HARBI Mohammed

Né le 16 juin 1933 à El Arrouch ; études au lycée de Phillippeville (Skikda) ; responsable de la Commission de presse de la Fédération de France du FLN ; préconise la création de l’Amicale générale des travailleurs algériens en France ; quittant la direction de la Fédération de France établie en Allemagne, appelé au cabinet des ministres des Affaires extérieures du GPRA Krim Belkacem puis Saad Dahlab ; chargé de la représentation algérienne en Guinée, expert aux premières négociations d’Évian ; après l’indépendance, à la suite des décrets sur l’autogestion soutient le gouvernement de Ben Bella ; directeur de l’hebdomadaire Révolution africaine ; un des fondateurs de l’opposition clandestine (Organisation de la Résistance populaire (ORP) au coup d’État de Boumédienne ; après de durs emprisonnements et envoyé à Adrar au Sahara sous surveillance ; s’évadant, quitte l’Algérie pour la France où il enseigne aux Universités de Paris 7 puis Paris 8 (Vincennes/Saint-Denis).

La famille de Mohammed Harbi est doublement une famille de notables et de propriétaires ; les mariages entre cousins renouvellent les liens et les rivalités ou susceptibilités internes. Plus puissante, venant d’une tribu maghzen (tribu militaire au service de l’empire ottoman) établie d’abord dans la région de Bougie (Béjaia), la famille paternelle prend rang et places électives dans le système colonial et pratique la modernisation de l’exploitation agricole ; aux terres s’ajoutent des biens immobiliers et l’assurance de la gestion de l’argent patrimonial. Un grand-oncle est conseiller municipal d’El Arrouch ; il associe son cousin germain et beau-frère à ses affaires et lui assure la succession dans la municipalité et soutient sa carrière au Conseil général ; ce dernier deviendra délégué à l’Assemblée algérienne. Ces notables sont fidèles à la personnalité politique du Constantinois, le docteur Bendjelloun qui conduit la Fédération des élus, fait pression sur les autorités françaises, mais en dehors de toute idée de rupture ou de recours à l’agitation populaire. La mère appartient à une famille maraboutique, également locale, les Kafi. Certes les fonctions religieuses valent le respect et une légitimité éminente, mais dans le siècle, les familles de religion sont secondes ; la famille Kafi l’est d’autant plus que son patrimoine foncier et ses affaires sont de moindre importance, et qu’elle se tient à distance de la cohabitation coloniale. Le grand père maternel, Cheikh Saïd Kafi, marchand de tissus, participe à la construction de la mosquée d’El Arrouch et son frère, l’oncle donc de Mohammed Harbi, en devient imam. Dans la famille, celui que croisera Mohammed Harbi à Tunis pendant la guerre de libération, le colonel de l’ALN Ali Kafi, a fait ses études à la médersa Kettania de Constantine, sous influence du PPA, puis à la Zitouna de Tunis. Les Kafi, c’est le parti de la mosquée ; les Harbi sont du côté Bendjelloun, les « évolués ». Mohammed Harbi est le fils aîné de Brahim Harbi qui était déjà l’aîné ; il est et restera par excellence « le fils Harbi ».
La mère veille sur ses enfants, garçons et filles ; mais Mohammed a une nourrice et est assisté par ses tantes ; il est un enfant de la campagne, connaît les animaux, monte à cheval, mais il est éduqué dans la grande maison avant de vivre en ville à Skikda puis à Paris. Il suit l’école française depuis l’âge de six ans, mais avant l’école, à six heures trente du matin, quand il a huit ans, il se rend d’abord à l’école coranique ; à neuf ans il suit les cours de la médersa qui lui font découvrir la version islamique de l’histoire de l’Algérie, à lui et aux jeunes garçons musulmans ; seule l’école française est mixte. Les massacres de Mai 1945 touchent en particulier des membres de la famille Kafi ; un cousin, le meilleur élève de la classe, est renvoyé de l’école française pour avoir participé au cortège du 8 Mai.

Comme son père veut assurer qu’il acquiert le premier et encore rare diplôme qui ouvre les emplois, il passe le certificat d’études primaires avant d’entrer en lettres classiques en 6e au collège de Slikda à la rentrée d’octobre 1946 ; il s’initie au latin auprès du curé du village. « Il faut que tu sortes de la condition d’agriculteur » lui dit son père qui se conduit à la fois en chef de famille et en frère aîné dans cette transition familiale. Mohammed Harbi est interne au collège ; il a des correspondants français pour les sorties, découvre aussi bien la ville européenne que les quartiers arabes, fréquente cinémas, cafés et les salons de coiffure qui sont des lieux de conversation et d’information. En 1949, la famille s’installe à Skikda.

Scout musulman comme d’autres garçons du collège qu’il retrouvera dans son histoire politique, il compte à quinze ans déjà dans le groupe des lycéens du MTLD ; il deviendra responsable de la section lycéenne en 1951. Les lycéens adhèrent en prêtant serment mais sont dispensés de jurer sur le coran. À cette époque, comme il le rappellera dans ces mémoires (2001) : « la frontière entre pratiquants et non pratiquants n’était pas fondamentale ». Son scepticisme s’exprime souvent par son sourire ; ses camarades le surnomment ouistiti. Au MTLD, la religion est d’abord politique : comme Dieu, « le Peuple est un », et tout autant Père absolu. Depuis 1949, il a pour professeur d’histoire Pierre Souyri* venant de métropole, qui l’ouvre sur le monde des conflits internationaux et par sa formation trotskiste, parle du mouvement ouvrier et des luttes de classes. La vision du jeune élève se radicalise dans cette découverte du marxisme. Dans les manifestations anticolonialistes et antiracistes, il côtoie le docker syndicaliste Mohamed Gas* et le couple Jaffré, enseignants communistes à Skikda. Il soutient avec eux et Pierre Souyri, la grève de la faim des militants de l’OS incarcérés à la prison de la ville. Mais il ne peut assister en avril 1952 à la venue de Messali, son père le retenant enfermé dans sa chambre. Son activisme politique le met, sans rupture, à part dans de la famille et plus encore lui vaut un échec au baccalauréat. Aussi est-il pour la rentrée d’octobre 1952, envoyé en internat au collège Sainte Barbe à Paris, ce pensionnat élitiste du quartier latin bien connu des grandes familles algériennes.

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S’il découvre Paris, il fréquente d’abord au quartier Saint-Séverin le siège du MTLD, et peut-être plus encore le 115 boulevard Saint Michel, le siège et restaurant de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMNA) où s’affrontent nationalistes et communistes ; les nationalistes l’emportent, et donc côté algérien, les partisans du MTLD, en coalisant la présence des militants du Néo-destour tunisien et de l’Istiqlal marocain. Dès novembre 1952, il est élu au bureau de l’AEMNA ; il ne sera vraiment étudiant qu’après le baccalauréat l’année suivante en entrant en propédeutique puis en entreprenant des études d’histoire. À la faveur d’une invalidation d’un étudiant nationaliste marocain passé au parti communiste, Mohammed Harbi se retrouve secrétaire général de la section parisienne de l’AEMNA dans l’année universitaire 1953-1954.

Les conflits du milieu politique étudiant redoublent avec la constitution en décembre 1953 de l’Union des étudiants algériens de Paris. Déjà à l’université d’Alger, il y avait eu une tentative de mettre en place une Union nationale des étudiants algériens qui prenait modèle sur l’UGET, l’Union générale des étudiants tunisiens ; ce sigle marque la disparition de l’initiale M et de la caractérisation des étudiants comme musulmans comme dans AEMNA et plus tard UGEMA ; l’UGET comprend des étudiants juifs tunisiens, chrétiens et sans religion y compris venant de familles dites européennes. Conduits par Belaïd Abdeslam que M. Harbi connaît depuis leurs communs débuts dans le scoutisme musulman, les étudiants du MTLD d’Alger ont mis fin à la tentative a-confessionnelle soutenue en particulier par les étudiants communistes. Le conflit se retrouve à Paris. Mais le coordinateur du MTLD à Paris est M’hamed Yazid*, suprêmement habile ; il assure aussi les relations avec les partis de la gauche française, le PCF et plus encore la CGT qui a mis en place une Commission nord africaine. Il accepte le rejet de toute référence religieuse, la pratique d’alliances comprenant les communistes et l’ouverture au débat culturel du journal L’étudiant algérien.

Il y a concordance avec l’orientation de Mohammed Harbi, d’autant que celui-ci s’approche du marxisme et des étudiants anticolonialistes tant de la SFIO (Michel Rocard et Gérard Belorgey) que du PCF. En février 1953, il avait présenté la question algérienne au cercle Lénine et rencontré Daniel Guérin qui l’avait lancé dans la lecture des brochures révolutionnaires anarchistes et luxemburgistes des Éditions Spartacus. Bien qu’ils jugent ces lectures non orthodoxes, ses camarades les plus proches sont de jeunes communistes du Comité anticolonialiste, venant d’Algérie, dont André Akoun*, Jean Claude Melki* de familles juives ou Abdelaziz Benmiloud* et Ahmed Inal* de Tlemcen. Aussi Mohammed Harbi devient suspect de communisme sinon d’être un agent sous-marin du PCF et de Moscou. Il n’y aura plus de cesse dans cette méfiance politique qui se transforme vite en hostilité par anticommunisme.

L’agitation politique l’emporte au-delà des traverses de jeune homme libre ; à l’été 1953, son amie Gilberte Pagnon lui annonce qu’elle est enceinte ; elle donne naissance au début de 1954 à son premier fils, Emir (le mariage sera prononcé en 1957). Cette année 1954 est une année matériellement et moralement très dure quand deviennent aigus les effets de la crise du MTLD, l’échec d’un congrès démocratique et le partage entre les partisans de Messali (congrès de Hornu) et les partisans du Comité central ou centralistes (congrès de Belcourt à Alger). Par retrait devant le culte de la personnalité, Mohammed Harbi est du côté des centralistes, tout en ayant des échos de l’engagement des « neutres » du CRUA et des initiatives de Mohammed Boudiaf à précipiter la sortie de crise par le déclenchement de l’insurrection. Dans l’été 1954, il retrouve les bases du mouvement nationaliste à Skikda et sa région. Partant au Caire en octobre 1954, M’hamed Yazid lui dit de se tenir prêt.

Dans le milieu étudiant de Paris, il se trouve assurer la transition de la section de la Fédération de France du MTLD au rattachement clandestin d’individualités et de petits groupes à la Fédération de France du FLN. À nouveau, et sur deux plans, il s’oppose à Belaïd Abdesslam. Membre du Comité central du MTLD, celui-ci prolonge l’attentisme face la lutte armée engagée, quand Mohammed Harbi écarte d’abord puis répond aux sollicitations de Mourad Tarbouche qui prend la tête de la Fédération du FLN. Il est chargé de missions de contacts, souvent décevants, avec des responsables de la SFIO et du PCF. Il maintient la publication du bulletin L’Action algérienne, malgré la virulence du nouveau différend sur le caractère musulman de l’association étudiante. C’est à Paris que se proclame cette fois l’Union générale des étudiants algériens (UGEA sans le M de musulmans) réunissant les nationaux progressistes des partis nationalistes ou indépendants et les communistes anticolonialistes ; il y aura deux congrès à la fin juillet 1955. Les étudiants communistes d’Alger, pour manifester qu’il échappe à la tutelle du PCF, fut-elle d’exercice indirect, votent pour l’UGEMA, union générale des étudiants musulmans algériens ; Belaïd Abdeslam l’emporte. Depuis la coupure de 1945 dans les positions prises par les partis communistes français et algérien, la référence à l’Islam sert de ligne de démarcation. « De la manière dont chacun définissait la communauté politique dépendait l’avenir des Algériens de toutes origines » telle est la leçon tirée par Mohammed Harbi dans ses mémoires (2001). L’incertitude pèse principalement sur les communistes juifs ou les progressistes européens portant l’idéal de l’Algérie algérienne. Son sursis cassé, Mohammed Harbi est recherché ; la vie clandestine du militant FLN commence. Sous une fausse identité, Jean Claude Melki, l’ami communiste qui vient de Constantine, lui trouve une chambre et la famille Melki lui facilite la vie, tandis que son jeune frère Mahmoud échappe à la répression coloniale et par l’entremise de la CGT, il pourra avoir du travail à l’usine Renault. Son second frère Nourredine est responsable du FLN dans l’Isère ; arrêté en 1958, il sera transféré du camp du Larzac en France au camp de Saint Leu en Algérie.

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Pendant un mois à la rentrée d’octobre 1955, Mohammed Harbi, grâce à André Akoun*, officie comme maître d’internat au lycée de Coulommiers, au sud de Paris. Mais une atteinte de tuberculose vient suspendre et cet emploi et son activisme politique. Il est soigné au sanatorium de Bouffémont (Val d’Oise) de novembre 1955 à juin 1956. Comme les bibliothèques des services mutualistes sont riches d’ouvrages, en particulier par la vigilance des courants syndicalistes de l’enseignement et notamment de la tendance École émancipée entre anarcho-syndicalisme et trotskisme, les lectures ne manquent pas et sur l’histoire du mouvement ouvrier international et sur le marxisme de la gauche critique du centralisme d’État et de parti (Rosa Luxemburg, Pannekoek, Görter…) que complètent les analyses de la bureaucratisation syndicale et social-démocrate puis communiste (Roberto Michels, Rakovski…). Les discussions théoriques animent le Cercle marxiste d’autant que le mouvement communiste est secoué par le retentissement du XXe congrès du PC d’URSS et ensuite pour le parti français, par le vote des pouvoirs spéciaux en Algérie en mars 1956, au nom de la partie (une guerre de libération) et du tout (le camp socialiste face aux USA). Comme le note M. Harbi, aux côtés des communistes orthodoxes naît une nouvelle espèce, celle « des communistes mal-pensants ». Quant à lui, comme il le dit lui-même : « marxiste dans un mouvement nationaliste, j’allais le plus souvent nagé à contre-courant au milieu des traquenards et des soupçons de toute sorte. »

Les derniers mois de sanatorium le laissent, par intermittence, reprendre pied dans l’action clandestine à Paris. En août 1956, il entre à la Commission de presse et de communication de la Fédération de France du FLN dirigée d’abord par Tayeb Boulahrouf, hautement compréhensif, puis par Mohamed Lebjaoui, un homme ouvert, trop ouvert peut-être ; puis il participe au secrétariat du Comité fédéral. Approuvé par M. Lebjaoui, il initie la solution mixte pour l’immigration, qui sera la création en 1957 de l’Amicale générale des Algériens en France (AGTA). Alors que les conflits, attentats et exécutions sévissent entre MNA et FLN dans les régions ouvrières et à Paris, plutôt que d’implanter l’UGTA en France face au syndicat messaliste qu’est l’USTA, l’Amicale permet la double adhésion, au FLN et à la CGT (le responsable algérien est Saïd Belouachrani* dit Omar) ou secondairement à la CFTC (le contact est Boudissa Safi*). C’est ainsi que le FLN s’est assuré les bases de l’immigration ouvrière attachée à la CGT. Comme l’immigration se renouvelle par de jeunes travailleurs, seuls des noyaux anciens mais aguerris demeurent encadrés par le MNA dans la fidélité à Messali.

Le secrétariat fédéral, hébergé fréquemment dans l’appartement du professeur de philosophie François Chatelet*, assure la sortie du journal Résistance algérienne (édition de Paris) qui publie aussi des bulletins en cahiers ronéotés. Après le vote des pouvoirs spéciaux, le PCF évolue péniblement par l’abandon, très formel car la vision demeure (congrès de juin 1956), de la formule d’Union française, vers une reconnaissance explicite du fait national algérien (voir au nom de Jean Dresch) ; le géographe Marcel Egretaud, qui est un des contacts de Mohammed Harbi pour accéder aux avis de la Commission coloniale, est chargé de justifier la continuité de la ligne, en montrant que la conception de Maurice Thorez de la nation algérienne en formation a atteint son terme dans la réalité de ce fait national algérien. (Réalité de la Nation algérienne, Éditions sociales, Paris, 1957) ; dans le débat de la gauche intellectuelle, il faut faire retomber le parti sur ses pieds. Avec la collaboration de son ami André Akoun* qui devient communiste critique, Mohammed Harbi reprend la discussion théorique en termes marxistes dans un bulletin ronéoté qui ne sort qu’en février 1958 : Le PCF et la révolution algérienne (FLN Documents, n° 1). Ce document apparaît donner la position de la Fédération de France du FLN ; la conception d’une nation algérienne progressiste et de culture plurielle est très proche de l’élaboration soutenue après la crise berbériste du MTLD par la brochure sous le nom d’El Wattani (voir ci-dessus au nom de Sadek Hadjerès*) : L’Algérie libre vivra, que Mohammed Harbi republiera dans sa revue Soual en 1987. La question berbère n’a plus à être première, mais le texte se prononce sur la question des « Européens » et la question des juifs qui peuvent choisir la citoyenneté algérienne ; c’est dire que la nation algérienne ne peut être définie par la religion musulmane. À l’adresse du PCF, qui recouvrait la barrière coloniale qui distinguait Européens et Musulmans, la brochure montre comment le mouvement national répond à la colonisation par un anti-colonialisme et un anti-impérialisme que l’on peut fonder en marxisme.

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En avril 1958, Mohammed Harbi quitte la France, en abandonnant la Commission de presse, pour l’Allemagne (Aix-la-Chapelle puis Cologne) contre son gré sur injonction d’Omar Boudaoud, le nouveau patron de la Fédération de France du FLN qui prétend mettre à l’abri une partie des activités en Europe. En effet Mohammed Harbi s’emploie à coordonner les soutiens à la lutte de libération algérienne qu’apportent des réseaux clandestins européens, notamment des groupes trotskistes de Belgique et d’Allemagne ; l’aide la plus active et la plus constante, non seulement pour l’argent, mais pour les armes jusqu’à mettre en place une fabrique au Maroc, est certainement celle de Michel Raptis (Pablo) ; les échanges sont aussi intellectuels et la relation se retrouvera dans le lancement de l’autogestion en 1963 en Algérie. « Mon foyer, c‘est l’exil » ; le doute peut aussi accroître les distances en voyant les affrontements de pouvoir et la brutalité meurtrière des méthodes. Alors que ses fils (trois garçons) sont élevés chez les grands parents à Skida, M. Harbi s’appuie sur sa compagne qui veille sur sa fille Mona, Djenett Regui, tunisienne de naissance, mais qui a grandi à Guelma. La rupture avec la direction de la Fédération de France du FLN est consommée dans l’été 1958 après avoir appris l’exécution de Ramdane Abane * présenté jusqu’alors comme mort au combat. M. Harbi accepte une bourse d’études à l’Université de Genève ; en septembre 1958, il s’inscrit en deuxième année de sciences économiques.

C’est en avril 1959, que M’hamed Yazid, ministre de l’information du GPRA, lui propose d’entrer dans son cabinet. Une fois à Tunis, il est happé par Krim Belkacem au Ministère des forces armées pour prendre le titre de directeur du cabinet civil, cabinet fantomatique face au cabinet militaire du commandant Idir. Les rivalités de clans jouent à plein, et pour Krim en mal d’être chef du gouvernement, il s’agit de compenser le marquage kabyle par la présence d’un intellectuel civil lié au mouvement national arabe et de surcroît parent du colonel Ali Kafi qui se retrouve également à Tunis. Chaque clan et cercle de clientèle tourne sur lui même quand se renforce la puissance de l’état-major de l’armée des frontières. Ce qu’observe Mohammed Harbi deviendra la matière de ses travaux d’historien sur la formation des appareils de l’État-FLN que surplombera l’État militaire. La surveillance policière est partout ; Mohammed Harbi est menacé d’un conseil de discipline. Heureusement de Tunis au Caire (au bureau des pays de l’Est), il pourra être actif dans le domaine international, car Krim Belkacem devient ministre des Affaires extérieures. Il reprend aussi avec Mehdi Ben Barka, à l’heure de la création de la Maurétanie (1959), le projet d’une solution maghrébine à la question du Sahara et des frontières. Dans la vivacité des débats marxistes à Tunis, il s’oppose à Frantz Fanon* qui dévalue le mouvement ouvrier dans sa critique des partis communistes et de l’orthodoxie soviétique, en faisant de la violence paysanne, la force première et authentique de la révolution au nom des damnés de la terre. Ce que voit M. Harbi, c’est la promotion dans les appareils d’une intelligentsia, souvent de petite bourgeoisie, qui va passer de l’encadrement syndical et politique à l’État bureaucratique. S’il est éloigné en Guinée au début de 1961 comme chef de la mission du GPRA, il est rappelé comme expert pour les premières négociations d’Évian (mai-juin 1961). Il passe ensuite au cabinet de Saad Dahlab aux Affaires extérieures qui conduit les discussions avec le gouvernement De Gaulle. Pour ne pas provoquer les oppositions, son titre est celui de coordinateur et non pas de secrétaire général du ministère.

Mohammed Harbi est ainsi l’observateur direct des conflits de pouvoir du cessez-le-feu de mars 1962 à l’indépendance ; il collabore à la rédaction du programme de Tripoli, approuvé à l’unanimité du congrès du FLN pour mieux devenir lettre morte. S’il rentre à Alger le jour de l’indépendance le 3 juillet, il reste d’abord dans l’attente de l’orientation du gouvernement de Ben Bella ; son nom est rayé de la liste des candidats destinés à former l’Assemblée nationale. Ce n’est qu’à la suite de l’engagement de la réforme agraire et de l’autogestion (décrets de mars 1963) qu’il se fait le soutien du gouvernement de Ben Bella et défend l’option socialiste du FLN tant à la direction de l’hebdomadaire Révolution algérienne qu’en approuvant la Charte d’Alger (1964) puis la réorientation de l’UGTA (congrès du printemps 1965). Le coup d’État du 19 juin 1965 arrête cette évolution. Mohammed Harbi est un des fondateurs de l’Organisation de la Résistance populaire (ORP), réunissant dans la clandestinité la gauche du FLN et les communistes les plus actifs. Arrêté en septembre 1965, il connaît les pires camps de détention de Lambèse à Annaba après une grève de la faim, à Dréan en compagnie pour un temps d’Ahmed Abbad*, Mourad Lamoudi* et de William Sportisse*, et longuement de Bachir Hadj-Ali*, Hocine Zahouane*. En 1968, il est envoyé en résidence surveillée à Adrar en plein Sahara ; il s’évade en 1970 et se réfugie en France pour se consacrer à l’enseignement et plus encore à l’écriture et au témoignage sur l’histoire de la lutte algérienne de libération.

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article138752

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Michel Raptis (Pablo): Self-management in the struggle for socialism (1972)