ZAD, pour l’autodéfense et la communalité – par Alèssi Dell’Umbria

« Que tous ceux et celles qui le peuvent se portent à la rescousse à partir de lundi 23 avril ! Force et courage, la ZAD doit vivre ! »

paru dans lundimatin#142,
le 20 avril 2018

[Nous signalons qu’en sus de cet appel, Le Taslu – bibliothèque officielle de la ZAD -, a lancé un appel aux troupes de l’imaginaire à se mobiliser le dimanche 22 à partir de 14H.

J’ai choisi une vie d’éleveur de brebis et de maraîcher. Avant tout, je voulais fuir le néant du salariat. Devant l’horizon saturé de la société industrielle, j’aurais pu me satisfaire d’une discrète fréquentation du vivant : un petit jardin, une petite basse-cour, deux ou trois brebis, quelques fruitiers… (…) Mais j’ai eu ce pressentiment tenace : qu’à ces petites fréquentations de la nature quelque chose manque, ou plutôt, que d’une fréquentation, on peut toujours s’absenter ; et que cela, confusément, je n’en voulais pas. Au contraire, je cherchais à être pris. »
Yannick Ogor, « Le paysan impossible »

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Cela fait donc onze jours que les habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes sont exposés à une attaque militaire en règle. Deux mille cinq cent gendarmes mobiles, dont des maîtres-chiens, plusieurs véhicules blindés et deux hélicoptères sont engagés dans l’opération, ainsi que des drones de surveillance. A ce jour, la Gendarmerie Mobile aura tiré 8000 grenades lacrymogènes et 3000 grenades explosives, causant deux cent blessés dont une dizaine gravement atteints -il est même miraculeux qu’il n’y ait pas eu encore de morts dans nos rangs, vu le niveau de violence employée par les militaires. La quasi totalité des constructions en bois édifiées depuis l’automne 2012, concentrées à l’Est de la route départementale 81, ont été détruites. Ne restent à ce jour que les constructions en dur, que l’Etat va très certainement tenter d’expulser la semaine prochaine, ce qui concerne principalement la zone Ouest de la ZAD, notamment les Fosses Noires, la Grée, la Wardine, Bellevue, le Liminbout et St Jean du Tertre.

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L’injonction faite aux Zadistes de signer avant le 23 avril une « convention d’occupation précaire » strictement individuelle constitue la clé de voûte de l’opération : signature qui ne garantit rien vu que chaque « candidature » devrait être examinée et éventuellement validée par les services préfectoraux en fonction de la « validité économique du projet ». On ne saurait être plus insultant, alors que les habitants de la ZAD avaient publié en janvier dernier une déclaration en six points dans laquelle ils affirmaient leur volonté de poursuivre en commun l’expérience ouverte par cinq années d’occupation et de solidarités. Les « projets agricoles viables » que le gouvernement exige, ce sont des projets d’exploitation individuelle et donc compatibles avec la « politique agricole » en vigueur. Les habitants de la ZAD devraient donc se livrer pieds et poings liés aux services administratifs précisément chargés de piloter la liquidation du monde paysan ; se soumettre à leurs normes et leurs procédures ubuesques, faites pour ne laisser subsister qu’une agro-industrie. Que la préfète Nicole Klein ait été auparavant en poste dans la Somme, où elle eut à traiter le dossier de la ferme des 1000 vaches n’a rien de fortuit… La vision macronienne du monde, entre start-up et auto-entreprenariat, ne saurait admettre que perdure une quelconque forme de vie commune et autonome sur un territoire.

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L’argument de la défense de la propriété privée, mis en avant par le gouvernement pour justifier cette opération, ne manque pas de sel vu que l’Etat a quand même bafoué ce fameux droit de propriété en expulsant jadis les paysans propriétaires sur la zone… Mais au-delà du fait que la petite propriété individuelle ne pèse jamais bien lourd devant les exigences du capital, en l’occurrence celles d’entreprises comme Vinci, reste une question fondamentale, et qui n’a rien d’anecdotique [1]. C’est même une question qui se pose pratiquement dans d’innombrables luttes en défense de la terre et du territoire de par le monde. Celle qui, à l’encontre de tout régime d’appropriation privative ou étatique, revendique la communalité. L’expérience de la ZAD aura d’ores et déjà eu l’immense mérite de poser cette question ici même.

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L’Etat a certes toutes les raisons de vouloir détruire la ZAD. D’abord, parce que l’emprise étatique sur l’espace ne peut qu’être totale. La puissance de l’Etat éprouve ici son point faible : il suffit d’une faille pour compromettre toute la clôture qui comprimait les possibles. Pour que ça tienne, il ne faut aucune échappée, aucune zone d’autonomie. L’existence des gens d’armes, de cette police d’ancien régime qui aura passé les époques, est la garantie ultime de ce contrôle totalitaire.

Ensuite, parce que la liquidation des mondes paysans menée depuis cinquante ans sous le nom de politique agricole ne peut tolérer aucune expérimentation libre. L’Etat admet à la marge l’existence d’exploitations agricoles bio. En aucun cas il ne tolère que des gens s’organisent et instaurent un rapport commun à la terre –au risque que se constitue une paysannerie d’un genre inédit. Le seul modèle autorisé est celui de la grande exploitation agro-industrielle tandis que la petite exploitation familiale ployant sous les charges et les crédits, source d’enrichissement sans fin pour diverses banques, n’en finit pas d’agoniser. Dans ce contexte, les expériences ouvertes sur la ZAD ont l’insolence de tracer les contours d’un autre possible…

Enfin, l’existence de la ZAD contredit toutes les politiques d’aménagement du territoire qui ont abouti à faire des campagnes une simple annexe de la métropole capitaliste. Le territoire de la ZAD et ses alentours avaient échappé au remembrement, plaie des années 70, 80 du fait qu’ils étaient destinés à disparaître de toutes façons sous le béton aéroportuaire. Reste donc ce magnifique bocage, si rare dans une région sinistrée plusieurs décennies durant –par le remembrement, mais aussi par les constructions suburbaines, zones pavillonnaires, hangars et hubs divers, rocades et parkings. Si ce n’était les bruits d’hélicoptères et les détonations de grenades, nous serions réveillés chaque matin par le chant de milliers d’oiseaux peuplant les haies et les bosquets de la ZAD. Partout ailleurs, dans le territoire aménagé et remembré, le silence règne…

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Être pris, dans des attachements, des liens de réciprocité, des dons et contre-dons, des amitiés éprouvées par l’action, voilà que ce qu’ont réussi à créer les habitants de la ZAD. Défendre cela vaut la peine de prendre de gros risques.

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L’Etat tablait sur le fait qu’en abandonnant le projet d’aéroport il déconnecterait une partie du mouvement : il est plus facile de mobiliser en négatif, contre le projet d’une multinationale, qu’en positif, en faveur de formes de vie alternatives. Dans le premier cas, l’objectif apparaît clair et net ; dans le second, incertain et en plein devenir. Pour autant, la solidarité avec les habitants de la ZAD est là, qui ne se dément pas.

La manif de samedi dernier à Nantes en a apporté la preuve : précédée d’une première manif cheminots-étudiants, qui rejoignit massivement la seconde en défense de la ZAD, elle rassembla environ dix mille personnes. Les cheminots s’engagent dans une lutte dont ils savent qu’elle sera sans retour ; les étudiant occupent plusieurs facultés, malgré des agressions fascistes et des opérations d’expulsion policière. Pour tous ces gens, la ZAD est une référence puissante. La résistance zadiste rebondira sur ces luttes qui commencent.

Quand au territoire de la ZAD, il ne sera jamais pacifié : quand bien même la soldatesque parviendrait à en expulser les habitants, aucun dispositif ne sera jamais assez étanche pour empêcher les incursions, les expéditions, les réoccupations. Que les capi mafiosi de la FNSEA ne se fassent pas d’illusions : jamais aucun de leurs affidés ne pourra s’installer là-bas pour bafouer ce qui a été créé avec tant de courage et de générosité. Bellevue ne deviendra jamais la ferme des 1000 vaches. La paix agroindustrielle ne s’imposera jamais sur ces champs.

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Les gens se pressent aux barricades menacées, et encaissent le choc. Les renforts affluent, qui permettent aux premiers défenseurs de se reposer un peu. La boue est notre amie : pour recouvrir les visières des gendarmes et le pare-brise des blindés, pour éteindre les grenades lacrymo, pour faire déraper les engins ennemis dans les fossés… pour faire glisser et tomber comme un château de cartes des groupes de casqués engoncés dans leur carapace, tels de gros cafards lancés à travers champs… En première ligne, la fraternité est immédiate… quiconque est touché est aussitôt relevé, soigné, transporté à l’arrière si besoin… les équipes de street medics font preuve d’un dévouement et d’une efficacité admirables. En seconde ligne, qui pioche, qui scie, qui tronçonne, qui traîne des tonnes de matériel pour consolider les barricades, sur lesquelles les équipes de guet se relaient sans cesse… les bases arrières fonctionnent, les cantines tournent à plein régime, nul ne pâtit de la faim en ces jours, les tonnes de vivres et de médicaments continuant d’affluer sur zone… les lignes de communication fonctionnent tout aussi bien, à l’intérieur de la zone comme à l’extérieur… radio klaxon assure l’info en temps réel, chacun peut savoir où mettre les pieds… les barrages installés aux carrefours sont impuissants à bloquer les allers venues de milliers de gens… le bocage est notre terrain –et là nous comprenons que le remembrement était aussi bien une opération de neutralisation des territoires…

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L’opération contre la ZAD est aussi menée sous la pression de tout ce que la Loire-Atlantique compte de revanchards, tous ces potentats locaux qui n’ont pas digéré l’abandon de l’aéroport Vinci, de la Chambre d’Agriculture à LREM. La délégation qui s’est rendue en préfecture ce mercredi 18 s’est vue opposer une fin de non-recevoir catégorique. Dans ce contexte, il est probable qu’une nouvelle phase de l’opération en cours débute lundi prochain. En attendant, les habitants de la ZAD appellent tous ceux et celles qui les soutiennent à répondre à l’arbitraire préfectoral en renvoyant des centaines de formulaires, histoire de les noyer sous la paperasse… (document disponible ici)

Ces gouvernants confits dans leur arrogance de classe sous-estiment la puissance des liens qui nous attachent tous à la ZAD et qui nous porteront à la défendre quel que soit le prix à payer.

Que tous ceux et celles qui le peuvent se portent à la rescousse à partir de lundi 23 avril ! Force et courage, la ZAD doit vivre !

Alèssi Dell’Umbria, jeudi 19 avril 2018.

[1En réalité, seule une partie des terres de la ZAD sont actuellement sans propriétaire : celles des paysans historiques, qui ont refusé l’expropriation et continué de résider sur place, ne sont pas expulsables, ou du moins ne le sont plus depuis l’abandon officiel de la DUP en janvier dernier.

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