Dissolution du CCIF : la gauche politique et syndicale doit sortir du silence et dénoncer l’offensive islamophobe !

L’offensive autoritaire du gouvernement est aussi une offensive islamophobe. Si la dissolution du CCIF nous le rappelle, la gauche politique et syndicale (hormis Solidaires) se terre dans un silence complice. Il est indispensable que les organisations de gauche qui disent se revendiquer de l’anti-racisme dénoncent avec force la dissolution du CCIF.

Par Paul Morao
mercredi 2 décembre

Crédits photo : O Phil Des Contrastes

Sur les réseaux sociaux, Gérald Darmanin s’est félicité hier de la dissolution du CCIF. Dans le décret passé en Conseil des Ministres, une succession d’accusations éparses visant à légitimer la décision et déjà en partie démontés par le CCIF. Pourtant, en dépit de la révélation de ces mensonges et en dépit de la mobilisation contre le projet de loi sécurité globale qui met le ministre dans une position délicate, celui-ci n’a ainsi pas hésité à aller jusqu’au bout de sa démarche. Et pour cause, si les critiques n’en finissent pas de fustiger la loi du gouvernement visant à renforcer son arsenal répressif, l’offensive islamophobe ininterrompue depuis la rentrée, et intensifiée suite à l’assassinat de Samuel Paty, se mène quant à elle à bas bruit, et dans le silence coupable de la majeure partie de la gauche politique et syndicale.

De la dissolution du CCIF à la loi séparatisme : le gouvernement à l’offensive

Le décret actant la dissolution du CCIF, en réalité auto-dissout vendredi dernier, est une incarnation exemplaire de l’offensive qu’entend mener le gouvernement contre les musulmans ou assimilés comme tels. Sur quatre pages, le texte affiche sans détour la volonté de faire taire les musulmans et disparaître la notion même d’islamophobie. A ce titre, le décret note notamment qu’« en qualifiant d’islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes (…) le CCIF doit être regardé comme propageant, cautionnant et contribuant à propager de telles idées » ou encore que la dénonciation d’actes islamophobes serait « de nature à attiser la haine, la violence ou la discrimination. » C’est ensuite la participation à des événements en non-mixité qui est considérée comme « provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence (…). »

En outre, le CCIF se voit accuser par association de liens avec l’islam radical, mais aussi imputer des commentaires diffusés sur ses réseaux sociaux. De quoi transformer par les moyens les plus fallacieux une organisation défendant les droits des musulmans en « officine islamiste » selon le bon vouloir du gouvernement. Dans la continuité de la dissolution de Baraka City, le gouvernement se permet ainsi une attaque autoritaire sous couvert de lutte contre le terrorisme et la « haine ».

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Ces dissolutions font suite à l’instrumentalisation de l’assassinat de Samuel Paty opérée par le gouvernement. Elles préparent la loi séparatisme qui devrait être présentée en conseil des ministres en décembre, et vise notamment à la faciliter la dissolution d’associations musulmanes, mais aussi à permettre le fichage d’élèves ou encore à réprimer « la mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de le localiser dans le but de l’exposer elle-même ou les membres de sa famille à un risque d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique ou aux biens », disposition floue qui pourrait être utilisée pour limiter la diffusion des images de violences policières dans le même esprit que l’article 24 de la loi sécurité globale.

Une offensive menée à bas bruit : le silence coupable de la gauche politique et syndicale

Si Gérald Darmanin se permet une telle attaque en plein milieu d’une large mobilisation contre l’offensive sécuritaire du gouvernement, c’est que depuis le début du mouvement le choix a été fait de dissocier la lutte contre la loi sécurité globale de la dénonciation de l’offensive islamophobe et de la loi séparatisme. Un choix qui est d’abord le fait de la direction de la mobilisation, à savoir la Coordination contre la loi sécurité globale, qui a choisi de porter un mandat très restreint en ne se focalisant que sur trois articles du projet de loi, pourtant entièrement liberticide et réactionnaire. Une limitation qui passe sous silence l’exigence du retrait total et l’entièreté de l’offensive autoritaire dont les attaques islamophobes sont une composante pourtant essentielle, et qui entre en contradiction avec l’état d’esprit de nombreux manifestants.

Loin d’être un oubli, ce refus de poser la question de l’offensive islamophobe reflète en partie la stratégie de la Coordination, qui entend laisser ouvert la porte du dialogue avec le gouvernement. Après avoir rencontré Gérald Darmanin, la Coordination explique ainsi dans son dernier communiqué : « Il appartient au président de la République, garant des libertés publiques, de procéder à leur retrait. Par conséquent, la coordination, dans toutes ses composantes, demande à être reçue par Emmanuel Macron. » Cette logique d’ouverture à la discussion implique de modérer les revendications mais aussi de trouver le plus petit dénominateur commun entre les différentes organisations. Une logique qui laisse aujourd’hui se dérouler sans la moindre prise de position de la coordination cette offensive sans précédent contre les organisations de défense des musulmans et le CCIF. Face à l’offensive, il faut au contraire dénoncer explicitement la dissolution du CCIF à l’instar de Solidaires.

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En outre, elle fait écho à un silence plus large de la gauche institutionnelle. Du côté de La France Insoumise, un silence absolu a été ainsi opposé aux dissolutions du CCIF et de Baraka City. Pire, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, Jean-Luc Mélenchon a explicitement évoqué son appui et volonté d’amender la loi séparatisme, devenue depuis loi « confortant les principes républicains ». En octobre, le député PCF du 93 Stéphane Peu regrettait quant à lui que le texte ne parle que de l’Islam. « Emmanuel Macron pose un diagnostic plutôt juste sur les faiblesses de notre République mais réduit ses réponses à l’islam » notait-il, et depuis le parti ne s’est jamais exprimé pour dénoncer l’offensive autoritaire menée contre les musulmans.

Macron terrifié par l’idée de devoir retirer la loi séparatisme : c’est dans cette direction qu’il faut pousser !

Si l’aveuglement d’une partie de la gauche sur la question de l’islamophobie ou le refus de mêler des revendications pour élargir le front de l’opposition à l’offensive autoritaire du gouvernement apparaît comme une grave trahison, elle est également en déconnexion avec la situation. Face à la crise politique, le gouvernement sait qu’il pourrait devoir reculer sur l’ensemble de son offensive. De fait, comme le laisse entendre Cécile Cornudet dans son dernier édito : « Emmanuel Macron n’est pas certain que la suspension de l’article 24 de la loi sécurité globale suffira à calmer le jeu avec les médias et la gauche, mais il a une certitude : il faut sauver la loi séparatisme. » Si cette perspective fait peur à l’exécutif, c’est dans cette direction qu’il faut aller.

De fait, en l’absence de retrait de la loi séparatisme, celle-ci pourrait bien servir au gouvernement d’échappatoire. A l’image de l’article 25 qui correspond peu ou prou à la logique de l’article 24 de la loi sécurité globale, et pourrait s’y substituer. Ainsi que le note le journal pro-patronal Les Echos : « Au gouvernement et au sein de la majorité, on cherche déjà une porte de sortie, qui pourrait être l’article 25 de la future loi contre le séparatisme . Rédigé après l’assassinat de Samuel Paty, cet article prévoit des sanctions en cas de divulgation d’informations permettant l’identification ou la localisation « dans le but de l’exposer à un risque immédiat » d’une personne. La sanction est renforcée lorsqu’il s’agit d’un agent public comme un policier. »

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En outre, l’intégration de cette question est fondamentale pour élargir la mobilisation aux quartiers populaires et ainsi renforcer le rapport de forces. Comme le soulignait la semaine dernière Mahdi Adi : « dissolution du CCIF et de BarakaCity sont des attaques graves contre les droits démocratiques et la liberté d’association, tandis que la loi séparatisme constitue une attaque liberticide et islamophobe. A ce titre, pour être en mesure de mobiliser les classes populaires issues de la minorité musulmane qui sont aujourd’hui en première ligne face à l’offensive sécuritaire de Macron et Darmanin, le mouvement ne peut faire l’impasse sur l’exigence légitime de l’abandon de ce projet de loi et des attaques contre les associations musulmanes. »

Pour toutes ces raisons, il apparaît fondamental que la gauche politique et syndicale dénonce clairement et explicitement la dissolution du CCIF, ainsi que la loi séparatisme qui entend systématiser ce type de mesures autoritaires. Comme le soulignait sur Révolution Permanente Tom Canelle : « Il est absolument nécessaire de lier la revendication du retrait total de la loi Sécurité Globale avec celle du retrait de l’ensemble des lois liberticides et islamophobes que tente d’imposer le gouvernement. Que ce soit la loi contre la Programmation de la Recherche qui se dresse contre les libertés académiques, ou la loi « séparatisme » qui stigmatise et réprime les musulmans ou présumés tels. Il n’en faudra pas moins pour élargir le front contre l’offensive sécuritaire et pour faire plier le gouvernement. D’où la nécessité de se lier avec les secteurs qui se sont mobilisés en juin dernier contre le racisme d’État et les violences policières, en particulier la jeunesse et les quartiers populaires. ».

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