Fin du droit du sol, attaque contre les binationaux: la «préférence nationale», arme de division massive du RN

La «préférence nationale» permet au RN d’articuler son double agenda néolibéral et xénophobe. En promettant des attaques sans précédent contre les immigrés, le parti d’extrême-droite cherche à accentuer les divisions au sein du monde du travail.

Par Gabriel Ichen
27 juin 2024

Les termes ne sont pas ouvertement utilisés par le parti d’extrême droite dans cette campagne qui préfère parler de « priorité nationale », mais le programme du parti mené par Jordan Bardella garde comme colonne vertébrale le principe xénophobe de « préférence nationale ». Et en fait un « argument » de campagne.

Surenchère sur la « binationalité », notamment en annonçant vouloir étendre et opposer la préférence nationale à des personnalités de nationalité française [1] ; projet de réforme constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol ou encore la suppression de l’aide médicale d’État (AME) ; interdiction de l’accès au logement social à des familles immigrées, conditionnalité du versement de certaines prestations sociales aux personnes de nationalité française ; etc. : la préférence nationale est la clef de voûte du programme du RN et la mesure supposée tout résoudre, du chômage à la dette, en passant par le mal-logement et le financement de nos retraites.

Lundi, à l’occasion de la présentation du programme du parti d’extrême droite pour ces élections législatives, Jordan Bardella insistait à nouveau dans ce sens. Face à une « situation budgétaire dégradée », au déficit et à la dette publique, le « sérieux budgétaire » passera notamment au travers des mesures xénophobes visant à réduire les droits des étrangers et à en réserver certains à ceux ayant la nationalité française. Le président du RN a ainsi affirmé vouloir « réaliser les économies qui permettront de financer l’intégralité des mesures de pouvoir d’achat et les ajustements que nous apporterons au système de retraites », à commencer par « les dépenses qui favorisent l’immigration » et « l’immigration de guichet social qui menace à terme la pérennité de nos comptes publics et de notre système de protection sociale par le poids insupportable qu’elle fait peser sur lui ».

Xénophobie et néolibéralisme : les deux faces de la préférence nationale

Ce narratif, classique de l’extrême droite, cherche à faire peser sur les immigrés la dégradation massive des services publics et sociaux, occultant volontairement ses causes réelles, à savoir, les plus de quarante années de politiques néolibérales qui ont procédé au démantèlement et à la désertification des services de santé, d’éducation, de transports et de protection sociale. Pour cause, le RN n’entend pas rompre avec ces mesures qui ont entraîné la paupérisation de larges couches de travailleurs, dont une partie forme aujourd’hui la base électorale populaire du parti de Marine Le Pen. Au contraire, les annonces faites par Bardella sur le sérieux budgétaire et la focalisation sur la réduction des dépenses annoncent une continuité claire avec les politiques néolibérales et les coupes budgétaires qui ont dégradé les services publics et paupérisé de larges couches des classes populaires. Le programme économique, présenté ce mardi, entre allégements d’impôts et dépenses au services du grand patronat, s’inscrit ainsi dans la droite lignée de la politique de l’offre menée par Macron et par les gouvernements avant lui au service de la restauration de la compétitivité du capitalisme français et au détriment des classes populaires.

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Par le biais de ses propositions xénophobes de préférence nationale, le RN cherche donc à concilier deux aspects éminemment contradictoires mais fondamentaux de sa politique : continuer de montrer qu’il gouvernera pour les intérêts du patronat et du capital financier tout en maintenant sa base électorale populaire. Le principe de préférence nationale et la réduction des dépenses publiques liées à l’immigration permet ainsi au RN d’avancer ses mesures austéritaires tout en prétendant préserver des dispositifs sociaux en les restreignant aux travailleurs nationaux. C’est ce qu’explique Romaric Godin dans les colonnes de Médiapart, « dans son programme de 2022, Marine Le Pen [expliquait que] le fait de « réserver aux Français l’accès à certaines prestations sociales » permettait « d’économiser » 16 milliards d’euros. C’est là le sens profond du projet économique du RN : c’est une redistribution fondée sur des critères nationaux restrictifs. Et c’est ce qui fait le lien entre l’ancien FN et l’actuel RN. Tout le reste n’est qu’opportunisme électoral. »

La mue néolibérale du RN à mesure qu’il s’approche du pouvoir signe un retour progressif aux préconisations économiques ultra-libérales autrefois portées par le Front National tout en les articulant à des mesures xénophobes. De ce point de vue, dès sa conceptualisation par l’extrême droite française dans les années 1980, le principe de « préférence national » avait déjà pour justification économique la réduction du déficit et de la dette publique. C’est notamment Jean-Yves Le Gallou, haut fonctionnaire et énarque, un temps membre du parti de centre l’Union pour la démocratie française (UDF) avant de devenir idéologue d’extrême droite, qui théorisa la notion dans son livre La Préférence nationale : réponse à l’immigration publié en 1985. Déjà à l’époque, outre les arguments culturalistes de « chocs des civilisations », la préférence nationale était présentée comme un moyen de mener les politiques néolibérales qui permettraient à la bourgeoisie à échelle internationale de restaurer son taux de profit. « Son livre, construit comme un rapport d’énarque […] dresse un tableau apocalyptique de la France, tout à la fois menacée par l’islam, l’invasion migratoire, l’insécurité, la banqueroute. Seule la préférence nationale peut sortir le pays de l’ornière. Car, en excluant les étrangers des aides sociales et des logements publics […] l’État fera des économies considérables, ce qui réduira son déficit » explique l’historien et journaliste Benoît Bréville dans le Monde Diplomatique.

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Une arme politique de division massive : faire des immigrés et de leurs enfants des boucs-émissaire

La préférence nationale défendue par le RN a donc comme objectif de poursuivre le projet néolibéral en renforçant ses traits les plus xénophobes et anti-immigrés. Elle ne promet donc aucune amélioration économique des conditions de vie aux travailleurs nationaux [[L’analyse du programme économique du parti d’extrême-droite démontre sans contestation possible que celui-ci est ainsi très loin d’être favorable aux classes populaires. Les économistes Elvire Guillaud et Raul Sapognaro ont notamment calculé, dans un article pour Alternatives économiques que le programme du RN accoucherait d’un enrichissement des 10% des plus riches au détriment des 30% les plus pauvres.] mais fait miroiter plutôt que celles-ci ne se dégraderont pas davantage si l’on détériore drastiquement celles des travailleurs immigrés. Quand Bardella décline la priorité nationale, il ne propose concrètement aucune avancée sociale, aucun droit supplémentaire pour les travailleurs nationaux mais explique qu’en retirant des droits aux immigrés l’on pourrait éviter d’en retirer davantage aux « français ».

C’est ce qui explique en partie aujourd’hui le vote RN dans une partie importante des classes populaires péri-urbaines et rurales qui font face à une détérioration croissante de leurs conditions de vie. Le concept de « préférence nationale » permet ainsi d’installer l’idée que les difficultés d’accès aux services publics et le recul des dispositifs sociaux seraient liés à l’immigration et de faire des immigrés de véritable boucs-émissaire. Selon le sociologue Félicien Faury, « les électeurs RN croient en l’État et ses missions de protection sociale, mais ils sont très critiques vis-à-vis de ses performances et de ses principes de redistribution. Cette déception s’accompagne d’un sentiment d’injustice qui est souvent racialisé : la croyance selon laquelle la puissance publique privilégierait les « immigrés » et les « étrangers » dans l’octroi des aides sociales est particulièrement répandue ».

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La logique d’ailleurs est extensive. La préférence nationale portée par le RN ne vise pas seulement à mettre en concurrence les travailleurs immigrés et ceux disposant d’une carte d’identité française. En proposant l’interdiction des emplois dits « stratégiques » aux binationaux, le RN cible des personnes disposant de la nationalité française et potentiellement née en France. La dangerosité du principe de préférence nationale est qu’elle peut donc s’étendre y compris à des personnes disposant de la nationalité française ou pouvant normalement y prétendre dans le cadre actuel. En filigrane, le RN ne vise donc pas seulement les immigrés « primo-arrivant » mais également les enfants d’immigrés nés en France et qui disposent de la nationalité française ou sont en passe de l’obtenir. Or il n’est pas difficile d’imaginer que derrière, ce sont bien les Français issus de l’immigration en général dont une grande partie habite les quartiers populaires qui sont pris pour cible par le RN. C’est la logique y compris du projet de réforme constitutionnelle visant à supprimer le droit du sol qui pourra priver de nationalité française des jeunes nés en France de parents immigrés, scolarisés en France et n’ayant connu que ce pays.

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