Un pognon de dingue ! Par Thierry Rouquet, membre de L’ardeur, association d’éducation populaire politique.
Si l’on s’en tient aux propos du locataire de l’Élysée, des personnes refusant de faire l’effort de traverser la rue pour pouvoir s’offrir un costume coûteraient un pognon de dingue à la société ! Insupportable ? Les propos, sans aucun doute ! Mais dans la réalité ? Que dire de ce « hold-up lent » auquel se livrent des « cardinaux en costumes » depuis quarante ans qu’ils siphonnent à leur profit une partie des budgets alloués à la santé ? Retour sur une histoire qui, de la privatisation du service public de santé à la main mise de l’État sur la Sécurité Sociale, nous coûte vraiment un « pognon de dingue » !
Ce 12 mars 2020, alors qu’une épidémie de coronavirus mettait à genoux les personnels de l’hôpital public, un président, à l’accent martial, déclarait : « ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans conditions de revenus, de parcours ou de profession, notre « État providence », ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe ». Alors, puisque notre époque est au « debunkage » ou autre « fact checking », endossons, nous aussi, ce costume de « redresseur de vérités » : si monsieur Macron pense sincèrement que la santé est gratuite, c’est qu’il est incompétent, et mal conseillé. Dans le cas contraire, il nous ment, effrontément. Depuis le début des années soixante et la création de la fonction publique hospitalière, les soignants sont reconnus comme producteurs de soins, financés par la socialisation d’une part des salaires (les cotisations sociales) initiée par le régime général de Sécurité Sociale de 1946. Notre santé est tout sauf gratuite ! Nous la finançons et l’avons gérée, à ses débuts, ainsi que le reconnaissait Pierre Laroque, qui en fut son premier directeur, lors de l’annonce des premières élections, le 24 avril 1947, aux conseils d’administrations des caisses de sécurité sociales : «Ces caisses ont pour rôle de garantir des moyens d’existence à tous les travailleurs qui se trouvent privés de ressources par suite de maladie, de maternité d’invalidité ou de vieillesse. Ce sont des instruments de solidarité, comme tels, elles doivent être gérées par les intéressés eux-mêmes, ou par leurs représentants élus, qui pourront mieux que quiconque orienter l’emploi des fonds et le fonctionnement même des services dans le sens des désirs des travailleurs ». Ce que nous voyons se dérouler sous nos yeux, dynamisée par l’épidémie covid, est la fin programmée de notre système de soins et de sa protection sociale, pour le plus grand profit du capital.
1 – Petit historique rapide
A- L’étatisation de la sécurité sociale
Dès sa création le régime général de Sécurité Sociale suscita la haine des tenants de l’orthodoxie capitaliste. Nul engagement massif et de long terme ne pouvait être envisagé s’il ne passait sous les fourches caudines des dogmes absolus du capitalisme : épargne ou emprunt. La mise en place d’une assiette nationale et d’un système de « flux » faisait la démonstration, grandeur nature, du contraire. Un budget en 1946 équivalent à la moitié de celui de l’État sans épargne ni emprunt ; un pognon de dingue échappant à l’appétit du capital. Dès lors ses adversaires n’ont eu de cesse que d’attaquer l’institution :
- 1960 : création de l’URSSAF, reprise en main par l’État du prélèvement des cotisations, et de l’École Nationale de la Sécurité Sociale à Saint-Étienne qui formera les directeurs de caisses. Sorte d’ENA de la Sécurité Sociale elle formatera les futurs directeurs à l’orthodoxie économique.
- 1967 : création des branches « maladie » et « vieillesse » en complément de la branche « famille », chacune devant être à l’équilibre budgétaire, et mise en place du paritarisme. Conséquences, fin des élections et reprise en main de la gestion des caisses par le patronat.
- 1996 : avec la mise en place de la réforme Juppé , l’État prend en main la Sécurité Sociale, ce que son fondateur, Ambroise Croizat, avait refusé obstinément. C’est dorénavant le gouvernement qui établit le Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale (PLFSS), le présente et le fait voter par l’Assemblée Nationale.
Bien évidemment, le remboursement des médicaments est devenu aujourd’hui un poste essentiel. Pour l’année 2020, le montant pris en charge par l’assurance maladie s’élève à 27,7 milliards d’euros (Lien). Dans l’opacité la plus totale se débattent des enjeux politique et financiers tout à fait considérables. Car, la fixation du prix des médicaments et de leur taux de remboursement est une autre manière dont les pouvoirs publics « soutiennent » le secteur pharmaceutique. En France, l’instance chargée de négocier ces prix avec les laboratoires, n’est pas la Sécurité Sociale, mais un comité interministériel, placé sous l’autorité conjointe du ministère de la Santé et du ministère de l’Économie, le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS), qui a pour mandat explicite non seulement d’assurer les besoins de santé publique et de minimiser les coûts pour la Sécurité Sociale, mais aussi de préserver la « compétitivité » des industriels. Et c’est bien ce dernier engagement qui pose problème puisqu’afin de maintenir le prix élevé, voire exorbitant, d’un médicament, les laboratoires n’hésitent pas à user de l’argument de l’investissement et de l’emploi. Ce que la Cour des Comptes dans son rapport de 2017 soulignait en indiquant qu’ : « il apparaît dommageable que l’assurance maladie, dont le déficit reste considérable, soit ainsi mise à contribution pour financer une “politique industrielle” pour laquelle existent d’autres outils plus pertinents, comme le crédit d’impôt recherche. De fait, le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments expose les pouvoirs publics à des pressions difficiles à écarter ». (Lien). Par ailleurs, le remboursement des dépenses de santé par l’assurance maladie, en solvabilisant les patients, participe au financement public des laboratoires pharmaceutiques. La couverture quasi totale du prix des médicaments par la sécurité sociale a pour effet de cacher aux consommateurs finaux le véritable prix de leurs traitements, ce qui diminue les risques de contestation de leurs politiques tarifaires. On estime qu’en 2017, la sécurité sociale française a remboursé plus de 25 milliards d’euros de médicaments, dont une proportion plus importante pour les nouvelles molécules dites « innovantes » mises au point par les labos et dont il est difficile de dire si leur efficacité justifie leur prix.
B- Vers la privatisation des services publics
Depuis la signature en 1994 de l’accord sur les services (Accord Général sur le Commerce des Services) de l’Organisation Mondiale du Commerce, il est acté que les services publics de santé sont destinés à être privatisés. Dans l’article 3-1-c de l’AGCS, il est précisé que : « un « service fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » s’entend de tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ». L’existence de cliniques et hôpitaux privés fait, de facto, tomber notre service public de santé dans le champ de l’accord, le condamnant à terme à être totalement privatisé.
Cependant, la privatisation d’un service public, qui plus est lorsque les citoyens y sont fortement attachés, est toujours un exercice à haut risque politique. C’est Madsen Pirie, membre de l’université de Saint Andrews, en Écosse, qui fournira aux gouvernants la « technologie politique » à adopter pour y parvenir. Dans son ouvrage, « dismantling the state : the theorie and practice of privatization » il décrit avec précision les mécanismes, qu’à partir du début des années 1980, l’ensemble des dirigeants des pays industrialisés mettront en pratique pour démanteler et privatiser les services publics. Il leur faudra réorienter les choix individuels de leurs concitoyens, mais le moyen principal ne sera ni la persuasion par le discours, ni la contrainte, mais une ingénierie sociale qui reconfigure les situations de choix par des mécanismes d’incitations économiques. Cette « ingénierie » est parfaitement illustrée dans le rapport de l’OCDE, « La faisabilité politique de l’ajustement » rédigé en 1996 par Christian Morrison (Lien), dans lequel on peut lire : « Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population (page 30)). Ce que Pirie avait exprimé de la façon suivante : « Une caractéristique attrayante de ce type de privatisation est qu’elle permet un passage progressif du public au privé sans qu’il soit nécessaire de se battre pour privatiser l’ensemble du service. (…) Les gens votent avec leur porte monnaie, déterminant eux-mêmes le rythme auquel ils souhaitent que les services privés se développent. (…) Les choix sont progressivement faits par les individus, et, au fil des mois et des années, ils produisent cumulativement la nouvelle réalité. Les révolutions les plus sûres sont celles que les gens font pour eux-mêmes au cours du temps ».
Un autre des accords de l’OMC est à considérer : l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce (ADPIC). Cette extension du droit de propriété du matériel à l’immatériel va être un des instruments les plus redoutables mis à disposition de l’industrie (en particulier pharmaceutique) pour réaliser des profits exorbitants. Les « droits de brevet » portés sur les fonds baptismaux des marchés mondialisés autoriseront les laboratoires, libérés de la pourtant sacro-sainte concurrence, à imposer leurs prix à des populations prise en otages !
L’industrie pharmaceutique a connu une transformation profonde de son modèle de production avec la fin, durant les années 2000, des brevets sur un grand nombre des médicaments qui avaient assuré leurs profits historiques – les « blockbusters ». Alors que l’immense majorité des molécules d’antan étaient d’origine chimique, les firmes misent désormais sur les traitements basés sur les biotechnologies. Plutôt que de mener des centaines de programmes de recherche simultanés, ils se concentrent de plus en plus sur un petit nombre de pathologies « stratégiques » (d’un point de vue financier). Il n’est plus question d’investir dans des recherches internes, via leurs propres équipes de scientifiques : les dirigeants préfèrent racheter des « start-up » détentrices de brevets, les labos prenant en charge les étapes ultimes du développement, et surtout la commercialisation et le lobbying. Alors que les prix des médicaments étaient traditionnellement fixés sur la base des coûts de production et de la recherche-développement, en ménageant une marge de profit « raisonnable », ils sont de plus en plus déconnectés de ces coûts, et fixés en fonction de la capacité à payer des clients. On dit merci à la sécu ?
2 – Les conséquences
A- Hôpital public en voie de privatisation
Un rapide survol de l’histoire des trente dernières années de l’hôpital public permet de mettre en évidence l’application des directives de Pirie et de l’OCDE à l’hôpital public. C’est Pierre Bérégovoy, alors ministre des Affaires sociales, qui donnera le coup d’envoi en 1983, en refusant d’augmenter les cotisations sociales et en créant la « Dotation globale de financement ». Les hôpitaux seront tenus de respecter un budget limitatif qui fixera leurs dépenses annuelles. En 1995, Alain Juppé mettra en place l’ONDAM : l’Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie. C’est un plafond de dépenses que les hôpitaux ne peuvent dépasser. Dès 1996, son montant fera l’objet d’un vote annuel au Parlement. En 2004, pour réduire encore les dépenses de santé, un plan instauré par Philippe Douste-Blazy prévoira la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) . Le budget des hôpitaux dépendra désormais du nombre d’actes médicaux réalisés. Cette réforme va inciter à gérer l’hôpital comme une entreprise en recherchant la meilleure productivité. Des actes médicaux deviennent plus rentables que d’autres et, l’hôpital a tendance à accroître ses activités rémunératrices, comme la chirurgie, en délaissant les longues prises en charges moins bien rémunérées. Puis viendra en 2009, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » qui instaure la nomination de directeurs d’hôpitaux. Ils sont désormais en charge de la gestion financière des établissements. Nicolas Sarkozy, président de la République et porteur du projet déclarera alors : « Il faut à l’hôpital public un patron, et un seul. Le patron, c’est le directeur. Cela ne veut pas dire qu’il agit seul. Cela ne signifie pas qu’il peut ignorer la réalité médicale dans ses décisions, lui qui n’est pas médecin, mais il faut qu’il y ait quelqu’un qui décide, qui assume ses responsabilités. ». Désormais la direction des hôpitaux n’est plus entre les mains de soignants mais de gestionnaires. L’arrêt de l’augmentation des cotisations sociales décidée en 1983, asséchant le financement de l’hôpital par la sécurité sociale, conduira inexorablement aux plans « hôpital 2007 » puis « hôpital 2012 ». Pour se moderniser, les établissements hospitaliers devront avoir recours à l’emprunt, ce qui représentera un changement culturel profond. En moins de dix années, la dette des hôpitaux atteindra les 30 milliards. Dans son rapport de 2018 la Cour des Comptes mettra en garde : « Dans une communication sur la dette des établissements publics de santé (…) la Cour avait mis en évidence son triplement en dix ans, la portant à 30 milliards d’euros en 2012. Cet emballement résultait d’investissements massifs dans le cadre des plans « « Hôpital 2007 », puis « Hôpital 2012 », financés essentiellement par l’emprunt. Le secteur hospitalier connaissait ainsi un niveau critique d’endettement, avivé par un recours, parfois très important pour certains établissements, à des emprunts à taux variables à risques élevés : ces derniers représentaient 9 % de l’encours total en 2014 » (Lien). Une dette de 30 milliards, « un pognon de dingue » dans des emprunts, souvent toxiques, dont le monde de la finance raffole !
Avec la création du régime général de sécurité sociale par Ambroise Croizat en 1946, la socialisation des valeurs ajoutées par la cotisation sociale avait permis de construire un outil hospitalier, pratiquement inexistant dans les années cinquante, sans passer par le marché des capitaux : la subvention de l’investissement par la caisse de sécurité sociale avait permis aux soignants de travailler pour soigner. Dorénavant, ils travaillent pour rembourser une dette et sont devenus la variable d’ajustement des tableaux excel des gestionnaires.
L’OCDE, soucieuse de l’orthodoxie financière des États et chantre de la privatisation se montrera particulièrement insistante quant à la voie à suivre dans son dernier rapport 2021 sur la France (Lien) : « Les pouvoirs publics devront évaluer régulièrement les efforts de rationalisation des dépenses publiques et d’amélioration de leur efficacité. Des revues de dépenses approfondies sont nécessaires pour mettre en œuvre un programme de diminution importante et progressive de la dépense publique et de renforcement de son efficacité. Celle-ci se situe parmi les plus élevées de l’OCDE par rapport au PIB, notamment pour les dépenses sociales, et les prestations sociales et la masse salariale se sont montrées particulièrement dynamiques après la crise économique et financière de 2008/2009, exigeant des recettes fiscales croissantes (page 36) … La France devrait aussi avoir pour priorité de diminuer la masse salariale du secteur public (page 38) ». « Un pognon de dingue » consacré aux dépenses de santé exigeant des recettes fiscales croissantes, une horreur économique, pour l’OCDE, avec laquelle il faut impérativement rompre ! Emmanuel Macron avait cependant anticipé cette injonction puisqu’il avait commandé l’an passé un rapport à la Banque des Territoires (Lien), filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, dont les conclusions étaient sans équivoque. Glissement progressif vers la privatisation de l’hôpital, dont les Établissements de Santé Privés d’Intérêt Collectif (ESPICs) sont la tête de pont, et développement de la e-médecine qu’une épidémie de coronavirus viendra opportunément accélérer.
Aujourd’hui, les conditions de travail se sont à ce point dégradées (et la certifications et autres management y ont largement contribué, en complément des différentes lois énumérées ci-dessus) que l’hôpital public doit faire face à une pénurie de soignant(e)s totalement inédite. Et, La situation est à ce point critique que même le conseil scientifique, dirigé par Jean-François Delfraissy, pourtant peu suspect d’esprit frondeur s ‘alarme de l’épuisement des soignant(e)s confronté(e)s au manque de personnel et n’exclut pas un prochain débordement du système de soins (Lien). Qu’à cela ne tienne le système a déjà une solution clés en main : le retour au « louage d’ouvrage », initié par le code civil de 1804, que la technologie numérique a rendu possible à l’échelle nationale. La plate-forme Hublo, véritable Uber du remplacement des soignant(e)s (Lien) participe à la réalisation de ce rêve du patronat, la déréglementation du temps de travail.
Dans cette logique, un document du directoire de l’APHP du 21 septembre 2021, découvert par la CGT, doit nous interpeller. On y peut y lire notamment dans la rubrique « rappel sur les enjeux », « qu’une part des jours d’hospitalisation n’est peut-être pas indispensable dans le juste soin offert à la population, qu’une transformation rapide et forte des parcours dans nos hôpitaux est possible en période de crise (et) , qu’il existe un souhait partagé de ne pas laisser retomber cette capacité collective à sortir du cadre, y compris hors période de crise ». Que faut-il entendre par « le juste soin » et qui le déterminera ? Le groupe « Elsan » préfigure-t-il l’horizon incontournable de l’hôpital de demain dans sa version « macronnesque » (néologisme constitué de Macron et grotesque) ?
Pour terminer ce paragraphe, il est impossible de passer sous silence la loi du 5 août 2021 qu’un Conseil Constitutionnel godillot s’est empressé de valider. On lit à article 2-B-C : « Lorsqu’un agent public soumis à l’obligation prévue aux 1° et 2° du A du présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s’il ne choisit pas d’utiliser, avec l’accord de son employeur, des jours de congés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail. Cette suspension, qui s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l’agent produit les justificatifs requis ». Par cette loi, législateur et Conseil Constitutionnel mettent fin, de fait, aux termes de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (2) qui dans son article 3 stipule : « Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois ».
Il s’agit en l’état d’une attaque sans précédent contre ce conquis, mis en évidence par l’économiste Bernard Friot et porté par « Réseau Salariat », le « salaire à la qualification personnelle » des fonctionnaires.
B – L’industrie pharmaceutique privatisée : un pognon de dingue !
La médecine d’aujourd’hui, de ville ou hospitalière, est adossée à l’industrie pharmaceutique. En ce domaine également la privatisation fut opérante et la totalité de ce secteur est aujourd’hui aux mains de groupes capitalistiques. Chez nous, le parcours du groupe Sanofi est particulièrement édifiant.
Fondée en 1973, ce n’est à ses débuts qu’une « start-up » de dix salariés, filiale du groupe pétrolier Elf Aquitaine, société nationale. Pour atteindre sa dimension multinationale, une politique agressive d’acquisitions tous azimuts va être mise en place: en 1976, Elf rachète 35% de l’Institut Pasteur Production avant de monter à 51% en 1980 et de faire l’acquisition de Mérieux. Ce mouvement stratégique est d’une importance majeure et traduit bien la volonté de l’État, la constitution d’un relais industriel puissant pour les activités de l’Institut Pasteur notamment en matière de vaccins (le pôle vaccins de Sanofi a été conçu autour des activités de recherche de l’Institut Pasteur). L’originalité a consisté à séparer la recherche publique, désintéressée (Institut Pasteur), de l’activité productive (Institut Pasteur Production) et lucrative. En 1994, la privatisation de Sanofi est actée.
Le groupe poursuit sa croissance en rachetant en 1999 Synthelabo au groupe L’Oréal. Dans le même temps, l’allemand Hoechst et le français Rhône-Poulenc s’étaient alliés pour donner naissance à la société de droit français Aventis que Sanofi, encouragé par le ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, finira par absorber en 2004. La multinationale Sanofi était née.
Aujourd’hui, Sanofi fait partie des onze plus gros laboratoires pharmaceutiques mondiaux en compagnie de Novartis, AstraZeneca, GlaxoSmithKline, Merck, Eli Lilly, Roche, Abbott, Pfizer, Bristol Myers Squibb et Johnson&Johnson. Entre 1999 et 2017, ces onze mêmes laboratoires ont engrangé 1019 milliards d’euros de bénéfices. De quoi investir massivement pour trouver des remèdes aux maladies qui sévissent partout dans le monde ? Non. Ils ont directement redistribué 925 milliards à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions, soit 90,8 %. Derrière ce chiffre global se cache une croissance apparemment inexorable des dividendes au fil des années. En 1999, ces onze labos ont redistribué 57,4 % de leurs profits aux actionnaires. En 2017, le taux de redistribution s’établissait à… 141,9 % ! Un record historique ! S’il est une industrie qui illustre l’emprise croissante des marchés financiers, c’est donc bien celle du médicament. Son actionnariat est d’ailleurs largement dominé par les grands gestionnaires de fonds de Wall Street.
C – Le Crédit Impôt Recherche
La « main invisible du marché » manquant parfois de générosité, le législateur, soucieux du bien être de l’actionnaire, qu’il est ou deviendra peut-être, n’a pas hésité à mettre en place, en 1983, un dispositif d’aide à la recherche et développement : le Crédit Impôt Recherche. Il permet aux entreprises qui investissent dans la R&D de déduire de leur ardoise fiscale un partie des frais engagés. Son champ a été considérablement élargi à partir de 2012, ce qui a donné lieu à beaucoup d’abus. Certaines entreprises n’ont pas hésité à déclarer comme « recherche » des activités relevant au mieux du marketing. Le CIR qui représentait un manque à gagner de 5,5 milliards d’euros pour le fisc français en 2017 a été déplafonné la même année malgré les nombreuses critiques dont il faisait l’objet. Au nom du « secret fiscal », les montants reçus ne sont pas rendus publics. On sait toutefois que Sanofi, au moment même où le groupe supprimait des centaines d’emplois en France, notamment dans ses équipes historiques de R&D, touchait autour de 130 millions d’euros par an au titre du CIR, cette niche censée… soutenir la recherche ! Une commission d’enquête parlementaire dirigée par la sénatrice communiste Brigitte Gauthier-Maurin avait été mise en place pour faire le bilan du CIR, mais une majorité de Sénateurs (LR, UDI et PS) décida, sous la pression des industriels, de ne pas publier son rapport. Interrogée en 2015 par Médiapart, la sénatrice soulignait « Le CIR bénéficie ainsi à des grandes entreprises du CAC 40 dont certaines ont des activités de recherche dont la progression réelle de l’état de l’art est peu probante voire nulle et qui pour certaines n’acquittent aucun impôt sur les sociétés en France. À cela se mêlent des dispositifs d’optimisation fiscale – à notre sens scandaleux – à travers le lieu d’immatriculation de certains brevets. La pratique des prix de transfert et la localisation dans les paradis fiscaux des entités percevant des redevances découlant de ces brevets. Brevets qui, pour partie, sont financés avec du CIR ! » (Lien). Pognon de dingue disait-il ?
D – La pharmacovigilance
Dernier point à soulever, qui met aussi en évidence le poids des laboratoires et de leur propension à évacuer leur responsabilité, en cas d’effets indésirables d’un vaccin, ou d’un médicament, est celui du fonctionnement actuel de la pharmacovigilance. Il est établit aujourd’hui que les remontées sont systématiquement sous-évaluées et, pour les signalements enregistrés, le niveau de preuve de la responsabilité du médicament, est toujours considéré comme faible dans la mesure où les données ne proviennent pas de méta-analyses d’essais thérapeutiques randomisés. L’épidémiologiste Catherine Hill dans un article pour la revue du praticien (Lien) alerte sur cette situation qui, au lieu de pratiquer des études approfondies pour préciser la réalité du risque et réagir en conséquence, laisse les institutionnels et les industriels se contenter d’accumuler durant des décennies les signalements d’effets indésirables par les prescripteurs. Cette « désinvolture » illustre en partie la façon dont les laboratoires et les autorités sanitaires conçoivent la pharmacovigilance ! Selon Catherine Hill, il conviendrait de repenser en profondeur son fonctionnement. Car, aujourd’hui, « on voit bien que l’industriel s’abrite derrière l’ANSM, qui s’abrite derrière les prescripteurs, qui s’abritent derrière l’efficacité du médicament et leur respect des règles édictées par l’ANSM et l’industriel, bouclant ainsi la boucle ». Les récents scandales sanitaires (dépakine, médiator …) ont montrés que la notion d’imputabilité, pilier central de la pharmacovigilance, est de fait devenu un rempart pour les laboratoires.
E – Les liaisons dangereuses
Nous abordons là un mélange des genres des plus obscurs et des plus inquiétant quant à l’état et à l’avenir de la démocratie. Après avoir quitté le ministère de la santé, Agnès Buzin rejoignait, le 4 janvier 2021, le cabinet du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Si pour le grand public ce personnage est un total inconnu, remarquons qu’il fut ministre de la santé de l’Éthiopie de 2005 à 2012 avant de devenir membre du Conseil d’administration du « GAVI, l’Alliance pour les vaccins », organisation qui se présente comme « développant et soutenant des méthodes innovantes pour élargir la vaccination contre certaines des maladies les plus mortelles ». Le 29 septembre 2020, le Conseil d’administration de GAVI s’est doté d’un nouveau président, José Manuel Barroso. Premier ministre du Portugal de 2002 à 2004 et Président de la Commission européenne de 2004 à 2014, au nom de laquelle il occupe actuellement les fonctions de président non exécutif de Goldman Sachs International. Or, l’un des principaux financeurs du GAVI n’est autre que la fondation Bill et Melinda Gates. Fondation que l’on retrouve en seconde place des contributeurs de l’OMS. Entre sa fondation et sa participation dans le GAVI, Bill Gates pèse pratiquement le même poids que les États-Unis dans le budget de l’OMS.
Dans son ouvrage, « l’art de la fausse générosité, la fondation Bill et Melinda Gates », Lionel Astruc apporte la démonstration que Bill Gates est surtout « généreux avec l’argent des autres, avec des ressources dont on prive les États via l’évasion fiscale. Le montant de l’évitement fiscal est souvent supérieur à ce qui est donné par la fondation. Ensuite, la fondation est adossée à un fonds d’investissement. Ce dernier finance les causes mêmes de la pauvreté et du pillage des ressources. Et enfin les prétendus dons entraînent des conflits d’intérêt à grande échelle (il s’agit souvent de soutenir des multinationales). La revue scientifique britannique The Lancet relève par exemple que la Fondation lutte prioritairement contre les maladies qui appellent la diffusion de vaccins et néglige les autres maladies » (Lien). Il est admis aujourd’hui, que sous l’influence de la fondation Bill et Mélinda Gates, l’OMS a demandé à l’ensemble de l’industrie pharmaceutique de cesser de commercialiser et de vendre des antipaludiques à base d’ artemisia afin de favoriser le déploiement du vaccin antipaludique, nommé Mosquirix, développé par GSK (GlaxoSmithKline), qui a l’appui financier indirect de la Fondation Gates. Aujourd’hui au sein même de l’OMS des voies commencent à se faire entendre pour dénoncer l’ingérence des fonds privés. Ainsi, Lawrence Gostin, directeur du centre de l’OMS en droit de la santé, peut-il déclarer : « La plupart des financements accordés à l’OMS par cette fondation sont en lien avec son agenda. Cela signifie que l’OMS n’est plus en position de fixer ses priorités de santé globale en étant pareillement redevable à un acteur privé. Et contrairement à des États-membres, contraints de répondre de leurs actes en démocratie, cette fondation n’endosse à ce niveau-là aucune responsabilité ». En débauchant des acteurs de premier plan de la scène politique, des acteurs privés jouant pour compte propre, créent ainsi des relation incestueuses entre l’industrie et la chose publique. Le dernier acte de ce détournement est peut-être en train de se dérouler sous nos yeux : l’obtention de l’immunité au personnel politique qui s’y sera engagé. La mise en examen de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzin pour « mise en danger de la vie d’autrui » en inaugure les prémisses. Ainsi, le député LREM Sylvain Maillard « Le principe de précaution dévoyé et la menace de poursuites judiciaires sont deux principes qui tueront la prise de décision politique. Espérons que cette mise en cause d’Agnès Buzyn nous y fasse tous réfléchir. On ne doit rendre des comptes politiques que devant les électeurs » et jusqu’à Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT qui considère quant à lui que la cour de justice de la République « jette à la vindicte populaire des responsables politiques qui ont sans doute fait leur travail comme ils ont pu. Peut-être avec des erreurs, sûrement avec des erreurs ».
F – Vers la supra-nationalité contraignante de l’OMS
Si à ce jour l’OMS ne possède aucun pouvoir contraignant vis-à-vis de ses États membres, cette situation pourrait être amenée à évoluer très rapidement. Profitant de l’opportunité de l’épidémie de covid 19, un « Traité sur les pandémies » est en effet en cours d’élaboration (Lien). Et ce que nous pouvons déjà en lire devrait nous alerter (Lien). L’OMS, à l’instar de l’OMC, afin de renforcer son « indépendance et son autorité », entend se doter de « nouveaux instruments juridiques ». Il n’est pas difficile d’imaginer la mise en place d’instances d’arbitrages, véritables tribunaux privés, sur les modèle de l’Organe de Règlement des Différents, le bras armé de l’OMC. L’OMS se doterait ainsi de la possibilité de contraindre les législations des États. Parmi les points développés notons qu’il s’agit notamment de renforcer le travail sur les données génétiques et le développement de nouveaux vaccins, de donner un fondement à une future limitation globale des Droits de l’Homme, et au transfert de compétences étatiques vers l’OMS. Il ne fait aucun doute que Bill Gates, apologiste de la vaccination, ne peut que se réjouir de la volonté « d’émancipation » de l’OMS.
3 – Pour conclure
Hé oui, monsieur Macron, nous consacrons un pognon de dingue ! Mais pas forcément aux minimas sociaux ainsi que vous l’avez laissé entendre, mais bien à l’enrichissement du monde financier capitaliste. L’épidémie de covid que nous traversons a mis sous la lumière les dérives de quarante années d’obscurantisme économique : paupérisation de l’hôpital public pour favoriser l’implantation de groupe hospitaliers internationaux, favoritisme vis-à-vis de laboratoires pharmaceutiques (Pfizer en situation de quasi monopole pour les vaccins anti-covid et bénéfice annoncé de 36 milliards de dollars pour l’année 2021) qui nous coûtent eux un « pognon de dingue ».
Mais nous ne sommes pas démunis, le régime général de Sécurité Sociale, institué en 1946, a démontré qu’une classe ouvrière, socialement majeure, n’était pas « l’idiot utile » du capital, que c’est elle et elle seule qui a sut subvertir le mode de production capitaliste instituant dans les faits une production de soins communiste*. Il ne tient qu’à nous d’en reprendre la maîtrise pour porter la protection sociale à un niveau plus élevé encore. Et, Les soignant(e)s ont apporté la preuve, lors de la « première vague » de l’épidémie, que débarrassé(e)s des protocoles de la certification et du management (heureusement confiné), elles (et ils) avaient retrouvé la souveraineté sur leur travail. Là est sans doute tout l’enjeu ; pas une meilleure répartition des richesses, mais la mise en œuvre d’un autre mode de production qu’il n’appartient qu’à nous de construire, ici et maintenant, et dont le socle est non le travail, mais notre souveraineté sur le travail.
* Au sens où Marx et Engels le définissent dans « l’idéologie allemande » : « Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes ».
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