Par Michel Zerbato
17 février 2015
Reçu de Dominique Gérin le 9 février 2015 :
« Une restructuration forte [de la dette grecque] fera payer les contribuables des pays européens à commencer par l’Allemagne », écrivez-vous dans « Pourquoi la stratégie de Syriza est riche d’enseignements ».
C’est précisément le chiffon rouge qu’agitent devant nos yeux effarés les économistes à rond de serviette des TV mainstream. Or c’est faux. Ce que les contribuables des pays de l’UE ont versé pour “renflouer” la Grèce, ils l’ont versé à perte : c’est allé directement aux banques, qui se sont bien gardées de redistribuer quoi que ce soit ; en tout cas, pas au peuple. Et ce n’est pas vrai seulement pour la Grèce, c’est vrai pour tous les pays qui ont “bénéficié” de plans d’“aide” européens.
La restucturation d’une dette dont tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle ne sera jamais remboursée (quant au capital, c’est-à-dire quant au principal) ne vise qu’à étaler dans le temps le versement des intérêts.
Il faut donc cesser de faire peur au petit créancier avec de tels raccourcis. De toute façon, les petits créanciers (nos impôts) ne seront jamais remboursés. L’intérêt de l’UE serait d’accepter cette renégociation. Si l’UE tient à elle-même (c’est-à-dire à la fiction d’un Europe unie), c’est la moins mauvaise des solutions. L’autre, c’est, pour l’Allemagne au premier chef, de rester rigide, et de provoquer la sortie en catastrophe de la Grèce de l’euro. Dans les deux cas, il sera évident pour d’autres pays soumis au même chantage qu’on peut sortir de TINA (et de l’Euro et de l’UE). L’UE est prise en tenaille. (Et au vu de la bêtise du personnel politique de cette UE, il est à parier que c’est cette seconde solution qui prévaudra.)
Réponse de la Rédaction
Il serait donc faux, Madame, de dire que si la Grèce ne rembourse pas, les contribuables des pays créanciers paieront à sa place ? Oui, c’est faux, parce qu’il est vrai que nul contribuable français ne verra ses impôts augmentés de 650 euros pour renflouer la Grèce. Mais non, ce n’est pas faux, parce qu’il n’est pas vrai que cela ne coûtera rien, comme le prétendent certains journalistes (1).
Cette apparente contradiction résulte de la confusion entre la France et les Français. La France est éternelle, au sens où quand elle prête ou emprunte, c’est l’ensemble des Français qui est concerné, la génération présente et les générations futures. Les dettes d’un Français meurent avec lui si ses descendants refusent de les hériter, celles de la France seront à la charge des générations futures, sauf épisode violent qui mettrait fin à la continuité de l’État.
Il est donc vrai qu’il peut sembler que, techniquement, la dette publique n’est jamais remboursée : quand vient une échéance, elle est remboursée à l’aide d’un nouvel emprunt. Mais il faut distinguer la dette à l’égard des marchés et la dette à l’égard des États.
À l’égard des marchés, il faudra à l’échéance trouver des prêteurs, sinon c’est la banqueroute. Si les « marchés » ne croient plus à la capacité des emprunteurs de servir la dette, c’est-à-dire de payer les intérêts et les tranches arrivant à échéance, ils vont exiger des taux d’intérêt de plus en plus élevés. Et les intérêts, il faut les payer. Or, quand le taux de l’intérêt devient supérieur au taux de croissance de l’économie, le pays doit pouvoir dégager un excédent primaire du budget (le solde avant paiement des intérêts), sinon le pays doit emprunter pour payer les intérêts et la dette fait boule de neige. C’est ce qui est arrivé en 2010 et a conduit les pays de la zone euro à se substituer aux banques créancières de la Grèce, pour éviter l’implosion de leurs systèmes financiers et le chaos total.
Certes, quand un État emprunte à d’autres États, ça lui coûte moins cher, dans la mesure où il s’agit de solidarité pour sauver l’euro, mais il perd sa souveraineté : dans le cas de la Grèce, avant Tsipras, c’était la Troïka qui gouvernait (après, on verra). Donc si la Grèce ne rembourse pas l’aide reçue directement des États en 2010, puis via le FESF (devenu MES) en 2012, la France devra s’asseoir sur les intérêts des 11 mds prêtés directement et emprunter pour les 31 mds de sa quote-part de garantie du prêt FESF. Il faudra donc trouver des prêteurs, ce qui n’est certes pas difficile, les banques sont noyées de liquidités qu’elles préfèrent prêter quasi-gratuitement aux États plutôt que prendre le risque de financer l’économie réelle.
Pour le moment, donc, les créanciers de la Grèce pourraient faire face à un défaut plus ou moins total, ils pourraient payer sans douleur pour les contribuables. Mais cette accumulation de dettes ne résout rien, elle ne permet que de gagner du temps, et à terme plus ou moins éloigné, les lois de l’économie présenteront la facture. Car le « choix » est entre, d’un côté, la continuation de la fuite dans la mise en œuvre de la « planche à billets », avec toutes les conséquences que l’on sait, de l’hyper-inflation type Italie pré-Mussolini ou Allemagne de Weimar à la montée des fascismes, et, de l’autre, l’austérité, qui n’a pour effet que de renforcer la persistance de la crise, ce qui conduira les « marchés » devenus frileux à rectifier leurs anticipations et demander des taux en hausse, qui feront exploser la dette des pays prêteurs.
Quelle que soit l’issue des négociation avec la Grèce, cela aura des conséquences pour le petit épargnant, à qui il ne s’agit pas ici de faire peur, mais de faire ouvrir les yeux. Le choix de la planche à billet et de l’inflation, auquel conduirait le plan grec, est celui de son euthanasie. Le choix de l’austérité, que privilégie l’UE, est celui de la continuation de l’austérité, soit plus d’impôts et moins de dépenses, qui implique la baisse du rendement de la petite épargne (on en voit notamment des prémices dans la fiscalité de l’épargne salariale). Il ne faut pas ignorer que les banques ont prêté à la Grèce pour alimenter les intérêts de la petite épargne (PEL, PEA, assurance-vie, etc.), et qu’en sauvant les banques, on a « sauvé » le petit épargnant.
Au total, quand un pays est en crise, ses ressortissants la paient toujours, d’une manière ou d’une autre, l’histoire en est témoin, que ce soit par le chômage, la misère, ou la guerre. Seuls ceux qui nient le fondement structurel de la crise du capitalisme et n’y voient que la conséquence de mauvais choix politiques dictés par l’intérêt ou la bêtise, peuvent croire que la solidarité avec le peuple grec peut faire l’économie de la critique du capital. L’Allemagne est prise entre deux feux, celui des avantages de l’euro et du marché unique et celui du coût de la solidarité européenne, et sa rigidité vient de ce qu’elle n’a aucune raison de payer (2). L’internationalisme conséquent, c’est la solidarité des classes dominées contre les classes dominantes, pas celle des pays dominés contre le pays dominant.