« Que tous ceux et celles qui le peuvent se portent à la rescousse à partir de lundi 23 avril ! Force et courage, la ZAD doit vivre ! »
paru dans lundimatin#142,
le 20 avril 2018
[Nous signalons qu’en sus de cet appel, Le Taslu – bibliothèque officielle de la ZAD -, a lancé un appel aux troupes de l’imaginaire à se mobiliser le dimanche 22 à partir de 14H.
J’ai choisi une vie d’éleveur de brebis et de maraîcher. Avant tout, je voulais fuir le néant du salariat. Devant l’horizon saturé de la société industrielle, j’aurais pu me satisfaire d’une discrète fréquentation du vivant : un petit jardin, une petite basse-cour, deux ou trois brebis, quelques fruitiers… (…) Mais j’ai eu ce pressentiment tenace : qu’à ces petites fréquentations de la nature quelque chose manque, ou plutôt, que d’une fréquentation, on peut toujours s’absenter ; et que cela, confusément, je n’en voulais pas. Au contraire, je cherchais à être pris. »
Yannick Ogor, « Le paysan impossible »
L’argument de la défense de la propriété privée, mis en avant par le gouvernement pour justifier cette opération, ne manque pas de sel vu que l’Etat a quand même bafoué ce fameux droit de propriété en expulsant jadis les paysans propriétaires sur la zone… Mais au-delà du fait que la petite propriété individuelle ne pèse jamais bien lourd devant les exigences du capital, en l’occurrence celles d’entreprises comme Vinci, reste une question fondamentale, et qui n’a rien d’anecdotique [1]. C’est même une question qui se pose pratiquement dans d’innombrables luttes en défense de la terre et du territoire de par le monde. Celle qui, à l’encontre de tout régime d’appropriation privative ou étatique, revendique la communalité. L’expérience de la ZAD aura d’ores et déjà eu l’immense mérite de poser cette question ici même.
Ensuite, parce que la liquidation des mondes paysans menée depuis cinquante ans sous le nom de politique agricole ne peut tolérer aucune expérimentation libre. L’Etat admet à la marge l’existence d’exploitations agricoles bio. En aucun cas il ne tolère que des gens s’organisent et instaurent un rapport commun à la terre –au risque que se constitue une paysannerie d’un genre inédit. Le seul modèle autorisé est celui de la grande exploitation agro-industrielle tandis que la petite exploitation familiale ployant sous les charges et les crédits, source d’enrichissement sans fin pour diverses banques, n’en finit pas d’agoniser. Dans ce contexte, les expériences ouvertes sur la ZAD ont l’insolence de tracer les contours d’un autre possible…
Enfin, l’existence de la ZAD contredit toutes les politiques d’aménagement du territoire qui ont abouti à faire des campagnes une simple annexe de la métropole capitaliste. Le territoire de la ZAD et ses alentours avaient échappé au remembrement, plaie des années 70, 80 du fait qu’ils étaient destinés à disparaître de toutes façons sous le béton aéroportuaire. Reste donc ce magnifique bocage, si rare dans une région sinistrée plusieurs décennies durant –par le remembrement, mais aussi par les constructions suburbaines, zones pavillonnaires, hangars et hubs divers, rocades et parkings. Si ce n’était les bruits d’hélicoptères et les détonations de grenades, nous serions réveillés chaque matin par le chant de milliers d’oiseaux peuplant les haies et les bosquets de la ZAD. Partout ailleurs, dans le territoire aménagé et remembré, le silence règne…
Être pris, dans des attachements, des liens de réciprocité, des dons et contre-dons, des amitiés éprouvées par l’action, voilà que ce qu’ont réussi à créer les habitants de la ZAD. Défendre cela vaut la peine de prendre de gros risques.
La manif de samedi dernier à Nantes en a apporté la preuve : précédée d’une première manif cheminots-étudiants, qui rejoignit massivement la seconde en défense de la ZAD, elle rassembla environ dix mille personnes. Les cheminots s’engagent dans une lutte dont ils savent qu’elle sera sans retour ; les étudiant occupent plusieurs facultés, malgré des agressions fascistes et des opérations d’expulsion policière. Pour tous ces gens, la ZAD est une référence puissante. La résistance zadiste rebondira sur ces luttes qui commencent.
Quand au territoire de la ZAD, il ne sera jamais pacifié : quand bien même la soldatesque parviendrait à en expulser les habitants, aucun dispositif ne sera jamais assez étanche pour empêcher les incursions, les expéditions, les réoccupations. Que les capi mafiosi de la FNSEA ne se fassent pas d’illusions : jamais aucun de leurs affidés ne pourra s’installer là-bas pour bafouer ce qui a été créé avec tant de courage et de générosité. Bellevue ne deviendra jamais la ferme des 1000 vaches. La paix agroindustrielle ne s’imposera jamais sur ces champs.
L’opération contre la ZAD est aussi menée sous la pression de tout ce que la Loire-Atlantique compte de revanchards, tous ces potentats locaux qui n’ont pas digéré l’abandon de l’aéroport Vinci, de la Chambre d’Agriculture à LREM. La délégation qui s’est rendue en préfecture ce mercredi 18 s’est vue opposer une fin de non-recevoir catégorique. Dans ce contexte, il est probable qu’une nouvelle phase de l’opération en cours débute lundi prochain. En attendant, les habitants de la ZAD appellent tous ceux et celles qui les soutiennent à répondre à l’arbitraire préfectoral en renvoyant des centaines de formulaires, histoire de les noyer sous la paperasse… (document disponible ici)
Ces gouvernants confits dans leur arrogance de classe sous-estiment la puissance des liens qui nous attachent tous à la ZAD et qui nous porteront à la défendre quel que soit le prix à payer.
Que tous ceux et celles qui le peuvent se portent à la rescousse à partir de lundi 23 avril ! Force et courage, la ZAD doit vivre !
Alèssi Dell’Umbria, jeudi 19 avril 2018.
[1] En réalité, seule une partie des terres de la ZAD sont actuellement sans propriétaire : celles des paysans historiques, qui ont refusé l’expropriation et continué de résider sur place, ne sont pas expulsables, ou du moins ne le sont plus depuis l’abandon officiel de la DUP en janvier dernier.
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