« Une démocratie à bout de souffle » – Un rapport commun des organisations indépendantes révèle des violations croissantes de l’État de droit en Grèce

Un État qui ne respecte pas ses propres lois, des institutions qui agissent en toute impunité, une justice qui enterre des affaires sensibles ou les traite à la légère, des journalistes, des responsables politiques et des citoyens mis sous surveillance, des poursuites-bâillons (SLAPP), des atteintes généralisées aux droits fondamentaux, des citoyens et des groupes vulnérables ciblés et criminalisés, des violences policières, des autorités indépendantes sous influence politique et en perte de crédibilité, une dépendance toxique entre l’État, les médias et les grandes entreprises. Voilà le sombre tableau dressé, une année de plus, sur l’État de droit et la démocratie en Grèce.

Par Nektaria Psaraki
Feb 6, 2025

Un rapport alarmant

Ce rapport est le fruit du travail d’une coalition d’organisations indépendantes qui, pour la troisième année consécutive, a soumis ses conclusions à la Commission européenne dans le cadre de son examen annuel du système juridique national. Publié le 4 février, il a été présenté lors d’une conférence de presse organisée au Barreau d’Athènes sous le titre “Une démocratie à bout de souffle : l’État de droit en Grèce aujourd’hui”.

Un gouvernement qui légifère, mais qui n’applique pas ses propres lois

Nikos Loukopoulos, directeur de l’ONG de surveillance démocratique Vouliwatch, a mis en lumière plusieurs problèmes majeurs :

  • Réglementation du lobbying : Bien que la loi 4829/21 a été adoptée pour encadrer le lobbying, le registre de transparence mis en place reste inefficace. D’après les recherches de Vouliwatch, les interactions entre les élus et les groupes d’intérêts restent opaques.
  • Politique sur les cadeaux : Le Code de déontologie du Parlement prévoit, depuis 2016, l’établissement d’un registre nominatif et détaillé des cadeaux reçus par nos députés. Après des pressions de Vouliwatch, une liste a bien été publiée, mais elle était anonyme, non signée, non tamponnée et difficilement accessible. Seuls 25 cadeaux ont été recensés pour quelques députés, alors que la présidente du Parlement en a déclaré 85 à elle seule.
  • Déclarations de patrimoine : Les déclarations de patrimoine sont systématiquement retardées. Résultat : en 2025, les dernières déclarations disponibles remontent à 2021.
  • Protection des lanceurs d’alerte : Une loi adoptée en 2022 devait aligner la Grèce sur la directive européenne, mais l’Organisation de coopération et de développement économiques (OOSA) révèle que 71 % des employés ignorent son existence. De plus, le retrait de la protection des lanceurs d’alerte dans l’affaire Novartis décourage toute nouvelle dénonciation.
  • Droit d’accès à l’information publique : Les autorités refusent systématiquement de communiquer des documents officiels et ignorent les demandes d’accès à l’information. Même lorsque ces cas sont portés devant la justice, ils restent souvent sans suite.
  • Processus législatif : En 2024, 42 % des projets de loi ont été mis en consultation publique pendant moins de 14 jours, bafouant les règles de transparence. Sur 48 projets de loi, 46 ont été amendés à la dernière minute avec des ajouts souvent sans rapport avec le texte initial.

« Le problème n’est pas un manque de lois, mais leur non-application systématique. Lorsque l’État dégrade les institutions et fonctionne avec autoritarisme, il renforce encore plus le mépris du système politique aux yeux des citoyens. »Nikos Loukopoulos

Des affaires sensibles systématiquement enterrées

Minos Mouzourakis, avocat de l’association Refugee Support Aegean (RSA), a mis en évidence un schéma récurrent dans plusieurs affaires marquantes :

  • Scandale des écoutes téléphoniques : L’enquête du procureur de la Cour suprême a été clôturée sans identifier un seul suspect au sein de l’État.
  • Refoulements illégaux de migrants : Plus de 200 plaintes déposées. Pas une seule poursuite judiciaire engagée.
  • Naufrage de Pylos : Aucun membre de la Garde côtière n’a été inquiété malgré des preuves accablantes.
  • Catastrophe ferroviaire de Tempe : Des preuves cruciales ont disparu (vidéos de surveillance, données des boîtes noires, documents essentiels).

« Dès qu’un organe d’État est impliqué, la justice ne fonctionne plus.”Minos Mouzourakis

Nier, attaquer, et enterrer les procédures

Alexandros Konstantinou, avocat du Conseil grec pour les réfugiés, a décrit une méthode en trois étapes utilisée par les autorités face aux violations des droits humains :

  1. Nier l’existence du problème.
  2. S’attaquer à ceux qui le dénoncent.
  3. Lancer des procédures judiciaires sans aboutissement.

Ce schéma a été illustré par la condamnation de la Grèce en janvier 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme pour refoulements illégaux. Malgré ce jugement, la justice grecque refuse d’ouvrir des enquêtes similaires.

Criminalisation des ONG et des migrants

L’organisation HIAS Greece a dénoncé une tendance inquiétante :

  • Des migrants poursuivis pour avoir conduit leur propre embarcation.
  • Des ONG accusées de “trafic d’êtres humains” simplement pour avoir signalé l’arrivée de réfugiés.
  • Un avocat poursuivi pour avoir aidé un migrant à déposer une demande d’asile.

« Les autorités annoncent des arrestations en grande pompe, mais elles ne communiquent jamais les résultats ; car la plupart des dossiers s’effondrent.”Elli Kriona-Saranti (HIAS)

Surveillance de masse : une normalisation inquiétante

Le journaliste Thodoris Chondrogiannos (Reporters United) a dénoncé la légalisation progressive de l’espionnage d’État :

  • L’affaire des écoutes téléphoniques classée sans suite.
  • Le logiciel espion Predator toujours utilisé sans contrôle.
  • L’autorité de régulation (ADAE) attaquée par le gouvernement.

Collusion entre médias, grandes entreprises et État

Danae Maragoudaki (Solomon) a révélé l’imbrication toxique entre les médias, les affaires et la politique :

  • Les magnats des médias possèdent aussi des clubs de football et des compagnies maritimes.
  • Les subventions publicitaires du gouvernement servent à récompenser les médias “dociles”.

« Sans véritable contrôle des médias, nous faisons face à une crise majeure de transparence. »Danae Maragoudaki

Violences policières : l’impunité règne

L’Union hellénique des droits humains a dénoncé l’absence de sanctions contre les violences policières :

  • Condamnation de la Grèce par la CEDH pour violences contre des citoyens rom.
  • Attaque au flash-ball contre un photojournaliste lors d’une manifestation.
  • Condamnation rare de trois policiers pour avoir battu violemment un manifestant qui a succombé à ses blessures un mois plus tard.

« La violence policière ne menace pas seulement les citoyens, elle menace la démocratie elle-même. »Katerina Pournara

Conclusion : “La justice n’est perdue que si l’on cesse de se battre”

L’ancien vice-président du Barreau d’Athènes, Alexandros Mantzoutsos, a conclu avec un appel à la mobilisation :

« Le système judiciaire grec est en crise, mais la justice n’est perdue que si nous cessons de nous battre pour elle. »

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