Enfin André Breton vint en Haïti et la liberté se mit debout : le surréalisme face au fascisme

Entre essai et témoignage, parsemé de nombreux extraits de poèmes, le livre, parfois un peu brouillon de Gérard Aubourg éclaire une part de l’histoire politico-culturelle d’Haïti. Il revient ainsi sur le passage d’André Breton, l’auteur du Manifeste du surréalisme (1924), dans le pays, mais aussi sur les groupes de poètes haïtiens dans les années 1950 et 1960. Du 4 septembre 1945 au 16 février 1946, Breton séjourne, en effet, dans la capitale haïtienne de Port-au-Prince. Or, sa venue coïncide avec une effervescence poétique locale, qu’il va catalyser, au point, selon Aubourg, que le surréalisme marquera les esprits jusque dans la décennie 1960.

Invité à prendre la parole en public, les conférences de Breton vont électriser quelques jeunes poètes (dont René Depestre), regroupés autour du journal, La Ruche – le lancement de ce journal « de jeunes gens en colère » coïncide d’ailleurs avec la venue du surréaliste en Haïti –, tandis que l’auteur de L’Amour fou découvre une terre qui, par son histoire et sa richesse culturelle, l’intrigue et le fascine. Il évoque « la sympathie élective » que réclame ce pays et va jusqu’à parler du « génie haïtien ».

La rencontre entre le surréaliste et la jeunesse intellectuelle haïtienne, en général, entre Breton et ces jeunes gens en colère, en particulier, eut des effets bouleversants. Le numéro spécial de La Ruche du 1er janvier 1946, appelant à l’insurrection et reproduisant l’intégralité du discours de Breton à l’une de ses conférences, est saisi ; ses auteurs arrêtés. Ce nouvel acte autoritaire d’un gouvernement impopulaire joua un rôle de détonateur dans les manifestations – les Cinq Glorieuses – qui allaient rapidement s’étendre et se radicaliser au point de renverser, quelques jours plus tard, le président Élie Lescot .

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Outre le rôle de Breton, le livre revient sur celui qui le fit venir en Haïti, Pierre Mabille, alors attaché culturel de la France libre sur place, proche des surréalistes et ami de Breton. Les deux hommes furent malheureusement obligés de quitter le pays à la suite de ces événements. Il s’intéresse de même à la réception et à la reprise de l’esprit de révolte du surréalisme au sein de la jeunesse intellectuelle haïtienne.

La seconde partie du livre relate l’histoire de quelques groupes d’étudiants et de poètes haïtiens plus tardifs et moins connus, tels que le cénacle Hounguenikon (créé fin décembre 1961) et le mouvement de Caraco bleu (1963), confrontés à la dictature des Duvalier qui n’aura de cesse de les réprimer. C’est d’ailleurs le principal mérite de ce livre que de rendre compte de l’activité poétique en ces années en Haïti.

Le lecteur reste cependant quelque peu sur sa faim. Trop de pages sont consacrées (avec quelques erreurs) à l’histoire maintenant bien connue du surréalisme – ainsi qu’à la poésie de la résistance en France – et pas assez aux poètes haïtiens ni à une analyse de ce qu’Aubourg nomme « le fascisme mystique » de Duvalier. Il est de plus problématique de parler de la résistance surréaliste au nazisme, en s’appuyant sur Éluard, Aragon et Char, qui tous trois avaient rompu avec le groupe surréaliste avant la Seconde guerre mondiale. De même qu’il est questionnable de faire de leurs poèmes une traduction littérale pour y lire le récit exact d’événements.

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Mais, terminons par un bel extrait (page 263) : « En Haïti durant les années 1960, il était interdit de faire des graffitis sur les murs. Certains mouvements d’opposition au gouvernement du Dr Duvalier s’arrangeaient pour écrire sur les murs : ‘À bas Duvalier’. Si les responsables n’étaient pas pris sur-le-champ, n’importe quel passant pouvait être appréhendé, tenu pour complice ou coupable et acheminé vers la mort. C’était le temps de la détresse, le temps de la peur dans les veines que le poète Anthony Phelps traduit bien :

Points cardinaux

Sur les murs d’un garage
J’ai vu des mots hâtifs écrits en rouge
Main malhabile qui teniez le pinceau
Vous avez épaissi mon sang et j’ai pressé
Le pas
.

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