Des femmes de la Commune

Actualité de la Commune : Le 150ème anniversaire de la commune de Paris.

Par Michèle Audin

Les femmes du 18 mars, la maman ou la « Putain » ?

(Extraits du bulletin de l’association : « Faisons vivre la Commune »)

Si c’est le comité central de la garde Nationale (des hommes) qui a occupé les lieux du pouvoir laissés vacants par la fuite de Thiers et du gouvernement à Versailles dans l’après midi du 18 Mars 1871, ce sont bien des femmes qui ont joué le premier rôle dans la neutralisation des soldats (Lignards) envoyés enlever les canons de Montmartre- Premier acte de cette journée.

De leur rôle éminent et décisif, le 18 mars 1871, face à la troupe versaillaise, jusqu’aux dernières barricades de la Semaine sanglante, les femmes écriront des pages importantes de la trop courte Commune de Paris. De leur émergence dans les mobilisations populaires et, pour certaines, leur implication physique dans les combats, en passant par leur affirmation politique dans les clubs et dans des secteurs importants comme l’enseignement, elles finiront par payer un lourd tribut. Ce sont de véritables procès en sorcellerie dont elles seront victimes, à l’issue de la Semaine sanglante et dans les mois qui suivront. Ce numéro, dont le dossier est consacré aux femmes et la Commune, nous offre ainsi l’occasion de revenir sur plusieurs points de l’histoire des femmes, durant la Commune de 1871.

C ’était tôt le matin et les femmes se lèvent tôt – il faut aller chercher le pain et le lait, et même, avant toute autre chose, l’eau. La troupe qui vient s’emparer des canons est bruyante. Les femmes sont des ménagères, des mères de famille – les vraies « femmes du peuple » comme « on » les aime, propres, honnêtes. Elles se glissent entre les soldats, elles leur donnent à manger, à boire, elles sont maternelles. Les soldats mettent crosse en l’air. Les canons sont saufs.

Cette histoire a été racontée des milliers de fois. Elles ont joué leur rôle. Il ne leur reste plus qu’à rentrer faire leur ménage, s’occuper de leurs enfants. Les autres s’occuperont de la révolution et de la prise du pouvoir. Oui, mais… c’est qu’elles sont encore là, les femmes, et même qu’elles prennent part à la fête, l’après-midi, quand on – la foule – décide d’exécuter les généraux Clément Thomas et Lecomte.

Voyez comment s’en tire, non pas Alexandre Dumas fils, ni Maxime Du Camp, mais un auteur réputé communard, un blanquiste, Gaston Da Costa, que j’ai très envie de qualifier de jeune con (mais je ne le fais pas), d’ailleurs.

Il a écrit ce texte, il n’était plus si jeune, il avait même eu le temps d’avoir été boulangiste et antidreyfusard… :

« Oui, mais ces furies ne sont pas les femmes de tout à l’heure. […] Aux épouses, aux mères, a succédé, dans cette foule très mêlée qui va escorter jusqu’aux buttes les prisonniers du Château-Rouge, l’horrible phalange des filles soumises et insoumises, venues du quartier des Martyrs ou sorties des hôtels, cafés et lupanars, alors si nombreux sur les anciens boulevards extérieurs. Au bras des lignards, accompagnées de la légion des souteneurs, elles ont surgi, triste écume de la prostitution sur le flot révolutionnaire, et les voilà s’enivrant à tous les comptoirs, hurlant leur gueuse joie de cette défaite de l’autorité caractérisée pour elles par la Préfecture de police et les mouchards. Ce sont elles, et joignez-y quelques pauvresses démoralisées par les atteintes délétères de la misère, qui, à l’angle de la rue Houdon, dépècent la chair, chaude encore, du cheval d’un officier tué quelques instants auparavant. Toutes se répandront dans Montmartre, promenant leur ivresse, leur folie haineuse, et feront une abominable escorte au malheureux Lecomte et à ses officiers lorsqu’ils graviront le calvaire des Buttes »

Ouf ! On respire, n’est-ce pas ? C’est simple, il y a les gentilles ménagères du matin – qui nourrissent les lignards – et les méchantes mégères de l’après-midi – qui arrivent au bras des (mêmes ?) lignards. Ou peut-être est-ce trop simple ? Le manichéisme n’est jamais une grille d’analyse acceptable.

Est-il vrai qu’il existait deux populations de femmes vraiment disjointes ? La maman (jusqu’à l’idéal de la « vierge rouge ») et la putain ? Parmi les mères de famille, combien se sont prostituées un jour de grande misère ? N’avait-on pas inventé, pour décrire cela, qui était fréquent, la notion de « cinquième quart » de la journée de travail ?

N’y a-t-il pas eu des femmes « soumises », comme on appelait les prostituées, qui se sont révélées « insoumises » au point de défendre la Commune, parfois jusqu’à la mort ?

Retour au 18 mars. Il y a eu ce moment d’immense tension, tôt le matin, il y avait déjà eu un mort, un garde national, tué par la troupe, Lecomte ordonnait à ses soldats de tirer : « Fusillez-moi cette canaille ! » Qu’allaient-ils faire ? Et la résolution de cette tension quand, enfin, les lignards ont mis crosse en l’air.

Ensuite, il faut s’occuper des canons. Nous savons, mais elles ne savent pas, que le gouvernement va quitter Paris. Personne ne sait, même pas le Comité central, que le Comité central va prendre le pouvoir. Et elles rentrent chez elles sans se préoccuper de la suite ? Difficile à croire, non ? Ces « mères de famille » ne descendent-elles pas d’autres mères de famille, celles qui avaient chanté joyeusement :

« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, Les aristocrates à la lanterne ; Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, Les aristocrates on les pendra ; Et quand on les aura tous pendus, On leur fichera la paille au c…, Imbibée de pétrole, vive le son, vive le son, Imbibée de pétrole, vive le son du canon » quatre-vingts ans plus tôt ?

C’est à nouveau une fête, ah ! ça ira ! Et, au lieu de promener le bœuf gras – une festivité populaire supprimée pour le Mardi gras de 1871 (le 21 février) –, promener des généraux. Entendons-nous : je suis contre l’exécution de qui que ce soit, et d’ailleurs ces femmes l’étaient aussi. Ne sont-ce pas elles (ou leurs semblables) qui, dix-neuf jours plus tard, ont aidé à brûler la guillotine dans un autre quartier populaire ?

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Nous sommes contre les exécutions, elles et moi, mais voilà, il y a ces deux généraux méprisants, pleins de morgue, Lecomte et Clément Thomas, vraiment odieux, demandez leur avis aux soldats de Lecomte – d’ailleurs ce sont ces soldats qui ont effectivement tué ces deux crapules galonnées (car c’en étaient).

« Promener dans les rues un général hautain qui a perdu son cheval, son régiment, sa bataille, c’est aussi la joie. C’est ce qu’on a fait avec Lecomte, le général dont les soldats avaient mis crosse en l’air, à Montmartre, le 18 mars. Une tradition carnavalesque. Liesse populaire et colère. Exécution du général », ai-je écrit dans le roman Comme une rivière bleue.

  • Le passage de Da Costa cité ci-dessus l’est aussi dans Louises, d’Éloi Vallat, qui m’a gentiment prêté l’image qui accompagne ce texte et sert ici de couverture ; il est cité aussi dans Les « Pétroleuses », d’Édith Thomas. Livres cités ou utilisés • Gaston Da Costa, La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quanti, 1903-1905. • Michèle Audi, Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard, 2017. • Éloi Vallat, Louises, les femmes de la Commune, Bleu autour, 2019. • Édith Thomas, Les « Pétroleuses», Gallimard (1963), réédition L’Amourer, 2019.

 Des femmes de la Commune.

Par Michèle Audin *

Quel que soit le sens que l’on donne au mot « Commune », l’événement est fabriqué par des hommes et des femmes très divers. L’actualité a tendu à omettre les femmes, ainsi l’histoire les a souvent oubliées. Pourtant, un historien « versaillais » proposait, dès 1879, d’écrire un « Du rôle des femmes pendant la Commune ». Et pourquoi pas ? Il faut, pour présenter leur diversité, remonter au moins aux dernières années de l’empire (1868-69).

La parole des femmes, née longtemps auparavant, trouve là à s’exprimer dans des réunions, bien encadrées, mais publiques. Parmi les oratrices, les futures communardes Paule Minck et André Léo (pseudonyme d’écrivaine de Léodile Béra), parlent du mariage et du divorce, des doits juridiques et, beaucoup, de l’éducation.

On les retrouve, plus actives et plus nombreuses, pendant le siège de Paris, de septembre 1870 à janvier 1871 : des femmes manifestent, réclament des armes, participent à des « comités de vigilance » républicains, travaillent dans les ambulances, s’engagent, comme leurs maris, fils, frères, pères, comme leurs voisins, dans « leurs » bataillons de la garde nationale, souvent des bataillons de quartier. Elles y sont cantinières ou ambulancières. De façon presque anonyme, comme la « citoyenne Yorinsky, cantinière » – dont nous n’avons même pas le prénom – du 63e bataillon, à Belleville.

Davantage qu’aux réunions publiques de l’empire, des femmes des quartiers populaires participent à des réunions de clubs « rouges », ce dont témoignent les comptes rendus des journaux — de façon souvent plus méprisante pour les citoyennes que pour les citoyens. Ce sont elles aussi qui font la queue, de longues heures durant, dans le froid, pour quelques grammes de nourriture de mauvaise qualité.

Comme la plupart des Parisiens, les femmes vivent ensuite l’après-siège dans l’amertume de la capitulation, avec un peu plus de pain de meilleure qualité et la persistance du chômage.

Et voici le 18 mars. Ce qui ressemble le plus à une insurrection, ce jour-là, ce sont des femmes de Montmartre qui le déclenchent : parce qu’elles se sont levées tôt, elles voient les soldats monter sur la butte, elles lancent l’alerte, apportent à manger et à boire, les soldats mettent crosse en l’air… elles font ainsi échouer la tentative de Thiers de récupérer les canons de la garde nationale.

C’est ensuite l’élection de la Commune le 26 mars, à laquelle aucune femme ne participe : elles ne sont pas électrices — et elles ne le réclament pas, même si André Léo, dans La Femme et les mœurs, il y a déjà deux ans (1869), s’est approchée de cette revendication : « Dans tous les rangs, parmi toutes les classes, l’idée du droit politique reconnu à la femme choque presque unanimement tous les esprits. Pourquoi ? ». Le vote — et l’activité de l’assemblée communale — ne sont d’ailleurs qu’une partie de la vie politique à Paris en ce printemps, et pas la plus originale.

Mais elles sont nombreuses le 28 mars place de l’Hôtel-de-Ville, même si les dessinateurs qui envoient leurs images aux journaux omettent de les représenter, dans la joie de la proclamation de la Commune, et dans la fête qui suit, les retraites aux flambeaux, les bals de quartiers… Car elles sont dans le mouvement politique.

Ainsi, elles réagissent immédiatement à la guerre que Versailles déclare à Paris dès le 2 avril. Un groupe de femmes, la presse s’en fait l’écho, envisage de se rendre à Versailles — en référence à leurs grands-mères du 5 octobre 1789 ? pour arrêter le combat ? ou alors pour se battre ? Toujours est-il que ces femmes manifestent leur soutien à la Commune dans les rues de Paris au moment où commence la guerre.

D’autres, cantinières et ambulancières, participent, le 3 avril, à la catastrophique « sortie torrentielle » de la garde nationale contre Versailles. Beaucoup sont tuées ou emmenées comme prisonnières à Versailles. Comme les hommes… ou pire : Élisée Reclus, prisonnier lui aussi, s’est souvenu d’une cantinière, prolétaire, seule femme parmi beaucoup d’hommes, dont un officier disait 1 à ses soldats « Nous allons l’enc… avec un fer rouge ».. Certaines s’organisent dans l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, qui se forme le 11 avril, et dont la proclamation est un des beaux textes socialistes publiés pendant la Commune :

[…] la Commune représente le grand principe proclamant l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, — par là même est engagée à tenir compte des justes réclamations de la population entière, sans distinction de sexe, — distinction créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes gouvernantes; […] le triomphe de la lutte actuelle, — ayant pour but la suppression des abus, et dans un avenir prochain, la rénovation sociale tout entière, assurant le règne du travail et de la justice, — a, par conséquent, le même intérêt pour les citoyennes que pour les citoyens […]

Sept ouvrières signent, Adélaïde Valentin, Noémie Colleville, Marcand (dont nous ne savons pas le prénom), Sophie Graix, Joséphine Pratt, Céline Delvainquier et Aimée Delvainquier, ainsi qu’Elisabeth Dmitrieff, (ndr 1) militante russe de 20 ans, envoyée à Paris par le conseil général de l’Association internationale des travailleurs.

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Une autre des initiatrices est Nathalie Le Mel, relieuse de 45 ans, elle aussi membre de l’Internationale. Il s’agit bien de défendre Paris. L’Union se préoccupe de procurer des armes à ses membres, conformément à ses statuts. Elle collabore avec la délégation au travail, un des fiefs d’internationaux de la Commune, et se voit confier l’organisation, dans les mairies, du travail des femmes.

Le délégué au travail Leo Frankel veut procurer du travail aux femmes, mais préfère les voir travailler… à la maison. Le 6 mai, il déclare à la Commune vouloir organiser des ateliers « […] où les femmes recevraient du travail à faire dans leur ménage, car, tout en procurant du travail, nous tenons en même temps à faire des réformes dans le travail des femmes. Je pense qu’il vaut encore mieux procurer du travail aux femmes pour qu’elles restent dans leur ménage au moyen des ateliers que je propose. »

La collaboration avec les généraux de la Commune est plus difficile, comme le montrent les mésaventures de neuf ambulancières, fort mal accueillies par les officiers auxquels elles proposent leur aide. André Léo le raconte dans le journal La Sociale — où, deux jours plus t « Qui n’a rien à gagner, immédiatement du moins, au succès de la Révolution ? la femme encore. C’est de l’affranchissement de l’homme qu’il est question, non du sien. Et quand, poussée par l’instinct sublime, qui entraîne heureusement en ce siècle tous les cœurs vers la liberté, elle offre malgré tout son dévouement à cette Révolution qui l’oublie, on la rejette avec insulte et mépris !» Refusées par certains chefs, elles sont mieux accueillies par les « hommes ».

Ce que confirment, par exemple, le récit de la cantinière Victorine Brocher et le rare témoignage de la guerre contre Paris que constituent les lettres de l’ambulancière Alix Payen, qui rejoint le 16 avril le bataillon de son quartier et de son mari. Des cantinières ou ambulancières sont félicitées, dans les journaux, par les gardes de leurs bataillons, Marguerite Lachaise et la citoyenne « Charles Rouchy » (c’est Victorine Brocher), dans le Journal officiel, bien d’autres dans Le Cri du peuple.

Quelques cantinières et ambulancières par bataillon, cela fait tout au plus un millier de femmes. Bien d’autres participent à la vie politique de ce printemps. Elles fréquentent massivement les clubs, féminins ou pas, qui réunissent tous les soirs des milliers de personnes, souvent dans des églises. C’est la partie la plus originale de cette révolution foisonnante. Ici, la parole est libre. On voudrait les écouter ! Elles sont si passionnées, si « turbulentes », qu’il est à peine croyable qu’on en ait gardé si peu de traces. Des bribes…

Des prêtres, outrés de l’usage qu’elles ont fait de « leurs » églises, transmettent des informations vagues, comme « on y exposait les doctrines impies de la libération de la femme ». C’est, dit un historien, la « révolte des pauvres, des exploités, des opprimés, contre les exploiteurs et les tyrans ». La citoyenne Rondier argumente en faveur du divorce, à Saint-Germain-L’auxerrois, et convainc le journaliste du Cri du peuple. Mais on entend aussi : « Mon cœur de citoyenne craint que la faiblesse des membres de la Commune ne fasse avorter nos projets d’avenir ».

On aimerait davantage de détails. Sur la citoyenne Valentin, sur tant d’autres. Sur « la flamme et le courage », la solidarisation, que favorisent ces réunions. On en sait un peu plus des réunions sur l’éducation. La société des Amis de l’enseignement, à laquelle appartient Maria Verdure, réfléchit à la question des crèches et considère, bien sûr, préférable que les femmes ne travaillent pas pendant qu’elles allaitent, mais aussi que, puisqu’elles y sont obligées, il faut construire des crèches dans les quartiers populaires, ce qui fait deux articles du Journal officiel les 15 et 17 mai. « L’Éducation nouvelle » s’est adressée à l’assemblée communale à peine élue pour réclamer une éducation laïque, gratuite, obligatoire pour les enfants des deux sexes. L’adresse, signée de trois femmes, dont Maria Verdure, et de trois hommes, est publiée dans le Journal officiel le 2 avril.

La délégation à l’enseignement collabore avec des groupes de femmes, ouvre une « école professionnelle d’art industriel pour jeunes filles » rue Dupuytren le 12 mai, met en place une commission (André Léo, Anna Jaclard, Isaure Périer, Noémi Reclus, Anna Sapia) qui organisera l’enseignement dans les écoles de filles — mais c’est déjà le 21 mai… On lit cette information dans le Journal officiel le 22 mai. La commission de l’enseignement décide aussi que, puisque les institutrices font le même travail que les instituteurs, elles toucheront la même paie, cela paraît discrètement dans Le Cri du peuple le 21 mai.

L’égalité salariale est une question – même pour les enseignantes -, qui n’est mentionnée dans aucun procès-verbal de l’assemblée communale.

Mais alors, qu’a fait la Commune « pour » les femmes ? Eh bien, elle (ce féminin est un masculin) a voté une indemnité pour les femmes et les enfants des gardes nationaux tués au combat. Ce qui est révolutionnaire, c’est que « femme » ne signifie pas « épouse » légitime. De même pour les enfants. Ce n’est pas qu’une mesure symbolique : le chômage est massif et la plupart des familles ouvrières ne vivent que de la solde d’un homme garde national. Il est vrai qu’« ils n’ont pas eu le temps »… Car déjà, ce 21 mai, l’armée versaillaise entre dans Paris.

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La semaine sanglante commence. Un journaliste communard rapporte l’existence d’une barricade de femmes à la défense de Montmartre.

Ce n’est pas la seule. Les témoins, policiers notamment, font état de nombreuses femmes défendant des barricades, partout dans la ville. Voici, entre des milliers, Élodie Duvert, restauratrice rue Bonaparte, qui construit joyeusement la sienne : Courage mes enfants, courage, dépêchez-vous, nous viendrons à bout de ces cochons de versaillais. Elle réquisitionne dans la boutique de bondieuseries voisine des statues de saints qu’elle allonge en haut de la barricade, et qui protègent le peuple des balles…

Elles sont tuées sur les barricades, fusillées dans le massacre qui suit. Certaines sont violées — quelques historiens en parlent sur le moment… puis l’oublient. Omises comme actrices, elles sont encore omises comme victimes… La mention ci-dessus du fer rouge enc… une cantinière donne pourtant une idée de ce que les soldats étaient encouragés à faire. Elles ont été peut-être un cinquième des victimes des massacres, moins parmi celles de la guerre entamée le 2 avril — plusieurs milliers de « mortes de la Commune » selon les décomptes les plus récents. Certaines sont traînées à Versailles sous les crachats (et pire) des honnêtes gens et emprisonnées dans des conditions que plusieurs d’entre elles ont décrites, comme Émilie Noro, dont le témoignage, égaré, oublié, retrouvé, a été publié en 1913 et ré-oublié, ou Céleste Hardouin, une institutrice qui a publié le sien — à compte d’auteure.

Simultanément, elles sont devenues « pétroleuses ». La légende de ces hordes — imaginaires — de mégères armées de pots à lait pleins de pétrole, se glissant dans les rues pour mettre le feu aux maisons, terrorise les bourgeois et inspire les dessinateurs… Pourtant, au « procès des pétroleuses », les huit mille furies dont on avait fait tant de bruit se réduisent à cinq ouvrières, Eulalie Papavoine, Lucie Bocquin, Élisabeth Rétiffe, Joséphine Marchais, Léontine Suétens, ambulancières et cantinières qui n’ont fait que soigner des blessés. N’empêche, les trois dernières sont condamnées à mort (mais pas exécutées).

Les Tuileries ont bel et bien brûlé, « nous ne voulons plus de roi, nous n’avons pas besoin de château », belle parole de Nathalie Le Mel qui, face à ses juges, assume ses actes et ses opinions. Louise Michel aussi, qui a fait le coup de fusil sur les fortifications ou dans les forts du sud, et accède à la notoriété grâce à son procès. Elle, Nathalie Le Mel et d’autres sont déportées en Nouvelle-Calédonie. Beaucoup d’autres prennent le chemin de l’exil. Encore plus anonymes sont celles qui, après avoir aidé des fugitifs traqués à quitter Paris, les rejoignent à Londres, à Genève ou ailleurs, et souvent travaillent, comme blanchisseuses ou femmes de ménage, pour nourrir leurs hommes au chômage.

Puis, elles ou leurs descendantes ont inventé le mot « féminisme », la revendication « à travail égal, salaire égal » et celle du droit de vote, des combats pour le (ou les ?) siècle(s) suivant(s). Une des détenues de Versailles, Herminie Cadolle, a témoigné contre un geôlier-tortionnaire et a inventé, plus tard… le soutien-gorge. Avant de pouvoir le jeter aux orties, il fallait qu’il ait remplacé le corset !

Mais, en 1871 déjà, elles ne manquaient pas d’imagination… Voici une femme âgée qui, dans un club de Montmartre, répond à un jeune homme qui vient d’exposer les buts de la Commune : Il nous dit que la Commune va faire quelque chose pour que le peuple ne meure pas de faim en travaillant. Eh bien ! vrai, ce n’est pas trop tôt ! Car voilà quarante ans que je suis laveuse et que je travaille toute la sainte semaine, sans avoir toujours de quoi me mettre sous la dent et payer mon terme. Et pourquoi donc que les uns se reposent du Jour de l’an à la Saint-Sylvestre, pendant que nous sommes à la tâche ? Est-ce juste ? Il me semble que si j’étais le gouvernement, je m’arrangerais de manière à ce que les travailleurs puissent se reposer à leur tour. Si le peuple avait des vacances comme les riches, il ne se plaindrait pas tant, citoyens. » 

  • (Blog : macommunedeparis.com, janvier 2021) 

Michèle Autin a publié « la commune au jour le jour » aux éditions Syllepse.

  • Début 1970, un groupe de femmes (liées à l’organisation Alliance Marxiste Révolutionnaire 1969/1974) créa le cercle « Elisabeth dimitrieff du MLF » et publia une charte « Sortir de l’ombre – pour un féminisme autogestionnaire », se plaçant d’emblée dans la continuité du combat pour la libération des femmes et participant activement à la campagne sur l’avortement et la contraception libres et gratuits, au lancement du le Manifeste des 343 pour l’avortement, et à la création du courant « luttes de femmes, luttes de classe ». En 1971 des femmes du MLF ont participé à une fête sur les fortifications d’Issy les Moulineaux à Paris pour le centenaire de la Commune Plus tard, en 1972 un autre groupe fit son apparition « les Pétroleuses », liées à la Ligue Communiste Révolutionnaire. Non, la Commune de Paris n’est pas morte.

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