“J’ai découvert un carnage” : un témoin d’un bombardement français au Mali raconte

Cet homme était à Bounti, dans le centre du Mali, où l’armée française a mené un bombardement, le 3 janvier. Il raconte que ces frappes n’ont visé que des civils, ce que conteste la France.

Article rédigé par
Omar Ouahmane – franceinfo
Radio France
Publié

Le 3 janvier dernier, deux Mirage 2000 français ont frappé les abords de Bounti, un petit village du centre du Mali. Bilan : 19 morts et 8 blessés. Abdoulaye, 30 ans, un habitant de Bounti qui a vécu cette journée sanglante, raconte que ce 3 janvier était le jour du mariage d’Allaye et Aissata, deux jeunes du village. Mais pour l’armée française, qui reconnaît que cette mission entre dans le cadre de l’opération antijihadiste baptisée Eclipse, ce sont bien des membres d’un groupe armé terroriste qui ont été visés : “Un drone a détecté une moto avec deux individus, le véhicule a rejoint un groupe d’une quarantaine d’hommes adultes dans une zone isolée. L’ensemble des éléments renseignement et temps réel ont permis de caractériser et d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT (groupe armé terroriste)”, précise un communiqué.

Cette version est contestée par Human Rights Watch, qui réclame la création d’une enquête indépendante et impartiale. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a d’ailleurs déployé la semaine dernière ses enquêteurs sur la zone du bombardement. Ils rendront leurs conclusions dans les prochaines semaines. Des conclusions très attendues par Abdoulaye, notamment. Cet homme de 30 ans fait partie des habitants du village de Bounti que l’envoyé spécial de franceinfo a pu retrouver.

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franceinfo : Que s’est-il passé ce dimanche 3 janvier 2021 à Bounti ?

Abdoulaye : Je rentrais du pâturage, je m’apprêtais à rejoindre les convives du mariage de l’un de mes proches, Allaye. J’ai entendu plusieurs explosions, c’était la panique. J’ai eu très peur, j’ai fui en direction de la brousse. Il y avait deux avions, un qui volait très haut et un autre à basse altitude. Le bruit des bombes a été tellement fort que le sol a tremblé ; j’ai eu les oreilles bouchées, je n’entendais plus rien. Il y a eu plusieurs frappes, l’une après l’autre. Quand je suis revenu, j’ai découvert le carnage, on n’arrivait pas à identifier les victimes.

L’armée malienne et la force Barkhane parlent de frappes contre un rassemblement de membres d’un “groupe armé terroriste”. Que répondez-vous ?

C’est un mensonge. Il n’y avait que des civils réunis lors du mariage. Nous étions plus d’une cinquantaine d’hommes assis sous des arbres où il fait plus frais [dans cette région contrôlée par les jihadistes, la charia est strictement appliquée. Les mesures de ségrégation entre les hommes et les femmes sont respectées à la lettre]. Nous étions entre nous, à l’écart des femmes qui étaient restées dans les cases. Il y avait des habitants de Bounti mais aussi des invités venus des villages voisins. C’est là que nous devions déjeuner et prendre le thé, à l’ombre, dans un champ à l’extérieur du village. Il y avait trois groupes, éloignés les uns des autres : celui des personnes âgées, un autre plus jeune et un dernier composé d’enfants et d’adolescents.

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Est-ce qu’il y avait des gens armés parmi vous ?

Non, je vous le jure, personne ne portait une arme, aucun d’entre nous ne sait se servir d’une arme. Si la France prétend avoir frappé des jihadistes, qu’elle apporte les preuves, on veut voir les photos et les vidéos [l’armée française refuse, à ce stade, de diffuser les images des frappes]. Il n’y avait que des civils. Moi, j’ai perdu trois frères et un cousin. C’est ça, la vérité. C’est pour cela que nous demandons une enquête indépendante.


Sollicité après les témoignages que nous avons recueillis, le ministère des Armées a refusé de faire d’autres commentaires que ceux déjà formulés. Il maintient qu’il n’y avait aucun rassemblement festif au moment où la frappe est intervenue. La frappe a permis de neutraliser une trentaine de membres de groupes armés terroristes. L’armée française écarte la possibilité d’un dommage collatéral.

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