Grèce, Israël et Iran: Le fiasco des “terroristes pakistanais”

Par Dimitris Konstantakopoulos
02/04/2023

Les autorités grecques ont annoncé cette semaine l’arrestation de deux travailleurs immigrés pakistanais en Grèce, accusés d’avoir planifié une attaque terroriste contre un restaurant juif du centre d’Athènes, restaurant qui sert également de synagogue (sic). Les terroristes présumés recevaient des ordres d’un de leurs compatriotes parti en Iran, qui, à son tour, recevait ses ordres des “gardiens de la révolution” iraniens et les transmettait ensuite par SMS à la Grèce par l’intermédiaire d’un téléphone portable enregistré à Dubaï. L’histoire a été révélée par des annonces et des liens des autorités grecques, ainsi que par des fuites dans la presse. Les informations concernant ces Pakistanais ont été communiquées aux autorités grecques par les services secrets israéliens.

Immédiatement, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et les ministres israéliens des affaires étrangères et de la défense ont salué l’arrestation des deux hommes, la coopération entre les services grecs et israéliens et l’action du Mossad : la Grèce déjoue une cellule terroriste iranienne qui planifie des attentats contre des Israéliens. (1)

Quant à l’ambassade d’Iran à Athènes, elle a commenté les annonces grecques et israéliennes en déclarant que “l’ambassade de la République d’Iran dément fermement les rumeurs répandues par des sources sionistes et leurs accusations sans fondement contre l’Iran. Il est évident que leurs scénarios inventés ont pour but de détourner l’attention du public de leur crise interne”.

Il est vrai que toute cette affaire a éclaté en pleine lutte pour la survie politique du Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et de son homologue israélien Benjamin Netanyahu. Ouvrons donc une parenthèse à ce stade pour décrire le contexte général en Méditerranée orientale.

Le 21 mai, la Grèce organise des élections générales et Mitsotakis doit faire face à une énorme vague de colère et d’indignation suite à l’accident de train en Grèce centrale qui a tué des dizaines de jeunes Grecs.

Quant à Netanyahou, il est confronté à la révolte d’une grande partie des citoyens israéliens, de ses forces armées et de la diaspora juive, en particulier celle des États-Unis, contre ses projets de contrôle du système judiciaire israélien.

Ses adversaires l’accusent de vouloir acquérir des pouvoirs dictatoriaux et de transformer Israël en un Etat “totalitaire”. Une telle transformation pourrait probablement l’aider à surmonter les résistances, de la part de l’armée et d’une grande partie de la société israélienne, à son projet de guerre contre l’Iran, de préférence en utilisant les États-Unis comme une sorte de puissance mandataire, ainsi qu’à son autre rêve de toujours d’incorporer définitivement les territoires palestiniens à Israël.

Comme Seymour Hersh (encore lui !) nous a prévenus dès 2006, une telle guerre impliquera l’utilisation d’armes nucléaires. Même un enfant (mais probablement pas tous les politiciens de notre planète) comprend que dans la situation internationale actuelle, une telle guerre aura des conséquences exponentielles et accélérera notre descente déjà amorcée dans le Chaos global, rendant plus difficile d’éviter un “accident” fatal dans le cours historique de l’Humanité. (2)

Les “terroristes pakistanais” entrent dans l’équation

Selon les grands médias grecs (pro-gouvernementaux dans leur écrasante majorité), qui obtiennent leurs informations de la police grecque et de l’EYP (le service de renseignement grec), qui, à leur tour, obtiennent l’essentiel de leurs informations d’Israéliens, les deux Pakistanais recevaient des ordres par SMS d’un de leurs compatriotes vivant en Iran et recevant ses ordres des “Gardiens de la Révolution” iraniens.

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Ces Pakistanais échangeaient ouvertement – selon les publications – des messages par l’intermédiaire de leurs téléphones portables, discutant explicitement de leurs plans terroristes, échangeant des photos du restaurant ciblé, se demandant où ils trouveraient des armes et négociant l’argent qu’ils recevraient pour chaque juif tué (environ 15 000 euros). On leur a également promis de les aider à quitter le pays et à ouvrir un restaurant à Téhéran après leur attaque terroriste. Selon les “sources” qui alimentent les médias grecs, ils étaient à la fois fanatiques, cruels et avides d’argent (tout cela en même temps). Au fur et à mesure que l’histoire se développait, certains rapports ajoutaient progressivement des détails et des cibles supposées (comme le musée juif d’Athènes).

Lorsque les deux travailleurs clandestins pakistanais et terroristes présumés ont finalement comparu devant le procureur, nous avons appris qu’ils n’étaient en contact avec aucun avocat et qu’ils ne connaissaient personne, de sorte que le procureur a dû en nommer un pour les défendre.

Des questions sans réponse

Malgré la montée rapide des méthodes autoritaires, il n’y a pas en Grèce que des médias et des journalistes pro-gouvernementaux. Il y a aussi des journalistes indépendants et critiques. Ils n’ont pas manqué de souligner les lacunes évidentes du récit officiel des autorités grecques adopté également par les Israéliens (3):

1. C’est la première fois dans l’histoire qu’un “réseau terroriste” utilise les SMS pour décrire et discuter ouvertement, par le biais de téléphones mobiles, de ses projets d’attaques terroristes, avec des échanges de messages plutôt ridicules (voir par exemple https://www.iefimerida.gr/ellada/adistaktoi-oi-pakistanoi-tromokrates).

On peut aimer ou ne pas aimer le régime iranien. Mais personne dans le monde ne croit qu’il s’agit d’un État peu sérieux. Il est en guerre avec les services secrets israéliens, américains et britanniques depuis des décennies. Ils ne savent pas qu’en Iran, presque tout le monde peut être suivi partout à l’aide de son téléphone portable et qu’ils utilisent les téléphones portables pour expliquer en détail et ouvertement leurs plans terroristes ? Ils ne savent pas qu’il en va de même en Grèce (où un énorme scandale d’écoutes téléphoniques a été révélé depuis un an et où il a été révélé que la surveillance de toute l’élite politique grecque, y compris les ministres, les amis de la femme du Premier ministre ou le chef des forces armées, est effectuée par les services secrets israéliens ?

2. Quelle est la gravité d’un “réseau terroriste” composé de deux pauvres travailleurs immigrés qui ne possédaient pas d’armes ou d’explosifs pour mener des actions terroristes et qui ne connaissent pas un seul avocat pour les défendre ?

3) L’Iran (chiite) n’a jamais eu recours à de telles attaques terroristes aveugles contre des Juifs au cours des dernières décennies, comme celles prétendument planifiées par les deux “terroristes” venant du Pakistan (sunnite), ou à des attaques aveugles contre des cibles civiles comme celles perpétrées par Al-Qaïda ou ISIS. L’Iran a collaboré avec les services de renseignement américains après le 11 septembre et a mené une lutte prolongée contre les deux organisations au Moyen-Orient. Il est très hostile à Israël et au sionisme, mais pas aux Juifs en tant que groupe national et religieux. Pourquoi voudraient-ils attaquer un restaurant juif, tuant indistinctement des Juifs et des Grecs non juifs qui seraient probablement leurs clients ?

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4. Netanyahou essaie toujours de réaliser son vieux rêve de persuader les Etats-Unis d’attaquer l’Iran, en agissant en alliance avec la droite dure américaine. L’Iran tente d’éviter un tel scénario et normalise ses relations avec l’Arabie saoudite. Un attentat terroriste conçu par l’Iran à Athènes, en Grèce, tuant des dizaines de Juifs et/ou de Grecs, aiderait-il la politique iranienne ?

5. Si l’Iran voulait attaquer des cibles juives dans le monde entier, pourquoi choisirait-il des cibles en Grèce ? La Grèce et Chypre n’ont pas été la cible d’actes terroristes provenant du Moyen-Orient depuis des décennies. L’une des raisons en est la profonde amitié entre le peuple grec et le monde arabe et musulman. La Grèce et l’Iran ont entretenu des relations très étroites par le passé. Il est vrai que les gouvernements grec et chypriote ont fait de leur mieux, pendant une décennie au moins, pour détruire les relations avec cette région du monde et faire entrer leurs pays dans la sphère d’influence israélienne. Mais, pour l’instant, les liens historiques profonds résistent.

Dans ces conditions et avec ce que l’on sait jusqu’à présent, l’idée d’un réseau terroriste iranien doit être écartée, car elle défie toute logique. Il reste essentiellement deux possibilités:

a) Nous avons affaire à deux Pakistanais fanatiques et dérangés

b) Nous avons affaire à deux pauvres migrants qui ont été piégés par les services secrets.

L’avenir nous le dira.

Notes

(1) Personne ne doute de l’intensité de la coopération entre les services israéliens et grecs, surtout après la révélation qu’ils coopéraient pour surveiller tout le monde en Grèce. La Grèce et Chypre sont également devenues, ces dernières années, deux des principaux centres d’exportation des logiciels espions malveillants Pegasus et Predator, selon les révélations du NYT, de Haaretz et de la presse grecque.

Quant au degré d’influence qu’Israël (et en particulier l’aile de Netanyahu) a acquis en Grèce (et à Chypre) – en parlant de l’élite du pays, et non du peuple – au cours des 10 à 15 dernières années, il est devenu évident par le fait que personne, de l’extrême gauche à l’extrême droite, n’a accusé Israël pour l’énorme scandale de surveillance qui a secoué le pays pendant un an. Seuls quelques journalistes y ont fait référence.

L’influence des forces extérieures à la région a toujours été le facteur décisif qui façonne, dans une large mesure, les relations entre la Grèce et la Turquie, ainsi que les perceptions de l’une par rapport à l’autre. Par exemple, il y a quelques années, les services grecs, l’armée et l’opinion publique craignaient que la Turquie ne soit prête à attaquer la Grèce, en raison d’informations obtenues par l’intermédiaire de services étrangers. Toute cette histoire s’est effondrée lorsqu’un commentateur a prouvé que les unités militaires turques, nécessaires à une telle attaque, avaient déjà quitté leurs positions et se battaient à Afrin, en Syrie.

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(2) Benjamin Netanyahu, homme politique israélien très astucieux, compétent et ambitieux (“il pourrait donner des leçons à Machiavel” a écrit de lui un commentateur) n’est pas seulement un leader “local”. Il est également l’une des figures de proue de l’une des deux tendances qui se disputent la domination au sein du noyau dirigeant de l’Occident, les partisans “nationalistes” d’une “guerre des civilisations” (avec Huntington comme porte-parole) d’une part, les “globalisateurs” (néo)libéraux de l’autre (du type Fukuyama). Leur différence ne porte pas tant sur l’objectif (la domination sur la planète) que sur les méthodes et les idéologies pour y parvenir.

C’est pourquoi il ne peut y avoir de plus grande erreur stratégique que de croire que l’on peut s’appuyer sur le premier groupe pour attaquer le second. En réalité, l’un des objectifs du premier groupe est de transformer radicalement l’idéologie démocratique (encore existante) des sociétés occidentales, ce qui conduira probablement au fascisme, car une telle transformation facilite grandement le déclenchement d’une guerre mondiale.

Netanyahou est l’un des architectes des guerres au Moyen-Orient, ayant financé le premier groupe néocon qui les a préparées. Selon un récent article de Nation, les services israéliens ont été une force fondamentale derrière la montée au pouvoir de Trump et le président américain s’est ensuite empressé, en échange, de répondre à presque toutes les demandes israéliennes comme aucun autre président américain ne l’a fait dans l’histoire (Jérusalem, Golan, répudiation de l’accord sur le nucléaire iranien, etc.) Il a également bombardé la Syrie à deux reprises, malgré la présence de forces armées russes, ce que l’administration Obama précédente avait refusé de faire en dépit des pressions exercées par le Congrès.

Tant Netanyahou que Trump ont affirmé être des amis de la Russie, mais cela n’a pas été un obstacle à l’armement de la milice néo-nazie Azov par Israël sous Netanyahou et à l’abattage d’un avion russe dans l’espace aérien syrien, ni à la non-application des accords de Minsk et à l’armement massif de l’Ukraine, en prévision du conflit actuel, sous l’administration Trump.

3. Quelques exemples de publications grecques mettant en doute le récit officiel du “terrorisme pakistanais” peuvent être trouvés ici :

Πολλά αναπάντητα ερωτήματα για τους τρομοκράτες, https://slpress.gr/ethnika/ti-symvainei-me-tin-feromeni-tromokratiki-epithesi-stoy-psyrri/https://slpress.gr/en-thermo/kayta-erotimata-gia-tin-ypothesi-tromokratias-stoy-psyrri/https://www. efsyn.gr/ellada/astynomiko/383758_tromokrates-apo-ta-elaiohorafa-me-odigies-apo-tin-teherani, Τα ερωτήματα για τις ανακοινώσεις “αποτροπής τρομοκρατικού χτυπήματος” στην Αθήνα – Militaire.gr.

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