Grèce : une annonce de réduction de dette en trompe-l’œil

Par Eric Toussaint , Marie Brette
24 juin 2018


Éric Toussaint, que pensez-vous de l’accord signé par les ministres de la zone euro ? La Grèce est-elle sortie de la crise ?

E.T. : Il n’y a pas de sortie de crise du tout. Et par ailleurs, au niveau de la zone euro, on ne peut pas dire que la situation soit particulièrement brillante non plus du point de vue des dirigeants européens. C’est une annonce de réduction de dette en trompe-l’œil puisqu’il n’y a pas de réduction du stock de la dette et qu’il s’agit simplement de reporter de dix ans le début de certains remboursements, notamment ceux dus aux partenaires européens de la Grèce. Les montants à rembourser au Fonds monétaire international, à la Banque centrale européenne et aux créanciers privés, sont très importants et ils ne sont pas reportés dans le temps. Ils ont lieu en permanence. Le FMI a fait 5 milliards d’euros de bénéfices sur le dos de la Grèce depuis 2010 et la BCE a, quant à elle, fait au moins 8 milliards de gains sur les titres grecs. En fait, le fond de l’accord, c’est qu’en prolongeant le calendrier de remboursement, on offre une récompense de consolation au gouvernement d’Alexis Tsipras qui a appliqué depuis trois ans les dizaines de réformes exigées par les créanciers. Après trois ans de politique d’austérité aussi dure, il fallait permettre à Tsipras de dire à la population grecque que l’austérité poursuivie finissait par donner un résultat. Mais les politiques antisociales imposées par les créanciers (FMI, BCE, Mécanisme européen de stabilité) seront renforcées. Les dirigeants européens, avec cet accord du 22 juin, ont voulu indiquer aux fonds d’investissement privés qu’ils pouvaient acheter des titres grecs à nouveau après le mois d’août car des garanties publiques étaient offertes.

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Dans quel état économique est la Grèce ?

E.T. : Elle est dans un état lamentable. La chute du PIB par rapport à 2009-2010 est de près de 30%. Du point de vue des indicateurs macro-économiques, la Grèce est en mauvais état. 350 000 jeunes hautement qualifiés sont partis vers l’Allemagne, la France et d’autres pays du nord de l’Europe. La Grèce sera en évolution démographique négative, mis à part l’apport des réfugiés que le pays accueille, qui ont permis en 2017 de maintenir l’équilibre. Désormais, on va passer à une décroissance de la population grecque. Le taux de chômage chez les jeunes atteint environ 40%. Selon les chiffres d’Eurostat, 47% des ménages grecs sont en défaut de paiement sur l’un de leurs crédits et le taux de défaut sur les crédits dans les banques est également à plus de 46,5%. Que ce soit concernant l’emploi, le système financier et la production, la situation est extrêmement mauvaise et elle est le résultat des politiques imposées à la Grèce. Le pays est une victime expiatoire des politiques appliquées dans l’Union européenne. Laquelle a voulu montrer aux autres peuples de la zone euro que s’ils voulaient mettre au gouvernement une force porteuse de changement radical à gauche et en rupture avec l’austérité, il leur en coûterait très cher !


Qu’aurait-il fallu faire ?

En 2010, il aurait fallu résoudre la crise bancaire au lieu de maintenir à flot des banques privées qui avaient pris des risques énormes. Au lieu d’injecter des dizaines de milliards d’euros dans la recapitalisation de ces banques, il aurait fallu les assainir et les transférer au secteur public. Il y a quatre banques en Grèce qui contrôlent 85% du marché bancaire grec. Il aurait fallu imposer aux banques allemandes et françaises, qui avaient prêté massivement au secteur privé grec, d’assumer leurs crédits risqués au lieu de créer une troïka qui a prêté de l’argent public à la Grèce afin qu’elle rembourse ces grandes banques. Politiquement, quand le peuple grec a choisi en 2015 de soutenir une coalition qui proposait des changements importants en matière de justice sociale, il aurait fallu permettre à ce peuple de pratiquer la démocratie. Or la volonté démocratique a été systématiquement combattue par les autorités européennes, qui ont été satisfaites de la capitulation de Tsipras à l’été 2015, lors de la signature du troisième mémorandum qui a approfondi la crise grecque.

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Aurait-il fallu effacer la dette grecque ?

E.T. : Bien sûr. Cela se pratique couramment. Quand la Pologne a quitté le pacte de Varsovie au début des années 90, ses créanciers occidentaux lui ont octroyé 50% de réduction de dette. Quand l’Égypte participait à la même époque à la première guerre du Golfe, on a aussi annulé 50% de la dette. En Irak, après l’invasion américaine en mars 2003, on a octroyé 80% de réduction de dette. Donc des réductions de dette importantes, ça se réalise de manière répétée depuis des décennies. Et cela aurait été tout à fait nécessaire de le faire dans le cas de la Grèce. Il aurait fallu bien sûr procéder, avec la participation des citoyens et des citoyennes, à un audit des dettes pour déterminer les responsables, du côté grec et du côté des prêteurs. Il faut rappeler qu’en pourcentage du PIB, la Grèce est en 3e ou 4e position dans la liste des pays qui dépensent le plus en armes au niveau de la planète ! Et quels sont les principaux fournisseurs d’armes de la Grèce ? L’Allemagne, la France et les États-Unis ! Lors du premier mémorandum de 2010, l’un des postes budgétaires qui n’a pas été réduit : c’était le remboursement des commandes militaires. Et cela continue. Début 2018, Alexis Tsipras a rencontré Donald Trump et a annoncé pour 1,6 milliard d’euros d’achats d’armes aux États-Unis.

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