Le monde «de demain» ?

Par Danielle RIVA
Mai 2020

Le monde a été surpris par une pandémie venue non pas du Haut moyen âge, mais du fond de la Chine qui s’est globalisée assez rapidement, d’abord vers l’Europe, ensuite sur l’ensemble des continents.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette pandémie a soulevé beaucoup d’espoirs chez certains, comme en France.

Ceux qui envisagent une sortie de la crise coronavirus – dont ils rendent responsables la destruction environnementale – par une réconciliation avec la nature : une « écologie heureuse », dans un « nouveau monde » global vertueux, une écologie humaniste comme celle qui se décline dans l’appel de Hulot (le Monde daté du 7 mai 2020).

Ceux qui souhaitent le retour de l’Etat providence omettant qu’il correspondait au temps de la reconstruction du pays après la deuxième guerre mondiale, de la planification de l’économie, du capitalisme industriel, et des grandes luttes ouvrières menées par une CGT et un Pcf, puissants. (« la gauche et les syndicats renouent avec l’Etat procidence », Le Monde, 26/27 avril 2020).

Ceux qui au contraire, y voient la fin du capitalisme : une architecture obsolète si mitée qu’elle va s’effondrer d’elle-même.

Il semble que le Codiv 19 ouvre une nouvelle ère, certes, mais la réalité risque d’être plus difficile et incline à parler avec prudence et à ne pas relâcher la critique et les mobilisations. Il ne faut jamais oublier que l’une des caractéristiques essentielles du capitalisme, c’est de se régénérer après chaque crise importante pour aller encore plus loin, dans l’exploitation et la soumission des masses.

L’inefficacité du capitalisme globalisé

Le coronavirus a mis en évidence l’inefficacité du capitalisme financiarisé globalisé, plus habile à enrichir une minorité et à transformer les Etats en croupions des « marchés », que de répondre rapidement à la nécessité de lutter contre une pandémie qui allait casser brutalement les codes sociaux traditionnels

Les dirigeants européens, mais pas seulement, ont pu mesurer les effets délétères de leur politique de désindustrialisation « externalisée » dans les pays à faible coût. Ils se sont retrouvés sans moyens, sans aucune autonomie leur permettant de fournir immédiatement le matériel et les médicaments pour bloquer la pandémie. La férocité de leurs politiques successives de réduction des dotations dans la gestion du secteur public au mieux des intérêts du capitalisme les a paralysés. Mais pas tous.

Etonnamment, c’est l’Italie avec un gouvernement « transitoire » qui a été capable de réagir immédiatement, beaucoup plus vite qu’en France. Et le peuple italien, enclin à remettre tout au lendemain, a immédiatement adopté les mesures de sauvegarde. Là aussi le corps médical s’est lancé courageusement dans la bataille, malgré 23 Milliards d’économies réalisées au cours des gouvernements précédents sur la santé ! (7 milliards pour la France).

Absence d’une politique de santé publique

Que faire devant ce virus inconnu qui ne se transmet que de personne à personne (fragilisant essentiellement les plus âgés) de manière exponentielle ? Faute d’équipements pour enrayer et lutter efficacement contre cette pandémie « globalisée » avec des masques, des tests et tout un matériel médical qui firent défaut, la réponse était toute trouvée : adopter le modèle chinois.

Les gouvernements placèrent la population « sous contrôle », la « confinèrent », presque partout dans le monde. Était-ce donc cela la seule mesure efficace de « santé publique » ?

Il s’est passé, que la pandémie touchant de plus en plus de personnes, peu à peu l’avis médical a prévalu sur l’avis politique qui sous estimait, comme en France, la virulence du coronavirus. Les gouvernements s’effaçaient derrière le monde médical par ailleurs en proie, lui aussi, à des divergences d’appréciation sur la nature de ce virus et les soins à prodiguer. On a même demandé aux Français ce qu’ils pensaient d’un « remède » (déjà utilisé pour d’autres maladies) présenté par un Professeur de Marseille comme « le » seul capable d’enrayer la maladie. Bien entendu : 56% des sondés, ont dit qu’il leur fallait ce médicament. Ils ont été confortés dans leur choix par l’exemple de Trump, qui a immédiatement passé commande de millions de gélules.

Episode qui marque bien la peur qui s’est emparée de la population (et de ses édiles) ballotée entre les avis de tel ou tel autre scientifique.

L’engagement d’un corps soignant admirable

Pendant ce temps de polémiques et d’incessants changement de pieds du pouvoir, les équipes médicales dans les hôpitaux, n’ont pas attendu. En France, elles ont pris la direction des soins modifiant les attributions de certains secteurs pour qu’ils prennent en charge les malades du coronavirus, malgré le manque d’équipements de plus en plus visible. Elles se sont dévouées sans compter leurs heures, certains(es) d’entre elles vivant 24h sur 24 dans l’hôpital. Un exemple de civisme. Or près de 5000 soignants ont étés eux-mêmes victimes du Covid 19.

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Macron devra payer en augmentant les salaires et améliorant les conditions de travail. Il s’y est engagé. Mais les soignants ne décolèrent pas pour autant car la rumeur venue du ministre de la santé les renforce dans leur lutte : incertitude pour le paiement des heures supplémentaires, révision des horaires et augmentations de salaires au mérite sous-entendu « travailler plus », poursuite de la baisse des effectifs, etc.

Le coronavirus s’est révélé très vite être une pandémie qui se traduisit par un nombre de personnes atteintes en progression rapide, et une mortalité tout aussi exponentielle.

Au 26 mai 2020, en France : 145279 contaminations confirmées, 28432 décès (dont 10345 dans les Ehpad : établissements pour personnes âgées dépendantes) et 65119 guérisons. (Dans le monde : 5 495 061 contaminations confirmées, 346 232 décès, 2 232 593 guérisons.)

En sacrifiant l’hôpital public (et plus généralement le secteur public) par des politiques monétaires restrictives successives (en Europe, le déficit ne pouvait dépasser 3% du Pib), des « dégraissages » de personnel et la recherche de « chaînes de valeur », les gouvernements successifs ont mené une politique criminelle, sacrifiant les personnes âgées isolées et dans les Ehpad (prise en charge des personnes dépendantes).

Le confinement

Sans masques ni tests, il n’y avait alors qu’une seule solution pour éviter l’engorgement des hôpitaux : rester chez soi, le « confinement ». C’est ainsi que 3 milliards et demi de personnes et de salariés se virent contraints à domicile étant pris en charge ou non par l’Etat.

En France, près de 12 millions de salariés furent « confinés », mis en « chômage partiel » et un nombre grandissant en Télétravail. L’Etat décida de prendre en charge l’indemnisation des salariés avec un chômage partiel à 70 % du salaire brut. Pouvait-il faire autrement ? C’était prendre le risque de voir éclater à nouveau des réactions sociales en chaîne et encore plus violentes que les précédentes. Pouvait-il faire mieux ? Oui, certains pays européens ont fait mieux, comme l’Allemagne qui mieux équipée a testé rapidement sa population. Mais pas les Etats Unis où plus de 32 millions de salariés ont perdu immédiatement tout revenu et un grand nombre, leur emploi.

Toutefois, il ne faut pas voir dans cette mesure de prise en charge une sorte de largesse, une brusque conversion « sociale » de Macron. D’abord ce sont les cotisations des salariés et des entreprises (de moins en moins) qui permettent la solidarité (sécurité sociale, retraites, etc..). D’autre part, sa « générosité » tient au fait que l’UE a inscrit une ligne de crédit à hauteur de 100 milliards pour les pays qui prendraient en charge le coût du chômage partiel.

Paradoxalement, de manière inattendue, le confinement a été aussi une chance pour le gouvernement français, qui venait lui offrir une sorte de paix sociale.

Après une longue période de plus d’un an et demi de mouvements sociaux importants qui ont bloqué le pays pour affronter ouvertement la politique de refondation néo-libérale  de Macron : les Gilets Jaunes, une crise sociale et de non représentativité politique dans les institutions de la République ; le long mouvement du secteur public de la santé contre sa privatisation ; et enfin le refus du énième projet de « réforme » des retraites entrouvrant la porte à la capitalisation, opposée à la solidarité, règle du système français hérité de l’Etat providence ; on peut dire que le virus a offert un répit politique à un gouvernement et un président majoritairement haïs.. Il ne s’agissait plus de parler « réformes » (même si elles ne sont pas abandonnées) mais de santé publique.

L’absence de l’union européenne

L’UE n’a pas joué spontanément la solidarité envers les pays européens atteints par le coronavirus. L’UE a immédiatement refusé toute aide par exemple à l’Italie, sous estimant la virulence du virus et le poids des mesures sanitaires et économiques qu’elle a dû prendre pour réagir efficacement. Comme elle a refusé l’idée des « coronabonds » et toute forme de mutualisation des dettes des pays.

Toute fois en Avril dernier des centaines de milliards sont annoncés pour la première fois La BCE décide d’attribuer 500 milliards de subventions et de prêts à la demande de la France et de l’Allemagne, (par la suite la Commission ajoute 250 milliards – ligne budgétaire et emprunts sur les marchés), pour aider les pays touchés par le Coronavirus et relancer l’économie. Mais les conditions de remboursements seront draconiennes, n’en doutons pas et sous le contrôle du plus grand contributeur : l’Allemagne. Il se pourrait même que la Commission lève directement des impôts. C’est que la récession menace et si l’Allemagne veut conserver son statut de première puissance elle doit aider l’économie européenne, c’est-à-dire les échanges commerciaux et industriels, avec ceux qui la font vivre : les Etats européens.

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Mais il y a eu un couac surprenant entre la chancelière Merkel et l’arrêt rendu par la cour de justice allemande de Karlsruhe. Cette dernière vient de dire non à cette mesure, dans la continuité de ce qu’elle a déjà affirmé auparavant : « il n’y a pas de peuple européen » (totalement exact car, l’UE est constituée d’Etats nations). En toute logique, s’il n’y a donc pas d’Etat européen supranational, les dettes restent nationales.

Etonnamment, Merkel est intervenue immédiatement pour condamner la décision de Karlsruhe. Cependant pour être efficace sa condamnation devra être approuvée par l’ensemble de son gouvernement, ce qui est moins sûr, car Merkel est sur le départ et par l’ensemble des pays européens. Déjà quelques voix sont dissonantes dont celle des Pays Bas, de l’Autriche…

Les divisions s’accentuent : d’un côté les Etats du Sud affaiblis par la pandémie, y compris la France, de l’autre certains pays du Nord pour un libéralisme strict, puis les états à l’Est (du Visegrad) qui font comme bon leur semble (par exemple en demandant l’aide de la Chine), l’UE survivra-t-elle à tout cela ? Elle ne le devrait pas, mais les européistes vont tout faire pour maintenir « le grand marché », sans changer d’un iota son caractère libéral, cela, tant que la puissance dominante, l’Allemagne, restera figée sur la défense monétaire de l’euro (tout comme elle défendait son DM).

Et le monde de demain ?

Le déconfinement, qui se met en place, car la situation économique le demande, va-t-il agir comme la promesse printanière d’un monde nouveau, un « avenir radieux », à la Zinoviev (édition l’âge d’Homme, 1977) ? Hélas ; il apparait dès maintenant qu’il ne sera pas très différent de celui d’aujourd’hui si ce n’est pire.

Les économies encore touchées par la crise de 2018/2019, ont montré en 2018 des signes de fléchissement de la « croissance » touchant même la Chine, qui commençaient à affoler les Bourses, dont les cours faisaient le yoyo. L’arrêt de la production le temps du confinement pendant ces deux derniers mois, a déjà des relents de récession.

Les chiffres annoncés font frémir : France : recul du Pib moins 27% en Avril (Banque de France), on peut s’attendre à une baisse de plus 10% sur l’année, en Allemagne de 6,3%, etc. (le Monde du 2 mai 2020).

Le taux de chômage en France, malgré le chômage partiel payé, a augmenté de 7% (le Monde du 2 mai 2020), soit près de 2,5 millions de chômeurs supplémentaires pour l’année 2020. Déjà les annonces de nombreuses faillites, de fermetures de sites industriels, de services, ou autres se multiplient, qui vont venir impacter brutalement une partie de la population, le monde du travail et la politique sociale.

La précarité, le chômage, la misère sociale et économique vont atteindre des niveaux plus élevés.

Le contrôle social et le « modèle chinois »

On a vu se mettre en place des mesures de contrôle social « nouvelle génération ». Les libertés individuelles ont été mises sous surveillance, comme celle de circuler librement. Il est maintenant question de « tracer » grâce au smartphone, ceux qui seraient porteurs du virus que vous auriez croisé. De nouveaux outils de plus en plus sophistiqués sont utilisés comme les drones, la reconnaissance faciale, etc. Tout cela peut être acceptable très temporairement, le temps d’en finir avec la pandémie. Mais le « modèle chinois » a ses adeptes. Avec la « politique des masques », la Chine exporte aussi son modèle de société basé sur l’observation 24h sur 24 de sa population. Ne restons pas aveugles. Ce modèle existe déjà en France, dans certaines villes zélées comme à Nice. Un combat qui doit être extrêmement vigilant.

La « responsabilité individuelle »

On a vu fleurir le thème archi libéral de la « responsabilité individuelle », bien obligé, puisque la responsabilité de l’Etat a été défaillante à préserver la population, ce qui ne veut pas dire que cette dernière adhère à ce concept anti-social.

Ou encore celui de la « distanciation sociale ». Pourquoi « sociale » ? Une distanciation entre les classes, les uns pouvant n’être pas atteints par la maladie, les autres oui, en raison d’un statut social différencié ? Oui, les pauvres auront moins de moyens financiers, culturels, sociaux pur se défendre. Sinon pourquoi n’avoir pas dit « distanciation physique » ?

Le télétravail : Danger !

Une importante mutation déjà observée dans l’emploi, s’annonce comme la nouvelle organisation du travail, le télétravail à domicile. Bref, non seulement, les annonces de suppression d’emplois paniquent les salariés, y compris le « secteur des informels », des « travailleurs indépendants », etc., mais le développement du télétravail est une menace très sérieuse. Certains diront, c’est mieux que le chômage, d’autres, c’est la modernité.

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Le télétravail : des gains de productivité. Avec le confinement et la possibilité du télétravail à domicile, jusque-là réservé en majorité aux cadres, les entreprises ont compris qu’elles pouvaient faire des gains en immeubles de bureaux, en charges de fonctionnement, en augmentation du temps de travail (surveillé par des logiciels espions) etc., c’est à dire : améliorer la « chaîne de valeur » en l’étendant à une plus grande partie de leur personnel.

Le télétravail s’est rapidement étendu aux salariés pendant ce confinement : 63% dans l’information et la communication – 55,3% dans le secteur de la finance et de l’assurance, mais aussi 21% dans l’enseignement, la santé et l’action sociale, etc. (le Monde économie et entreprise,19 mai 2020).

Selon une enquête de la CGT auprès de 34000 salariés recueillie en ligne entre le 8 et le 24 avril :

  • Les salarié·es ont déjà payé la crise : 55 % des cadres ont ou vont perdre des jours de RTT, 57 % des salarié·es en chômage partiel ont perdu des revenus, un tiers des salarié·es du privé considèrent que leur emploi est menacé
  • La mise en place d’un télétravail “en mode dégradé” : un tiers des télétravailleurs n’ont pas été dotés par leur employeur en équipement informatique, près de 80 % ne disposent pas de droit à la déconnexion, 97 % n’ont pas d’équipement de travail ergonomique, un quart n’ont pas d’endroit où s’isoler et un tiers, notamment les femmes, doit télétravailler tout en gardant les enfants.
  • Une augmentation du temps et de la charge de travail, notamment pour 40 % des encadrant·es
  • La surexposition des femmes : davantage exposées aux risques car occupant les métiers en contact avec le public, 36 % des femmes ont subi une hausse de la charge de travail (contre 29 % des hommes) alors que la fermeture des écoles s’est traduite pour 43 % d’entre elles par plus de 4h de tâches domestiques supplémentaires. Le confinement a été facteur de tensions pour 20 % des couples, et de violence pour 2 % des répondant.es.

 

Télétravail, ou le retour des femmes à la maison. Le télétravail c’est une transformation radicale du travail, de ses règles, de ses lois, de la vie sociale, de la vie privée tout simplement. Aucune référence d’horaires, une extension du travail le dimanche, plus de séparation entre le travail et le domicile, etc…

C’est aussi l’incroyable retour des femmes « à la maison » : travailler tout en s’occupant des enfants (moins de crèches ou de garderies) et des soins à la famille. Déjà le temps partiel était à 90% « réservé » aux femmes. Elles ont fourni une part importante des gilets jaunes. Il ne reste plus pour les asservir qu’à les renvoyer à leur foyer.

Un énorme chantier attend les syndicats dont le rôle va être aussi profondément chamboulé : comment organiser, protéger ces nouveaux salariés atomisés ? Quel contrat de travail ? Etc.

Mais que font les « gauches » ?

Les voix des « gauches » se sont éteintes tétanisées par le virus, et le sentiment d’être démunies face à une question de santé inattendue mais qui va bouleverser profondément le mode de vie. Macron a pensé reprendre la main sur les Français, mais il n’en a rien été : ses propres interventions contradictoires et celles de ses ministres, des mensonges éhontés, une perte de temps qui a été néfaste eu égard au nombre de morts et de personnes affectées par le virus. Il devra en payer le prix.

Quant à la gauche on a beau voir les appels se succéder, de nouveaux groupes se former (même chez La république en marche) ou réapparaitre avec bien souvent les mêmes porte-paroles, les mêmes stratégies, les mêmes divisions promettant un « monde nouveau » pour demain, mais réitérant leurs discours « d’avant » et donc leur échec probable.

Les écolos, ce qui reste de « la gauche de gouvernement », et la « gauche de la gauche », n’ont pas, au-delà des effets de manche, encore trouvé le programme ou la structure unitaire pour imposer une assemblée constituante, et porter vers la victoire un modèle socialiste autogestionnaire écoresponsable, la gestion des entreprises par leurs salariés, la gestion des communes par les citoyens.