22/09/2023
Originaire des régions anglophones du Cameroun, Achylle, 29 ans, a été kidnappé puis a rejoint Chypre pour protéger sa vie. Les drames qui l’on conduit jusqu’à cette île de la Méditerranée n’ont pourtant pas convaincu les autorités. Par quatre fois, sa demande d’asile a été rejetée. Des refus qui ont beaucoup affaibli le jeune homme, régulièrement en proie aux idées noires.
Achylle était manager dans une banque, à l’ouest du Cameroun. Il était aussi pasteur dans une église de la ville de Buéa. Chaque dimanche, des centaines de fidèles se pressaient dans son édifice pour assister à l’office. L’église hébergeait aussi les plus nécessiteux, et distribuait régulièrement de la nourriture et des vêtements aux personnes dans le besoin. A Buéa, le Camerounais avait “une vie intense, mais tranquille”.
Jusqu’au jour où un bénévole de l’église vient le prévenir : des hommes armés l’attendent derrière la porte. S’ensuit alors un kidnapping, où Achylle est torturé, puis poussé à quitter le pays. Il atterrit à Chypre, dans la partie turque de l’île. Puis sur les conseils d’une connaissance, il rejoint le sud, côté grec, pour y faire une demande d’asile. Le début d’un long calvaire qui dure depuis près de cinq ans.
“Quand je suis venu déposer pour la première fois mon dossier au service de l’immigration, la personne derrière son bureau m’a dit : ‘mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? On ne veut pas de toi’. J’ai pleuré. J’étais tellement angoissé que tout mon corps tremblait. Je ne comprenais pas pourquoi on me parlait comme ça. Je ne savais pas quoi faire, vers qui me tourner. Je pensais qu’on allait m’écouter.
J’ai quand même laissé mon dossier et à partir de là, il fallait attendre. Une personne d’une association m’a conseillé de quitter Nicosie, la capitale, pour Limassol, dans le sud-ouest de l’île. D’après elle, c’était mieux pour les migrants. Alors j’ai pris un bus et j’y suis allé.
Là-bas, j’ai dormi six mois dans la rue. Sous des ponts, près de la plage, dans les églises. Un jour, on m’a donné une tente. Dehors, c’est très dur, avec la pluie, le vent, ou la chaleur. Et puis j’étais complètement seul, je n’avais même pas de téléphone pour prévenir mes parents.
L’état chypriote n’héberge pas les hommes demandeurs d’asile seuls. Une fois leur dossier déposé, ceux-ci doivent trouver un logement par eux-mêmes. Certains parviennent à payer une colocation – quand ils reçoivent les 261 euros d’allocations publiques ou via leur travail – ou trouvent refuge chez des connaissances. Mais de nombreux exilés dorment dans la rue, faute de solution.
Un jour, j’ai rencontré une femme qui dirigeait une ONG. Elle m’a pris sous son aile. Elle m’a payé des chambres d’hôtels. Je devais changer régulièrement d’établissement car quand les touristes arrivent, les directeurs nous chassent, nous les Africains. Ils ne veulent pas de Noirs quand il y a des clients.
“Un violent coup dans la mâchoire”
Une fois hébergé, j’ai pu appeler quelqu’un au Cameroun, avec qui je travaillais à l’église. Je lui ai demandé des nouvelles de mes parents et de mes sœurs. Ils étaient tous morts. La personne à l’autre bout du fil m’a dit que le jour de mon kidnapping, une milice était venue chez moi. Elle a tué ma famille, et nos chiens. Puis la maison leur a servi de camp de base.
Ce jour-là, je m’en souviens, c’était le samedi 13 octobre 2018. Quelques heures avant ce massacre, alors que je me préparais pour mon office, je me suis interrompu pour aller à la rencontre des hommes armés qui m’attendaient à la porte de mon église. Je n’ai pas eu le temps de parler : l’un d’eux m’a donné un violent coup dans la mâchoire avec un objet, je me suis évanoui.
Quand je me suis réveillé, mes poings et mes pieds étaient liés tous ensemble. Un autre homme est venu me voir, et m’a donné un grand coup de bâton sous la poitrine. Il y avait des piques dessus, alors quand il l’a retiré, ça m’a arraché la peau. L’un de mes tortionnaires m’a posé des questions sur mon rôle dans la crise anglophone. Bien sûr, je lui ai dit la vérité, je n’étais pas impliqué dans ces histoires.
Depuis 2016, le Cameroun est en proie à de nombreuses violences dans la partie anglophone de son territoire, au nord-ouest et au sud-ouest. Cette crise a vu le jour après des manifestations violemment réprimées dans la zone, qui exigeaient davantage de reconnaissance pour la minorité anglophone marginalisée. La répression et les exactions sont allées grandissant, forçant des milliers de personnes à se déplacer pour leur sécurité. En sept ans, plus de 6 000 personnes ont perdu la vie.
Après mon kidnapping, j’ai été jeté à l’arrière d’un gros véhicule puis conduit dans le sous-sol d’une maison, je ne sais pas où. Au bout d’un moment, mon bourreau s’est rendu compte qu’il connaissait ma famille. Il m’a proposé un marché : je lui donnais toutes mes économies, il me laissait la vie sauve et organisait ma fuite, sans que je ne connaisse ma destination finale. Donc il a récupéré mon passeport et m’a payé un visa pour le nord de Chypre [dans le côté turc de l’île]. Quelques jours plus tard, je suis arrivé seul, blessé et complètement perdu.
Tout cela, je l’ai raconté au service de l’immigration ici. J’ai même des photos pour le prouver. Mais les autorités restent sourdes à mon histoire, aux drames que j’ai vécus. J’en suis à mon quatrième rejet. C’est parce que je suis noir, ce n’est pas possible autrement. Pourquoi les Ukrainiens, eux, ils ont droit d’être ici et pas moi ?
“Chypre te fait perdre tout espoir”
L’attitude de l’Etat m’a rendu fou, complètement désemparé. J’ai tenté trois fois de me tuer. J’ai bu des verres de chlore. Après la seconde tentative, on m’a envoyé à l’hôpital psychiatrique. Depuis, tous les mois, j’ai une ordonnance et je prends des médicaments. Sans ça, ça va encore plus mal, mon cœur s’emballe.
C’est fou de se dire qu’un jour, je vais peut-être mourir ici alors que j’ai quitté mon pays pour sauver ma vie.
Depuis cinq ans, je ne travaille pas, je dors dans un appartement payé par une ONG. Je subis aussi du racisme au quotidien. Quand j’attends le bus, des personnes passent en voiture et crient : ‘hey Blacky ! Go home !’. Ma peau, c’est une prison. On ne veut pas de moi ici. Ni les Chypriotes, ni l’Etat.
Chypre te fait perdre tout espoir, toute ambition. Ça te consume petit à petit. Si je savais nager, je vous le dis, je fuirais ce pays à la nage. Mais je sais que j’ai de la chance d’avoir au moins un toit sur la tête, je vois encore beaucoup de gens dormir dehors. J’essaye de les aider comme je peux [Achylle organise plusieurs fois par semaine des distributions de nourriture avec les invendus des restaurants pour les migrants de Limassol].
Mon rêve, c’est de faire des études de droit et de devenir avocat. Et aussi d’avoir des enfants. Je leur donnerai les mêmes prénoms que mes parents”.
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