Un contexte chaotique pour les prochaines elections au Mexique. Par Laila Porras

14.juin.2018

Laila Porras 1

Un contexte économique, écologique et social très dégradé

Les prochaines élections présidentielles au Mexique auront lieu le 1er juillet 2018. Au cours de cette période électorale, 3400 postes d’élection populaire seront aussi renouvelés dont 128 sénateurs, 500 députés et 9 gouverneurs dont le gouverneur de la ville de Mexico. Ces élections seront donc les plus importantes de l’histoire du pays de par le nombre de mandats à pourvoir mais aussi pour les enjeux qu’elles représentent depuis l’élection de Vicente Fox en 2000. Celles-ci ont vu la défaite du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), parti qui avait gouverné de façon interrompue le pays depuis la fin de la Révolution mexicaine, c’est-à-dire, depuis 70 ans, au profit du parti de droite, le PAN, Parti Action Nationale2.

Avant d’expliquer les caractéristiques et le climat qui règne autour des prochaines élections, il convient de donner un bref aperçu de la situation économique, écologique et sociale régnante dans le pays. Dans un article paru en décembre dernier dans la revue Mouvements3, je décrivais la situation catastrophique que vit le pays de la façon suivante :

« …trente années de néolibéralisme et de marchandisation dans le pays ont laissé des traces : une pauvreté de masse persistante (50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté) parallèlement à l’accroissement impressionnant de la concentration de la richesse ; des revenus fiscaux réduits et des dépenses publiques très insuffisantes pour maintenir un niveau indispensable des services sociaux et de protection et d’assistance sociale ; la désarticulation productive (une structure productive insérée dans les chaînes de production internationales avec des débouchés pour un seul marché, les États-Unis)4 ; des faibles ou quasi inexistantes opportunités d’emplois bien rémunérés et stables et donc, une croissance très importante de l’emploi informel5 ; une migration massive de la population vers les États-Unis6».

Par ailleurs, l’État a renoncé à la protection de l’environnement et des communautés indigènes et rurales qui y sont associées7. Par ailleurs, l’État a renoncé à la protection de l’environnement et des communautés indigènes et rurales qui y sont associées. Les dégâts écologiques sur l’ensemble du pays sont accablants. Plus de 800 projets miniers concernant 268 compagnies nationales et étrangères (notamment canadiennes) opèrent sur le territoire. La grande industrie minière au Mexique est responsable de la destruction massive et accélérée du milieu, la pollution de l’air, la grande utilisation de l’eau et l’empreinte hydrique.

La pollution des eaux dans l’état de Sonora est l’une des conséquences de l’exploitation minière, soit en d’autres termes, un parfait exemple du désastre écologique lié à la marchandisation des ressources naturelles. Le Grupo México, l’une des entreprises minières les plus importantes au niveau mondial, a reversé plus de 40 mille mètres cubes de sulfate de cuivre dans le fleuve Bacanuchi de Sonora : plus de 20 mille personnes ont été affectées, des milliers d’hectares de terres agricoles et des têtes de bétail perdus. Dans cet état du nord du pays, le Grupo México, et dans l’état de Zacatecas, une autre entreprise minière, GoldCorp, consomment plus d’eau que toute la population de ces deux états. On décompte aujourd’hui autour de 500 conflits liés à l’environnement dont 120 conflits liés à l’activité minière8.

Il ne faut pas oublier que cette absence de considération écologique du gouvernement s’inscrit dans un contexte social particulièrement dégradé. En effet, après 2006, une violence grandissante –liée à l’expansion du narcotrafic à tous les niveaux de la société, avec une collusion observée entre les intérêts du narcotrafic et tous les niveaux et les sphères de l’État : les militaires, les gouverneurs, les députés, les maires, la police, la justice, etc.– a fait des milliers de disparus et de morts : seulement entre 2007 et 2016, on compte plus de 200 mille morts par violence9 ; le gouvernement donnait en 2015, comme chiffre officiel, 30 mille personnes disparues ; des féminicides qui se comptent en milliers, de centaines de journalistes assassinés, 10 journalistes tués cette année10 … ». En 2017 le record du plus grand nombre d’homicides volontaires a été enregistré avec 27 milles homicides.

C’est dans ce contexte d’énorme chaos économique, écologique et social que les élections auront lieu l’été prochain. On dénombre déjà plus de 90 assassinats politiques dont plus de 14 homicides de candidats locaux depuis moins d’un an.

Les acteurs politiques : les partis

Deux partis politiques, le PAN et le PRI ont gouverné le pays de manière alternée depuis 2000 avec deux périodes pour le PAN : Vicente Fox (2000-2006) et Felipe Calderón (2006-2012). Ce dernier gagne les élections sans une véritable légitimité en 2006. Depuis son élection très contestée, avec un grand soupçon de fraude contre Andrés Manuel López Obrador (AMLO) (le candidat déchu de la gauche et actuel candidat de MORENA, Mouvement de Régénération Nationale), Calderón va faire de la guerre contre la drogue l’axe de sa politique, cherchant à gagner la légitimité que les urnes ne lui ont pas donné. Les conséquences sont bien connues de tous : la militarisation du pays et une violence sans précédent. En 2012, le PRI retourne au pouvoir avec l’actuel président Enrique Peña Nieto dans une élection aussi contestée, principalement par la collusion entre les médias et son parti ainsi que par la grande quantité de ressources (publiques et privées) destinées à la campagne. Les deux partis sont aujourd’hui complétement discrédités et remis en question par une société exaspérée par la violence et par l’insécurité économique. Malgré les différences affichées dans les campagnes politiques et la lutte interne entre les différents groupes représentant des intérêts particuliers, ces deux partis de droite représentent les mêmes intérêts d’une minorité de la classe politique et des grandes entreprises qui ont bénéficié des politiques néolibérales mises en œuvre depuis la fin des années 80 (notamment avec les grandes privatisations et l’entrée en vigueur de l’ALENA). Ont été bénéficiés particulièrement certains monopoles dans le secteur des médias et des télécommunications tels que les groupes Televisa et America movil11, sans oublier les représentants du capital financier.

Les choses se compliquent quand il s’agit de décrire la gauche institutionnelle au Mexique. En effet, un groupe au sein du PRI rompt avec le parti à la fin des années 80. En 1988 avec Cuauhtémoc Cárdenas en tête du mouvement, un front large s’organise (qui inclut aussi les partis d’extrême gauche) pour participer aux élections présidentielles ; le front représente une réelle opposition qui va remettre en question le modèle économique néolibéral in statut nascendi mais surtout la corruption endémique de la classe politique et la collusion des intérêts du grand capital avec le pouvoir. Les élections de 1988 vont s’avérer les plus contestées du pays (le comptage de votes donnait la victoire à Cárdenas le soir des élections et pendant la nuit, le système informatique s’est arrêté « se cayó el sistema » est la phrase qui a scellé la fraude; le lendemain, Carlos Salinas de Gortari, le candidat du PRI, était proclamé vainqueur. Le front démocratique donne naissance en 1989 au Parti de la Révolution Démocratique (PRD), et Cárdenas12 arrive au pouvoir à la mairie de Mexico en 1997. Depuis cette date, la ville de Mexico a toujours voté à gauche. Andrés Manuel Lopez Obrador, acquière notoriété et réputation comme président du PRD entre 1996 et 1999 mais surtout comme gouverneur de la ville de Mexico entre 2000 et 200513. Déjà à l’époque, le « PRIAN » – comme certains intellectuels, politologues et journalistes appellent l’union des deux partis de droite à l’heure de voter ensemble dans le parlement – avait fait une tentative d’inhabilitation politique exercée contre lui pour qu’il ne se présente pas aux élections présidentielles en 2006. Depuis lors, une guerre politique constante a été menée contre López Obrador essayant par tous les moyens de le discréditer aux yeux de la société mexicaine, notamment à travers une campagne médiatique le présentant comme un transgresseur de la loi et la diffusion d’annonces télévisées dans lesquelles il est montré comme une menace pour le pays.

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En vain. Il est aujourd’hui le candidat d’une nouvelle formation politique : MORENA, qu’il a créée en 2012 quand il rompt avec le PRD. Il accuse le parti de trahir les principes de gauche et d’être lié aux intérêts de l’oligarchie au pouvoir (représenté par le « PRIAN ») à la suite de l’adhésion du PRD au « Pacte pour le Mexique » (El Pacto por México)14 et d’ouvrir la voie à la privatisation du pétrole. En effet, il ne s’est pas trompé car récemment le PRD a établi une alliance avec le PAN (le parti le plus conservateur dans l’échiquier politique !) pour présenter de manière conjointe une candidature en 2018.

Les candidats

Voyons maintenant les trois principaux candidats présidentiels : José Antonio Meade, candidat du PRI (en coalition avec le parti écologiste, PVEM et le Partido Nueva Alianza, PANAL)15, représente comme personne le politique-technocrate au Mexique, issu d’une université privée qui forme depuis des années les cadres technocrates du pays (Instituto Tecnológico Autónomo de México, ITAM). Il a obtenu un doctorat à l’université de Yale et a occupé indistinctement divers postes dans les administrations du PAN et du PRI : ministre de l’énergie et des finances sous le mandat de Calderón et dans la période récente sous la présidence d’Enrique Peña Nieto16, ministre des relations extérieures, ministre du développement social et ministre de finances. Il a donc participé directement à la mise en œuvre des réformes effectuées dans le cadre de la politique néolibérale depuis vingt ans. Meade est actuellement très critiqué pour son implication directe – en tant que ministre des finances – dans les derniers scandales de corruption du PRI : malversation des fonds et détournement de ressources de plusieurs ministères pour le financement des campagnes du PRI aux élections locales. Il a aussi été perçu comme l’un des responsables directes de la hausse du prix de l’essence d’autour du 20 % au début de 201717. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit perçu par la plupart des mexicains comme partie intégrante et directement responsable du chaos économique et social. Il est considéré comme la figure de proue du parti au pouvoir entaché par des scandales financiers18 et par une violence record. Il occupe actuellement dans les sondages la troisième place. Le journal Reforma lui donnait dans le dernier sondage du mois d’avril 19 % de votes19.

Ricardo Anaya, le candidat du PAN – le parti le plus conservateur mais qui a fait alliance avec les « partis de gauche » PRD et Mouvement citoyen (MC) – est le plus jeune candidat à la présidentielle (39 ans), juriste et docteur en sciences politiques. Mais l’ancien dirigeant du PAN est aussi soupçonné d’affaires de corruption, de blanchiment d’argent et de fraude fiscal. En effet, une enquête est en cours aujourd’hui, après les révélations de plusieurs journaux qui constataient que sa déclaration fiscale ne correspondait pas à son train de vie de luxe : sa famille vit à Atlanta aux États-Unis et il a reconnu qu’il payait, par an, un loyer de 43 milles dollars, plus des frais de scolarité pour ses enfants de 48 mille dollars, ainsi que la somme équivalente de 52 vols aller-retour aux Etats-Unis !20 Il est donc clair qu’indépendamment de la suite des accusations contre le candidat du PAN, ses préoccupations et sa forme de vie sont loin de la majorité de mexicains dont 50 % vit sous le seuil de pauvreté. Curieusement, dans sa campagne politique il propose des politiques qui en général proviennent de la gauche : revenu universel21, hausse du salaire minimum pour avoir une vie digne, et plus généralement l’établissement d’une politique d’État pour combatte la pauvreté, les inégalités et l’exclusion sociale. Il est donc difficile d’imaginer que son parti, le PAN, le parti le plus conservateur et qui s’est en chargé de mettre en place des réformes néolibérales depuis deux décennies, soutiendrait un candidat qui comptait vraiment appliquer ces politiques. L’explication de la nature de ses promesses de campagne, résiderait plutôt dans le but de concurrencer le candidat de la gauche. Anaya occupe la deuxième place dans les sondages du mois d’avril avec 26 % d’intention de vote, mais très loin de López Obrador qui est à 52 %.

Enfin, revenons à Andrés Manuel López Obrador (AMLO), candidat de la gauche (pour la troisième fois) avec sa nouvelle formation politique MORENA, qui est depuis plusieurs mois en tête dans la plupart des sondages comme nous l’avons précisé précédemment. MORENA a fait aussi des alliances avec le Partido del Trabajo, PT et le Partido Encuentro Social, PES. L’alliance avec ce dernier a été très critiquée par le milieu de gauche car il s’agit d’un parti affichant un conservatisme religieux ; même si le parti s’auto-définit comme étant au « centre », ses positions sur des sujets sociétaux sont très conservatrices : il s’est prononcé contre l’avortement, contre la légalisation de la marihuana, et contre le mariage pour tous22. Des groupes de la société civile, diverses ONGs et des associations LGBT, ainsi que des voix à l’intérieur de MORENA ont montré leur désaccord avec cette union. AMLO, qui n’a jamais nié ses convictions religieuses (il se définit comme chrétien), a répondu qu’il n’y avait pas de contradiction entre la foi chrétienne et les idées progressistes de gauche.

AMLO est le candidat le plus expérimenté – il ne faut pas oublier qu’il a été maire de la ville de Mexico – bien évidemment, la ville la plus importante par la taille démographique, par le poids économique mais aussi par les enjeux politiques dans un pays encore très centralisé. Il est aussi celui qui connaît le mieux le pays et son histoire. Depuis sa défaite en 2006 il a parcouru chaque état, chaque village, chaque hameau du Mexique ; dans ses entretiens et déclarations il montre la maitrise et la connaissance de l’histoire du pays et des problèmes actuels qui l’assaillent. Mais, dans le contexte actuel, l’atout le plus important qu’il a à son compte est sans doute son honnêteté. Depuis 20 ans ses adversaires politiques ont cherché à le discréditer inutilement avec des affaires de corruption. Il est clair que, contrairement à une partie importante de la classe politique mexicaine qui s’est habituée à s’enrichir grâce à la politique, AMLO ne cherche pas à bénéficier financièrement du pouvoir et vit d’une façon sobre. C’est aussi pour cette raison qu’il suscite beaucoup de méfiance et de haine au sein d’une partie de la classe politique.

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Le bilan de son gouvernement en tant que gouverneur de la ville de Mexico est plutôt positif ; des politiques sociales importantes sont instaurées dans son mandat et sont toujours en place : petits déjeuners scolaires pour les enfants les plus démunis, pension universelle pour les personnes âgées, pour les mères célibataires et les personnes handicapées, des médicaments gratuits pour les plus démunis, etc. D’importants travaux publics d’infrastructure et de transport ont vu le jour, tel que le projet du « Métrobus » ce qui a représenté une vrai révolution conceptuelle dans la ville de Mexico et qui a été suivi dans d’autres villes du monde ainsi que la création de l’Université Autonome de la Ville de Mexico (complétement gratuite et qui a comme objectif de recevoir les étudiants provenant de foyers très modestes). La plupart des actions et des politiques menées par AMLO ont été critiquées comme « populistes » par les représentants des autres partis (bien qu’eux-mêmes aient fini par en adopter certaines). Ceci est l’exemple d’un phénomène qui dure depuis des années au Mexique et qui a été mis une fois de plus en évidence lors de cette campagne : AMLO dicte le rythme de la campagne politique, discute les priorités, choisit les sujets, propose des solutions, tandis que les autres candidats – en général des technocrates habitués à discuter le niveau du déficit public et de l’inflation – sont obligés de suivre et de s’exprimer à propos des déclarations d’AMLO sans pour autant cerner les vrais problèmes du pays. Dernièrement, ils commencent à copier ses propositions pour essayer d’attirer des électeurs de gauche dans leur camp.

Les défis majeurs

Il ne faut pas pour autant minimiser les défis majeurs auxquels AMLO, s’il est élu, devra faire face étant donné la situation très dégradée au Mexique actuellement. Son discours et ses écrits23 se sont « adoucis » avec le temps. Il le répète sans cesse : il faut donner continuité à l’ALENA (l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord), il ne faut pas remettre en cause l’indépendance de la banque centrale, le déficit public ne doit pas augmenter, il faut maintenir l’objectif de faible inflation, etc. On se demande donc s’il n’est pas en train de se mettre un carcan inutile, car au nom d’une faible inflation et d’un budget équilibré, les tenants des politiques néolibérales ont réduit les dépenses publiques et les salaires réels avec des conséquences bien connues. Son discours aujourd’hui est complétement focalisé sur les affaires de corruption et sur la pacification du pays, certainement des sujets extrêmement essentiels. En effet, l’une des propositions les plus discutées et controversées de sa campagne pour diminuer la violence, est la déclaration d’une amnistie : sortir de prison toutes les personnes en bas de la pyramide sociale qui ont été forcées (par manque de ressources) à commettre des délits mineurs, tels que des vols et des cambriolages, ainsi que le trafic de rue (qui affecte de manière importante les jeunes), il a aussi déclaré vouloir sortir de prison des indigènes injustement emprisonnés, faute d’un procès juridique équitable en raison du manque d’un traducteur.

Mais bien qu’il souligne comme grands axes de son projet – pour améliorer le sort des plus démunis – l’aide aux jeunes à travers la hausse de l’offre éducative gratuite et des emplois bien rémunérés ; le développement agricole et l’autosuffisance alimentaire et énergétique24 ; ainsi que des grands projets d’infrastructure et de transport ; il est difficile d’imaginer ce grand chantier sans modifier la politique économique actuelle. Il est vrai que grâce à ce changement de stratégie il a convaincu une partie importante du milieu des affaires de le soutenir dans son projet, et non pas seulement les petits et moyens entrepreneurs mais aussi certains dirigeants de grandes entreprises tel qu’Alfonso Romo, un entrepreneur multimillionnaire du Nord du pays (Monterrey) qui possède une holding dans les secteurs des finances, des assurances et de la biotechnologie, et qui est aujourd’hui un conseiller proche. Toutefois, on peut se poser la question de savoir si ce refus de critiquer certains éléments du modèle économique néolibéral est plus une stratégie pour arriver au pouvoir avec le soutien de la classe moyenne supérieure et conservatrice, ou s’il est convaincu que les ressources économiques dégagées du combat contre la corruption ainsi que « l’austérité au sein du gouvernement », seront suffisantes pour lancer ce grand projet de nation et passer à l’histoire comme un « grand homme d’État » comme il a pu le dire à maintes reprises.

Concernant le programme écologique, AMLO se démarque des autres candidats. Il est le seul qui a critiqué certains aspects du modèle néolibéral, notamment les grandes privatisations réalisées depuis le début des années 1990 et les concessions réalisées aux grandes entreprises nationales et étrangères pour l’exploitation des ressources naturelles. La construction du nouvel aéroport de la ville de Mexico (NAICM) est un parfait exemple de non-sens écologique et économique profitant uniquement à un petit groupe d’entrepreneurs au détriment de la grande majorité des mexicains. En effet, des représentants de communautés affectées, des géologues et d’autres scientifiques, ainsi que des activistes écologistes ont dénoncé la construction du NAICM et l’exploitation de plus de 150 mines de la région pour l’extraction des matériaux de construction. Ces derniers ont souligné le fait que ce projet est en train d’entraîner un écocide de dimensions extraordinaires25. José Luis Luege, l’ex-directeur de la Commission Nationale de l’Eau (CONAGUA) avait dirigé le rapport scientifique « Considérations hydrologiques et environnementales pour le éventuel développement de l’infrastructure aéroportuaire dans le lac de Texcoco » ; dans cette étude, la Commission mettait en garde sur les effets désastreux de la construction de l’aéroport : risque en termes d’inondations de la ville ; incompatibilité avec la vocation régulatrice des grands volumes d’eau de pluie et les capacités de drainage ; incompatibilité aussi avec les services environnementaux du lac Nabor Carrillo comme refuge des oiseaux migrateurs, pour ne citer que quelques conséquences de ces impacts primaires liés à la construction du nouvel aéroport. De plus, la localisation du NAICM rend de facto inutilisable l’actuel aéroport en termes de circulation aérienne. Le gouvernement a par conséquent prévu de fermer ce dernier ce qui constitue une autre aberration d’un point de vue économique et de planification urbaine.

Il n’est donc pas étonnant que les chefs de grandes entreprises, représentants de l’oligarchie mexicaine, tels que le PDG du Grupo México, Germán Larrea et Carlos Slim26, l’un des principaux bénéficiaires des contrats du nouvel aéroport –habitués à se mêler des affaire politiques dans un pays où la collusion entre le secteur privé et le secteur public est illimitée– aient récemment fait des déclarations cinglantes contre AMLO. Plus encore, ils mettent la pression sur leurs employés afin de les convaincre de voter contre lui en soulignant le « danger économique » que représente l’arrivée d’un « populiste » et la possibilité donc de perdre leurs emplois. On notera que ces moyens plus que discutables dans un pays revendiquant la liberté de pensée, appelés plus communément au Mexique « la guerra sucia », avaient déjà été utilisés lors des deux précédentes élections à l’encontre d’AMLO par les mêmes acteurs. Des spots publicitaires mettaient en scène des scénarios catastrophes avec perte d’emploi, de biens immobiliers ou terriens si AMLO était élu Président.

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Enfin, il faut mentionner la crainte d’une partie de la société (non sans fondement) de la possibilité d’une fraude ou d’une manipulation politique qui écarterait AMLO du triomphe. Plusieurs journalistes, chroniqueurs et intellectuels mentionnent cette ombre qui plane toujours sur le pays. Au même temps, ils mettent en garde sur la catastrophe sociale qui se produirait si ce scénario devenait une réalité le 1er juillet dans une société lasse de la violence, de l’insécurité économique et sociale, de la corruption et de l’impunité27.

Nous vous proposons cet article afin d’élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]

Notes

1. Economiste, chercheure associée au Ladyss-Université Paris Diderot et au CEMI-Ecole des Hautes Etudes des Sciences Sociales.
2. Malgré ce changement politique important, les gouvernements du PAN ont été marqués par la continuité des réformes économiques et par l’approfondissement des politiques néolibérales.
3. http://mouvements.info/le-seisme-au-mexique-ce-qui-a-change-entre-1985-et-2017/
4. Aujourd’hui avec la menace des États-Unis de sortir de l’ALENA, nous constatons la vulnérabilité de cette structure.
5. 60 % des jeunes ont un emploi informel sans accès à la sécurité sociale.
6. Il est difficile d’avoir des chiffres exacts sur la migration mexicaine, mais certaines données donnent une idée du phénomène : il y a aux États-Unis autour de 12 millions de mexicains aujourd’hui et 7 millions résident illégalement.
7. 72 % de la population indigène vit encore sous le seuil de pauvreté.
8. http://www.jornada.unam.mx/2018/03/26/sociedad/032n1soc
9. Le cas de 43 étudiants disparus en 2014 dans l’état de Guerrero (avec de fortes suspicions sur l’implication conjointe du gouvernement local, de la police, des forces armées et d’un cartel de la drogue) a secoué toute l’opinion publique au Mexique mais aussi au niveau international.
10. Ce nombre a augmenté à 12 pour la fin 2017, six journalistes ont été assassinés en 2018.
11. Cette vente a représenté l’exemple paradigmatique de la collusion entre le pouvoir et les intérêts privés, car, grâce à son amitié avec le président Carlos Salinas de Gortari, Carlos Slim acquière Telmex (entreprise publique) en 1990 à un prix bien au-dessous du marché. Aujourd’hui, le monopole contrôle au Mexique près de 90 % des lignes fixes et presque 80 % des cellulaires. Carlos Slim est devenu l’un des hommes les plus riches de la planète.
12. Le fils du président Lázaro Cardenas qui, entre autres, avait nationalisé le pétrole en 1938 et avait apporté son soutien aux réfugiés politiques du régime de Franco.
13. Il faut savoir que la fonction de chef de gouvernement du District fédéral est créée à la suite de la réforme constitutionnelle de 1993 instituant l’élection de ce dernier pour six ans au suffrage universel, qui a lieu pour la première fois en 1997. Depuis 2016, il est le chef de gouvernement de la Ville de Mexico, entité fédérative du Mexique.
14. A son arrivé au pouvoir, le président Peña Nieto signe le « Pacto por Mexico » avec les deux principaux partis d’opposition : PAN et PRD (et se rallie avec certains partis secondaires) pour promouvoir quatre réformes clefs dont la principale est la réforme énergétique, ce qui a permis d’ouvrir le secteur et attirer de nouveaux investissements au monopole d’État Petróleos Mexicanos (PEMEX), par l’encouragement d’alliances avec des entreprises étrangères privées.
15. Il s’agit de deux partis secondaires qui ont toujours soutenu le PRI. Il ne faut pas percevoir le PVEM comme un parti écologiste tel qu’ils existent en Europe, étant donné leur position radicale sur certaines thématiques telles que la peine de mort par exemple pour laquelle le PVEM a déclaré être à faveur !
16. Enrique Peña Nieto a été très fortement contesté lors de son mandat par des affaires de corruption et d’enrichissement illicite. Notamment dénoncé par l’enquête de la célèbre journaliste Carmen Aristegui (elle a reçu nombre de prix pour son travail dont le Prix du journalisme Gabriel García Márquez en 2015 et le prestigieux prix international Knight du journalisme en 2016) d’avoir acheté une résidence dans des conditions douteuses dans lesquelles l’épouse du président Peña Nieto a fait l’acquisition d’une luxueuse propriété, de surnom de “Maison-Blanche” (Casa Blanca) d’une valeur de 7 millions de dollars.
17. Le gouvernement avait insisté depuis le début de son mandat sur le fait que la réforme énergétique (privatisation du pétrole) allait diminuer le prix de l’essence.
18. Depuis 5 ans, quatorze gouverneurs ont été accusés de corruption, 4 gouverneurs du PRI sont actuellement en prison pour détournement des fonds publics, enrichissement illicite et liens avec la criminalité organisée : Javier Duarte (Veracruz), Roberto Borge (Quintana Roo), Andrés Granier (Tabasco), Jesús Reyna (Michoacán) ainsi qu’un gouverneur du PAN : Guillermo Padrés (Sonora). Tomas Yarrington (Tamaulipas) a été accusé de narcotrafic et est actuellement dans les mains de la justice américaine. En 2016, le réseau de lutte contre la criminalité financière du département du Trésor des États-Unis, accuse Humberto Moreira (ex-gouverneur de Coahuila) de posséder plus de 60 millions de dollars dans des paradis fiscaux, il avait déjà été objet d’une enquête et arrêté en Espagne, puis libéré mais différentes enquêtes sont toujours ouvertes à son égard. La liste est beaucoup plus longue…
19. https://www.animalpolitico.com/2018/05/amlo-anaya-preferencias-electorales-encuesta-reforma/
20. https://www.huffingtonpost.com.mx/2016/11/03/la-millonaria-vida-de-ricardo-anaya-presidente-del-pan_a_21598247/
21. Concernant le revenu universel, c’est une proposition qui vient tant des idées progressistes comme de la droite conservatrice et a généré beaucoup d’encre. Il n’est pas évidemment ici le lieu de traiter le sujet.
22. Il faut signaler que la ville de Mexico a approuvé en 2009 le mariage pour tous (matrimonio igualitario).
23. Son dernier livre : Andrés Manuel López Obrador 2018 La salida. Decadencia y renacimiento de México, Editorial Planeta, 2017.
24. Il a proposé un vaste programme d’aide à l’agriculture et la construction de 5 raffineries.
25. http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2018/04/08/construccion-del-naicm-un-ecocidio-de-extraordinarias-dimensiones-1603.html
26. Carlos Slim et Germán Larrea sont les deux hommes d’affaires les plus riches du pays selon la revue Forbes, avec des fortunes calculées de 67 mille millions et 17 mille millions de dollars, respectivement.
27. Autour de 94 % de délits et infractions ne sont pas signalés au Mexique, faute de confiance dans les institutions judiciaires.

https://www.les-crises.fr/un-contexte-chaotique-pour-les-prochaines-elections-au-mexique-par-laila-porras/