Le temple d’Artémis a enfin été découvert

Grèce: Des archéologues suisses résolvent l’énigme, vieille de 50 ans, d’un site mythique

Par Effy Tselikas
LA TRIBUNE de GENEVE 03.08.2019

Juste avant d’arriver au joli village d’Amarynthos, au bas de la butte que surplombe l’église de la Métamorphose, on aperçoit un terre-plein perdu dans les abricotiers et les grenadiers. C’est là que se cache le chantier de fouilles en pleine effervescence du temple d’Artémis, où travaille l’École suisse d’archéologie (ESAG) sur Eubée, longue île oblongue à l’Est d’Athènes.

De 6 h 30 à 14 h 30 tous les jours sous un soleil de plomb durant une campagne de fouilles qui dure six semaines chaque été, plus d’une cinquantaine de personnes s’activent sur cet espace de 10 000 mètres carrés: 40 étudiants en archéologie, venus d’universités de toute la Suisse dont beaucoup de l’Université de Genève, mais aussi quelques Grecs, une dizaine d’ouvriers, le tout sous l’œil tutélaire de Karl Reber, professeur à l’Université de Lausanne et directeur de l’École, le regard scrutateur de l’helléniste neuchâtelois Denis Knoepfler et la vigilance omniprésente du responsable du chantier, Tobias Krapf. Chacun avec sa spécialité, depuis les «fouilleurs» classiques à la main, à l’aide de minuscules râteaux, pelles et petits balais en alpha pour ratisser méticuleusement chaque cm2 de terre, avec l’aide précieuse aujourd’hui d’une application IPAD spécifique qui permet la synchronisation instantanée de toutes les données recueillies, jusqu’aux différents spécialistes qui vont compléter l’approche strictement archéologique.

Déesse tutélaire

L’École suisse d’archéologie en Grèce (la seule à l’étranger) est installée depuis 1964 dans l’île, à la demande des autorités grecques, pour aider aux nouvelles découvertes de la ville antique d’Erétria : temple d’Apollon, maison mosaïque, théâtre, gymnase dont toutes les trouvailles sont exposées dans le musée éponyme. Mais une ombre planait toujours, celle du fameux temple dédié à Artémis, la déesse tutélaire de l’île, souvent mentionné dans les textes anciens. En particulier, le géographe Strabon y fait trois fois allusion pour des traités concernant cette ville prospère qui commerçait avec toute la Méditerranée de l’époque dès le XXe siècle avant J.-C., en situant le temple à Z acres (zêta, lettre de l’alphabet grec correspondant à une distance de 1,5 km). Et depuis 50 ans, tous les archéologues recherchaient désespérément la sœur d’Apollon dans les proches alentours d’Erétria. Une longue enquête quasi-policière sur le terrain, traquant chaque statuette ou bris de poterie découvert, d’où tous reviennent bredouilles. La déesse vierge ne se laisse pas approcher si facilement…

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L’énigme est résolue en 2006 quand l’épigraphiste Denis Knoepfler mène l’enquête dans un rayon plus élargi et découvre des pans entiers de marbre ornés d’inscriptions antiques et incorporés dans les murs de chapelles byzantines environnantes. Il fait alors l’hypothèse iconoclaste qu’il y a peut-être eu une erreur de transcription des copistes de Strabon et qu’au lieu de Z, c’est la lettre ressemblante X (Xi), ce qui porte la distance à 11 km. Et voilà comment le chantier s’ouvre à Amarynthos, confirmant jour après jour la réalité de ce haut lieu de l’antiquité dédié à la sœur d’Apollon.

Les derniers doutes tombent

Les travaux commencent lentement. L’École suisse rachète peu à peu les terrains privés, abat les constructions existantes et met en place la collaboration gréco-suisse entre l’ESAG et l’Éphorie des Antiquités d’Eubée, dirigée par Amalia Karapaschalidou. On trouve rapidement un grand portique dorique, un puits-fontaine avec une inscription triade, Apollon, Artémis et leur mère Léto, les fondations d’un autel, de nombreuses tuiles estampillées au nom d’Artémis. Mais les derniers doutes tombent la dernière heure du dernier jour de la campagne 2017 quand une autre fulgurance de Denis Knoepfler lui fait retourner une marche d’escalier et trouver une magnifique stèle gravée du fameux traité d’organisation de la procession de la cité en l’honneur de la déesse: 3000 hoplites, 600 cavaliers et 60 chars. Cette fois-ci, c’est confirmé, le temple d’Artémis Amarysia est bien situé là.

Cette petite cité se gère au quotidien par Tobias Krapf, le jeune chef de chantier, à la fois pour la logistique et la recherche scientifique. Chaque jour amène son lot de nouvelles découvertes qui font espérer au parfait Eubéen qu’il est devenu en douze ans de présence dans la région qu’un jour, le temple de Diane à Amarynthos sera célèbre dans le monde entier. En attendant, tel Hermès messager entre les dieux et les mortels, il ne cesse d’organiser conférences, portes ouvertes au public local et même ateliers sur la plage pour les «petits archéologues», de quoi susciter de nouvelles vocations sous la tutelle de cette divinité si attachante.

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Le temple d’Artémis a enfin été découvert

Entre Karl et Artémis, une véritable passion

De Bâle, sa ville natale, le jeune Karl Reber rêvait déjà de cette belle déesse, entre gymnasium humaniste où un professeur solaire l’initia aux mystères mythologiques et les voyages familiaux à travers la Méditerranée. Mais lorsqu’il annonça à ses proches qu’il voulait devenir archéologue, on lui dit que ce n’était pas un métier solide, tout juste une aventure de vacances. Pourtant il persista dans cette voie, tout en passant tous ses étés sous le dur soleil d’Erétria. L’École suisse en était à ses débuts en Grèce et le jeune homme fut le mousse à tout faire de ce voyage dans le temps, ne comptant ni ses heures ni sa peine. Lorsqu’il devint responsable du site, où il s’installa avec femme et enfants pour sept ans en Grèce, sa plus grande joie fut de voir le regard fier de son père se poser sur lui.

Mais Artémis, la Diane grecque, le tourmentait toujours. Il apprit à entrevoir au-delà de l’image de la déesse vierge qui refusait tout hommage masculin et tuait ses prétendants à coups de flèches, la divinité protectrice de l’enfance. C’est au sein de son temple protecteur que les fillettes, juste avant de se marier, allaient déposer leurs poupées et leurs jouets, en un rite de passage à l’âge adulte. Car cette fille de Zeus n’oublia jamais le calvaire de sa mère, poursuivie par la jalousie d’Héra, l’épouse du dieu olympien, qui obligea la mortelle Léto au long cou de cygne à errer d’île en île pour finir par accoucher sur un îlot désertique, Délos, des jumeaux, le solaire Apollon et la lunaire Artémis.

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Devenu directeur de l’École suisse d’archéologie, Karl Reber partage sa vie entre l’hiver suisse et l’été grec. Tous les jours, un détail de plus fait revivre sa muse: là, un bijou, ici, un flacon de parfum et le plus émouvant, ce carquois de flèches en bronze, le seul reste de ce qui fut la statue qui ornait le temple, en l’honneur de cette divinité insaisissable, à la fois protectrice des marins, des chasseurs et des enfants.

E.T.