Par Dimitris Konstantakopoulos
20 Juillet 2023
A notre époque, le national coïncide avec le populaire et le populaire avec le national.
Dimitris Glinos, “Qu’est-ce que l’EAM et que veut-il ? (1)
Il est évident que SYRIZA est menacé de désintégration et de désagrégation. Sa survie dépend de plusieurs facteurs, mais le plus crucial d’entre eux (certainement pas le seul) est la position qu’il adoptera dans les prochaines négociations gréco-turques (c’est-à-dire américano-turques).
Sera-t-il aux côtés du peuple grec qui veut, dans sa grande majorité, défendre ce qui reste de son État, de ses intérêts nationaux légaux et légitimes, et même de ce qui reste de fonctionnel dans sa démocratie (qui est le contraire de la xénocratie) ? S’opposera-t-il activement à une politique vouée soit à provoquer une nouvelle crise plus grave dans les relations avec la Turquie, soit à mener à des concessions qui rendront l’État grec (et chypriote) non – viable? Une politique qui pourrait conduire à une crise nationale majeure ? (https://kosmodromio.gr/2023/
La situation qui se dessine constitue un moment historique et constitue probablement aussi la dernière chance pour SYRIZA de prouver qu’il était autre chose qu’un simple feu d’artifice.
Ou Syriza va-t-il, au contraire, par divers prétextes et dérobades, par des actes ou des omissions, ouvertement ou par la méthode de la tolérance et de dérobade par les promesses, défendre les intérêts de l’Amérique et de l’ “Occident collectif”, qui sont en conflit direct avec les intérêts du peuple grec et cherchent non pas tant à mutiler la Grèce et Chypre qu’à les abolir complètement en tant qu’États indépendants, démocratiques, souverains et, en fin de compte, grecs?
Ils cherchent à le faire parce qu’ils ont besoin à tout prix (de la Grèce et de Chypre entre autres) de “recruter” pleinement la Turquie dans la guerre contre la Russie et ils sont prêts à lui donner tout ce qu’elle demande. Puisque, clairement, Ankara n’est pas aussi prévisible que le sont nos politiciens, qui s’en prévalent même.(Erdogan persistera-t-il dans son nouveau flirt ou acceptera-t-il les concessions pour retourner sa veste par la suite ? It’s anybody’s guess, comme on dit.)
Mais ils le font aussi parce qu’ils veulent s’emparer de la “plus-value géopolitique” de l’espace grec au sens large, tout comme ils se sont emparés de notre économie et de notre politique ; ils veulent achever de s’emparer de l’État-nation grec, pour laisser ici un pays à la population moribonde et rétrécie, une base militaire majeure pour leurs campagnes à l’Est, qui s’appellera la “République Hellenique (grecque)”, mais qui n’aura rien de grec ni de démocratique et qui se dirigera vers “une Grèce sans Grecs”, comme l’a prophétisé Mikis Theodorakis au début des programmes de “redressement” (en realite de catastorphe) imposes par l’ Allemagne, l’ UE et le FMI, avec son étonnante intuition.
Dans les conditions actuelles mondiales et surtout les conditions particulières grecques, celles d’un peuple et d’un État menacés non seulement par la Turquie, mais par tout l’Occident collectif “politico-économique”, la défense de l’État-nation, qui fut la plus grande conquête de la Révolution française, et l’incarnation du droit à l’autodétermination des peuples proclamé par la Révolution russe, est la tâche progressiste la plus fondamentale de tout homme et de tout politicien qui veut appartenir au camp de la gauche et du progrès.
Nous aurons peut-être à l’avenir des fédérations et des confédérations démocratiques qui mettront fin à la préhistoire de l’humanité et ouvriront la voie à une civilisation plus haute.
Pour l’instant, mais pour qu’une telle perspective reste ouverte, nous devons défendre – tout en œuvrant, certes, pour son amélioration – la seule institution qui garantit que nous avons des hôpitaux, des pensions, et notre sécurité sociale. Non pas que nous en ayons beaucoup en l’état de délabrement actuel de la Grèce ; mais imaginez que la Grèce n’ait même pas ce qu’elle a aujourd’hui.
La gauche grecque n’agit pas dans le contexte d’une nation impérialiste, où elle devrait certainement s’opposer frontalement à l’impérialisme. Elle agit dans le contexte d’une nation fondamentalement menacée de plusieurs côtés.
Si SYRIZA (et le PASOK) se placent résolument du côté du peuple grec et non des Américains, ils rendront un grand service à leur pays et surtout aux couches populaires. En particulier à ceux qui ont besoin de leur État et de leur nation, et de leur protection ; ceux qui n’ont pas de maisons à Londres et de dépôts à Genève. Ils conserveront également une place sur la future carte politique de la Grèce. Ils laveront une partie au moins de la honte de 2015 (et de 2010 pour le PASOK) (3).
S’ils ne le font pas, non seulement ils disparaîtront de la vie politique grecque, mais ils auront ouvert de très mauvaises voies pour ce qui restera du pays.
Si la tragédie chypriote a ouvert la voie à la chute du régime dictatorial, la tragédie grecque qui se prépare, si nous ne l’arrêtons pas, jettera les bases pour la continuation (parce le travail de sape a déjà été largement accompli “en douce”) du renversement du régime démocratique installé en Grèce avec la chute de la dictature (1974) et la montée du PASOK au pouvoir (1981). Des forces abjectes, auxquelles la gauche dit s’opposer et qu’elle méprise, finiront par prendre en charge la gestion de ce qui reste de l’espace grec.
L’heure de vérité a sonné pour la gauche grecque dans toutes ses versions (comme elle a sonné pour le PASOK et pour tous dans le pays).
Traduit du Grec
Notes
1. Dimitrios Glinos (https://en.wikipedia.org/
2. Nous faisons référence à la politique conçue par l’administration américaine et suivie docilement par le gouvernement Mitsotakis. Elle prévoit, pour l’essentiel, d’énormes concessions de souveraineté dans les îles de la mer Égée, afin de “calmer” Ankara et de créer un front “commun” de l’OTAN dans le sud-est de la Méditerranée. Bien entendu, les États-Unis ne souhaitent pas céder à la Turquie le contrôle de la mer Égée, qui est le prolongement stratégique du détroit. Ils utilisent le nationalisme extrême turc pour prendre aux Grecs le contrôle de la mer Égée, et non pour le donner aux Turcs.
3. En mai 2010, le gouvernement Pasok dirigé par George Papandreou et élu sur un programme de redistribution sociale a signé les fameux programmes de sauvetage imposés par l’UE, la BCE et le FMI. Ces programmes – bien pires que ceux habituellement imposés aux pays du tiers monde – étaient contraires aux promesses préélectorales du gouvernement, à la loi et à la constitution grecques, aux traités de l’Union européenne et, même, aux statuts du FMI. Ils ont provoqué la plus forte chute de PIB dans un pays occidental après la Seconde Guerre mondiale (27 %, ce qui est comparable à la Grande Dépression de 1929 aux États-Unis). À la suite de ces programmes, le système de protection sociale de la Grèce s’est pratiquement effondré, la dette elle-même a bondi de 110 % du PIB à 185 % et le pays est confronté à un désastre démographique ! En janvier 2015, les Grecs ont élu un gouvernement composé de SYRIZA et des Grecs indépendants (An.Ell.) sur la promsesse de répudier ces programmes. En juillet, ils ont voté par référendum contre la poursuite de ces politiques. Une semaine après le référendum, le gouvernement Tsipras – Kammenos a décidé de ne pas respecter son résultat.
4. En juillet 1974, la junte grecque imposée par la CIA a organisé un coup d’État à Chypre – une réplique presque exacte du coup d’État de septembre 1973 au Chili – afin de tuer le président chypriote, l’archevêque Makarios, détruire son État et fournir à la Turquie, alliée de l’OTAN, le prétexte d’envahir Chypre, dans le cadre d’un plan américain (sinon américano-israélien) dirigé par Henry Kissinger, visant à détruire l’État chypriote. L’armée grecque, contrôlée à tous les niveaux par la CIA, n’a pas réagi à l’invasion turque. Suite à cela, la dictature grecque s’est effondrée, un vide de pouvoir a été créé dans le pays et Konstantinos Karamanlis a été immédiatement envoyé en Grèce par les États-Unis et la France, pour “restaurer la démocratie”, en réalité pour éviter une tournure plus radicale des événements, comme au Portugal également en 1974.