2.mai.2018
Emmanuel Macron va fêter le premier anniversaire de son élection au mois de mai. Cette élection, on s’en souvient, s’était déroulée dans un contexte plus que particulier. Le rejet par une fraction de l’électorat de Mme Marine le Pen, pour des raisons multiples dont en particulier sa performance exécrable lors du débat télévisé, avait lourdement pesé sur cette élection. Emmanuel Macron, à plus d’un titre, apparaissait donc comme un « président par défaut », un Président qui n’avait reçu des électeurs aucun mandat précis, ce que confirmaient les sondages. Pourtant, il s’est cru investi d’un mandat particulier, celui de réformer la France. Il faut, alors, se retourner sur un an de Présidence Macron, et sur la frénésie des réformes qui semble l’habiter, mais aussi sur le sens même de certaines de ces réformes.
Un président autoritaire ?
Ses méthodes de gouvernement divisent, mais elles ont incontestablement donné des résultats. Il a ainsi pu faire passer une importante – et fort controversée – réforme du code du travail. Cependant, le processus qu’il a adopté pour ce faire – les « ordonnances » – n’est pas innocent et il a laissé des traces. De même, les soupçons de favoritisme, voire de cadeaux donnés à certains chefs syndicaux, pour diviser le mouvement syndical, n’ont pas grandi l’action d’Emmanuel Macron. Sa politique aura contribué à décrédibiliser ce que l’on appelait le « pôle réformiste » au sein du syndicalisme français. Ajoutons qu’il a pris goût aux ordonnances, détournant ainsi une procédure qui était, initialement, réservée aux questions budgétaires. Son utilisation tend désormais à se systématiser. Elle contribue donc à l’image d’autoritarisme qui semble désormais coller au Président. Selon un sondage IFOP, 73% des personnes interrogées considéraient qu’il était autoritaire, et seulement 30% qu’il était proche des français[1]. C’est une image en réalité désastreuse, car on sent bien toute la différence qu’il y a entre l’autorité légitime et un comportement autoritaire…Emmanuel Macron brutalise, que ce soit symboliquement ou matériellement une bonne partie de l’opinion publique française. Cela laissera des traces.
Ajoutons à cela la maladresse dont le gouvernement a fait preuve à propos de Notre-Dame-des-Landes, combinant une forte répression avec un recul trois jours après pour commencer des négociations, et la brutalité dans la répression du mouvement étudiant : on pourrait se croire revenu au temps des marcellinnades de 1968. Le cas de Notre-Dame-des-Landes est ici emblématique. Puisque Macron avait décidé de ne pas y faire construire l’aéroport dont certains rêvaient, pourquoi ne pas avoir pris le temps de la concertation avant d’user de la répression ? Les images des affrontements resteront aussi dans les mémoires, et elles ne font pas honneur à Emmanuel Macron.
Le président des riches ?
Si les réformes qu’il entend faire passer en France sont donc sur les rails, et cela sans jeu de mots (on pense bien sûr à la réforme de la SNCF), elles continuent d’être fortement contestées. Les attaques contre les services publiques touchent, il convient de le rappeler, en premier lieu les plus défavorisés. De fait, nombre de ces réformes heurtent de plein fouet les classes populaires. A cela viennent s’ajouter des dérapages de langage qui révèlent une morgue profonde : parler de « gens qui ne sont rien » confirme qu’Emmanuel Macron a très peu d’empathie pour qui n’est pas issu du même milieu que lui. La familiarité qu’il entretient avec des personnes qui peuvent raisonnablement passer pour des « nantis » aggrave son cas. Cela, cependant, ne peut lui être reproché. Par contre, les mesures fiscales avantageant massivement les plus riches sont, elles, problématiques.
Alors, pour sa défense, il dira que cela est nécessaire pour relancer l’économie française. Mais, si les bons chiffres de 2017 peuvent faire illusion, en sachant qu’ils sont très largement le produit de la conjoncture internationale, le fort ralentissement de la croissance au début 2018 pose un véritable problème. Si l’économie française patine, c’est très largement lié à la perte de compétitivité induite par l’existence de l’Euro. Avec un décalage de 26% à 43% par rapport à l’Allemagne[2], il est impossible pour la France d’être compétitive, que ce soit à l’intérieur de la zone Euro ou à l’extérieur dans le commerce « hors zone »[3].
L’image d’un Président autoritaire se combine alors à celle d’un « Président des riches », voire des « très riches » comme le dit François Hollande[4], une image qui découle d’un certain nombre de mesures fiscales avantageant à l’évidence les 10% de la population aux revenus les plus élevés. La combinaison de ces deux images pourrait bien se révéler délétère, voire désastreuse, à l’avenir. Etre considéré à la fois comme un Président des riches et un Président autoritaire revient, à terme, à unir ses adversaires. Il y a là une menace potentielle qui pèse sur les épaules d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron et l’Europe
Ces réformes viennent s’intégrer dans la politique européenne d’Emmanuel Macron. Il n’a échappé à personne qu’elles reprennent les grandes lignes des orientations décidées par la Commission Européenne, ce que l’on appelle les « GOPE »[5]. Ces dernières mettent l’accent sur la concurrence dans les services publics (et en particulier dans le transport ferroviaire) mais aussi recommandent toute une série de mesures fiscales. En un sens, Emmanuel Macron est celui qui va imposer à la société française de se plier de force à la logique de l’Union européenne, après avoir refusée de s’y plier de gré, et l’on se souvient ici du référendum de 2005 et de ses résultats. Il doit cependant ici prendre garde à ne pas acquérir une troisième image, en plus de celle du Président autoritaire et du Président des riches : celle du Président de l’étranger. Les conséquences en seraient désastreuses, si l’on se rappelle les représentations de Louis XVI et de Marie-Antoinette lors de la Révolution française…
Et pourtant, il y a une logique dans ce qui peut être considéré comme une folie, ou du moins comme une volonté de brutaliser une grande partie de la société française. Emmanuel Macron s’en est d’ailleurs expliqué dans son grand discours devant le Parlement européen. Il espère, par ces réformes et ces politiques, renforcer la position de la France au sein de l’Europe, car il veut combattre la prééminence de l’Allemagne d’Angela Merkel. Son projet, qui est un très vieux rêve de l’élite politique française, est de construire une Union européenne qui soit réellement fédérale. On peut cependant douter de cette stratégie. Outre le fait qu’elle rappelle trop la nouvelle de Jack London, La Force des Forts[6], cette stratégie se heurte à une volonté constante de la classe politique allemande qui se refuse à envisager toute « union de transferts » et toutes réformes allant dans le sens d’une Union européenne plus fédérale, sauf bien entendu si l’Allemagne conservait sa souveraineté, et donc ses instruments de contrôle, dans ce processus. Il faut ici se souvenir de l’arrêt de la cours de Karlsruhe de 2009[7]. Les succès tactiques d’Emmanuel Macron préparent-ils alors un échec stratégique ? Oh, certes, il obtiendra des compliments sur sa politique, et les dirigeants allemands lui passeront la main dans le dos (ce qu’il aime bien, si l’on en croit son récent voyage aux Etats-Unis…). Mais, rien de concret ne sortira de sa politique quant à l’Union européenne, et il aura durablement affaibli et divisé la société française. Car, en l’état, l’Union européenne est non réformable. Il faudrait, pour espérer faire avancer les choses, avoir le courage de provoquer une crise majeure. Mais, cette dernière menacerait de « tuer l’UE ». C’est là toute la contradiction de la politique d’Emmanuel Macron : il s’est persuadé que la survie de l’UE passait avant toute réforme. On comprend, alors, la prégnance du statuquo.
Emmanuel Matrump ?
Le rapprochement entre Emmanuel Macron et le controversé Président des Etats-Unis, Donald Trump, a été fait par certains observateurs. Mais, le second fut élu sur une vague populiste, un refus massif de l’establishment, alors que le premier l’incarne à la perfection. Tous cependant ont noté l’apparente amitié, et même la « complicité » qui a semblé unir les deux hommes. Mais, outre le fait qu’il y avait dans cela beaucoup de communication, que ce soit dans les embrassades ou dans le symbole du chêne planté (et retiré une fois le voyage achevé), cela participe de ce que l’on peut analyser comme une impasse stratégique dans laquelle notre Président s’est engagé. Les sujets de divergence sont nombreux entre les deux hommes, de la question du climat à celle du libre-échange. Pourtant, leur entente semble réelle, et Emmanuel Macron a pris la responsabilité – et le risque politique – de s’associer aux frappes étatsuniennes sur la Syrie, frappes hors de tout cadre légal et sur des bases matérielles extrêmement fragiles. Il a pris le risque de renforcer les pressions à la prolifération nucléaire qui se manifestent de par le monde.
On devine qu’il espérait, en retour, un appui des Etats-Unis quant à sa politique européenne. Mais l’appuis des Etats-Unis sera-t-il suffisant pour faire plier l’Allemagne ? On peut en douter. Les capacités de pression des Etats-Unis sur l’Allemagne ne sont plus celles des années 1960. Ici encore, Emmanuel Macron se berce probablement d’illusions. La nature des relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis a en effet bien changé avec ce que l’on pouvait connaître dans les années 1960 et jusqu’aux années 1980[8]. L’Allemagne a fait sa réunification, ce qui était l’un de ses grands objectifs stratégiques. Elle en craint plus la Russie pour de nombreuses raisons, qui vont de l’existence d’Etats-tampons (la Pologne, le Belarus, l’Ukraine), au fait qu’une guerre majeure sur le théâtre d’opérations « centre Europe » déboucherait rapidement sur des catastrophes majeures et l’emploi du feu nucléaire, ce dont personne ne veut. Elle se prépare, si elle ne l’a déjà fait, à passer un accord avec la Russie, une forme de Rapallo clandestin.
Un petit rappel de l’histoire est ici nécessaire. Le 16 avril 1922, en marge de la conférence de Gênes, Walter Rathenau, le Chancelier de l’Allemagne de Weimar et Georgui Tchicherine, Commissaire du Peuple aux Affaires Etrangères de l’Union soviétique signaient à Rapallo un traité officiellement économique, mais établissant de fait une coopération étendue, tant industrielle que militaire, entre les deux pays qui devaient durer jusqu’en 1933[9]. Ce traité provoqua une immense émotion, en particulier en France[10], car elle actait de l’éclatement de « l’alliance de revers » qui, pendant plus de vingt ans, avant 1914, avait été l’un des fondements de la politique étrangère française[11]. En 1922, c’était le traité entre une Allemagne vaincue et une URSS isolée. Le Traité de Rapallo était un acte de défense entre deux pays aux abois. Aujourd’hui, ce qui est en jeu, c’est une possible alliance entre une Allemagne dominante économiquement et émancipée politiquement et une Russie qui a fait depuis dix ans un retour impressionnant sur la scène internationale.
On peut donc penser que le Président français a vendu la réputation et la crédibilité de son pays contre un illusoire plat de lentilles (au ketchup)…
Emmanuel Macron et la France
Ceci doit conduire à s’interroger sur l’image de la France qu’a Emmanuel Macron. Sa politique, qu’il s’agisse de la politique intérieure ou de la politique extérieure nie l’existence d’intérêts particuliers de la France (et des français). Ou plus exactement, elle procède à une dissolution de ces intérêts dans le cadre de l’Union européenne. Oubliés, les principes qui avaient guidés pendant des décennies la politique étrangère de notre pays, comme le respect du droit international, un point clef dans la décision de Jacques Chirac de ne pas s’associer à l’agression américano-britannique contre l’Irak en 2003, ou l’indépendance nationale et son corollaire, l’équilibre des puissances. Car, prisonnière du carcan de l’intégration dans l’OTAN et de la soumission à Bruxelles, la France ne peut plus faire entendre sa voix, et ce au moment ou, pourtant, le monde en a tant besoin. Oubliées, les idées longtemps maitresses de la politique intérieure comme la politique industrielle et l’aménagement du territoire, des idées qui étaient en définitive profitables à tous. La France, selon Macron, n’a plus de projet ; elle n’a qu’un bilan et un compte d’exploitation. La France ne se conduit plus ; elle se gère. Peut-être la formule de la « start-up nation » n’était-elle pas une métaphore, mais la réalité la plus nue et la plus vraie de ce qu’est la conception de la France pour Emmanuel Macron. Ce n’est donc point un Président que nous avons élu, mais un chef d’entreprise, qui travaille pour le profit de ses actionnaires (les dirigeants de l’Union européenne) et qui n’hésitera pas à licencier le peuple si ce dernier ne lui convient pas. Alors, oui, à ce niveau de vacuité, on peut se permettre des choses indignes, comme de s’exprimer en une langue étrangère devant un parlement étranger ou de livrer à des embrassades grotesques. Quand on ne représente plus un pays, il n’y a plus de questions de dignité. Victor Hugo plaçait ainsi dans la bouche de Triboulet, le héros tragique de Le Roi s’amuse: “Sire, je ne viens pas demander ma fille / Quand on n’a plus d’honneur, on n’a plus de famille”.
Ainsi se révèle de la manière la plus crue, mais aussi la plus véridique, la Présidence d’Emmanuel Macron, une Présidence qui se fait sans doute des idées sur la France mais qui a complètement oubliée une certaine idée de la France.
Notes
[1] https://www.valeursactuelles.com/politique/sondage-73-des-francais-trouvent-emmanuel-macron-autoritaire-94866
[2] Voir, http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2017/07/27/2017-external-sector-report et http://www.imf.org/en/Publications/Policy-Papers/Issues/2016/12/31/2016-External-Sector-Report-PP5057
[3] Voir la note publiée le 29 juillet 2017 sur Russeurope, https://russeurope.hypotheses.org/6180
[4] http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/04/25/25001-20180425ARTFIG00359-hollande-allume-macron-c-est-le-president-des-tres-riches.php
[5] ALLEMAND, Frédéric, “Les GOPE” dans ALLEMAND, Frédéric, L’Union économique et monétaire: origine, fonctionnement et futur. Sanem: CVCE, Dossier thématique, 2013. CVCE, 2013 ; https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/a84854b0-f7e6-44cb-81b0-3c9652b60054
[6] Jack London (Auteur) Jean Talva (Traduction), Paris, Editions Phébus, coll. Libretto, Paru en octobre 2009 https://fr.wikisource.org/wiki/La_Force_des_Forts
[7] https://www.bundesverfassungsgericht.de/pressemitteilungen/bvg09-106.html
[8] Sur ce point, Fondation Respublica, L’avenir des relations germano-américaines, note 109, 18 septembre 2017.
[9] Fink Carole et Frohn Axel (edits.), Genoa, Rapallo, and European reconstruction in 1922, German historical institute ; Cambridge ; New York : Cambridge university press , 1991 ;
[10] Fritsch-Bournazel Renata, Rapallo, naissance d’un mythe. La politique de la peur dans la France du Bloc national, Fondation national des sciences politique, Paris, 1974
[11] Les négociations entre la France et la Russie avaient commencé en 1891 et devaient aboutir en 1894. Voir, Picheral Jean, L’Alliance franco-russe. Montpellier, Imprimerie de la Manufacture de la Charité, 1928, 151 pages