Mar 1, 2022
Le taux de chômage des 15-29 ans en Grèce est un des plus élevés de l’Union Européenne. En 2020 selon Eurostat, il s’élevait à plus de 29 % contre une moyenne de 12,5 % pour l’UE à 27. Ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la complexité du quotidien de beaucoup de jeunes, lessivés par le chaos social et rongés par l’incertitude. Rencontre avec celle qu’on a surnommé « la génération exode » ou « à 400 euros ».
Photo d’en-tête: « Pain, éducation, liberté », 17 novembre 2021 à Athènes, 48e marche en hommage au soulèvement étudiant de Polytechnique contre la dictature des Colonels en 1973. Photo : Nicolas Richen
Si j’ai pu m’offrir les billets de ferry pour quelques jours sur les îles grecques l’été dernier, c’est uniquement grâce à ces 150 euros », raconte Ilirida, une étudiante en sciences politiques dans la capitale grecque. La jeune femme, qui se dit « brisée et communiste de cœur », fait référence à la carte-cadeau pour les jeunes vaccinés contre le Covid-19, « une incitation du gouvernement grec qui puait le paternalisme. En plus, 150 euros pour des vacances c’est une plaisanterie. Ça ne couvre même pas les besoins de base, à moins de faire du camping sauvage ! » s’indigne celle qui a vécu l’exil, après l’effondrement du système bancaire en Albanie à la fin des années 90.
Austérité-instabilité-anxiété
En 2016, quelques mois après l’élection de Syriza, j’avais rencontré des jeunes résolus à se battre pour une autre société, mais souvent déboussolés par un climat socio-économique profondément violent et par les promesses déçues d’un changement institutionnel. « Nous vivons une période où la déception, l’incertitude et l’instabilité dominent. La violence de l’austérité n’est pas toujours visible, mais elle est réelle et quotidienne. L’austérité me rend plus anxieuse qu’avant. Parfois, j’ai des pensées négatives et je suis désespérée. Parfois, je crois en Dieu. Parfois, je ne crois plus en lui. Avec tous nos problèmes, c’est dur de garder la foi »1, m’expliquait Foteini Papadopoulo, diplômée en histoire et en archéologie. 5 ans plus tard, la jeune trentenaire cherche toujours un travail dans son domaine, contrainte à accepter des boulots alimentaires à Thessalonique. Vicky Tzoumpa a pour sa part quitté Athènes à l’âge de 20 ans pour s’installer à Marseille. Elle dresse également un portrait de sa génération sans ambages : « Elle est insatisfaite, malheureuse, déprimée, dans l’incertitude, déçue et frustrée. Les jeunes ont été forcé.e.s à faire des choix dans leur vie qu’ils ne souhaitaient pas dans l’espoir de sortir de la misère. » Elle ajoute : « Ils sont obligé.e.s de dépendre de leurs parents, de vivre avec eux, ou de faire des boulots où ils sont exploité.e.s et mal payé.e.s. »
Le cas de Yorgos, qui souhaite garder l’anonymat, témoigne de cette brutalité des conditions de travail qui touche de nombreux jeunes. A 27 ans, il vit chez ses parents à Athènes et aide parfois son père pour la récolte du miel dans la région de Ftiotida (Grèce-Centrale). L’été dernier, Yorgos a travaillé dans l’industrie touristique sur l’île de Rhodes où il était maître nageur. Un travail 7 jours sur 7, de 10h à 18h, payé 650 euros mensuels et 200 euros au noir. « J’étais nourri et logé dans la chambre de bonne d’un hôtel. Souvent, ils mettent jusqu’à 4-5 personnes dans ces chambres minuscules ». Les propos « racistes, misogynes ou anti-queer » des patrons ou des touristes « venus profiter de leur tout-inclus » font partie du quotidien de ces travailleurs. En cuisine, « les chefs peuvent abuser de leur pouvoir pour obtenir des avantages sexuels de certaines travailleuses ».
« Un cauchemar pour certains travailleurs »
Malgré les cas de Covid-19 et les sous-effectifs, la machine touristique doit tourner à plein régime. Les apprentis « sont payés que dalle, soit 532 euros par mois » et les travailleurs immigrés sont les exploités des exploités : « Dans l’hôtel, certains ont voulu revendiquer leurs droits et ils ont été virés. » Quand la Grèce fait figure de paradis pour les touristes, en coulisses, « c’était un cauchemar pour certains travailleurs. Pour mes collègues qui avaient entre 19 et 30 ans, c’était parfois une de leurs premières expériences hors de chez eux et ça leur a foutu un peu la trouille. Certains en riant, d’autres en pleurant, disaient « Je veux partir, j’en peux plus, plus jamais je fais ça »».
Depuis qu’elle vit à Marseille, Vicky a constaté la différence entre son niveau de vie et celui qu’elle avait à Athènes. « J’étais étonnée par le moindre droit que j’avais dans mon contrat de travail français et j’étais presque reconnaissante envers mes patrons de m’avoir embauché en tant qu’étrangère. » Mais à son arrivée en France, elle a « beaucoup galéré pour trouver un job. Sans mes économies, je n’aurai pas pu m’en sortir. En France aussi, des personnes souffrent d’ insécurité et d’exclusion ». La jeune femme se sent « triste et très coupable d’avoir quitté le pays, comme si j’avais trahi mes proches en partant pour « me sauver » et en les laissant dans la précarité ». Des émotions d’autant plus fortes quand elle rentre à Athènes, où « les gens portent une misère sur leurs épaules. Cela me casse le moral et me rend triste. Je pense souvent revenir en Grèce, mais ça me fait aussi très peur et ne me donne pas du tout envie ».
Nicolas Richen, correspondant à Athènes
- En collaboration avec Antonia Gouma, Les bourgeons d’espoir d’un terrible hiver grec. Portraits d’une jeunesse grecque & luttes du quotidien, 2018.
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