! Le reste nous sera donné par surcroît.
Cette semaine aura été celle d’un bras de fer d’une exceptionnelle intensité entre le gouvernement et la société. La grève reconductible continue et s’étend à de nouveaux secteurs inhabituels. Une jonction entre classes moyennes et milieux populaires s’opère dans une revendication sociale commune. Les pratiques et rencontres interprofessionnelles se multiplient sur le terrain. Ce sont alors des mots et des pratiques partagés qui en résultent et font culture commune. La jeune classe salariée est celle des « 80% d’une classe d’âge au bac ». Ça s’entend ça se constate. C’est la génération qui se sait sans avenir professionnel dans ce modèle économique. Ce sont aussi bien des fois les premières générations clairement et irréversiblement déclassées par rapport à leurs parents. Les premiers qui ont une claire conscience des discriminations dont ils font souvent l’objet.
L’œil de l’expérience voit tout cela. Une nouvelle France est là, bigarrée socialement et métissée culturellement. Elle est faite des enfants de ce pays urbanisé que nous sommes devenus. Un pays où la répartition spatiale des populations ne distingue plus les métiers mais les motifs de relégation. Car le pays est devenu un patchwork de ghettos sociaux. Un « archipel » comme dit ce chaman sondeur. Et dans cette répartition, la masse est bannie des centres villes. Elle se trouve repoussé à distances de tous les réseaux collectifs qui permettent l’existence contemporaine. Elle a d’abord rugi en gilet jaune. Elle surgit en brassard syndical.
Le processus est celui qui s’observe dans le monde entier, partout où les révolutions citoyennes sont en cours et ne désarment pas. Comme au Chili, en Irak, en Algérie, passant sous les radars des médias de l’officialité qui dans tous les pays sont arcs-boutés dans la défense de « l’ordre » établi. Reconnaissons que désormais des brèches se sont ouvertes dans ce domaine aussi. Après des mois de dénis, d’insultes et mise en cause contre nous, les Insoumis qui protestions, certains médias font amende honorable et s’effraient même du niveau atteint par les violences policières. Beaucoup comprennent enfin que la situation ne peut se résumer à des « bavures », même à répétition. C’est un système de gestion de la société que cette machine à violences qui se déchaine chaque semaine sous la férule du préfet Lallement avec la couverture du ministre Castaner et sous la protection judiciaire de la ministre de l’Injustice Belloubet.
C’est pourquoi j’ai décidé de publier ici le texte intégral d’un édito du Monde qui devrait retentir dans les milieux sociaux qu’incarne cette « bourgeoisie faite journal » dont se moquait déjà Léon Trotski. Pas sûr que le patronat des entreprises « non financières », les secteurs de la classe moyenne supérieure drapée dans ses discours moralisants apprécie la sauvagerie d’État qu’elle voit se déployer. Quand Le Monde parle de violences policières en précisant qu’il faut le faire sans s’encombrer de guillemets, notre victoire morale et sémantique est totale. Que cela fasse méditer ceux qui m’ont tant de fois condamné sans appel pour un mot jugé alors inconvenant avec ou sans guillemet. Je reproduis donc sur ce blog un éditorial du Monde sur le sujet. Bien sûr, j’en critiquerai volontiers de nombreux aspects. Mais comme je suis moins sectaire que sa rédaction, moins aveuglé de haine que ses rubricards, je crois utile de vous signaler le doute moral et politique qui s’installe dans les milieux de la bonne société dont ce journal est le bulletin paroissial. Je vous invite à diffuser ce texte dans ces milieux où nos textes n’entrent jamais du fait de leur aveuglement de classe. La bonne conscience doit changer de camp.
De tout cela, je vais conclure par une anecdote. Diriez-vous qu’il y a beaucoup de curés en France ? Non. Pourtant j’en ai rencontré deux en manif cette semaine qui sont venus me saluer avec humour et fraternité. Et je les ai bien remerciés pour leur présence. Eux aussi ne supportent plus l’obscène égoïsme de la société que ce régime installe en France.
La France s’ébroue. Au-delà du moment, c’est une nouvelle conscience politique collective, un nouveau peuple politique qui émergent de cette lutte. Ce sont évidemment les médias qui prennent le plus cher dans la mentalité collective. Comme les porte-paroles d’En Marche sont mauvais, incultes, ignorant de tout à propos de la Sécurité sociale et des acquis sociaux du fait de leur milieux, ce sont les plateaux d’experts et de journalistes qui font le sale boulot de propagande. Il faut se rendre compte du niveau d’effondrement de la machine politique LREM dans cette bataille. Chacun a en mémoire une stupidité proférée à la télé par l’un ou l’autre des rares qui acceptent d’aller sur les plateaux. Le ridicule qui les accable ne les lâche plus. À la base c’est pire. Un exemple. À Toulouse, l’eurodéputé insoumis Manuel Bompard propose un débat sur la réforme aux députés LREM. France Bleu pense que c’est une bonne idée utile pour les auditeurs qui se questionnent. Résultat ? Aucun LREM n’accepte. Seul Bompard sera sur le plateau… Obligeant les journalistes à jouer seuls le nécessaire rôle de l’avocat du diable.
Hors de cet exemple local, disons que les médias inspirent désormais une méfiance très bien ancrée. Et c’est vital pour nous. Une fois que cet émetteur est neutralisé, nous n’avons plus rien en face de nous. C’est bien la raison pour laquelle a commencé pour nous froidement et méthodiquement il y a désormais plus de dix ans une lutte idéologique sans faiblesse. François Delapierre et moi, nous demandions d’identifier comme un « parti médiatique » répétant des slogans, des éléments de langage et des campagnes de diabolisation. Le « Parti médiatique » selon l’expression d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, les théoriciens du populisme a évidemment mené sa propre bataille de dénigrement contre les insoumis et leur porte-parole mais aussi contre tout ce qui bouge dans le pays contre le libéralisme. Il s’est arc-bouté pour introduire sans cesse des débats venimeux et sans issue. On ne doit pas sous-estimer le mal qu’ils ont fait dans ce domaine, ni les digues qu’ils ont rompues sciemment ! Qui peut oublier les accusations la semaine dernières contre les « islamo-syndicalistes », les accusations de « terrorisme » contre les grévistes. Sans oublier naturellement le sketch sans fin de l’accusation d’antisémitisme à tout propos, balayant tout et n’importe qui. Rien de tout ça n’est devenu possible sans que les médias aient auparavant banalisé le pire vocabulaire sur la scène publique.
Texte intégral de l’éditorial du journal Le Monde paru en ligne sous le titre : « Les violences policières sont le reflet d’un echec »
« Editorial. Mort d’un homme lors d’un simple contrôle routier, manifestants frappés au sol, tir à bout portant au LBD… L’Etat doit revenir à sa mission de base : donner à la police les moyens de ses actions et en assurer en retour un contrôle nécessaire.
Editorial du Monde. La manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, jeudi 9 janvier, a été émaillée à nouveau par ce qu’il faut bien appeler, sans s’encombrer de guillemets, des violences policières. Les multiples vidéos montrant des manifestants frappés au sol par des fonctionnaires, ou encore celle où l’on voit un agent tirant à bout portant au LBD – le parquet de Paris a ouvert une enquête sur ce geste extrêmement dangereux – suffiraient à révulser n’importe quel citoyen.
Elles viennent malheureusement s’ajouter à la nouvelle du décès de Cédric Chouviat, dimanche 5 janvier, victime d’une crise cardiaque pendant une interpellation sur les quais de Seine, à Paris, et à la stupeur d’apprendre deux jours plus tard que cet homme de 42 ans, livreur de profession, père de cinq enfants, a subi une asphyxie avec fracture du larynx après avoir été plaqué au sol par plusieurs policiers. Dénouement inacceptable pour un simple contrôle routier, quels que soient les torts et le comportement du conducteur.
L’année 2019 avait été marquée par un débat récurrent sur la question des violences policières. 2020 démarre sur les mêmes bases délétères. Jusqu’à présent, les autorités ont adopté deux attitudes. En nier d’abord farouchement l’existence, malgré le travail documenté de plusieurs médias, dont Le Monde, sur la question. Emmanuel Macron a fait un timide pas en avant en août 2019, en reconnaissant « les blessures inacceptables » de certains manifestants.
Dysfonctionnements de la chaîne hiérarchique
Le deuxième argument consiste à brandir comme une excuse la grande brutalité – qui est réelle – d’une partie des manifestants. Cette rhétorique a ceci de dangereux qu’elle crée un parallèle entre la violence des uns et des autres, quand les forces de l’ordre devraient en avoir le monopole, certes, mais également la maîtrise. C’est accepter une logique du camp contre camp, à laquelle ne peut souscrire une police républicaine défenseuse de l’intérêt de tous. C’est oublier la doctrine exprimée par Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en 1968, – « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. » C’est enfin concéder un échec stratégique face à l’évolution des formes de protestation dans le pays.
Dans un entretien accordé à L’Opinion, Éric Morvan, le directeur général de la police nationale, qui prend une retraite anticipée, reste bloqué dans cette impasse. Il rejette les termes de « violences policières », leur préférant ceux de « violences de policiers ». Nuance sémantique qui individualise l’erreur, fait peser la responsabilité sur les seuls fonctionnaires et jette un voile pudique sur les raisons systémiques de ces agissements. A commencer par l’état général d’épuisement des troupes, le manque de moyens, la perte de sens du métier, la faiblesse de la formation ou encore les dysfonctionnements de la chaîne hiérarchique.
Dénoncer les violences policières, ce n’est pas oublier les bataillons de fonctionnaires qui au quotidien font honneur à leur uniforme, avec un sens remarquable du devoir. Ce n’est pas faire l’impasse sur le comportement admirable de milliers de policiers, y compris dans les manifestations, qui subissent avanies et quolibets, risquent leur vie, et protègent les Français. C’est au contraire rendre hommage à ces agents, nombreux, qui ne dévient pas de leur mission. Et rappeler à l’Etat la sienne : donner à la police les moyens de ses actions et en assurer en retour un contrôle nécessaire, dans le strict respect des principes républicains. »
CQFD
https://melenchon.fr/2020/01/12/pschitt-tenir-bon/