Procès de Wikileaks ou procès de Julian Assange ?

Procès de Wikileaks ou procès de Julian Assange ?

Julian Assange jugé du 24 au 27 février 2020

Par Monica Karbowska

Introduction : cet article a été fini juste avant les événements actuels. Il ne contient donc aucune allusion, sauf involontaire, à la crise que nous vivons. J’ai décidé de le publier car le système répressif n’est pas suspendu : ceux dont les droits sont violés ont plus que jamais besoin de nous. Comme il est interdit de prendre les photos à l’intérieur du tribunal, j’ai réalisé les dessins pour montrer les lieux.

Pour l’association Wikijustice, depuis sa création, il n’y a pas d’audience « non importante » en contraste avec une « procès important ». C’est pour cela que nous ne nous sommes pas focalisés sur ces jours de fin février annoncée en grande pompe par les médias comme « le procès d’extradition du siècle ». Au contraire, depuis 6 mois nous avons déployé tous les efforts nécessaires pour être présents à toutes les audiences de la Westminter Magistrate Court, ce qui n’était pas évident – obtenir les informations fiables à temps, franchir les obstacles pour assister aux audiences du 181 avenue Marylbone. Chaque brève rencontre avec Julian Assange, direct ou en vidéo, était pour nous une preuve de vie et l’occasion de témoigner sur son état de santé et sa situation. Après ce travail intense depuis août dernier, soulagée de le savoir vivant, j’étais également heureuse de savoir que j’allais pouvoir le voir 4 jours durant, lui apporter notre soutien et notre sympathie et peut être pouvoir communiquer avec lui et transmettre un message de sa part. Tous nos efforts sont tendus pour sa libération pleine et entière, nous aimerions tellement qu’il le sache et qu’il soit prêt pour ce moment dont nous ne doutons pas de l’imminence.

J’ai donc pu assister pendant 4 jours au procès dans les locaux du tribunal jouxtant la prison Belmarsh, dans la localité de Thamesmead dans la banlieue de Londres et j’ai pu voir Julian Assange 5 à 6 heures chaque jour. 

Lundi 24 février 2020

Mais d’abord il a fallu entrer dans les locaux. Je n’ai pu prendre le métro et le bus de banlieue de Londres qu’à 5h30 du matin et arriver sur place qu’à 6h45. D’emblée j’ai remarqué le camping de tentes dans le petit parc attenant à la grille de la prison et de la cour. Jamais une police n’aurait permis en France à des militants de camper devant les murs d’une prison. L’Angleterre n’en finit pas de m’étonner avec son système laxiste sur certains points, tolérant des passe droits, des discriminations, des violences et encourageant le viol des règles, des procédures et des droits dans d’autres circonstances. Justement la règle du « premier arrivé premier servi » pour laquelle nous avions tant lutté à la Westminster court est en passe d’être violée une nouvelle fois : Il y a 14 personnes devant la file d’attente devant la grille et Greekemmy a déjà crée une liste illégale sur laquelle elle inscrit les gens après leur avoir dument arraché leur nom sous la menace de ne pas pouvoir entrer malgré avoir attendu. Juste devant moi se tiennent Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans Frontières, Christian Mihr, son homologue de la filiale en Allemagne et Rebecca Vincent, responsable du bureau de RSF en Grande Bretagne. Je proteste à haute voix contre l’apparition de la liste. Je sais d’expérience que de nouvelles personnes arrivées plus tard y seront inscrites et que du fait de cette resquille je ne pourrai pas entrer. Greekemmy fonce vers moi, élève le ton, me menace d’être expulsée du tribunal. Je prends Christophe Deloire à témoin, en Français. Il a l’air de soutenir la liste de Greekemmy alors que je lui dis qu’il ne tolérerait certainement pas ce genre de situation en France, qu’une personne lambda prenne le nom de gens dans l’espace public et décide de qui a le droit d’entrer dans un tribunal, alors pourquoi accepte – t-il cela dans le cadre du procès de Julian Assange. Il ne me répond pas, mais lorsque d’autres personnes arrivées plus tard passent devant nous, une Américaine vivant en France, qui se tient derrière nous décide elle aussi de ne plus se laisser faire. Nous restons ainsi une heure à discuter sur les aspects culturels de notre aventure alors qu’arrivent l’avocat Edward Hamilton Fitzgerald, Gareth Peirce, mais surtout de très nombreux journalistes et caméramans qui entrent directement dans le bâtiment après présentation d’une carte de presse aux agents de sécurité. Cependant, toutes les cartes de presse ne se valent pas car les membres de Wikijustice qui montrent la leur sont refoulés. Des policiers, probablement municipaux arrivent aussi et saluent Greekemmy et ses proches d’un air débonnaire. Ils demandent juste à un jeune homme derrière nous d’enlever son masque d’Anonymous et signalent qu’il n’y aura que 18 places pour le public.

Tribunal du « Que le plus fort gagne »

L’ambiance se tend néanmoins lorsque les agents de sécurité nous font entrer dans le jardin et nous stockent devant la porte du bâtiment entre deux rangées de barrières de sécurité. Nous sommes déjà 30 dans la file alors que des supposés journalistes fendent notre groupe pour se retrouver devant. Les journalistes entrent également facilement par la file de droite délimitée par deux autres barrières de sécurité. Il y aura plus de 100 journalistes entrant et sortant en permanence du tribunal, 26 auront une place directement dans la salle d’audience. C’est le moment que choisit Greekemmy pour m’agresser une nouvelle fois avec force insultes tout en me filmant avec son portable alors que je proteste contre son comportement. Je vois surtout qu’elle se donne pour mission de détourner l’attention de la resquille d’une toute jeune fille qui arrive de derrière et pousse brutalement mes camarades pour se mettre devant nous. Nous protestons mais lorsque je lui touche le bras pour l’inciter à arrêter elle se met à hurler « don’t touch me » avec une arrogance cynique qui nous plonge dans la stupeur. Elle est secondée par son compagnon, le garçon au masque d’Anonymous pendant que Greekemmy continue de m’agresser verbalement. Le ton et la violence monte dans la file, les agents de sécurité ne font rien pour désamorcer le conflit mais lorsque je me tourne vers les policiers qui nous regardent à 1 mètre de là, pour qu’ils ramènent un peu d’ordre, je suis stupéfaite de constater que voir des gens se battre pour entrer dans un tribunal les fait rire. Ils ont l’air d’attendre que le plus fort gagne. Décidemment le système anglais n’en finira plus de m’agacer. J’explique à mes compagnes d’infortune que lorsqu’on commence par trouver normal les passe droits et violences dans une file d’attente devant la cour, il ne faut pas s’étonner qu’on finisse par s’habituer aux viols de droits et aux vices de procédures par la même cour dont Julian Assange est victime depuis plusieurs années.

L’organisation du tribunal est également on ne peut plus étrange. Le panneau suspendu sur la grille d’entrée signale « HMCS », « Her Majesty Court Services », soit l’administration des tribunaux. Sur un panneau en métal devant le bâtiment avant les barrières de sécurité il est indiqué « Woolwich Crown Court », mais lorsque je me trouve devant la porte de gauche ou nous orientent les agents de sécurité, je vois une simple feuille A4 collée dessus avec une flèche vers la gauche et une inscription « Belmarsh Magistrate Court ». Sur la porte de droite, par laquelle entre d’autres usagers, une feuille similaire indique « Woolwich Crow court ».  Pendant que le procès de Julian Assange a lieu dans l’aile de gauche, la vie continue donc dans l’aile droite du bâtiment ou travaille la vraie Woolwich Crown Court. De plus, dans l’aile gauche du bâtiment nous retrouverons presque tous le personnel que nous connaissons de la Westminster Magistrate Court. Alors, ou nous trouvons nous vraiment ? La « Belmarsh Magistrate Court » n’a l’air d’avoir qu’une existence très formelle : le site du ministère de la justice britannique lui donne comme adresse le 1 London Road à Bromley[1], dans la banlieue sud de Londres alors que le site the Law pages donne 4 Belmarsh road à Thamesmead[2]. Cependant sur le plan de Thamesmead le 4 Belmarsh Road est introuvable, le numéro 2 étant l’adresse de la Woolwich Court, c’est-à-dire le bâtiment devant lequel nous nous trouvons alors qu’à 1 London Road à Bromley se trouve en réalité la Bromley Magistrate Court[3].

Nous sommes épuisés lorsqu’enfin un jeune agent de sécurité, affolé et débordé, déverrouille la porte et nous pousse pour empêcher la foule qui nous appuie par derrière de se précipiter à l’intérieur. Il exige de nous des pièces d’identité et ne fait entrer que 6 personnes à la fois. En effet, lorsque je suis venue les deux fois précédentes pour information, la Woolwich Crown Court ne disposait que d’un seul portique de détection de métaux, visiblement suffisant pour l’activité assez clairsemée de l’institution. Aujourd’hui un autre portique est installé pour les usagers de la Woolwich Crown Court à droite de l’entrée tandis que des tables sont disposées à gauche pour gérer de façon plutôt artisanale le contrôle des visiteurs du procès de Julian Assange. Sur les tables se trouvent des petits casiers en plastique dans lesquels il faut mettre l’ordinateur, les manteaux et les écharpes, les ceintures, les chaussures… cela fait très « aéroport». Dans tous les débordements, les deux jeunes resquilleurs de derrière se retrouvent évidemment devant nous. Je cours le plus vite possible à l’étage, renseignement pris auprès de deux agents de sécurité, car le procès Assange n’est indiqué nulle part, ni sur l’écran qui affiche les audiences du jour, ni sur le panneau d’information à gauche du hall.

Je m’engouffre dans un couloir, puis dans un espace équipé de fauteuils comme une salle d’attente, puis dans un espèce d’étroit boyau-couloir, j’arrive dans une autre antichambre et là je vois la porte de la salle d’audience. J’entre, et j’aurais pu y rester car personne ne me demande rien, mais comme je ne suis pas sûre que j’ai le droit de rester, je préfère chercher mes camarades et attendre avec le public pour ne pas perdre la précieuse place. L’endroit où quelqu’un leur a dit d’attendre s’avère ce minuscule boyau entre deux couloirs, ou nous sommes bientôt serrées les uns contre les autres devant une porte verrouillée et un petit panneau en plastique marqué « public gallery » avec une flèche. La resquille violente continue car nous sommes 25, les agents de sécurité ont laisser entrer bien plus que les 18 places prévues. Pire, lorsqu’un agent de très petit gabarit tentera d’amadouer la foule, il faudra qu’il crie fort pour annoncer que 6 places doivent être réservées à la famille…

La tension est telle que je ne remarque que deux jours plus tard que le « boyau » ou nous allons passer beaucoup de temps d’attente est en fait un sas, que les 25 personnes stockées dedans empêchent donc le dégagement des CHC (Circulation Horizontale Commune[4]) et leur présence bloque le RIA (Robinet d’Incendie Armé) enfermé dans une gaine –cette situation viole les normes de sécurité incendie communément admises, en Grande Bretagne comme en France. Pire, je remarque bientôt que la porte verrouillée devant laquelle nous attendons est une… sortie de secours ! Une sortie de secours donnant sur un escalier de de secours ne doit jamais être verrouillée car en cas d’incendie nous ne pourrons pas évacuer et nous pouvons tout simplement mourir. Justement, peu avant 10 heures, l’agent de sécurité déverrouille la sortie de secours et nous fait entrer dans un escalier qui est visiblement un escalier de secours. Nous devons monter par là pour arriver sur un palier ou nous passons une porte coupe-feu, nous nous trouvons dans une antichambre ou se trouve des toilettes femmes à droite et homme à gauche, et d’où deux couloirs mènent à droite à la « court 3 » et à gauche à la « court 2 ». La notre est la salle 2, il faut encore entrer dans un autre espace ou se trouvent deux portes qui probablement sont les accès vers la galerie en temps normal. Un autre agent de sécurité, grand rouquin sévère, ouvre une troisième porte et nous indique les sièges à occuper. Derrière une baie vitrée, surplombant la salle d’audience de 10 mètres au moins, se trouve la galerie du public avec 18 sièges disposés en deux rangées. Au fond se trouve encore une porte verrouillée.

Je n’ai pas le loisir de réfléchir à l’étrange disposition des lieux ce premier jour du procès : au moment ou l’agent ouvre la sortie de secours, un homme de type méditerranéen, corpulent, qui se trouvait en première place de la file avec Greekemmy m’arrête en me prenant le bras et me somme de laisser ma place « à la Courage Foundation » qui vient d’arriver. Stupéfaite, je réponds sans hésitation « non » et lorsque l’homme, sur un ton menaçant me dit « comment j’ose refuser ma place à la fameuse et célèbre Courage Foundation », je réponds que j’ai aussi le droit à être là. Puis je cours dans l’escalier sans demander mon reste et arrivée dans la galerie, je ne peux m’installer qu’à une place centrale du deuxième rang d’où je ne verrai Julian Assange que d’assez loin. Cependant les deux membres de la Courage Corp, un jeune homme roux barbu, peut être Nathan Fuller, le gérant de l’entreprise new yorkaise comme on peut le vérifier sur le site du du NYS Departement of State Division of Corporation[5], et une femme de 60 ans, ont pris place juste à gauche de notre groupe. La femme fera plusieurs photos de Julian sans que l’agent de sécurité ne l’inquiète. De même la jeune arrogante qui a poussé tout le monde ce matin prend une place à côté de son compagnon, mais elle s’éclipsera de la salle pendant toute la matinée et l’après midi elle prendra plusieurs photos de Julian. L’agent de sécurité l’expulsera enfin après la quatrième photo.

Aujourd’hui je ne suis pas encore revenue de ma surprise ayant constaté que l’homme qui voulait me chasser de la cour était Patrick Henningsen, journaliste à Russia Today International. L’hostilité déclaré de ce journaliste à ma personne me surprend d’autant plus que je le vois pour la première fois et que des membres de Wikijustice travaillent sans problème avec Russia Today, un des journalistes de RT France doit m’interviewer ici même tout à l’heure.

Les meilleures places du premier rang sont occupées par les représentants de RSF assis à côté de Kristinn Hrafnsson et Fidel Narvaez. Après la pause, les députés du parti de gauche allemand die Linke Sevim Dagdelen et Heike Hänsel arriveront et deux jeunes leurs céderont leur place. Angela Richter, la femme de théâtre allemande, sera assise sur la 5 place du premier rang en partant de la gauche. A droite au premier rang on nous annonce la famille de Julian Assange : John Shipton, son fils Gabriel Shipton, un homme âgé, grand et bien bâti, une femme de 55 ans aux longs cheveux châtains bouclés et un jeune homme brun au nez pointu. Je me renseigne – il parait qu’il s’agit du frère de John Shipton, de la femme du frère et de leur fils. Tout au bout à droite Craig Murray est assis avec la famille. Ce qui m’a frappé est que pendant toute l’audience aucune de ces personnes n’a montré la moindre émotion, sauf peut-être un peu Murray. Julian n’a pas salué ces gens qui se disent « sa famille », il n’a eu aucun signe de connivence avec eux, aucun geste, pas même avec Shipton. Quand Julian Assange tournait la tête vers cette partie de la galerie, on aurait dit qu’il voyait des étrangers. Il y avait dans leur comportement des aspects « je regarde un spectacle » assez déplaisants. Certains membres de la famille ne pouvaient s’empêcher d’êtres sur leur téléphone malgré l’interdiction formelle énoncée par le surveillant.

En contrebas je retrouve du regard tout le personnel de la Westminster Court telle qu’on l’a connue depuis septembre. Je vois Rosie Sylvester, la manageure, un des greffiers que j’ai déjà vu. Je vois le procureur Lewis mais l’équipe « d’Américains » et Clair Dobbin sont par le balcon de la galerie car ils sont assis tout au bout de leur banc à droite, au premier rang. Sur le coté gauche de ce banc prennent place Edward Hamilton Fitzgerald et Mark Summers. Gareth Peirce est assise derrière eux avec ses deux assistantes et Alistar Lyon. Enfin, surprise car je ne savais pas qu’un avocat d’un autre barreau européen pouvait participer à un procès en Grande Bretagne (quelle directive européenne rend elle cela possible ?), je constate la présence de Baltazar Garzon dans la rangée de derrière, à ses cotés Jimenez Martinez, Stella Morris et le jeune Mc McGrath. Jennifer Robinson est assise avec trois hommes sur un banc perpendiculaire aux avocats, juste devant les rangées ou prennent place les 26 journalistes qui ont la chance d’avoir été admis dans la salle. Le long box des accusés avec sa baie vitrée se trouve donc juste derrière Baltazar Garzon qui sera le seul avocat à saluer Julian Assange deux fois, à lui serrer la main dans la jointure des vitres. De même, lorsque Julian Assange essaiera de communiquer avec Gareth Peirce, il fera passer d’abord des petits papiers écrits de sa main à Baltazar Garzon pour que celui-ci les donne à l’avocate. L’ancien juge paraitra nerveux pendant la lecture de l’acte d’accusation et sortira plusieurs fois de la salle. Vanessa Baraitser trônera derrière une longue table sur une estrade faisant face à la salle. De lourds dossiers de documents se retrouveront éparpillés sur les pupitres au fur et à mesure que les audiences avancent, à côté de stabilos et d’ordinateurs, des documents tomberont par terre, mais certains avocats passeront aussi du temps sur leur téléphone portable, ce qui se voit très bien d’en haut.

L’émotion est palpable lorsque Julian Assange entre par la porte du fond du box. Il est encadré par deux gardes, un homme noir en uniforme de Mitie (tous les agents de sécurité présents sont salariés de l’entreprise Mitie) et un autre, blanc et costaud en chemise blanche et pantalon noir. Ce dernier jette des coups d’œil suspicieux au public dans la galerie et sera celui qui avertira son collègue lorsqu’une de mes collègues s’aventurera à faire une photo de Julian Assange. Il semble au premier abord plutôt correct avec son prisonnier. Julian Assange porte un costume gris, avec un pull gris et une chemise blanche. Ses cheveux sont coupés court, il est rasé et porte deux paires de lunettes- une sur son front et l’autre il la tiendra à la main pour s’en servir lorsque parfois il consultera l’énorme dossier qu’il pose à coté de lui sur le banc. Comme il s’assied au milieu du banc, j’arrive à le voir de ma place. J’aperçois qu’il a du mal à se mouvoir, même à rester assis, il doit s’agripper au dossier du banc. De même, lorsqu’il met sa jambe gauche sur son genoux droit il me semble que c’est pour pouvoir tenir en équilibre le gros dossier sur ses genoux. Le plus souvent il reste les mains jointes, les doigts croisés, dans une attitude de prostration et de résignation. Je vois son visage triste, surtout lorsqu’il lève les yeux vers le plafond, le ciel qu’il ne voit pas, dans l’attitude de celui qui veut s’échapper à tout prix d’ici… Il cligne des yeux en renversant la tête en arrière, répète ce tic toutes les 10 minutes environ. Lorsque son regard balaye alors la première rangée de la galerie, je crois déceler dans son regard une expression de colère, de dégout, un sentiment de trahison peut être. Parfois je vois dans ses traits quelque chose de plus négatif encore, un rictus de douleur, peut-être de la haine, et de la peur. Alors il se frottent nerveusement les doigts d’un contre l’autre, les mêmes gestes répétitifs que nous avons pu observer auparavant et que le médecin de Wikijustice a dument analysé comme symptômes de souffrance dus à la torture.

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L’acte d’accusation justifiant l’extradition – la question de la responsabilité juridique

D’emblée Vanessa Baraitser donne la parole au procureur et nous assisterons toute la matinée à la présentation de l’acte d’accusation. C’est important de l’entendre enfin, tant de rumeurs ont circulé à son sujet. Néanmoins il est douloureux d’entendre proclamer avec tant de dureté des assertions qui nous paraissent monstrueuses. En effet immédiatement le procureur détaille les deux chefs d’accusation : Julian Assange est accusé de « computer misuse » et de « conspiracy » avec Chelsea Manning en vue de voler des documents classifiés puis de dissémination de ses mêmes documents avec mise en évidence des noms, ce qui a conduit à la mise en danger de ces personnes, collaborateurs de l’armée américaine en Irak et Afghanistan qui risquaient ainsi la mort ou la torture. En clair, intrusion informatique et vol en réunion… il est très perturbant d’entendre cela. De plus, le procureur s’appuie curieusement sur les « preuves » données par les médias : il cite des articles de journaux (El Pais, Le Monde, Guardian…) qui à l’époque en 2010 avait accusé « Wikileaks » de publier des milliers de documents « unredacted », « non expurgés ». Cette partie de l’acte d’accusation s’entend déjà comme un procès de la presse, puisqu’on s’appuie sur la presse pour fournir les preuves d’une accusation, sans que cependant le procureur n’explicite le rôle exact de Julian Assange dans la structure ou organisation « Wikileaks ». Le lien entre « Julian Assange, homme physiquement présent ici et « Wikileaks », dont le procureur ne précise pas « ce que c’est » (association ? entreprise ? Site internet ? Selon les lois de quel pays ?), n’est pas prouvé autrement que par les assertions du procureur : Julian Assange serait « Wikileaks founders » ou « the puppet master » (le marionnettiste).

Pour nous qui savons depuis un certain temps que John Shipton est propriétaire des noms de domaines de Wikileaks au sein de la société californienne Dynadot[6] et que Julian Assange n’était que salarié de la Fondation Wau Holland qui pilotait le projet « 04 Wikileaks » d’Allemagne[7], il apparait que ce n’est pas Julian Assange qui est responsable juridiquement des agissements de « Wikileaks » mais justement John Shipton et les dirigeants de la Wau Holland Stiftung comme Andy Müller Maguhn, Bernd Fix, Jens Ohlig, Winfried Motzus et Hendrik Fulda. Le procureur enfonce le clou en citant des points de son documents… 15, 16 et 17, Julian Assange n’aurait rien de moins que facilité la vengeance des talibans après avoir hacké des ordinateurs et volé les documents d’Etat en association de malfaiteurs. Il ne serait donc pas journaliste. Curieusement cependant, il n’est « chargé » que des documents publiés de septembre 2010 à novembre 2011. Il n’est pas accusé pour le film « collateral murder » ni pour les « Spy files », ces fameux documents d’espionnage généralisé qui ont tant énervé la chancelière Merkel lorsqu’elle a découvert par eux que son portable personnel était écouté par la CIA. Ces documents étaient si importants pour les dirigeants de la Wau Holland Siftung qu’ils ont été trois à se déplacer à Londres pour préparer la conférence de presse de lancement de ces publications du 1 décembre 2011[8]. Le procureur finit la tirade en moquant les médias écrivant sur les « 175 ans de prison ». Selon lui la jurisprudence montrerait que les peines pour ce type de délit ne vont que de 48 à 65 mois de prison. Mais juste après que nous reprenons espoir, il assène que dans ce procès, nul besoin de preuves, puisque c’est un procès d’extradition. Les preuves seraient présentées aux Etats Unis quand Julian Assange y sera.

On a l’impression d’assister à une levée de rideau d’un spectacle d’horreur. Baraitser le lève, nous sommes chassés de la salle. Julian Assange parait résigné mais pourtant il lève le poing, sans toutefois regarder le public. L’agent de sécurité nous chasse de l’escalier de secours et nous nous retrouvons dans le sas, avec toute la foule. Je comprends vite qu’il n’est pas question de profiter de notre pause de 10 minutes car nous perdrons notre place chèrement acquise. Je reste donc devant la porte de secours, à essayer de raisonner avec mes camarades la jeune resquilleuse qui continue son comportement asocial et perturbateur : elle nous pousse du coude, crie qu’elle est la plus importante et doit le rester, répond fièrement qu’elle a 23 ans lorsque nous lui demandons médusés ce qui lui donne à penser qu’elle a droit à tant de privilèges. Elle parait comme sous emprise de substances et c’est déroutant de voir quelqu’un se comporter ainsi dans un tribunal et d’assister à la passivité totale de l’agent chargé de l’ordre, qui la laisse même revenir devant tout le monde dans la galerie. Privilégiée, absolument. Pourquoi, nous ne le savons alors pas.

L’audience reprend dès que Julian Assange revient, porteur du classeur et d’un cahier dans lequel il essaiera d’écrire ses petits mots. Son visage prend un air accusateur lorsqu’il lève les yeux vers la première rangée du public. Le procureur continue sa charge : les milliers de documents fuités sont détaillés, Julian Assange est accusé d’avoir encouragé Manning à voler les documents en l’aidant à craquer un mot de passe pour accéder à un intranet de l’armée. Il voulait donc attenter à la sécurité des Etats Unis, surtout que « Wikileaks » sur son site internet « sollicite le public à lui livrer des documents secrets ». Pour appuyer ses dires et amener un semblant de liens entre Julian Assange et « Wikileaks » le procureur cite la conférence du Chaos Computer Congress à Berlin de fin décembre 2009 lors de laquelle Assange aurait présenté ce projet comme « le service de renseignement du peuple ». La Wau Holland Sitftung n’apparait curieusement pas dans la tirade du procureur, alors qu’elle s’assume comme pleinement responsable du projet Wikileaks dans ses propres rapports d’activités de 2006 à 2014, comme si l’Etat britannique voulait épargner une institution allemande, en pleine négociations avec l’Allemagne autour du Brexit. Manning aurait donc répondu aux sollicitations de Julian Assange et aurait alors téléchargé les documents cryptés de de février jusqu’à son arrestation le 27 mai 2010. Le lien entre Manning et Assange serait fourni par leur communication sur la messagerie Jabber de novembre 2009 à avril 2010. Je suis surprise d’entendre parler de la relation entre Julian Assange et Chelsea Manning. J’étais restée sur les dénégations de Julian Assange qui avait toujours affirmé ne pas avoir été en contact avec le soldat Manning et j’avais cru que Manning avait lâché ses informations en discutant avec le hacker Adrian Lamo[9], assassiné mystérieusement en 2016 et c’est ainsi que l’armée avait pu trouver son identité. La messagerie Jabber a aussi été un projet de la fondation Wau Holland depuis 2008[10]. Il va falloir que le procureur fournisse les preuves techniques des conversations sur Jabber, des relevés issus des fournisseurs d’accès internet, et non pas des aveux de Manning arrachés après torture.

Malgré la situation dramatique, le frère de John Shipton s’endort alors sur son siège. Julian Assange regarde Kristinn Hrafnsson d’un air résigné mais rempli de colère. Les hommes de RSF partent. Garzon a l’air énervé. Alors le procureur passe à l’étape supérieure : des Talibans au Pakistan se seraient servis des documents publiés pour commettre des crimes, Julian Assange aurait donc donné des « informations utiles pour l’ennemi », il savait qu’il mettait ses sources en danger. C’est très différent de la première phase des publications qui ne ciblaient que les Chinois et les Syriens. Bref, si Julian Assange a sciemment donné des informations à l’ennemi il peut être accusé « d’intelligence avec l’ennemi », donc d’espionnage. On entend la clameur des Gilets Jaunes monter en puissance. Julian Assange l’entend sûrement aussi… C’est fort.

Il s’agite sur son banc, cherche une position, écrit quelque chose, ne peut pas se départir de ce tic qui lui fait cligner des yeux et chercher la lumière en levant le visage vers le haut, vers nous. Maintenant le procureur va prouver pendant 1 heure que la loi sur la « conspiration » est la même en Grande Bretagne qu’aux Etats Unis, et réfuter déjà les arguments de la défense sur le « abuse of authorities », abus de pouvoir, c’est-à-dire les vices de procédure. Julian Assange semble aller mieux – il écrit un petit papier à l’attention de Garzon. Baraitser est bien obligée de demander des débuts de preuves au procureur. Celui-ci explique que si les journaux ont aidé à la dissémination de l’information à l’ennemi, alors oui, ils pourront aussi être inculpés. En clair dans « certaines circonstances », le traité d’extradition permet bien l’extradition pour raisons politiques, toute personne, qu’elle soit de nationalité britannique ou non.

C’est alors que je vois Julian Assange lever la tête et poser son regard sur Angela Richter, assise au milieu du premier rang. Il lui fait un geste de main comme quand on veut chasser quelqu’un, lui signifier qu’il faut qu’il parte. Il lui désigne clairement la porte. J’ai l’impression que Richter est gênée, elle regarde autour d’elle pour voir si quelqu’un d’autre a compris ce qui se passe. Le procureur déclare qu’il n’a pas besoin de soumettre des preuves, ce qu’il dit est « selfsufficient », se suffit à soi-même, curieuse catégorie du droit tout de même. A ce moment-là Julian Assange parait très fatigué. Il n’a même pas un verre d’eau devant lui, contrairement aux avocats et aux journalistes. Il croise et décroise les doigts, regarde les journalistes… puis il veut parler ! Il se lève, se tient les mains jointes devant la vitre et parle. Baraitser veut le couper lui enjoignant de parler à travers ses avocats. Mais lui insiste et veut parler lui-même. Nous n’entendons pas ce qu’il dit, car il n’y a pas de micro et nous n’entendons que ce qui est dit directement dans les micros. En se concentrant sur sa voix étouffée par les barrières, on croit l’entendre se plaindre de ne pas entendre. Et ce n’est surement pas les slogans décidés des Gilets Jaunes qui le gênent, contrairement à ce que soutiendra Baraitser. On ne le laisse pas continuer à parler. Un carton est posé sous le micro de Fitzgerald pour augmenter le volume… Enfin, à 13 heures passées Fitzgerald a le droit de commencer la défense. 20 minutes plus tard Baraitser suspend la séance pour la pause de déjeuner. Nous sommes sommés de quitter les lieux par l’escalier de secours.

Nous n’avons que 45 minutes, la cafétéria est minuscule et la queue vite énorme. Je suis épuisée et je prends un café au distributeur avant de regagner le sas. Mon amie qui a fait la photo lorsque Julian Assange a parlé a été immédiatement expulsée du bâtiment, elle n’insiste pas. J’essaye d’en savoir plus sur ce que Julian a dit en le demandant à Fitzgerald dans un couloir du tribunal. Peine perdue, il reste évasif. Je me dépêche de regagner le sas, car même s’il y a moins de monde l’après-midi, c’était prévisible que certains soient plus intéressés par leurs relations publiques que par le procès, Greekemmy veille au grain pour introduire les siens.

Qu’est ce exactement que Wikileaks ?  Plaidoirie de Me Hamilton Fitzgerald

Je réussis sans trop de dommage à revenir dans la galerie après attente dans le sas et le passage par l’escalier de secours, malgré ma peur de nouveau subir des pressions de la part des présents pour céder ma place à quelqu’un de « haut placé ». Les sièges libérés sont remplis rapidement : Sevim Dagdelen et Heike Hänsel sont assises à coté d’Angela Richter. Le copain de la jeune resquilleuse cligne des yeux assis derrière moi. Julian Assange entre à 14 heures dans le box. Il est toujours aussi triste, assis les mains jointes, il ne regarde pas la famille, ne sourit à personne… Hamilton Fitzegerald reprend son discours : il veut s’appuyer sur l’article 10 du traité d’extradition, présenter les « abuse of procedures », vices de procédures et prouver « sur la base de la jurisprudence Castillo et Murua » (probablement Adgar Castillo contre l’Espagne – jugement de la Cour Européenne des Droits de l’homme en 1998) que Julian Assange avait dans son action des opinions politiques, qu’il est donc poursuivi pour ces opinions et que par conséquent le traité d’extradition serait violé si l’extradition venait à s’appliquer à son cas. Par ailleurs, son extradition risquerait de l’exposer à des traitements inhumains et dégradants, au risque de suicide, et au risque de la peine de mort. Par la suite l’avocat cite les témoins qui vont comparaitre : des universitaires et journalistes spécialisés dans les questions d’espionnage et de fuites de données informatiques, Jamil Jabber de l’université de Columbia, Michael Tigar, attorney et professeur américain, et aussi le très célèbre Noam Chomsky. Puis l’avocat refait le récit des publications « Wikileaks » : il raconte comment Bradley Manning a déclaré avoir de lui-même téléchargé les documents, contacté le Washington Post, puis décidé en février 2010 de tout donner au site internet « Wikileaks », notamment le film de « l’attaque aérienne sur des civils innocents en Irak » et, le 8 mars 2010, les documents relatifs au bagne de Guantanamo, guidé par l’idée qu’il était « dans l’intérêt du public » de les éditer. Passant rapidement sur le fait que ce fut l’administration Obama qui a initié les hostilités contre Julian Assange, l’avocat charge le président Trump en rappelant ses tirades violentes contre la profession de journaliste. Gareth Peirce va alors vers Julian Assange et lui tend un document. Il se lève difficilement pour le prendre, se rassied et regarde fixement devant lui sans bouger.

Edward Hamilton brosse alors de quelques phrases flatteuses la « saga Wikileaks » qui a duré quelques mois, un an maximum en 2010 et 2011. Dans sa bouche Julian Assange se mélange à « Wikileaks » sans qu’on sache trop qui décide de quoi. Il crédite même le site de « catalyseur des révolutions arabes en exposant la corruption du clan Ben Ali en Tunisie» ce qui me fait sourire un peu jaune. Par les amis de l’UGET, de Redeyef, du Parti Patriote Démocrate que j’ai soutenus dès 2011, je sais bien que les Tunisiens n’avaient pas besoin d’Occidentaux pour se rendre compte de la violence et de la corruption de la dictature dans laquelle ils vivaient. Je sais aussi que la vraie Révolution de décembre 2010 est bien partie de manifestations lancées par les militants de l’UGET, l’une des plus vieilles organisations syndicales de l’Afrique, de même que le mouvement de la « Kasbah 1 » en février 2011 a été initié par deux jeunes filles désespérées par la répression, Zahra et Hawra Khammassi, Zahra étant responsable du syndicat UGET à la Faculté du 9 avril. J’espère un jour pouvoir faire rencontrer à Julian Assange les vrais protagonistes de cette histoire, mais pour cela il faut le sortir de cette taule. Pendant que l’avocat continue d’exposer le déroulé de l’affaire, je vois enfin que Julian Assange me regarde fermement, je répond immédiatement en soutenant son regard. Puis il parait plus fatigué et les gestes auto-centrés et répétitifs réapparaissent : il se frotte les doigts et de nouveau lève la tête vers le plafond comme quand on a mal au dos. Mais je vois alors encore mieux son regard qui dit sa souffrance.

Fitzgerald fait alors le procès de l’entreprise UnderCover Global, de l’espionnage qu’elle a exercé sur les avocats comme Gareth Peirce qui sera d’ailleurs témoin, comment elle a « empoisonné » les relations dans les locaux du 3 rue Hans Crescent en abusant de la bonne foi de Fidel Narvaez, responsable sécurité de la diplomatie équatorienne. C’est dans ce contexte que Fitzgerald place l’histoire qu’il raconte alors : celle de Dana Rohrabacher, sénateur proche de Trump venu en 2016 promettre à Julian Assange de le laisser sortir de sa captivité en échange d’informations prétendument donnés par les Russes. Fitzgerald condamne encore une fois l’administration de Trump comme pratiquant le chantage politique, cherchant à extorquer des bénéfices sur le dos de son client. Je pense que le récit politique s’égare un peu : pour ma part j’aurais aimé en savoir davantage sur les motivations de la Wau Holland Stiftung lorsqu’elle a décidé en décembre 2006 de « fördern », c’est-à-dire à la fois soutenir et faire exécuter, le projet 04 Wikileaks[11].

Pour ce qui est de l’Allemagne, les journalistes du Spiegel joueront un rôle important comme témoins de la défense – Fitzgerald cite John Goetz et même Jacob Augstein, le fils de Rudolf Augstein, le fondateur du magazine comme témoins ayant toujours affirmé que Julian Assange protégeait ses sources et n’avait jamais participé au hacking des documents classifiés. Malheureusement alors que l’avocat fait le portrait d’un homme politiquement engagé, champion de la transparence et de la lutte anti impérialiste, multimédaillé, l’éloge flatteur n’a pas d’effet sur le moral de Julian Assange qui parait immobile, enfermé dans sa souffrance. Je commence moi aussi à me sentir mal d’assister à sa souffrance et ce ne sont pas les mots de Fitzgerald citant une charge de Chomsky sur Trump qui vont me donner me redonner confiance, Obama étant largement aussi responsable de la « chasse à l’homme Julian Assange ». Enfin, l’avocat aborde le plus dur mais le plus évident : l’extradition mènera Julian Assange à subir « des traitements dégradants et inhumains », le risque d’une condamnation à la prison à vie est évoqué, et les conditions de l’emprisonnement aux Etats Unis détaillés. Enfin, Fitzgerald expose que les conditions de vie de son client, le fait « d’être exposé avec sa famille en tant que cible », d’être « exposé à l’isolement » a mené son client, selon deux médecins cités, Dr Crosby et Prof. Malon, à une « clinical depression ». L’extradition va aggraver « son état de santé fragile » (« fragile state fo health ») et le mener au suicide.

Le rideau tombe. Baraitser lève sa séance. Julian Assange lève le poing mais parait épuisé. Je refuse de sortir de notre box tant que lui n’a pas quitté le sien. J’observe sa démarche, ses gestes, j’observe les gardiens. J’ai néanmoins pu croiser son regard une dernière fois. Lorsque je sors du bâtiment, une centaine de journalistes, certains agenouillés, recueillent religieusement la parole de John Shipton. Je reconnais et salue certains amis Gilets Jaunes. Il faut se débriefer et se reposer, comprendre ce qui se passe. Demain je reviendrai.

[1] https://courttribunalfinder.service.gov.uk/courts/belmarsh-magistrates-court

[2] https://www.thelawpages.com/magistrates-county-crown-court/Belmarsh-Magistrates-Court-106.html

[3]https://searchapplications.bromley.gov.uk/onlineapplications/propertyDetails.do?activeTab=summary&keyVal=L5YN3SBT06500

[4] Espace qui doit être rester dégagé en permanence pour permettre l’évacuation du public dans un Etablissement recevant le public.

https://www.securinorme.com/prevention-au-travail/238-issues-de-secours-et-degagement-sur-les-lieux-de-travail-quelle-est-la-reglementation-

[5] https://appext20.dos.ny.gov/corp_public/CORPSEARCH.ENTITY_INFORMATION?p_token=72B2BC88F1ABEC29FC17342ED048F90C2CD3180F91B4ABC04CC549D1FF9DBC78DEDF372F0216B3421318E1E20D7C94DF&p_nameid=783838A9DC6C9F54&p_corpid=0DFAEC3F1D70B519&p_captcha=14488&p_captcha_check=72B2BC88F1ABEC29FC17342ED048F90C2CD3180F91B4ABC04CC549D1FF9DBC78250B421436A200E165E9DFBDDBEDCDA1&p_entity_name=%43%6F%75%72%61%67%65%20%43%6F%72%70&p_name_type=%41&p_search_type=%43%4F%4E%54%41%49%4E%53&p_srch_results_page=0

[6]

[7] http://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf, rapport d’activité 2011

[8] Op. cit, page 5

[9] https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/wikileaks/interviews/adrian-lamo.html

https://www.npr.org/2019/09/19/760317486/the-mysterious-death-of-the-hacker-who-turned-in-chelsea-manning

[10] http://www.wauland.de/media/2009_Jahresbericht.pdf

[11] http://www.wauland.de/media/2009-12-28_Protokoll.pdf, Compte rendu de réunion du CA du 28 decembre 2008


Procès de Wikileaks ou procès de Julian Assange ?

Julian Assange jugé du 24 au 27 février 2020

 Par Monika Karbowska

 Mardi 25 février 2020 – Violences en réunion

Le deuxième jour du procès il fait froid, mais ma chambre n’est à qu’à 10 minutes de marche dans le lotissement en face de la prison, j’arrive donc devant la grille du tribunal à 5h45. Je suis la sixième personne dans la file, derrière Patrick Henningsen et un homme et une femme Américains. L’homme est volubile, il tente d’égayer l’atmosphère alors que le jour se lève et nous grelotons emmitouflés dans nos doudounes, manteaux, chapeaux et bonnets. Il chante des airs ironiques à l’attention des policiers et des agents de sécurité. Plus tard j’apprends qu’il est le journaliste Randy Crédico. La conversation s’engage alors cordialement, et je veux alors croire que nous sommes tous ensemble dans le même but : la libération de Julian Assange. C’est une collègue qui me signale la présence de Angela Richter qui munie d’une béquille passe devant nous et parvient à se faire ouvrir la grille. Encore une bonne heure d’attente et nous nous retrouverons devant la porte du bâtiment avant d’être admis à travers les portiques de sécurité. Le deuxième jour il y a nettement moins de monde : les journalistes ont déjà déserté les lieux ce matin et les cars de Gilets Jaunes n’étaient prévus par leur organisateurs que pour une journée. Je pense donc ne pas avoir à subir les bagarres de la veille, même lorsqu’arrivée dans le fameux « sas d’attente » je constate que je suis troisième derrière Henningsen et Richter déjà appuyée sur sa béquille devant la porte de l’escalier de secours. Le sas est vite rempli par notre file et nous patientons encore jusqu’à 9h50. Je suis rassurée également par le fait que Randy Crédico, parti chercher un café, reprend naturellement sa place à l’avant même si je vois à l’expression de son visage que la nécessité de se battre pour conserver cette place ne l’enchante guère.

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Ma surprise est donc grande lorsque, ayant justement entrevu l’agent de sécurité chargé de déverrouiller la porte, je vois Patrick Henningsen fondre sur moi, me prendre par les épaules, et approcher son visage menaçant tout près du mien. « Tu ne dois pas être là, tu dois partir d’ici » dit-il en substance. Avant que je n’aies le temps de réagir, un autre événement se produit : Sevim Dagdelen, la députée de die Linke entrée avant nous avec une carte de presse, arrive en trombe dans le sas. Elle crie que Kristinn Hrafnsson a été arrêté par la sécurité à l’entrée car il ne faisait pas partie des 18 premières personnes et qu’il faut « donc » que quelqu’un lui cède sa place. C’est alors que tous les regards de l’hostile assistance se tournent vers moi, comme si j’étais la gêneuse dont il faut se débarrasser à tout prix. Sous le choc, je ne trouve pas d’autres mots que mes arguments habituels « j’ai le droit d’être là comme vous, nous sommes tous égaux » mais le ton de la députée se fait agressif.

Brusquement ce sont trois personnes qui me somment de déguerpir comme si elles avaient un droit naturel à décider de ce que je peux faire et de ce qui me serait interdit. Rebecca Vincent emboite le pas à Sevim Dagdelen : elle crie « tu ne fais pas partie des soutiens de Wikileaks tu n’as pas ta place ici » !  J’avais remarqué qu’elle ne me portait aucune sympathie mais je n’imaginais pas une seconde que des personnalités ayant des positions sociales aussi honorables (députée au Bundestag, journaliste…) puissent sonner une espèce d’hallali contre la citoyenne lambda que je suis. On dirait une ambiance de secte ou seuls les initiés ont le droit de passer la porte du saint des saints. Or, c’est un tribunal, un lieu public et je ne suis pas obligée de « soutenir Wikileaks » pour avoir le droit d’être là, n’importe qui peut venir ici comme simple observateur. Je suis réellement effrayée mais j’essaye de leur rappeler qu’une association de défense des droits de l’homme, telle que Wikijustice, n’a vocation à défendre que des êtres humains, pas des organisations, en l’occurrence un homme, Julian Assange, pour la défense duquel je suis ici. Les deux personnalités féminines se font menaçantes et dans l’étroitesse de l’espace du sas je crains pour ma sécurité physique : « vous avez vu, elle ne soutient pas Wikileaks » ! crient-elles. Devant moi Angela Richter a l’air d’être de leur côté, les autres baissent la tête. Alors, je fais face à mon premier assaillant et je hausse le ton également. Cela attire enfin l’agent de sécurité qui cesse de se planquer dans les recoins et fait venir deux hommes habillés d’uniformes de police. Troisième surprise, les deux hommes me rendent responsable de la situation et menacent de m’expulser des lieux alors même que je me tais et que Patrick Hennigsen continue de m’insulter tranquillement devant eux. La scène est surréaliste. C’est la manageuse Rosie Sylvester qui me sauve du lynchage qui se prépare : elle apparait dans le sas, calme le jeu, donne des ordres à l’agent de sécurité. Les policiers s’en vont. Je reste silencieuse au milieu de la pièce, incapable de bouger.

Je crois malgré tout que la tension va se calmer et que nous allons bientôt entrer dans l’escalier. D’ailleurs, la raison du conflit a disparu car Kristinn Hrafnsson traverse le sas suivi par Jennifer Robinson, en robe verte et saluant les présents, et par les avocats Summers, Fitzgerald, Peirce et Lyon. Tous se dirigent vers la salle d’audience. Mais c’était sans compter avec les furies déclenchées : voilà que Rebecca Vincent resquille toute la file pour se planter devant Rosie Sylvester. Elle me désigne du doigt, lui dit à quel point je suis indésirable et d’autres horreurs que j’essaye d’oublier depuis. Je n’en crois pas mes oreilles, je n’ai pas vécu pareil harcèlement direct et absurde depuis que j’ai quitté l’école… Je dois défendre mon honneur et l’image de mon organisation. Toujours immobile au milieu du sas, entourée d’ennemis, je supplie Madame Sylvester de ne pas écouter ces propos diffamatoires… Elle me fait un signe mêlé de compréhension et d’impuissance. Néanmoins elle commence à préparer le passage vers la galerie et demande à « la famille » de se tenir prête à entrer. John Shipton, son frère, Gabriel Shipton et un autre jeune homme fendent la foule pour s’approcher d’elle et tout le monde les laisse passer. Mais alors encore un coup de théâtre a lieu : l’agent de sécurité préposé à notre surveillance dans la galerie apparait dans le sas et crie à tout va : «Monsieur Kristinn Hrafnsson est interdit d’entrer dans le public sur ordre du tribunal ! ». Les exclamations d’indignation fusent alors que Kristinn Hrafnsson revient de la salle d’audience dans le sas. Il exprime sa colère et son incompréhension. Alors John Shipton dit qu’il va annoncer aux médias que la famille boycottera l’audience. Aussitôt dit, aussitôt fait. Entre temps, l’agent de sécurité a enfin déverrouillé la porte menant à l’escalier de secours et je cours m’assoir dans la galerie. Curieusement j’accède à une des meilleures places pour voir Julian le plus près possible : le deuxième fauteuil du premier rang. Je ne suis pas inquiète pour Kristinn Hrafnsson et j’ai raison : à peine tous les spectateurs assis, il revient avec les trois membres des Shipton s’installer triomphalement sur les sièges réservés à la famille, suivi de Fidel Narvaez et de Craig Murray. L’audience se met en place laborieusement, Vanessa Baraitser n’est pas là et Julian Assange est absent du box. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose. D’ailleurs, les députées allemandes Heike Hänsel et Sevim Dagdelen continuent de twitter sur l’incident sans que cela ne gêne notre surveillant alors qu’il est 10 heures passées.

Le public se lève enfin pour Vanessa Baraitser. Le troisième jour, Kristinn Hrafnsson décidera que nous devons nous lever pour l’arrivée de Julian Assange ce qui est fait de bonne grâce. Mais ce mardi, avant son arrivée, je vois la manageuse discuter avec la juge et Baraitser lève un regard interrogateur et courroucé vers le public. C’est l’une des rares fois où on la voit nous scruter. Peu après Julian Assange arrive dans le box avec les deux gardiens. Il s’assied au milieu du banc et je le vois de beaucoup plus près, cinq à six mètres en dessous du balcon de la galerie. Il porte le même costume gris que la veille et dans les mains non pas le volumineux classeur, mais un cahier A4. Il n’a plus de lunettes, et fait tout de suite signe en portant sa main à son oreille qu’il n’entend pas. Il a l’air très abattu et il ne salue ni ne regarde personne. Je vois son visage marqué, ses yeux paraissent enfoncés dans les orbites. Il a l’air de souffrir intérieurement, et son immobilité pendant la journée confirmera cette première impression.

Edward Hamilton Fitzgerald s’engage d’abord dans un dialogue avec la juge concernant la transcription des débats. Alors qu’il objecte que c’est une entreprise privée qui effectue ce compte-rendu, Vanessa Baraitser lui répond que cela ne fait pas de différence. Pour l’avocat c’est une question de coûts qui devraient être partagés par les deux parties. Il n’a pas tord : nous avons fait établir un devis pour la transcription de l’audience du 23 janvier et il s’élevait à plus de 100 livres pour 45 minutes de procès, je n’ose imaginer combien le public devrait payer pour bénéficier de l’intégralité des actes qui devraient être gratuits et accessibles, la justice en démocratie devant demeurer un service public…La présence la veille de manifestants français aguerris dans les luttes contre les privatisation du service public prend alors tout son sens. D’ailleurs, ils ont galvanisé les manifestants anglais dont on entend ce matin les slogans et les chants dans cette salle même.

Ensuite Hamilton Fitzgerald aborde la question des violences auxquelles les gardiens auraient soumis Julian la veille : menottes et fouilles au corps répétées. Je sais que le dernier rapport d’inspection de la prison Belmarsh stipule pourtant que les personnes en détention provisoire ne doivent pas être menottées et surtout le scanner corporel dont la prison est équipée rend désormais inutiles et interdites les fouilles au corps, ces pratiques sadiques d’un autre âge[1]. Je suis surprise que Vanessa Baraitser renvoie l’avocat à « d’autres autorités » alors qu’elle est juge et garante du « fair trial », du procès équitable. Elle rajoute cependant qu’il « doit être bien traité » comme si c’était une faveur et non pas un droit essentiel dans un Etat de droit. L’avocat bégaye « qu’il espère aussi que l’autorité va se pencher sur le problème ». Julian Assange reste immobile et on ne sait s’il entend ce qui est dit. Ses gestes répétitifs de douleurs reprennent : il frotte ses doigts, bascule la tête vers le plafond en clignant des yeux… On sent encore plus fort qu’il cherche à s’évader de cet endroit et qu’il ne peut le faire qu’en quittant son corps dans une forme de dissociation. Quelques minutes plus tard, alors que Mark Summers commence sa plaidoirie, Julian Assange balance imperceptiblement son corps d’avant en arrière. Il ne se lèvera même pas pour prendre le dossier que lui tend Gareth Peirce lorsque Summers aborde le vif du sujet.

Points d’orgues et zones d’ombres de la plaidoirie – qui est le responsable pour « Wikileaks »

Mark John Summers annonce d’une voix forte qu’il va prouver que les trois accusations portées par le procureur contre Julian Assange sont fausses : la première concerne le hacking du mot de passe avec Chelsea Manning, la deuxième d’avoir sollicité Manning pour la livraison de 4 bases de données, la troisième d’avoir prétendument mis des personnes en danger par les publications. Summers dit s’appuyer sur l’analyse du professeur Grotov qui a décortiqué les dépositions de Chelsea Manning lors de son procès. Il apparait selon ces dépositions, que Manning aurait eu accès aux documents incriminés via un « Protocoll SIPA », c’est-à-dire une base de données accessible à au moins 1000 analystes militaires sans qu’il lui soit nécessaire de forcer le moindre mot de passe. L’avocat insiste que c’est une preuve d’innocence de Manning connue du gouvernement états-unien car confirmée par l’attorney (procureur). Concernant le fait que Julian Assange aurait «sollicité » Manning pour lui fournir les documents, Summers explique à la juge que Wikikeaks fonctionne sur le même principe collaboratif que Wikipedia et que n’importe qui peut « à tout moment collaborer en fournissant des documents ». Ce n’est pas tout à fait exact, parce que du fait du système de cryptage mis en place pour les documents soumis, le site « Wikileaks.org » fonctionne plutôt comme un portail que comme une plateforme. Dans une plateforme celui qui propose un service ou un bien en reste propriétaire et garde le contrôle de ce qui est publié alors que dans un portail l’envoyeur de données se dessaisit du contrôle et de la propriété de ses documents au profit du propriétaire du site. Il est clair qu’une fois les documents envoyés à Wikileaks, le lanceur d’alerte ne décide plus de ce qui en sera fait. Je crains que cette description non pertinente du fonctionnement du site de « Wikileaks » par son avocat ne porte préjudice à Julian Assange. Il aurait été plus judicieux de démontrer que Julian Assange n’est pas responsable des publications sur le site car ce n’est pas lui mais John Shipton qui est propriétaire du nom de domaine du site. Par ailleurs il aurait été possible de rappeler, sur la base du rapport d’activité de la Wau Holland Stiftung, que Julian Assange avait signé le 21 décembre 2010 avec cette structure un contrat de coordinateur de projet assez léonin qui lui liait les mains et ne lui donnait aucune latitude sur le choix des documents à publier. Pis, dans la période incriminée, selon les rapports mêmes de la fondation, il est littéralement pressuré par ses donneurs d’ordre, les chefs de la Wau Holland, pour publier le plus rapidement tous les documents fuités. Il ne maitrise ni le rythme du travail de publication, ni le budget du projet ni même le choix de l’embauche de ses collaborateurs[2]. Dans son rapport d’activité de 2010 la Fondation Wau Holland assume clairement la pleine responsabilité du projet Wikileaks : « Es ist das bisher größte Projekt der Stiftung und stellt damit neue Anforderungen an die Abwicklung und das Controlling »[3] (« C’est jusqu’à présent le plus grand projet de la Fondation et ainsi il nous pose de nouveaux défis en terme d’implémentation et de contrôle de la réalisation »).

Pour Summers, ce qui compte est le fait que les documents de Manning ne figuraient pas sur une liste précise de publications « Wikileaks » et ainsi il n’y aurait pas de preuve des sollicitations pour les obtenir, d’autant plus que l’analyste a toujours affirmé les avoir téléchargés de son propre chef. Pendant que l’avocat récuse l’appellation de « matériel sensible » puisque de nombreux salariés de l’armée américaine auraient eu accès aux documents, Julian Assange a l’air d’aller de plus en plus mal. Il prend sa tête entre ses mains, croise les bras et serre ses mains sous ses aisselles, s’agite doucement sur le banc, frotte encore ses doigts d’un contre l’autre… C’est comme une protestation muette.

Son menton est figé, ses traits crispés. Il prend son étui à lunettes, le repose, son avocat réfute alors l’accusation de « mise en danger d’autrui » en expliquant le partenariat que « Wikileaks » avait signé avec des « organisations sérieuses », les grands médias comme le New York Times, le Guardian, El Pais et Le Monde afin que ceux-ci notifient à « Wikileaks » les documents problématiques pour en expurger les noms. John Goetz est notamment cité comme témoin qui certifiera comme journaliste du « Spiegel » que « Wikileaks protégeaient les noms » alors que le professeur Grotov fournit la preuve que le comportement de l’organisation n’est pas coupable de « recklessness », d’indifférence face aux conséquences. Pour moi, la lecture des comptes rendus annuels de la Wau Holland Stiftung montre que Julian Assange n’avait pas un plein pouvoir de décision sur la façon dont les documents étaient réécrits par l’équipe de 11 à 25 personnes qui ont été salariés sur le projet « 04 Wikileaks Informationsfreiheit verteidigen» (« Projet 04 Wikileaks, défendre la liberté d’expression ») de décembre 2010 à décembre 2011 (journalistes-rédacteurs, chef de projet médias, production de vidéos, traduction, chefs de projet, assistant de direction, organisation événémentielle, développement informatique, préparation technique et mise en ligne des documents, chef de projets…)[4] mais le véritable responsable du projet, Andy Müller Maguhn, délégué du CA de la fondation pour un suivi plutôt tatillon du projet. Par ailleurs, une analyse détaillée des tâches sur chaque poste prouverait à coup sûr que le travail de réécriture des documents a effectivement été très important. Il devrait même être possible de prouver par quel processus et par quel salarié de la fondation Wau Holland chaque nom incriminé par l’accusation a été expurgé de la publication finale.

Il est dommage que l’avocat de Julian Assange laisse dans l’ombre tant de pistes importantes pour l’innocentement de son client. Mais hélas comme aucune collaboration entre l’équipe d’avocat et les soutiens militants n’est prévue, mon avis ne sera pas entendu. Vers 11h45 Vanessa Baraitser interrompt la plaidoirie pour la pause de 10 minutes. Je suis forcée de redescendre dans le sas ou je crains désormais les débordements agressifs des personnalités. Je reste debout dans la partie centrale du sas, craignant qu’on me pousse dehors si je reste derrière. Cependant je glisse doucement en Allemand à Madame Dagdelen quelque mots sur l’égalité, une notion qu’elle devrait s’approprier en tant que députée du peuple allemand et élue sur les listes du parti héritier de toutes les traditions historiques de la gauche allemande. J’aurais aimé aussi lui dire que je ne reconnais pas dans son comportement vis-à-vis de moi le parti dont j’ai été membre de 2007 à 2012. J’y ai milité au sein de la section femmes LISA ou j’ai œuvré à l’élaboration du programme « pour un service public de la petite enfance » en coopération avec les féministes françaises et l’écrivaine Frigga Haugg, j’ai participé aux réunions avec Lothar Bisky pour inclure ce document dans le programme général du parti. J’ai aussi beaucoup coopéré avec ma collègue Christiane Reymann à la création de relations avec les féministes polonaises et les partis de gauche en Pologne. Je me demande ce qui est arrivé depuis pour que j’ai à vivre des scènes aussi terribles qu’absurdes de la part de l’élue d’un parti où je garde des amitiés. Un seul incident dédramatise mes tristes constats: une collègue me désigne Angela Richter qui délestée de sa béquille qu’elle a utilisée pour entrer la première comme « handicapée », se dégourdit les jambes tranquillement. Nous sourions de concert : être actrice est un métier utile en toutes circonstances !

Heureusement que la pause ne dure pas longtemps. Je me précipite dans la galerie dès que je peux, j’y ai perdu ma bonne place mais je suis soulagée de voir qu’avant que les débats ne reprennent Julian Assange a l’air un peu moins en souffrance. Il est vrai que Baltzar Garzon vient lui serrer la main avec empathie et qu’il peut échanger quelques mots avec les avocats espagnols. De plus, ma place plus lointaine ne m’empêche pas de remarquer que peu après il me regarde droit dans les yeux. Je lui souris et je fais un signe de la main tout en prenant soin de ne pas me faire trop remarquer du surveillant.

Pendant ce temps Summers narre la cyberattaque dont le site Wikileaks avait été victime et raconte la scène du film « Risk » dans laquelle Julian Assange téléphone à Hillary Clinton en compagnie de Sarah Harrison, salariée de « Wikileaks ». Puis il cite les médias et sites qui ont rediffusé les mêmes documents (dont le Spiegel et Cryptome) et aucun n’a été accusé par la justice états-unienne. Il conclut que la demande d’extradition n’est pas « fair, raisonnable, correcte» puisqu’elle discrimine un des acteurs de la même action. La plaidoirie continue mais certains ne tiennent plus en place dans le public. Gabriel Shipton prend congé des personnalités qu’il connait et quitte la pièce. Les personnalités assises devant moi partagent une tablette de chocolat et discutent entre elles comme au spectacle. L’avocat donne quelques précisions pour réfuter l’accusation d’intrusion informatique. Assange écrit quelque chose dans le cahier et passe le petit mot à Stella Morris. Summers aborde le téléchargement par Manning des « rules of engagement », « le droit d’engager » c’est-à-dire le permis de tuer par les soldats américains, directement lié, selon lui, au film « Collateral murder ». Manning aurait téléchargé cette video du meurtre de civils irakiens et de journalistes de Reuters juste après avoir pris connaissance des «règles de tuer » et aurait décidé seul de sa publication immédiatement après. C’est un peu dommage que Summers fasse l’impasse sur le travail des techniciens, journalistes et députés islandais qui ont «réécrit », ou « re-monté » la vidéo[5], qui figurent au générique du film et qui logiquement sont autant responsables pour sa publication que les Allemands de la Wau Holland pour leur « projet Wikileaks 04» en général[6]. Mais cette omission me parait pour l’heure moins grave du moment que Julian Assange n’est pas poursuivi pour cette production, même si dans la bouche de l’avocat l’homme accusé disparait encore une fois au profit de « l’entité inconnue Wikileaks ». Baraitser finit la séance en reconnaissant que le « gouvernement aurait effectivement dû mettre les publications dans leur contexte ». L’avocat parait avoir gagné la bataille. Enfin. On aurait presque eu envie de l’applaudir. Il est 13 heures, Vanessa Baraitser décide de la pause. Julian Assange s’anime, se lève. Il salue Garzon, appelle Summers et lui dit quelque chose en affichant un air mécontent. Je reste pour le voir partir entre deux gardes et je reconnais à sa démarche hésitante qu’il est fatigué, puis je suis sommée de quitter les lieux.

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Baraitser a déjà commencé à écourter les débats : de 45 minutes le lundi, la pause midi rallonge à une heure mardi et jusqu’à une heure et demie le dernier jour. Cela m’arrange car je peux quitter le sas étouffant et rempli d’agressivité pour m’acheter un en-cas et un café à la petite cafétéria du tribunal. Je fais mon compte rendu des agressions subies en téléphonant à la direction de Wikijustice et j’observe par la baie vitrée du premier étage Baltazar Garzon quitter le bâtiment définitivement avec son staff. Je remarque le personnel judiciaire de la Woolwich Crown Court habillés de costumes noirs et de perruques sortir de l’aile droite du bâtiment pour passer leur pause dans le hall, la cafeteria ou le jardin. Puis je n’ai pas d’autre choix que de retourner dans le sas pour ne pas être éjectée de la file. Les « personnalités » occupent déjà la première place, elles discutent entre elles de problèmes familiaux et domestiques. Randy Crédico tente de détendre l’ambiance par des blagues. Des journalistes venus de leur annexe ou ils disent avoir du mal à entendre le procès, se sont précipités pour occuper notre espace public si réduit. Le risque d’être éliminée revient, je dois être donc présente. Je remarque alors que les trois quarts des présents dans ce sas sont des Allemands. C’est curieux. La tension avec les « personnalités » de die Linke semble s’être calmée mais je ne peux éviter une légère altercation avec un jeune homme allemand qui me pousse sans ménagement vers l’arrière. Il est surpris que je lui réponde en Allemand. Lorsque l’heure tourne et que les avocats rentrent de pause, Angela Richter nous annonce qu’elle a réussi à obtenir une place dans la salle d’audience parmi les journalistes. Elle exprime sa joie, reprend sa béquille-outil de lutte et sort du sas en clopinant.

Cette fois l’agent de sécurité demande leur pièce d’identité à la « famille ». John Shipton sort un passeport bleu marine neuf, mais je n’ai pas le souvenir que Kristinn Hrafnsson ait dû présenter le sien. Le frère et le fils de Shipton sont partis, il y aura des places libres dans la pièce en général, je presse mes amis restés dehors de tenter d’entrer, mais les agents postés devant le bâtiment les en empêchent. D’ailleurs, malgré quelques sièges vides, je ne peux récupérer dans la galerie qu’une place assez éloignée de Julian Assange.

Quand Julian Assange entre dans le box, il ne salue pas ni ne regarde le public. Il s’assied à la même place, jambes jointes et mains sur les cuisses. J’ai l’impression qu’il a l’air intimidé cette fois ci. Et je me demande si dans la pause on lui donne à manger, car il n’a toujours pas de bouteille d’eau dans le box que je devine inconfortable. Dès que la juge arrive, Mark Summers reprend son argumentation: prouver que Chelsea Manning n’avait pas besoin de craquer un mot de passe pour accéder aux documents classifiés. En ce qui concerne les « war diaries », les « journaux de guerre », il existait un réseau d’échange de données interne à l’armée, « Sydney I » pour l’Irak et « Sydney A » pour Afghanistan. Il était possible d’accéder à ces bases par un métalien pour les télécharger et c’est ce que Manning a fait, car « selon sa conscience il était nécessaire que le public connaisse le nombre de victimes civiles et les assassinats par drone ». Pour l’avocat, Julian Assange n’a donc pas sollicité de posséder ce matériel et le procès n’est donc pas « juste équitable et raisonnable ». Quant à la récurrente question des « noms sensibles » contenus dans les documents, Summers explique que Manning n’a jamais voulu garder les noms de code SIGAD (indicateur alphanumérique qui identifie les stations d’écoute des USA) et que 20% des documents sur l’Afghanistan n’ont pas été publiés précisément à cause des noms afghans y figurant.

Julian Assange est resté immobile accoudé au dossier du banc pendant toute la tirade. A ce moment précis, John Shipton ne lève et quitte la galerie du public, son téléphone à la main. C’est alors qu’Assange regarde vers nous et je peux croiser son regard. Il reste un moment dans cette position, le visage tendu vers le haut, comme lorsqu’on fait pour se relaxer les épaules tendues. Mark Summers prend alors de la hauteur pour «expliquer l’approche de Wikileaks » à la juge. En fait il cite des conversations entre deux journalistes du « Spiegel », Schmitt et Goetz, qui décrivent « l’assistance technique » dont « Wikileaks » aurait besoin pour que son « équipe réécrive les mauvais endroits ». Finalement selon eux « Wikileaks » aurait demandé plus de temps et a fini par être critiqué pour avoir « over-redacted » (modifié trop largement) les documents. Nous savons que ce n’est pas pour rien que des acteurs allemands sont cités dans le dossier, puisque c’est la Wau Holland Stiftung, fondation allemande, qui sous la houlette de Andy Müller Maguhn, délégué du CA pour la supervision du projet 04 Wikileaks qui a dirigé l’équipe chargé de re-rédiger les documents. Les rapports d’activités de 2010, 2011 et 2012 de la fondation nous apprennent même que plusieurs journalistes étaient payés par la fondation pour ce travail et qu’en 2011 ils ont touché pour ce faire[7] 58 578 Euros. Malheureusement l’avocat ne cite pas la Wau Holland comme témoin clé voire acteur du processus de rédaction.

Wikileaks, l’Allemagne, et la Wau Holland Stiftung

Sur ce Vanessa Baraitser décide d’une pause de 10 minutes. Je suis fatiguée car je ne me repose absolument pas dans l’ambiance hostile du sas. Mais l’après-midi avance et l’attrait du procès s’émousse visiblement. En effet, les députées de die Linke ne reviennent plus ni dans le sas ni dans la galerie. Je sympathise avec Volker, un des militants allemands qui a témoin de l’agression du matin qui l’a visiblement choqué. Nous discutons un peu de l’état de Julian Assange et de ce que nous voyons en partageant dans la pause un café et une barre de céréales. Il trouve intéressante ma façon de prendre des notes. L’ambiance s’adoucit même si le public reste étrangement à plus de 80% composé d’Allemands et de germanophones. Il en sera ainsi les jours suivants, le 26 et 27 février.

A notre retour, Summers décrit la messagerie Jabber que les soldats américains utilisaient pour leurs loisirs et cite des supérieurs hiérarchiques de Manning qui auraient certifié qu’il était courant pour les soldats de jouer à cracker mutuellement leurs mots de passe. Manning était même tellement douée qu’elle en aurait fait une activité commerciale, validée par une de ses chefs qui lui aurait demandé carrément d’installer un logiciel interdit. Conclusion : Manning n’avait pas besoin des compétences informatiques d’Assange pour s’introduire dans des bases interdites. A cette évocation visiblement douloureuse, Julian Assange se balance légèrement d’avant en arrière puis revient dans sa prostration initiale. L’avocat conclut que les accusations n’ont pas pris en compte le contexte et sont donc abusives. Pour le prouver, il abandonne la jurisprudence états-unienne qui était sa référence jusqu’alors (toute l’analyse du comportement de Manning étant contenu dans son dossier juridique selon le droit américain), mais détaille la jurisprudence européenne en se servant des cas Castillo, Murua et le Polonais Sekrewski. Les deux plaignants auraient gagné à la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg contre une demande d’extradition en prouvant les abus de procédures. Je vérifie sur les jugements dans la base de données HUDOC de la Cour de Strasbourg : seul le jugement de Algar Castillo est répertorié[8]. Pendant que l’avocat invoque le droit européen pour juger un Australien poursuivi par les Etats Unis, Assange regarde les 25 journalistes assis derrière des pupitres à sa gauche. Ses gestes nerveux reviennent. Il n’y a aucun signe de connivence avec ceux qui devraient être ses confrères de métier.

Baraitser interrompt alors l’avocat pour lui demander si Manning avait été déclarée coupable. Oui, doit admettre Summers, mais le procès a été contesté, reprend-il. Mais il n’argumente pas que les aveux de Manning ont été arrachés après torture ce qui les rend en réalité non recevables… du fait justement de la torture. Il reprend son discours sur la jurisprudence européenne et rappelle la déjà longue histoire des abus juridiques que subit Julian Assange : les « accusations suédoises », l’impossibilité de quitter les locaux de l’Equateur… Face à l’historique connu qui l’agace peut-être, Baraitser questionne l’avocat sur les faits : oui ou non la page internet Wikileaks sollicitait elle le public pour lui envoyer des documents secrets ? Le procureur intervient alors: pour lui les sollicitations sont clairement exprimés sur la page internet « Wikileaks ». Dans un vrai procès, il est d’usage de produire devant le public les passages discutés : le grand écran qui trône dans la salle aurait pu servir à voir le site incriminé, mais il reste éteint et le juge ne demande pas au procureur de prouver ses dires. De même l’avocat ne se sert pas du fait que le propriétaire du site n’est pas Julian Assange mais John Shipton pour invalider l’accusation de « sollicitation actives », alors même que John Shipton ne risque rien puisqu’qu’il a déjà gagné en février 2009 en Californie le procès contre la banque Julius Baer. Le jugement du tribunal californien a bien invoqué le premier Amendement, le« droit de recevoir des informations » pour débouter Julius Baer de sa demande de fermeture du site Wikileaks appartenant à John Shipton après publication de ses listings bancaires[9]. Le jugement californien est valide alors même que Wikileaks y est qualifiée « d’entité inconnue », ne possédant donc ni siège social ni structure. Julian Assange ne devrait donc pas être condamné pour la même chose pour laquelle son père a été relaxé. Hélas, en ne posant pas ces arguments, j’ai le sentiment que Mark Summers donne quartier libre au procureur qui affirme que Julian Assange aurait dit à Manning « je suis curieux de voir tous les documents », là encore sans amener la moindre preuve matérielle (une retranscription des conversations sur Jabber par exemple). Le procureur martèle que le sort de Julian Assange doit être déterminé aux Etats Unis car « Julian Assange décidait de publier sur le site internet Wikileaks ». Le rôle des Allemands de la Wau Holland Stiftung est passé ainsi à la trappe. On comprend que l’accusation américaine ne veut pas brusquer son plus précieux allié en Europe, l’Allemagne, en l’impliquant dans un procès gênant. Mais j’avoue que je comprends moins la stratégie des avocats de plutôt sauver Andy Müller Maghun et les autres membres du CA de la Wau Holland Stiftung que Julian Assange qui est leur client.

Pendant la tirade du procureur, alors qu’il paraissait très fatigué, Julian Assange se lève et appelle Gareth Peirce. Elle met un certain temps à l’entendre et à venir vers lui, puis elle se rassied. Assange parle alors à Jennifer Robinson qui a pris le siège laissé par Garzon. Jennifer Robinson incite Peirce à sortir de sa réticence et revenir écouter son client même si elle ne le regarde toujours pas lorsqu’elle s’adresse à lui. Enfin, lorsque Summers a fini son argumentation, Edward Hamilton reprend l’organisation de la défense. Il propose à la juge de déposer un « sommaire des vices de procédures » le lendemain. Hélas, en l’absence de micro on n’entend pas ce que dit Julian Assange à ses conseils. Il est 16 heures, Baraitser se lève. Nous sommes tous très fatigués et la cérémonie du départ est réduite. Mais demain, je serais fidèle à mon poste ici.

Mercredi 26 et jeudi 27 février – la tentative de révolte

Deux de mes articles ont déjà narré le malaise de Julian Assange, sa révolte dans la salle le mercredi 26 et l’ouverture faite par Baraitser à ses avocats pour demander sa libération sous caution, proposition à laquelle les avocats n’ont pas donné suite[10]. Il faut cependant noter que l’ambiance délétère du « sas d’attente » ne s’est pas améliorée pour moi les jours suivants. Les « personnalités » hostiles le sont restées, et l’Allemand garde son statut de langue la plus parlée parmi le public de la galerie. J’ai néanmoins pu échanger sur la situation avec quelques électrons libres. Parmi la famille de Julian Assange on pouvait noter mercredi la présence de Vaughan Smith ainsi que d’un homme aux cheveux gris bouclés portant un pull vert. Lorsque ces personnes se sont assises sur les places réservées dans la galerie, nous avons pu constater que curieusement aucune femme ne faisait partie de la « famille » (Hrafnsson, Narvaez, Murray, Shipton, Smith, et l’homme en vert…). Jeudi matin le producteur de spectacle Mark Hamish Hamilton a également occupé un siège familial.

Mercredi matin Julian Assange présentait un visage d’une pâleur extrême et restait complètement prostré dans le box pendant que l’avocat Hamilton Fitzgerald argumentait sur l’interdiction faite par le traité d’extrader pour des accusations à fondements politiques. La place du traité est décortiquée au regard de la loi britannique, de la Common Law et de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. L’état de Julian Assange se détériore au fil de la journée : son teint devient livide, cireux. C’est vers midi qu’une des personnalités allemandes le désigne en disant « he does not move » sans toutefois user de son autorité de députée dont elle fait si grand usage d’habitude pour lui porter secours. L’après midi nous savons que Julian Assange est trop épuisé pour entendre l’analyse des différentes applications des traités d’extradition en Europe. C’est à 15 heures que dans un ultime sursaut il se lève pour exiger qu’on l’écoute. Comme il regarde le public, je l’encourage discrètement d’un signe. Il insiste et ne se rassied pas alors que la juge le coupe. Les avocats n’ont pas prévu la révolte. Ils veulent visiblement garder le contrôle de la situation car lorsque Baraitser suspend la séance et leur ordonne de se concerter, Fitzgerald ne consent qu’avec réticence à s’approcher de son client pour lui demander « formellement » s’il est d’accord avec sa propre demande de libération ! Baraitser venait de proposer à l’avocat de « faire une demande de libération sous caution », « application for bail », je l’ai clairement entendue et je n’ai pas été la seule à l’entendre. Julian Assange est presque endormi sur le banc lorsque Baraitser laisse le procureur finir son discours, tout en écourtant l’audience d’une demi-heure. La peur du juge de voir l’accusé faire une crise cardiaque en direct devant lui a sans doute dû jouer un rôle.

Je suis d’autant plus surprise et peinée quand le lendemain, jeudi 27 février, je constate au fil des débats que les avocats ne demanderont PAS la libération de Julian Assange. Pas une tentative, rien. On reprend la discussion juridique et philosophique comme si de rien n’était. Certes, Julian Assange allait juste un peu mieux que la veille, mais il multipliait les signes d’une discrète mais tenace révolte contre ce que toute cette assistance lui inflige : il enlève sa veste en la pliant soigneusement à son entrée dans le box, il tente de faire tomber le boitier des écouteurs qu’on l’oblige à mettre pour soi-disant mieux entendre, décide d’enlever finalement les écouteurs…Il tente, enfin, plusieurs fois de prendre la parole et d’exister dans son propre procès. C’est justement la multiplication de ces signes de révolte qui amène, j’en suis convaincue, la juge Baraitser à abréger la séance d’une bonne heure, après avoir fixé les dates des prochaines audiences : le 25 mars et le 7 avril.

Lorsque l’audience prend fin, on a l’impression que Vanessa Baraitser se sauve plus qu’elle ne met fin à la première partie d’un procès historique. Nous quittons la galerie du public trois quart d’heures après son départ et j’ai le net sentiment que la révolte des « Spartacus » contre le système britannique a commencé à payer. Nous ne pouvons pas les laisser seuls, la solidarité et la liberté est pour tous, ou elle n’est pas. « Pour votre liberté et la nôtre », cette chère vieille maxime des exilés politiques polonais au 19 siècle en Occident ! Nous la mettons en œuvre !

[1] https://www.justiceinspectorates.gov.uk/hmiprisons/wp-content/uploads/sites/4/2018/06/Belmarsh-Web-2018.pdf

https://s3-eu-west-2.amazonaws.com/imb-prod-storage-1ocod6bqky0vo/uploads/2018/11/Belmarsh-2017-18.pdf

[2] http://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf, rapport d’activité 2011

https://www.facebook.com/notes/wikijustice-julian-assange/conférence-de-presse-du-20022020-deux-infos-capitales-two-major-news/493132691323050/

[3] Rapport d »activité 2010, http://www.wauland.de/media/2010_Jahresbericht.pdf, page 2

[4] document « Projekt 04: Informationsfreiheit verteidigen” Vorläufiger Transparenzbericht 2010 » – « Projet 04, défendre la liberté d’expression, bilan de transparence 2010 provisoire »,

Page 4 https://www.wauland.de/media/2010_Transparenzbericht-Projekt04_de.pdf

Et document « Jahresbericht 2011 », rapport d’activité de 2011, page 1, https://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf

[5]

[6] Conseil d’Administration de la Wau Holland Stiftung 28.12.2009, http://www.wauland.de/media/2009-12-28_Protokoll.pdf

Rapport d’activité 2009, http://www.wauland.de/media/2009_Jahresbericht.pdf

Rapport d’activité 2010, http://www.wauland.de/media/2010_Jahresbericht.pdf

« Rapport de Transparence – projet 04, défendre la liberté d’expression 2010 », http://www.wauland.de/media/2010_Transparenzbericht-Projekt04_de.pdf

Rapport d’activité 2011, http://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf

« Rapport de Transparence – projet 04, défendre la liberté d’expression 2011»,

http://www.wauland.de/media/2011_Transparenzbericht-Projekt04_de.pdf

« Rapport de transparence projet 04, défendre la liberté d’expression 2012 -rapport pour les 6 premiers mois de 2012 »

http://www.wauland.de/media/2012_Transparenzbericht-Projekt04_de.pdf

« Rapport de transparence projet 04, défendre la liberté d’expression 2012 »

http://www.wauland.de/media/2012-1_Transparenzbericht-Projekt04_de.pdf

[7] « 5.8 Journalistische Aufbereitung Zur journalistischen Aufbereitung, insbesondere der Kontextualisierung zugegangenen Materials und der erklärenden Beleuchtung von Hintergründen und Zusammenhängen, wurden verschiedene Journalisten engagiert und ihr Aufwand entsprechend vergütet. Im Jahr 2011 waren damit insgesamt 6 Journalisten als Hilfskräfte in diesem Aufgabenbereich tätig. »,( « Pour la mise en forme journalistique, en particulier la mise en contexte des documents et l’explication du contexte historique et des relations, différents journalistes ont été engagés et leurs efforts indemnisés en conséquence. En 2011 en tout 6 journalistes ont été actifs comme « personnel aidant » dans ce domaine »)

Page 5, https://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf

[8] https://hudoc.echr.coe.int/eng#{“fulltext”:[“Castillo”],”documentcollectionid2″:[“GRANDCHAMBER”,”CHAMBER”]}

[9] http://www.dmlp.org/sites/citmedialaw.org/files/2008-02-26-Brief%20of%20Intervenors%20to%20Dismiss%20for%20Lack%20of%20Subject%20Matter%20Jurisdiction.pdf

http://www.dmlp.org/sites/citmedialaw.org/files/2008-02-28-Notice%20by%20John%20Shipton%20of%20Intent%20to%20Appear%20and%20Joinder%20in%20Motions%20and%20Oppositions%20of%20Amici-Intervenors.pdf

https://www.facebook.com/notes/wikijustice-julian-assange/conférence-de-presse-du-20022020-deux-infos-capitales-two-major-news/493132691323050/

https://www.courtlistener.com/opinion/1737559/bank-julius-baer-co-ltd-v-wikileaks/?fbclid=IwAR3hpvyy6MfaKv84HnVWNeR1oMu6wvJosyK9gBhFcUGyFrlxGQSBmlYpYas

[10] https://lepcf.fr/Revolte-a-la-Woolwich-Court

https://lepcf.fr/Une-liberation-ratee-Dernier-jour-du-proces-de-Julian-Assange-a-Westminster