Sur le volet économique, le programme du Rassemblement national s’inspire de plus en plus ouvertement de la politique de l’offre menée par Emmanuel Macron et prévoit une longue liste d’allègements d’impôts et de dépenses au service du grand patronat, et au détriment des classes populaires.
Jun 26, 2024
Tout à sa tentative de concrétiser le volet numéro 2 de sa « stratégie de la cravate », Jordan Bardella n’avait pas manqué d’annoncer la couleur depuis un peu plus d’une semaine. Devant la pression des marchés financiers, il s’agira d’abord de s’efforcer de paraître respectable. Quitte à remettre à plus tard la très grande majorité du volet « social » du programme – à l’exception de la baisse de la TVA à 5,5% sur les prix de l’énergie – notamment l’abrogation de la réforme des retraites ou encore la suppression de la TVA pour les produits de première nécessité.
Pour le reste, tout devrait dépendre du fameux « audit des comptes publics » que le président du Rassemblement National a annoncé vouloir commander à des « fonctionnaires de la Cour des comptes, économistes et universitaires ». La manœuvre est classique et annonce déjà de futurs renoncements. En juin 2017, Edouard Philippe, tout juste nommé, avait commandé pareil audit avant d’annoncer une première série de coupes dans les finances publiques, notamment la baisse des APL et la suppression des emplois aidés. En 1997, Jospin avait fait de même avant de concrétiser le plan de privatisations le plus important de l’histoire de la Vème République.
Dans cette droite lignée, et à mesure que le scrutin des législatives approche, le programme économique du RN, présenté ce lundi par Jordan Bardella, ressemble chaque jour un peu plus à celui de la majorité macroniste en place depuis 2017. Si l’évolution néolibérale de Marine le Pen reste matinée des spécificités xénophobes sur lesquelles le RN a fondé son opposition frontale au macronisme, entre défense de mesures souverainistes et protectionnistes, « préférence nationale » et politiques encore plus autoritaires, rarement la convergence programmatique entre le macronisme et l’extrême droite n’aura paru avec autant d’éclat.
Quand Bardella rejoue le programme économique de Macron …
Ainsi, certaines des formules énoncées par le président du RN lors de sa conférence de presse semblaient parfois avoir été plagiées directement sur les discours de Bruno le Maire, le ministre de l’Economie. « Il faut refaire de la France une terre de production attractive et innovante » a ainsi martelé Jordan Bardella, une antienne répétée en boucle par le macronisme depuis que la crise du Covid a mis sous le feu des projecteurs certaines des fragilités du tissu industriel français. « J’entends également mettre le travail au cœur de notre ambition économique » a-t-il également défendu, autre mantra du chef de l’Etat.
Même son de cloche à propos des « normes » que le RN a fait figurer parmi ses « urgences », prévoyant notamment dès l’été des « états-généraux de la simplification » et une « pause réglementaire » afin d’éviter les « surtranspositions de directives européennes », un travail initié par Bruno Le Maire au printemps. L’occasion de ressorti les vieux poncifs macronistes légèrement remaniés à la sauce RN, « déverrouiller », « libérer la croissance », et d’annoncer en langage moins policé qu’il faudra redoubler « d’efforts ». C’est sans doute le député Jean Philippe Tanguy, en charge des questions financières, qui, cité par Le Monde, résume le mieux la situation : « ce qu’on remet en cause, ça n’est pas la politique de l’offre mais l’injustice fiscale ».
En d’autres termes, le RN compte poursuivre la politique de cadeaux aux entreprises de Macron. La conversion du parti d’extrême-droite à l’orthodoxie néolibérale est dorénavant totalement assumée. La politique économique défendue par le RN prétend que la meilleure manière d’obtenir une croissance économique est d’inciter les entreprises à améliorer leur offre de biens et à conquérir de nouveaux marchés, en réduisant notamment les impôts de production. Comme le notent Les Echos les impôts des entreprises, en cas de victoire du RN, baisseraient « au bas mot » d’une dizaine de milliards d’euros par an.
Le programme du RN propose ainsi de nombreux allégements d’impôts. A la différence de la majorité présidentielle, les responsables du parti ont récemment invoqué la suppression de la taxe forfaitaire sur les armateurs. Mais la plupart du temps les propositions se rejoignent. Sur la suppression de la cotisation financière des entreprises (CFE) : d’accord [1] ; idem pour la suppression de la contribution sociale de solidarité (C3S) [2] ; accord à nouveau sur l’exonération des cotisations patronales sur les hausses de salaires (nous y reviendrons) ; sur le refus de rétablir l’ISF [3]. Pas question non plus de toucher à la « flat tax », réforme phare de Macron, qui plafonne à 30% la taxation des revenus du capital. La taxation sur les superprofits, évoquée par Marine le Pen en 2023, n’est, elle, plus d’actualité, au profit d’une contribution sur les rentes infra-marginales, qui consiste à reconduire la très contournée taxe sur les superprofits des énergéticiens, mise en place par Macron.
Mais la liste des cadeaux ne s’arrête pas là. Le RN est d’ailleurs plus généreux encore avec les particuliers les plus aisés. Il propose notamment de sortir les biens immobiliers de l’assiette des droits de succession à hauteur de 300 000 (un abattement de 20% existe aujourd’hui). Une mesure évaluée à 3,8 milliards d’euros et qui sera financée par le budget de l’Etat et donc les travailleurs. Dans la continuité de l’idée d’exonérer l’immobilier de l’ISF, le RN compte également faire un nouveau cadeau aux multipropriétaires en exonérant fiscalement les plus-values immobilières. Il faut y ajouter une suppression d’impôt sur les bénéfices pendant cinq ans pour les entreprises créées par un jeune de moins de 30 ans et une feuille de route qui prévoit l’exonération de l’impôts sur le revenu pour les jeunes de moins de 30 ans, qui profitera aux secteurs de la population les plus aisés comme le démontre une étude du cabinet Asteres menée en 2022.
Comme un symbole, enfin, le RN ne propose rien pour les véritables « fraudeurs », ces grandes fortunes qui usent de la liberté de circulation des capitaux au niveau européen pour échapper à l’impôt au travers de « l’optimisation fiscale ». Sans doute pour ne pas froisser ses partenaires du groupe parlementaire d’extrême-droite Identité et démocratie, lesquels refusent toute tentative d’augmenter les impôts directs à échelle européenne. Sans doute également pour adresser un appel de phare de plus aux classes dominantes.
… au détriment des classes populaires
Comme le note le politiste Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de l’extrême droite européenne, dans un entretien pour Le Monde, l’agenda libéral du RN est également le produit d’une évolution de son électorat. Après l’ultra-libéralisme des années 90, quand le programme de Jean-Marie Le Pen était directement inspiré par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, la prolétarisation du vote RN avait conduit ces dernières années (et tout particulièrement en 2012) à la mise en avant de mesures « sociales ».
Les élections européennes, dans la continuité des présidentielles de 2022, ont témoigné d’un nouvel élargissement de l’électorat du parti d’extrême droite vers des couches sociales qui lui étaient autrefois rétives (notamment les jeunes, les femmes et les retraités), mais aussi et surtout dans les catégories socio-professionnelles supérieures. Sur fond de « normalisation » progressive, d’adaptation du programme aux demandes du patronat et de votes profondément libéraux à l’assemblée (entre refus d’augmenter les salaires et de la taxation des profits) certaines franges bourgeoises, à l’instar de l’électorat LR, commencent à être séduites par Le Pen.
Le parti d’extrême-droite en a fait un enjeu crucial pour obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs sans doute en grande mesure de l’approfondissement de cette dynamique à la radicalisation du vote bourgeois que dépendra la composition du Parlement français le 7 juillet prochain, à l’instar de ce qu’analyse François Hublet dans le Grand Continent.
Aussi, si le RN est présenté depuis plusieurs années comme un parti, qui tout en ayant fait sa mue défendrait un programme économique « social » visant à soutenir le niveau de vie des classes populaires [4], l’analyse du programme économique du parti d’extrême-droite démontre sans contestation possible que celui-ci est ainsi très loin d’être favorable aux classes populaires. Les économistes Elvire Guillaud et Raul Sapognaro ont notamment calculé, dans un article pour Alternatives économiques que le programme du RN accoucherait d’un enrichissement des 10% des plus riches au détriment des 30% les plus pauvres. [5]. Une augmentation des inégalités qui s’inscrirait dans la droite lignée du bilan d’Emmanuel Macron. En 2022, une étude de l’OFCE estimait en effet que le premier quinquennat du chef de l’Etat avait procédé d’une augmentation de 6380 euros du revenu disponible d’une majorité des ménages appartenant aux 5% les plus aisés, tandis qu’au sein des 5% de ménages les plus pauvres, 56% d’entre eux perdaient en moyenne 280 euros.
Alors que les mesures « sociales » du programme du RN se réduisent peu à peu à peau de chagrin, la question des salaires -sous forme d’une exonération de cotisations patronales pendant cinq ans pour les entreprises qui augmenteraient les salaires d’au moins 10%-, est symptomatique de la logique à l’œuvre et semble tout droit inspirée de la macronie défiscalisée. Bardella reprend une nouvelle fois en effet à son compte un discours patronal : si les salaires n’augmentent pas, c’est parce qu’ils coûteraient « trop chers ». Une logique profondément néo-libérale qui cherche en réalité à masquer l’exploitation capitaliste qui constitue la source du profit. D’ailleurs, ces derniers n’ont eu cesse d’augmenter sur fond de spoliation direct des travailleurs au moyen de l’inflation : alors que les profits des grands groupes ont explosé (le CAC 40 a généré plus de 145 milliards d’euros de profits en 2023) il y aurait ainsi largement de quoi augmenter les salaires.
Surtout ces mesures d’ « exonération de cotisation » sont en réalité un lieu commun de la bourgeoisie française et de ses politiques au service du capital depuis des décennies. Le montant des allègements généraux de cotisations sociales adoptées depuis les années 1990 monte ainsi à 73,6 milliards pour des résultats inexistants pour les travailleurs. Plus grave encore, la mesure constitue en réalité une attaque directe contre le travailleurs -que le macronisme a élevé à un niveau inédit en convertissant notamment les 20 milliards de la CICE en exonérations de cotisations. Tous ces allègements de cotisations n’étant pas compensés par l’État, ils affaiblissent donc en même temps le budget de la Sécurité Sociale, ce qui sert ensuite d’excuse à la casse du système de santé, avec comme dernier exemple en date le doublement de la franchise médicale, ainsi que la réduction de toutes les aides pour les plus précaires, comme le durcissement des conditions du RSA, la suppression de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) dont bénéficient certains chômeurs en fin de droits, ou encore une nouvelle réforme annoncée de l’assurance chômage en direction des plus âgés.
Le RN ne fait donc que recycler une nouvelle fois des mesures profondément néo-libérales que les gouvernements de droite comme de gauche, avant même la macronie, n’ont eu cesse de mettre en place pour faire de nouveaux cadeaux au grand patronat. Des mesures qui justifient également l’austérité à venir comme le pointe l’économiste Mickael Zemmour et de futures coupes budgétaires pour les services publics, dans l’éducation, la santé ou encore la culture dans la droite lignée de la politique néo-libérale de Macron. Derrière les annonces démagogiques se cachent ainsi de nouvelles attaques pour le monde du travail qui seront les premiers à payer la facture d’un programme économique qui s’inscrit dans la continuité des politiques menées depuis quarante ans au service du grand patronat et de la restauration de la compétitivité du capitalisme francais.
[1] Comme le note Simon Pierre Sengayrac dans une note pour la Fondation Jean Jaurès cette suppression « fragiliserait davantage les collectivités qui, depuis 2017, ont subi la suppression de la taxe d’habitation (TH) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). La CFE a rapporté 9 milliards d’euros en 2023. »
[2] « Cet impôt est payé par les entreprises sur leur chiffre d’affaires et vise à financer la Sécurité sociale. L’Urssaf a collecté 3,7 milliards d’euros en 2021, 4,3 en 2022, 4,8 milliards en 2023. Le montant prévu pour 2024 est de 5,1 milliards d’euros. […] » Il sert notamment à financer les retraites. Idem
[3] Le Rassemblement National a proposé de remplacer l’impôt sur la fortune immobilière par l’impôt sur la fortune financière pour ménager les contribuables les plus aisés. Comme le note Le Monde cette mesure ne devrait en réalité pas voir le jour.
[4] Une confusion entretenue notamment par le camp présidentiel qui est allé jusqu’à dire que le « lepénisme » serait un « nouveau marxisme »
[5] Ils écrivent : « Si ce programme était mis en œuvre, nos calculs sont formels : le décile du haut gagnerait en moyenne 1 160 euros par an, par unité de consommation, tandis que les trois premiers déciles perdraient en moyenne 230 euros par an. »
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