«Article 36» : et si les militaires prenaient le pouvoir ?
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15 mars 2019Dans un thriller politique très documenté, notre collaborateur Henri Vernet raconte comment, sur fond de terrorisme et de révolte sociale, l’armée utilise l’instauration de l’état de siège par le chef de l’Etat pour prendre les commandes du pays.
La fiction entretient de drôles de rapports avec la réalité. On frissonne à la lecture de ce thriller politique : le scénario est plus vrai que nature. Un jeune président, Marc Cardignac, sorte de jumeau d’Emmanuel Macron, peine à restaurer le calme dans un pays au bord de la crise de nerfs. Les « cocus de la République » manifestent, en jaune, dans les rues de la capitale « contre le monarque et ses impôts ». Une vague d’attentats terroristes sème la mort et la discorde dans le cœur des Français. La colère gronde dans les cités, les forces de sécurité menacent de craquer. Et si une guerre civile ravageait le pays ? Aussi réalistes soient les crises décrites au fil des pages, ceci est un roman.
Alors que faire pour ramener l’ordre ? Le président déploie un instrument juridique inédit : l’article 36 de la Constitution. Jamais utilisé sous la Ve République, le dispositif – bien réel – prévoit, pour une durée de douze jours, l’instauration de l’état de siège, c’est-à-dire le transfert du pouvoir à l’armée pour assurer la sécurité des Français sur le territoire national. C’est ce qui survient un jour de décembre, quand l’opération « Mistral » est déclenchée sous la houlette d’un « général courage » issu de l’armée de terre. Plébiscité par l’opinion pour avoir sauvé des Yézidies au Kurdistan en prenant quelques libertés dans cette guerre contre Daech, Maxime Gerfaut est respecté par ses pairs – à l’instar d’un certain… général Pierre de Villiers. Il devient l’homme fort du pays, bientôt rival du président.
Notre collaborateur, Henri Vernet, décrit avec finesse les arcanes d’un Etat en péril, les rapports de force entre pouvoirs politique et militaire, les mouvements des médias puis de l’opinion alors que les monstres d’acier se mettent à quadriller le pays et ses cités sensibles. Dans ce récit haletant, on découvre comment se déroulerait la mise en place d’un tel état de siège, un temps envisagé sous le quinquennat de François Hollande après les attentats du 13 novembre 2015. On observe avec sidération les chars entrer dans Paris, les Rafale sillonner le ciel de France. On découvre les tribunaux militaires, les réunions secrètes à l’Elysée ou au Centre de planification et de commandement des opérations (CPCO), dans les sous-sols de Balard, nouveau siège du ministère de la Défense.
Si l’ouvrage est un roman, il s’appuie sur une minutieuse enquête réalisée auprès de militaires, de juristes, de sondeurs, de responsables politiques, d’experts en sécurité nationale… Les amateurs de polars goûteront les scènes d’action dignes d’une série à la « Bureau des légendes », s’attacheront aux personnages comme l’énigmatique conseillère spéciale du président, Alice Valbergue, l’attachée de presse élyséenne, Delphine Salgado, avec ses états d’âme, ou l’imperturbable commissaire Belhadji, du Raid. Les férus de politique se régaleront des clins d’œil, façon « Baron noir », entre personnages réels et protagonistes imaginaires, comme ce ministre de l’Intérieur, Brice Léandri, « à l’embonpoint très rad-soc » ou encore Jean-Jacques Chastagnon, le président de la France populaire (LFP), leader de l’opposition, vent debout, évidemment, contre l’état de siège.
Le jeu de miroirs entre la réalité et le récit est saisissant, glaçant même lorsque l’intrigue charrie son lot de manipulations, de coups bas et de menaces de putsch… Et si tout cela advenait ? La réalité a désormais l’habitude de dépasser la fiction.
«Article 36», JC Lattès, 416 pages, 20 euros.