Au-delà du capitalisme

La Résurrection fut célébrée comme de coutume, puis, la fête de Saint Georges et dans la foulée, disons encore le 1er mai. Images du vieux Péloponnèse, les oliviers fleurissent, la pêche est bonne, et à part le pèlerinage, c’est une vraie fête populaire, avec musique traditionnelle et bien entendu danse. Moment festif et en même temps, celui de cette grande ouverture calendaire sur l’été grec comme celle des travaux agricoles et des périodes de pêche, intervalle qui s’achèvera autant symboliquement et en fête à la Saint Dimitri, le 26 octobre. La saison supposée bonne, les élections en plus.

Athènes, ville ainsi vidée d’une partie des habitants jusqu’au 2 mai. Le dit traditionnel défilé ouvrier du 1er mai a tout juste rempli… son cahier des charges juste pour la forme. En trois heures, entre 10h du matin et 13h00, le désormais bien petit monde des partis et des syndicats de gauche, tous co-gestionnaires des réalités systémiques, ont-ils défilé, puis occupé momentanément la Place de la Constitution avant de disparaître dans l’allégresse sur les terrasses des cafés, ainsi mêlés aux touristes du jour. Sur un mur d’Athènes alors une autre question nous ramène-telle peut-être à l’autre ordre du jour: “Où est passé l’amour ?”

Ce n’est plus visiblement ce temps des luttes… à espoir, comme durant les premières années de la Troïka. En 2019, l’essentiel du peuple s’est alors donné rendez-vous du côté des églises et des alentours, entre les tavernes et les cafés des fêtes du moment, du seul et alors unique moment. Et d’abord la fête de Saint Georges, cette année fixée aussitôt après la Pâque orthodoxe.

Musique traditionnelle de la Grèce du sud et des îles, musique populaire, ceux qui dansent, et néanmoins ceux qui aussi nombreux, n’auront fait que passer, ne pouvant pas prendre place dans les tavernes. Foule et alors tradition, ce qui en reste en tout cas. Disons, “le rapport à la culture et le modèle éthique qui permettent à l’homme de donner le meilleur de lui-même”, aussi bien comme caricature mais qui fonctionne encore.

Petite église de Saint George. Péloponnèse, avril 2019

 

Où est passé l’amour ? Athènes, avril 2019

 

Musique traditionnelle. Péloponnèse, avril 2019

Caricature toujours, à Athènes au même moment on vend de ce qui est censé incarner le pays d’avant, objets, tableaux et autres parures de l’architecture ayant tout de même fait la gloire de la ville entre 1830 et 1950. Histoire vécue de sa construction fatalement néo-classique, autant courant architectural que marque de l’identité athénienne, mais c’était bien avant les démolitions massives durant les années 1960 et avant cette… réalisation de tant d’immeubles hauts en laideur il faut dire. Depuis, l’Airbnbisme galopant aura bientôt tout dévoré, des beautés du néo-classique alors rescapées, aux laideurs des années 1960-1970. Le pays et sa durée supposée bonne, les élections en plus.

La ville, telle que nous l’avons vécue pendant de nombreuses années, cette même ville que ses visiteurs jusqu’à la fin du siècle passé ont cru découvrir, elle se transforme radicalement depuis bien peu, et ce n’est que par un heureux hasard que nos animaux adespotes se réfugient encore dans certaines ruines du passé, avant l’arrivée bien entendu les prochains promoteurs immobiliers. La mutation est ainsi culturelle, économique, urbanistique, démographique, politique dans un sens, et en somme, anthropologique. Sauf pour la quasi-majorité parmi les nombreux candidats aux élections régionales et municipales de ce mois de mai, mots creux au pays… creusé alors comme un tombeau.

Même Bloomberg… découvre cette semaine l’étendu du désastre grec, c’est-à-dire des Grecs, lorsque leurs biens sont saisis ou bradés par milliers, et lorsque 4 millions de Grecs, autrement-dit 37% de la population doivent à l’administration fiscale, passée il faut dire sous contrôle étranger depuis les accords SYRIZA, près de 104 milliards d’euros, le pays réel et ses bons chiffres…

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Objets du passé en vente. Athènes, avril 2019

 

Manifestation du passé en mémoire. Athènes, 2013

 

Animal adespote et les ruines du passé. Athènes, mai 2019

Printemps grec, la fête de Saint Georges, nos touristes émerveillés, nos animaux adespotes, voire, nos tortues. Pays dit réel. “Beaucoup de Grecs sont épuisés et ne se battent plus pour préserver leurs biens. Les procédures devant les tribunaux grecs pouvant prendre des années, de nombreuses personnes qui étaient déterminées à protéger leurs propriétés ont vu les pressions incessantes se faire sentir, a déclaré Dimítris Anastasópoulos, avocat au Barreau d’Athènes”, rapporte l’article de Bloomberg daté du 3 mai.

Il en va de même avec le reste des biens, pour une classe moyenne pulvérisée en moins de dix ans, passant de 70% à 30% de la population. Dans cette même série, une nouvelle taxe frappe depuis mai 2019 les propriétaires des embarcations, alors toutes les embarcations à partir de 7 mètres de longueur, sans les exceptions du passé: bateaux de pêche, voiliers, bateaux et embarcations en bois traditionnels, sachant que la plupart des embarcations concernées ont une valeur marchande se situant entre 3.000€ et 18.000€. Et c’est encore un signe fort explicite, frappant à la fois la classe moyenne restante, et autant la flotte traditionnellement nombreuse en petites embarcations servant à la pêche déjà des amateurs, lorsque la Grèce et ses îles ont tout de même une longueur de côtes de 14.880 km, davantage que la Chine ou que le Royaume-Uni par exemple.

Et c’est justement cette maritimité et également insularité archipélagique, notamment celle de la mer Égée, qui se trouve à l’origine du “phénomène bateau” chez les Grecs, car au-delà de la plaisance (et en dehors des yachts bien entendu), cette réalité alors si présente à travers les mers grecques a toujours été liée à la pêche amateur. D’abord pour compléter les ressources en protéines des familles, et ensuite lors des guerres et des crises, se transformant en une activité de survie, familiale, voire économique, sans que les autorités puissent bien entendu vraiment contrôler ce… secteur d’activité. D’ailleurs, sous l’autre Occupation celles des années 1940, les autorités occupantes avaient pratiquement interdit la pêche aux populations côtières et des îles, aussi pour briser la Résistance du peuple grec.

En ce moment, dans les marinas et dans les petits ports de pêche on reste bien sceptique face à cette nouvelle taxe. Par exemple, les petits voiliers privés appartenant aux Grecs représentent déjà et désormais moins du 5% des voiliers amarrés. “Pour nous Grecs, c’est la mort”, nous dit-il Aris, rencontré dans un petit port du Péloponnèse. “Avant la Troïka, un quart des voiliers ici appartenaient aux Grecs, ils ne restent que deux actuellement.” Il faut aussi dire que ces dernières années, ceux de la classe moyenne des autres pays, Allemagne, France, Italie, pays Scandinaves entre autres, occupent les ports et les baies… disons jadis admises sous le règne de Poséidon, il est vrai aussi que dans leurs pays, les coûts ne le leur permettent plus déjà que d’utiliser leurs voiliers.

La fête de Saint Georges. Péloponnèse, avril 2019

 

Touristes et musiciens. Athènes, avril 2019

 

Nos tortues. Péloponnèse, mai 2019

 

Chalutier traditionnel. Péloponnèse, mai 2019

Réalités grecques, hallucinations mondialistes. “J’aime t’écrire”, ou encore… “L’eau d’Athènes”, peut-on lire sur les murs d’Athènes, qui plus est, près d’une boutique à vendre, tandis que les oliviers… alors imperturbables, sont-ils en fleurs au Péloponnèse historique. Cela n’engendre plus tout à fait un pays, et pourtant on s’y colle. Question d’identité, comme question de survie et même de résilience il faut dire.

On citera encore et toujours René Guénon , comme le fait Nicolas Bonnal, évoquant Notre-Dame cette semaine.

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“Sans doute, le pouvoir des mots s’est déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes.”

J’aime t’écrire. Athènes, mai 2019

 

Olivier en fleurs. Péloponnèse, mai 2019

 

L’eau d’Athènes et boutique à vendre. Athènes, mai 2019

Images athéniennes, réalités mondiales, alluvions chimériques. Même dieu Pan semble dépassé, comme on sait dans la mythologie grecque, Pan, fils d’Hermès est cette divinité de la Nature, protecteur des bergers et des troupeaux, souvent représenté comme une créature chimérique, mi-homme mi-bouc, à l’image des satyres dont il partage la compagnie.

Lors de la Saint Georges, les politiciens de tout bord, candidats aux élections municipales, régionales, voire “européennes”, ont sillonné le pays réel, leur orgueil comme leurs foutaises sous les bras. Yanis Varoufákis, politicien très compatible George Soros, celui de la gauche bourgeoise de la techno-science, a ainsi présenté sa liste européiste un peu partout et en ville de Tríkala en Thessalie profonde, entre candidats aux privilèges et autres attributions que leur offre le pseudo-Parlement dit à tort “européen”, et bien entendu les figurants locaux présents, presse locale de Tríkala, en Thessalie. Tsípras quant à lui, il s’est… produit en Crète, et Mitsotákis, celui de la droite bourgeoise de la techno-science, il a préféré certains quartiers d’Athènes.

Jour de la Saint Georges, et dans un bistrot traditionnel de cette petite partie du Péloponnèse appartenant administrativement à la Région d’Attique, un politicien local et élu régional SYRIZA a fait irruption dans l’après-midi, son orgueil, ses foutaises, comme ses dépliants sous les bras. Le voyant arriver, le gérant de l’établissement a aussitôt murmuré: “Zut, ces affreux politiciens !”, mais que faire sinon ?

Il a adressé la parole bien entendu à tout le monde, et tout le monde lui répondit “que n’étant pas de la région et ainsi encore moins concerné par les élections en Attique”, il lui a donc gentiment tourné le dos. L’élu y est resté moins de dix minutes et avant de partir, il a tenté en vain de convaincre le gérant de l’établissement… de la prétendue bonne gestion de SYRIZA à la Région d’Attique, pour ce qui est des affaires et des problèmes du petit commerce. Il a laissé derrière lui ses dépliants que personne n’a touché, “cette gauche c’est de la souillure” a-t-il seulement commenté un homme assis autour de la table voisine, le tout, avant de reprendre nos discussions entre café et jus de citron fait maison. Images du Péloponnèse, réalités mondiales, alluvions chimériques.

Dieu Pan et son sanctuaire. Athènes, avril 2019

 

Façade à Athènes. Mai 2019

 

Dépliants de l’élu Syrizíste. Péloponnèse, avril 2019

On se souviendra alors ici de Jean-Claude Michéa philosophe issu de la vieille gauche, et de sa réflexion. Comme il a déjà été remarqué, “tout d’abord, Michéa revient sur les zélateurs de la révolution libérale opérée depuis la chute du mur de Berlin. Il ne s’attarde pas sur les fossiles conservateurs tendance figaro-magazine, dont l’audience se limite à l’électorat traditionnel de la droite. Il préfère insister sur les fossoyeurs du mouvement populaire, ces tartuffes qui ont perverti la gauche ouvrière pour se retourner vers le capitalisme le plus dur, en prenant appui sur la construction européenne, voulue par les banques et non par les peuples.”

“Cette gauche ‘libérale’, qui a abandonné l’économie au service de tous pour se tourner vers les écrans de fumée que sont les questions sociétales, est la pierre angulaire du capitalisme français. De Fabius à Macron, nos soldats de la cause du CAC 40 ont énoncé l’antiracisme, le communautarisme, le féminisme et autres concepts pour ne plus parler de l’essentiel, la répartition des richesses. Il consacre un chapitre à démonter l’idée pervertie de ‘progrès’, qui ne profite pas à l’ensemble des masses populaires”, la critique de son livre c’est ici.

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Images du vieux Péloponnèse comme de vieille Europe. Fête de Saint Georges. Le pauvre homme étale comme jadis sa marchandise, plutôt de pacotille, mais ce n’est pas bien cher et les parents pourraient ainsi en acheter à leurs enfants. Peine perdue et les politiciens de passage n’iront pas le voir. Caricature toujours, et à Athènes au même moment, on vend de ce qui est censé incarner le pays d’avant, objets, tableaux et autres parures.

Vendeur à Athènes. Avril 2019

 

Fête de Saint Georges, vendeur. Péloponnèse, avril 2019

 

Vieux Péloponnèse. Nauplie, avril 2019

Images grecques, réalités mondiales, alluvions du siècle. Même dieu Pan semble dépassé, comme on sait dans la mythologie grecque, Pan, fils d’Hermès est cette divinité de la Nature. On se souviendra peut-être autant de Dominique Venner , penseur atypique issu lui de la vieille droite, il s’est suicidé par arme à feu le 21 mai 2013 devant le maître-autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il adhérait dans un sens au stoïcisme, dont le premier principe est la cohérence et le second étant l’indifférence aux choses indifférentes. Sa vision du monde fut elle aussi, privilégiant deux axes: le rapport à la nature et les modèles éthiques qui permettent à l’homme de donner le meilleur de lui-même.

La Résurrection fut célébrée comme de coutume, voilà un peu pour ce qui est de notre phase bien actuelle au-delà de la gauche comme de la droite car déjà quelque part au-delà de l’humain. Comme l’écrit Jean-Claude Michéa dans “Notre ennemi le capital” :

“Depuis 2008, en effet, l’économie capitaliste mondiale est clairement entrée dans ce qu’Immanuel Wallerstein appelait la ‘phase terminale de sa crise structurelle’. Phase qui peut, bien sûr, s’étendre encore sur quelques dizaines d’années et crise qui se caractérise d’abord par le fait – déjà souligné par André Gorz – que la dynamique d’accumulation du capital, parce qu’elle repose essentiellement aujourd’hui sur la productivité de l’industrie financière, ‘ne se perpétue et ne fonctionne que sur des bases fictives de plus en plus précaires’. Cela signifie, en d’autres termes, que nous appartenons déjà à ce moment de l’histoire (…) où le problème de la déconnexion progressive du système capitaliste et de la vie humaine va commencer à se poser sous des formes de plus en plus concrètes et de plus en plus pressantes.”

Ou, comme l’écrit Badia Benjelloun ce vendredi, “la crise financière de 2007-2008, due aux ‘institutions financières’, terme neutre pour désigner le résultat de l’activité de brigands en col blanc qui détroussent les pauvres, était liée aux prêts octroyés à des acquéreurs de leur logement incapables d’assumer leurs traites. Ces prêts étaient rentables car les taux d’intérêts sont d’autant plus élevés que le risque de ne pas les rembourser est grand, ils ont été vendus partout dans le monde à des investisseurs, en particulier des banques trop grosses pour être sacrifiées, dans des ‘objets’ financiers mal identifiés à haut rendement.”

J’y ajouterais que la mutation est culturelle, économique, urbanistique, démographique, politique dans un sens, et en somme, anthropologique.

Au-delà… du capitalisme. Dieu Pan, divinité de la Nature comme de la vie humaine, surtout fils d’Hermès !

Hermès de Greek Crisis. Athènes, mai 2019

 

* Photo de couverture: Au-delà du capitalisme. Péloponnèse, mai 2019