Venezuela : aux « sources » de la désinformation

Par  Maurice Lemoine
7 Octobre 2019

Quelle discrétion d’un seul coup… A croire que le Venezuela avait disparu ! Depuis le 23 janvier, un babil incessant et plutôt enthousiaste accompagnait « les aventures de Juan Guaido », le « président » élu par Donald Trump et censé renverser Nicolás Maduro en (au grand maximum) deux temps, trois mouvements. « Juan Guaido et l’aide humanitaire », « Juan Guaido et ses copains (de l’Organisation des Etats américains) », « Juan Guaido et ses super-amis du Groupe de Lima », « Juan Guaido et son gouvernement de transition », « Juan Guaido et l’appui de la communauté internationale » (une imposante cinquantaine de membres sur les malheureux 193 pays présents à l’ONU) …
On n’oubliera pas, bien sûr, « l’obstination de Maduro », « la dérive autoritaire de Maduro », « les sanctions de l’Union européenne contre Maduro », « Maduro isolé », « Maduro acculé », « la chute prochaine de Maduro »…
Et puis soudain, silence complet. Incompréhensible ? Pas vraiment, si l’on y regarde de plus près.

Car il s’est passé deux ou trois événements pas tout à fait mineurs pendant cette pause médiatique incongrue. Par exemple : la découverte des dessous du show qui, les 22 et 23 février, après un grand concert « Venezuela Aid Live » organisé par le multimillionnaire Richard Branson, devait permettre l’entrée en grandes pompes dans la République bolivarienne d’une aide dite « humanitaire » depuis la ville frontalière de Cúcuta, en Colombie.
On s’en souvient, sous le coup d’une mesure judiciaire, Guaido n’avait pas le droit de sortir du Venezuela. C’est pourtant bien en Colombie qu’on l’a retrouvé le jour dit, heureux, hilare, triomphant. Pour ce faire, Guaido est sorti de son pays clandestinement, « au risque de sa vie », le 22 février. Comme dans toute opération de ce genre, c’est-à-dire clandestine, il a dû être aidé. Non par des militaires vénézuéliens, comme il l’a prétendu. Photos irréfutables à l’appui, prises par les principaux intéressés, on sait désormais que, pour passer d’un territoire à l’autre, à travers les « trochas » (sentiers) d’une zone hautement sensible et particulièrement agitée, il a pu compter sur l’escorte d’une bande de narco-paramilitaires colombiens, Los Rastrojos. Outre le trafic de stupéfiants sur la côte pacifique et la frontière vénézuélienne, ces criminels ont comme activité la contrebande d’essence le long de cette même frontière, afin de la revendre ou de l’utiliser comme précurseur dans la production de cocaïne, l’extorsion, la violence sexuelle, l’intimidation, les assassinats sélectifs et les déplacements forcés. Pas de quoi fouetter un chat. Encore moins un ardent démocrate, comme Guaido.

Juan Guaido et Jonathan Orlando Zambrano García, alias « Patrón Pobre »

De sorte que, au sortir du passage boisé et bourbeux ayant permis au « sauveur du Venezuela » d’arriver côté colombien de la ligne de démarcation, c’est Jonathan Zambrano García, alias « Patrón Pobre » (responsable des kidnappings et de la contrebande d’essence) qui lui a servi de chauffeur et l’a mené au pont Aguaclara, à 7 kilomètres de là. Accueilli par un édile de la ville de Cúcuta, Guaido put ensuite rejoindre le lieu du concert grâce à un hélicoptère envoyé à son intention par le président colombien Iván Duque.
On passera rapidement sur les absurdes allégations d’un Guaido prétendant avoir ignoré l’identité de ses passeurs et s’être contenté de faire des « selfies » avec eux (« Je me fais prendre en photo avec beaucoup de gens ! »). De Colombie même, sont arrivés des compléments d’information expliquant comment, pendant vingt-quatre heures, Los Rastrojos avaient imposé un état de siège à la population, dans la zone par laquelle devait transiter l’important personnage, afin de lui assurer discrétion et sécurité.

Délicate situation pour les médias. Il flotte dans le sillage de leur « gendre idéal » une odeur tout à fait nauséabonde. Apparaissent au grand jour les accointances de la droite vénézuélienne avec ce qui se fait de pire en matière de criminalité. Quand au gouvernement colombien, le voilà pris la main dans le sac, utilisant ces groupes, qu’il est censé combattre, pour déstabiliser le Venezuela.
En Colombie même, El Espectador, Semana, El Tiempo, Caracol, RCN, etc., se taisent jusqu’à ce que, les fameuses photos circulant en boucle sur les réseaux sociaux et le sénateur d’opposition Gustavo Petro dénonçant les « liaisons dangereuses » entre le pouvoir colombien et les « narcos », il devienne impossible de continuer à faire silence. L’expression « photos polémiques » revient dès lors en leitmotiv, vision quelque peu réductrice qui permet de « noyer le poisson ». A l’étranger, s’allument les contre-feux. L’espagnol El Mundo titre (13 septembre) : « Le chavisme tente de salir l’image de Juan Guaido en le liant aux paramilitaires [1] ». Devant tenir compte des divisions de plus en plus profondes au sein de la droite vénézuélienne, où la stratégie suicidaire et dangereuse de Guaido se voit chaque jour un peu plus contestée, le pourtant férocement « anti-Maduro » El País, consacre à l’affaire un article mi-chèvre mi-chou (13 septembre). La presse anglo-saxonne n’en fait pas des kilos (ni même des décigrammes). D’une façon générale, on ne voit guère dans les faits que de la confusion, une foule de petits événements sans liaison et sans suite.

En France, la noble corporation des journaleux semble se rallier à la formule « nous sommes submergés d’informations, on les oublie aussi vite qu’on les lit et les entend, inutile de charger la barque avec des péripéties sans intérêt ». Seuls, et en mode très mineur, Radio France International (RFI), sur son site Internet, France 24 (mais dans sa version espagnole uniquement) [2], Le Figaro et L’Express, à travers les dépêches d’agences de presse (ce qui est toujours mieux que rien), Le Parisien et enfin Le Monde (13 septembre, exclusivement sur le Web) mentionnent l’épisode. Après un titre évoquant les liens « supposés » de Guaido avec les narcotrafiquants, le quotidien du soir précise toutefois à l’intention de quiconque aurait des doutes sur le « méchant » de l’histoire : « Juan Guaido fait déjà l’objet de plusieurs enquêtes lancées par le pouvoir chaviste qui tente de l’évincer ». Les radios et télévisions de « service public » ? Aucune réaction. Les éditorialistes, intellectuels et consultants ? Aux abonnés absents. Patrick Cohen, Nicolas Demorand, Léa Salamé, Guillaume Erner, David Pujadas, Eric Brunet, Nathalie Saint Cricq, Jean-Michel Aphatie, Yves Calvi, Elisabeth Quin, Laurent Joffrin ? Allons, allons, pas de parano. Ils ne censurent pas, ils sélectionnent… La stratégie de la prudence consiste à réciter ce qu’on attend de vous. Dans le temps, il ne fallait pas désespérer Billancourt. Aujourd’hui, il convient de ne pas chagriner le président Emmanuel Macron et l’Europe bruxelloïde qui sanctionnent Caracas et ont reconnu Guaido. Le Venezuela n’intéresse plus personne, subitement.

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Même omerta à l’occasion d’un fait hautement significatif survenu à New York, à l‘occasion du débat général de la 74e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le 26 septembre, le chef de l’Etat colombien Iván Duque doit s’y exprimer. Il arrive d’un pays en plein marasme. Fin mars, le très officiel Défenseur du peuple, Carlos Negret, a révélé que 462 dirigeants sociaux, communautaires, défenseurs des droit humains ou de l’environnement y ont été assassinés depuis 2016. Signés cette même année 2016 par le gouvernement de Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), les accords de paix battent de l’aile. L’Etat n’a pratiquement rien respecté des engagements qu’il a contractés. Cent quarante ex-guérilleros des FARC, qui avaient déposé les armes, ont été exécutés. Estimant ne plus bénéficier d’aucune sécurité, ni juridique ni physique, d’anciens « comandantes » très respectés, tels Jesús Santrich, Iván Marquez et El Paísa, ont repris le maquis [3]. Une clandestinité dans laquelle ils vont rejoindre l’Armée de libération nationale (ELN), mouvement d’opposition armée toujours en activité et avec lequel Duque a rompu les négociations. Figure de proue, avec le président d’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro, du Groupe de Lima, coalition informelle de onze pays engagés, sous la houlette de Washington, dans la déstabilisation du Venezuela, Duque accuse Caracas, sur tous les tons, de protéger ces « groupes terroristes » et de les héberger sur son territoire.

Telle est l’essence du discours qu’il vient prononcer devant l’Assemblée générale de l’ONU – ses problèmes internes n’étant pas censés les intéresser. Au secrétaire général António Guterres, il remet un dossier de 128 pages, accompagné de photos qu’il a brandi lors de son allocution, « prouvant la présence au Venezuela de groupes terroristes et narco-criminels opérant contre la Colombie ». Vingt-quatre heures plus tard, arrive un cinglant démenti. Et non de Caracas, mais de son propre pays. Censé représenter des guérilleros de l’ELN qui endoctrinent des enfants, en 2018 dans l’Etat vénézuélien du Táchira, l’un des clichés a en réalité été pris en 2013 dans le département colombien du Cauca. A l’origine de cette révélation, le quotidien de droite El Colombiano, précise que cette photo lui a été communiquée en 2015, pour illustrer un reportage, par le Renseignement militaire colombien. On apprendra ultérieurement que le dit Renseignement militaire l’a lui-même reçu de Fundaredes, l’une de ces multiples ONGs vénézuéliennes « bidon » qui instrumentalisent la « défense des droits de l’Homme » dans le but de formater l’opinion.
Les démentis volant en escadrille, selon la formule consacrée, c’est bientôt l’Agence France Presse (AFP) qui proteste : trois autres clichés remis à l’ONU par Duque lui appartiennent et ont été également pris en Colombie.

Fin (relative) d’une manipulation qui n’a rien d’anodine. Dans le cadre de l’Organisation des Etats américains (OEA), Washington et ses supplétifs du Groupe de Lima viennent de réactiver, les yeux fixés sur Caracas, le Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR). Celui-ci permet une intervention militaire commune pour défendre un Etat membre victime d’une agression. La menace que font peser sur la Colombie des « groupes terroristes » basés au Venezuela et assistés par lui ne constitue-t-elle pas un cas de figure parfait pour déclencher une intervention ? Il ne suffirait pour ce faire que d’une bonne provocation…
Qui a oublié le 5 février 2003 ? Dans un discours demeuré célèbre et en brandissant une fiole de « poudre de perlimpinpin », le secrétaire d’Etat étatsunien Colin Powell, lança ce jour-là au monde : « Il ne peut faire aucun doute que Saddam Hussein a des armes biologiques » et « qu’il a la capacité d’en produire rapidement d’autres » en nombre suffisant pour « tuer des centaines de milliers de personnes. »
Destinée à tromper l’ensemble des chefs d’Etat, la prestation de Duque s’inscrit dans la même logique. A ce titre, elle constitue un scandale de tout premier ordre, méritant une bruyante dénonciation. Seulement, s’agissant d’une manœuvre également destinée à mettre le Venezuela en difficulté, c’est une chose qu’on hésite à livrer aux lecteurs, aux auditeurs ou aux téléspectateurs. Dans le cadre de sa lapidation médiatique, le troupeau mercenaire de la presse internationale se tait.

Dans un article « Au Venezuela, Juan Guaido peine à maintenir l’unité de l’opposition », la journaliste Marie Delcas se voit obligée pour la première fois, dans l’édition « papier » du Monde datée « 1er octobre », de mentionner enfin en quelques lignes l’affaire des photos de Guaido et des Rastrojos. Difficile de faire autrement. Et mieux vaut tard que jamais. Il s’agit toutefois d’un programme minimum : « Guaido dit être victime d’une campagne de la part du pouvoir pour le discréditer. Celle-ci est réelle – comme les photos. »
Autant ne pas laisser le doute s’installer trop longtemps. Delcas revient en page 2 le samedi 5 octobre. Et là, c’est du lourd, comme on dit. « “Massacre au goutte à goutte” au Venezuela ». Le sous-titre fait froid dans le dos : « La force publique a tué environ 18 000 personnes depuis 2016, des exécutions extrajudiciaires pour la plupart. » Curieusement, sur le site Internet du quotidien « de référence », ce sous-titre devient : « Près de 18 000 personnes ont ainsi été tuées depuis 2016 selon l’ONU, qui parle d’un modèle de conduite systématique » [dans cette phrase et les passages suivants, le gras est rajouté par nous]. C’est cette version que reprennent, sans détail superflu, le journal de 13 heures de France Inter (4 octobre) et « la matinale » de France Culture (5 octobre), dans le cadre de leur politique « copier-coller-et-baver-dans-le-micro ». La machine s’emballe à la vitesse d’une fusée. Grâce à L’Opinion, L’Express, Ouest France et autres machines à décerveler, la France entière entend parler du chiffre apocalyptique des « exécutions sommaires » dénoncées « par l’ONU » au Venezuela.

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Il arrive qu’on lise un article, et pas uniquement son titre (qu’on nous pardonne cette incongruité). A aucun moment dans celui du Monde il n’est fait mention d’un document ou d’une déclaration sourcée émanant de l’ONU. Il s’agirait de statistiques « tirées des registres officiels », concernant les victimes de la force publique apparaissant sous la rubrique « résistance à l’autorité ». Le tour de passe-passe à lieu dans cette phrase : « Les organisations des droits de l’Homme, ONU comprise, ont pu établir qu’il s’agit dans l’immense majorité des cas d’exécutions extrajudiciaires. » On découvre un peu plus loin que « mis en place par l’association Mi convive (« mon pote ») et le média numérique Runrun.es, le « Monitor de victimas » fait le décompte des assassinats à Caracas ». Nulle mention ne précise qu’il s’agit de deux organisations d’opposition et que le directeur de Runrun.es (littéralement « Rumeurs »), le journaliste Nelson Bocaranda, un anti-chaviste historique, a un passé qui mériterait d’être évoqué, ne serait-ce que succinctement. Après avoir collaboré avec l’ambassade britannique à Caracas, pour inciter l’opinion publique à prendre parti pour Londres plutôt que Buenos Aires, pendant la guerre des Malouines, au début des années 1980, il a surtout, et d’après Wikileaks, fourni des informations vitales, concernant la sécurité nationale de la République bolivarienne, à l’ambassade des Etats-Unis en 2009 [4]. Mais, passons…

Si l’on en croit les déclarations de Mi convive et de Runrun.es rapportées par Delcas dans Le Monde, « 278 personnes ont été “assassinées” à Caracas durant les 8 premiers mois de cette année par la Force publique (dont 202 exécutions extrajudiciaires) ». Si l’on prend ces chiffres sans les contester, et en tenant compte du fait qu’ils ne concernent que la capitale, cela fait environ 900 « exécutions » par an et donc, depuis 2016, de l’ordre de 2 700 homicides meurtriers. Quelque peu avare de détails, Delcas ne donne aucune précision sur les… 15 000 autres.
Dans un rapport du 29 mai 2019 « que nous nous sommes procurés » (formule prétentieuse régulièrement utilisée par Le Monde pour se la jouer « journalisme d’investigation »), les mêmes – Monitor de victimas et Runrun.es – annonçaient pour 2018 la mort de 256 personnes, à Caracas, du fait de l’action des Forces d’action spéciale (FAES) et de la Police nationale bolivarienne (PNB) et 601 dans tout le pays (dont 373 « assassinats ») [5]. Pour la période 2015-mi 2017, Runrun.es dénonçait 560 victimes [6]. Une fois encore, et sans cynisme aucun, pour arriver à 18 000 en trois ans, le compte n’y est vraiment pas.

Mais que dit l’ONU, puisqu’elle se trouve au cœur de la dénonciation ? Même sans l’aide de la « cellule d’investigation » de Radio France, examiner ses rapports est un modeste effort qui (théoriquement), pour un professionnel de l’information, ne coûte rien.
Depuis son arrivée à la tête de la Commission des Nations unies pour les droits de l’homme (CoDH), l’ex-présidente chilienne Michelle Bachelet, soumise à une forte pression des Etats-Unis, de l’Union européenne et des pays latino-américains du Groupe de Lima, a les yeux rivés sur le Venezuela. Et pas pour lui faire des sourires. C’est ainsi que, le 20 mars 2019, lors de la 40e période de sessions du CoDH, elle a présenté en personne un pré-rapport et dénoncé la mort « d’au moins 205 personnes » attribuables aux FAES en 2018 (et 37 en janvier 2019) [7]. Après une visite de Bachelet au Venezuela, du 19 au 21 juin, le rapport final arrive le 5 juillet, particulièrement inquiétant : 5 287 morts imputables aux Forces de sécurité en 2018, supposément pour « résistance à l’autorité » (5 000 de plus que trois mois auparavant !). Il n’en demeure pas moins que la lecture du rapport laisse songeur : « L’information analysée par le CDH indique que beaucoup de ces morts violentes pourraient constituer des exécutions extrajudiciaires [8]. » Beaucoup, mais combien ? Pourraient ou sont avec certitude ? Ce qui frappe, en l’occurrence, est bien moins le nec plus ultra de la rigueur que le flou des estimations.

Caracas a vigoureusement dénoncé ce rapport et a présenté à la CoDH « soixante-dix objections ». Sans prétendre pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur des Venezuelas. Selon le gouvernement, le parquet général suit « 292 affaires survenues entre 2017 et 2019, dans lesquels 388 agents de FAES ont été impliqués pour homicide, traitement cruel et violation de domicile  ».

On ne peut ignorer deux aspects du contexte vénézuélien, généralement occultés. Une insécurité hors norme, et qui n’a rien de nouvelle, aggravée par l’implantation de groupes criminels et/ou paramilitaires, parfois à connotation politico-maffieuse, très déterminés et lourdement armés [9]. Sans nullement nier les bavures, qui existent, il convient de noter que, dans un tel registre, les affrontements ont la caractéristique d’une guerre.
A ce facteur s’ajoute le rôle de nombre d’ONG dites « des droits de l’homme » – Provea, Foro Penal, Observatoire vénézuélien de la violence (OVV) – financées de l’extérieur, par des acteurs intéressés et cul et chemise avec l’opposition. Récemment encore, le directeur général du Service national pour le désarmement, Pablo Fernández, critiquait vertement l’OVV : « Ces messieurs créent un show médiatique, préparent des articles (…) et les envoient dans le monde, comme tous les ans, présentant un scénario apocalyptique du Venezuela ; s’y ajoute qu’ils ont été d’actifs collaborateurs de l’opposition durant toutes ces années, conseillant ses ex-candidats de la MUD [Table d’unité démocratique]. Ils ont un positionnement politique clair. Ce n’est pas par ingénuité si la méthodologie qu’ils appliquent disqualifie les données officielles [10] »

Arrivés à ce stade, et puisque l’ONU n’y est pour rien, le lecteur se demande sans doute quel est finalement l’auteur intellectuel des fameuses « 18 000 exécutions extrajudiciaires » imputables depuis 2016 aux forces de sécurité, que rien, au bout du compte, ne vient étayer. La réponse est donnée, sans réellement l’être, dans Le Monde, par Marie Delcas. « Selon Tamara Taraciuk, de l’ONG Human Right Watch (HRW), auteure d’un récent rapport sur le sujet : “Il y a un modèle de conduite systématique de la force publique”. » Un récent rapport…
Multinationale des droits humains, HRW, depuis de longues années, fait partie du dispositif qui tend à faire du Venezuela un « Etat paria ». On y rêve, comme à Amnesty international, d’expédier Maduro devant la Cour pénale internationale (CPI). Côté financement, on a les moyens. HRW a bénéficié d’un don de 100 millions de dollars sur dix ans offert par le banquier spéculateur George Soros et son Open Society Foundations. Une organisation dont le mécénat, partout dans le monde, arrose une nébuleuse d’ONGs fonctionnelles à la vision et à la politique des Etats-Unis.

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C’est effectivement dans ce rapport de HRW – « Venezuela : Exécutions extrajudiciaires dans des quartiers démunis » (18 septembre 2019) – qu’apparaît, simplement extrapolée à partir de données officielles, la fameuse accusation : « Depuis 2016, la police et les forces de sécurité ont tué près de 18 000 personnes au Venezuela dans des cas qualifiés par les autorités de supposéerésistance à l’autorité ». Comment arriver à un chiffre aussi monstrueux ? « En juin et juillet 2019, Human Rights Watch a interrogé des membres des familles de neuf victimes [n’est-ce pas un peu trop ?] de violations commises par la FAES à Caracas et dans un Etat vénézuélien, ainsi que des témoins, des avocats, des activistes et des journalistes couvrant les meurtres présumés perpétrés par l’unité. »
Détail qui tue, puisque malheureusement le sujet s’y prête : « Personne n’a encore compilé des informations détaillées permettant de savoir si ces éliminations commises par les forces de sécurité ont été des exécutions extrajudiciaires, mais le CoDH a conclu que “les informations analysées par le CoDH suggèrent qu’un grand nombre de ces homicides peuvent constituer des exécutions extrajudiciaires” [11]  ».
En résumé : la Commission des droits de l’homme de l’ONU (et la Commission interaméricaine des droits de l’homme) s’appuient sur les rapports des ONGs, lesquelles, ensuite, prennent comme référence la CoDH (ou la CIDH), les unes et les autres étant par ailleurs abonnées au conditionnel, même lorsque, avec beaucoup d’aplomb, elles prononcent de très graves accusations.

Entre parenthèses, les « 18 000 exécutions extrajudiciaires » de HRW ridiculisent la malheureuse Amnesty International, renvoyée en deuxième division des redresseurs de torts planétaires. Dans son dernier rapport (14 mai 2019) – « Faim de justice. Crimes contre l’humanité au Venezuela » –, la vénérable « vieille dame », jouant « petit bras », ne comptabilisait que « 8 000 exécutions extrajudiciaires » entre 2015 et 2017 – en gros, et après péréquation, 6 000 de moins que sa rivale et amie HRW ! Une différence due sans doute au fait que, d’après Amnesty, seule ment huit des cas évoqués ont fait l’objet d’un examen approfondi de sa part quand, on l’a vu, HRW a interrogé les proches de neuf victimes – une enquête beaucoup plus exhaustive, incontestablement. Il faudra toutefois, et un jour, éclaircir ce mystère. Le nombre des victimes serait-il estimé « à la louche » au risque de raconter n’importe quoi ?
Au sujet de Michelle Bachelet, force est de constater que le niveau baisse également. Le 9 septembre dernier, lors d’un discours tenu devant la 42e session du CoDH de l’ONU, à Genève, elle a relevé : « Mon bureau a continué à documenter les cas de possibles exécutions extrajudiciaires commises par des membres des FAES. Pour le seul mois de juillet, l’organisation non gouvernementale Monitor de Victimas a identifié 57 nouveaux cas de présumées exécutions commises par des membres des FAES à Caracas. » Spectaculairement moins que les 5 287 en un an dénoncés le 5 juillet – soit 440 par mois (même si c’est pour tout le pays). A moins, bien sûr, que Caracas n’ait fait de gros progrès…
Avec de telles variantes, les chiffres et ceux qui les manipulent, ont-ils encore un quelconque semblant de crédibilité ?

Chaque jour un peu plus, le Venezuela, agressé, asphyxié, se retrouve au banc des accusés. Cette dernière campagne et la mise en avant totalement inappropriée de l’ONU ont fait mouche. Dix-huit mille exécutions extrajudiciaires en trois ans frappent l’opinion. Mais on nous permettra de considérer qu’il y a quelque chose de pourri au royaume des médias. Plutôt que de prétentieuses « cellules d’investigation » – comme celle dont s’enorgueillit Radio France –, que ne mettent-ils en place des « cellules de journalistes de base », chargés tout simplement de vérifier les informations. Quant aux chasseurs de « Fake News », Décodex et autres niaiseries, qu’ils commencent par chercher les poutres dans leur rédaction plutôt que de s’intéresser aux pailles des journalistes indépendants, sur les médias alternatifs ou les réseaux sociaux.

Illustration : Juan Guaido / Wikipedia CC.

http://www.medelu.org/Venezuela-aux-sources-de-la-desinformation