Témoignage exceptionnel et riche d’enseignements en plein coeur du cortège de l’Acte 50 parisien

Hier, nous étions samedi. Hier, c’était manifestation sur Paris. Il s’agissait de l’acte 50. Le trajet était Bercy, Nation, Belleville puis Place du Colonel Fabien. Le départ était à 14h et la fin (dispersion) à 18h. À 12h, les gens avaient la possibilité de se retrouver sur Bercy.
Mes deux amis F et L y étaient pour 11h. À cause de douleurs au dos, je n’y suis montée que pour 14h. Je voulais à tout pris faire cette manifestation car nous devions être nombreux et puis… Nous passions à Belleville, là où se déroulent souvent les manifs antifa.
En outre, des Chiliens de Paris nous rejoignaient pour fêter le soulèvement populaire Gilets Jaunes au Chili et l’amitié franco-chilienne. Les gars savent mettre l’ambiance, je peux vous le dire : musique et chants à gogo, percussions à l’aide de cuillères, de casseroles et de poêles… C’était magnifique !
En outre, quelques membres de VIGI étaient apparemment présents, ce qui nous a fait plaisir.

Pourtant, très rapidement, l’atmosphère devient électrique. Nous sommes encadrés par les CRS. Un mélange de haine, de défiance et de méfiance à l’égard des policiers est palpable… Et légitime !
Il y a eu trop de blessés, trop de violences policières gratuites (de coups, d’insultes, de tirs…), trop de violences policières illégitimes blanchies par l’IGPN, trop d’irrespect… Les gens sont en colère car beaucoup, et j’en fais partie, avaient autrefois du respect pour le métier de policier et ont vécu ces événements comme une trahison.
En tant que fonctionnaire, c’est même une trahison entre collègues.

Le manège commence alors… Sans explication, le cortège est maintes fois arrêté par les policiers… Pourtant, les carrefours sont bien bloqués et les rues dégagées. À la longue, c’est lassant.
Un premier incident arrive : un type est happé hors du cortège de façon inopinée. Son pote s’énerve, tout le monde a peur qu’il ne soit arrêté. Un attroupement se forme. Les flics ont peur. Je m’approche. Nous essayons de calmer le jeu. Je demande à l’un des policiers : « pourquoi voulez-vous l’embarquer ?
_ non ! On ne l’arrête pas ! On va le relâcher !
_ pourquoi alors ?
_ pour contrôler son sac ».
Un sac plastique blanc… Tout con. Tout simple. Qui contenait de la nourriture. Pourquoi ? Je suppose que c’est un signe de radicalisation d’après Castaner…
On fait passer le message. L’homme parvient à calmer son pote et nous la foule. La marche reprend mais la paix tacite est brisée.
300m plus loin, de nouveaux heurts se déroulent. On essaie de calmer le jeu. Quelques antifa essaient de former un cordon entre les flics et la foule. Ça se calme et la marche reprend.
Une jeune fille a été blessée : elle a chuté lors du mouvement de foule.

On s’engage rue Picpus : un coupe gorge. Et là, trois fois le cortège est brutalement arrêté. Trois fois, le premier rang est victime des gazeuses à main. Les policiers frappent…
Enfin… Rapidement, nous constatons que ce sont toujours les mêmes mecs qui frappent. Sous le regard parfois ostensiblement désapprobateur de leurs collègues ! Y aurait-il scission ?
O, figure connue et appréciée des « Femmes Précaires Femmes en Guerre » est gazée en plein visage pour avoir tenue une banderole. M est frappée au nez par un bouclier et salement mise au sol : sa main est en vrac. Elle est choquée.
F, qui est street Medic, décontamine, avec les autres médics, à tout va.
C’est l’incompréhension… Personne ne sait pourquoi cela part ainsi en vrille. Les manifestants étaient, certes de plus en plus en colère d’être ainsi bloqués mais il n’y avait pas eu de violence.

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Même en cas de violence, il faut remarquer que c’est rarement l’individu qui cogne ou jette un truc qui prend : non, dans un esprit de courage ô combien noble et constructif, c’est souvent le mec ou la nana à portée de main, si possible petit.e, qui ramasse la contre-attaque des Forces De l’Ordre.
À méditer…

Nous nous dégageons et nous arrivons à Nation. On doit traverser et prendre la rue en face. Les policiers nous arrêtent et veulent nous diriger le long du rond point, par la droite, vers l’endroit le plus pratique pour eux s’ils souhaitent nous castagner. Nous sommes méfiants. Pourquoi veulent-ils nous faire passer là ? On veut traverser la place, nous.
Jean-Christian Valentin qui a déclaré la manif, arrive et nous confirme que c’est bien sur la droite qu’il faut passer. Nous le suivons, la marche reprend… Sur trois mètres. Un policier, et personne, même moi qui ai assisté à la scène, ne comprend ce qui lui a pris, pousse violemment un jeune street Medic et le fout au sol. Nous ramassons et tentons de calmer le jeune homme : l’acte était tellement gratuit et haineux, qu’il avait la rage et l’envie d’en découdre. C’est carrément compréhensible. À sa place, j’aurais été dans le même état… Mais nous ne voulions pas que cela justifie une garde à vue.
Et c’est le feu vert pour les manifestants : ils forcent le cordon et prennent la place de la Nation. Et oui ! Si en suivant les directives, on se fait tabasser, pourquoi les suivre ? C’est cet acte gratuit qui a mis de l’huile sur le feu qui a poussé le cortège à ne plus obéir.
Une bagarre éclate : nous sommes obligés de séparer une policière et un homme qui en sont venus aux mains. Visiblement, c’est pas super clair. J’entends des manifestants dire : « mais pourquoi ils nous chauffent, pourquoi ? Qu’est-ce qu’on leur a fait ?!
_ ouais, enfin, c’est une femme !
_ mais attends ! Tu as entendu ce qu’elle lui a dit ? Il ne s’est pas énervé pour rien ! ».
Mais nous continuons et nous entrons sur Nation : on y reste un temps. C’est bon enfant. Même les policiers nous laissent tranquilles.

On repart. Les arrêts incompréhensibles reprennent. Au troisième, un pavé part. Puis un deuxième… Qui atteint une manifestante au pied… Super… Les policiers ne réagissent pas. Il y a un nouvel arrêt. Les esprits s’échauffent. Je passe devant avec d’autres. On essaie de refaire un cordon entre les manifestants et les flics pour calmer le jeu. K est à ma gauche et M est à ma droite. Nous sommes bien au milieu.
Subitement, une charge se déclenche à gauche ! On apprendra que c’était pour coincer le lanceur. Médusés, K, M et moi regardons ce qui se passe pour comprendre. Tout est allé très vite…
Et je vois K disparaître brutalement de mon champ de vision. Un bouclier a pris sa place ! Le CRS qui tabasse tout le monde depuis le début s’en prend gratuitement à lui ! K se relève et fait face mais le CRS continue de le frapper ! Je prends un coup de bouclier dans le bras. Trois autres policiers arrivent et se jettent sur K. Je me retrouve face au CRS fou et fais face, prête à ramasser, poings levés… Que veux-tu faire dans ces cas-là ?
Le cordon recule. Le flic fou doit reculer aussi. J’echappe au passage à tabac. Vu l’état de mon dos, je ne suis pas mécontente.
Il y a un hurlement sur ma droite. M est au sol. Dans la panique, il a chuté. Il ne bouge plus. Deux CRS s’avancent vers lui. Je me jette sur lui et m’interpose… Tellement persuadée qu’ils vont le tabasser.
Ce n’était pas leur intention mais nous en somme là : je venais de voir un mec, K, se faire gratuitement passer à tabac alors pour moi, ils venaient commettre la même chose sur M. Je leur hurle de reculer, qu’il n’a pas fait exprès, qu’ils ne doivent pas le toucher ! Je crie le nom de M. Il est conscient mais sonné. Quelqu’un hurle « Medic » ! F arrive.
« Reculez madame !
_ non ! Il est blessé.
_ on va le prendre en charge !
_ non. Les médics arrivent ! Vous ne le touchez pas ! »
Et là, scission encore ! Des CRS nous crient « c’est pas nous ! C’est pas nous ! On n’a rien fait ! Il est tombé tout seul ! ». Et c’était vrai.
Mais le passage à tabac de K était bien réel…
Un des CRS le dit à F. Elle a toute les peines du monde à faire évacuer M. Le CRS se tourne vers moi me répète : « c’est pas nous !
_ Oui ! Ok ! Mais quand bien même il est blessé ».
Et je me rends compte que les policiers ont peur de nous : peur que nous nous retournions contre eux pour la violence de trop. Et nous ne sommes pas loin du point de rupture… En effet.
Nous sommes alors salement gazés.
Les médics nous décontaminent. On fait un cordon autour de M. Il est pris en charge et se relève pour reprendre la manif.

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J’apprendrai le soir même que Jean-Christian Valentin et d’autres, au même moment, et alors qu’ils se trouvaient sur la droite, on été frappés gratuitement. Et là, il y a les images. Elle parlent d’elles-mêmes…

La marche reprend. Sauf que, excédés, les manifestants refusent d’avancer au rythme voulu par les policiers. Ça suffit. Ce n’est pas à eux de nous imposer la cadence.
Un CRS me demande gentiment des nouvelles de la « dame tombée », soit M, celle qui a été plutôt été jetée au sol rue de Picpus… Dont la main et le nez sont dans un triste état. Mais l’intention est là. On voit bien que plusieurs CRS sont plutôt de notre côté et écoeurés par de telles pratiques. Je préviens M qui va le voir et parle un peu avec.
Le type est vraiment gentil, en plus.
Qu’on se le dise : de notre côté, la volonté de dialogue reste réelle.

Entre les arrêts imposés par les policiers et ceux des manifestants, le temps tourne. Nous arrivons à l’angle boulevard de Belleville – rue de Belleville à 17h55. Un quart d’heure avant, je me souviens avoir annoncé que si 18h sonnent au moment où nous sommes à Belleville, les policiers vont nous en mettre plein la tête sous prétexte de dispersion…
À 17h55, nous sommes à nouveau bloqués au niveau de Belleville. Au bout de quelques minutes, je me décide à envoyer un message à un pote qui habite dans le coin pour lui dire que nous sommes là. Je ne parviens pas à finir le message… Je vois sur mon téléphone l’heure passer de 18h à 18h01.
Soudainement, j’entends des cris ! Les gens se mettent à courir.
Des manifestants hurlent « pourquoi !? », « On a rien fait ! », « Qu’est-ce qui vous prend !? »… Les grenades lacrymogènes sont jetées en cloche. Elles explosent à hauteur de visage et de torse ! Le nouveau model est dangereux car c’est de la matière en fusion et en feu qui arrive sur nous ! Le sac et la manche d’un type manquent de prendre feu.

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Et là, ça part en eau de boudin : les affrontements commencent. Il y a des barricades, des jets de projectiles pour riposter parce que… Ça suffit.
Mais les policiers se vengent en visant tout le monde.
Certains manifestants veulent couper par rue Desnoyez. Je hurle « non ! Il y a une piscine avec des enfants ! ». Et c’est vrai ! C’est la sortie familiale du samedi pour les enfants en bas-âge, dans le quartier, cette piscine. Les antifa attrapent alors des barrières et bloquent Desnoyez pour que personne n’y entre et que les enfants ne soient pas gazés.

J’espère que ça en fera réfléchir certains, qui voient les antifa comme des sauvages !

Belleville devient une scène de guerre. Les CRS passent et tabassent tout ce qui bouge ! Surtout les pacifistes qui essaient de calmer.
Le photographe Serge D’Ignazio est replié dans un coin et est pris en charge par des médics : il a été salement gazé.
Les scènes sont d’une violence insoutenable car particulièrement injuste.
Je revois le CRS taré : le fou à la matraque. Il tabasse à tout va. Je suis coincée derrière une barrière et je hurle « arrêtez ! » Et je craque : j’en chiale de rage et de tristesse ! Nous sommes là à demander la justice, que les gens vivent de leur travail, y compris ces CRS, et nous sommes traités comme du bétail tout au long de la manif ! Nous sommes frappés, gazés, humiliés, ciblés à la grenade !
Mais quelle horreur putain ! C’est écoeurant ! Ca met en colère !
Et c’est d’une tristesse… Nos droits partent à vau-l’eau, notre démocratie avec et nous restons une poignée d’irréductibles à tenter de lutter contre ça ! Ce sont toujours les mêmes dans les rues et sur les ronds-points…
Quand les gens vont-ils nous rejoindre et lutter pour leurs droits aussi ? Où est la solidarité !
Mais les gens n’ont pas assez faim et les flics nous trahissent pour un bon nombre… alors que s’ils se retournaient…

Il y a tout de même une victoire à noter. Nous avons fini par nasser les CRS et nous nous sommes mis à chanter « on est là, on est là ! Même si Macron ne veut pas, nous on est là. Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, même si Macron ne veut pas, nous on est là ».
Certains dansaient.
La chorale, au bout de quelques minutes, a fait reculer les CRS.
Nous avons avancé vers colonel Fabien. Mais les renforts sont arrivés et nous avons été violemment chargés puis refoulés sur Belleville…

Les policiers ont les armes. Ils ont les armures…
Le pouvoir a la presse, l’argent et cette police devenue milice…
Nous n’avons que les chants et la danse.

Le 16 et le 17 novembre, cela fera un an que le mouvement existe. Une grosse manif se prepare. Des événements divers et variés aussi. Si vous ne devez faire qu’une seule manif Gilets Jaunes, ce doit être celle-là !
Rejoignez-nous ! Qu’attendez-vous ?
Au Chili, ils ont obtenu le remaniement de leur gouvernement… Mais ils continuent la lutte pour finir le travail.

 

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