Singapour : Le baiser de l’araignée

par Guillaume Berlat
18 juin 2018

«On peut définir la diplomatie comme l’art de lutter avec insuccès contre la force des choses », nous rappelle l’ambassadeur Paul Cambon. Incroyable mais vrai ! L’année 2017 se finit sur un échange d’insultes par tweets interposés entre le milliardaire américain, Donald Trump, 45ème président des États-Unis et l’autocrate nord-coréen, Kim Jong-un, risquant de déboucher sur l’apocalypse nucléaire. L’année 2018 se déroule sur un échange d’aimabilités et la signature d’une brève déclaration commune entre les deux protagonistes à Singapour le 12 juin 20181, et cela après la déroute du G7 de Charlevoix conclu par un tweet vengeur du chef d’État américain expédié depuis Air Force One en route sur l’Asie. Décombres d’une alliance transatlantique moribonde, d’un côté et promesse d’un nouveau pacte atlanto-asiatique de l’autre ! Ainsi va la diplomatie de rupture du président américain ! Ainsi va le monde de ce début du XXIe siècle, aussi déroutant qu’imprévisible !

L’incertitude est désormais la règle au temps du bouillonnant et peu diplomate Donald Trump. Jupiter observe de loin un théâtre diplomatique sur lequel il est étrangement absent. Les choses sérieuses se passent sans les inénarrables Européens tout occupés à se quereller, à constater impuissants la montée des populismes, à constater leur impuissance abyssale à peser sur les affaires du monde. Un bref retour en arrière s’impose pour mieux être en mesure d’appréhender le saut qualitatif que représente la rencontre de Singapour2  (sur l’ile de Sentosa), ce « sommet des coiffeurs » et pour envisager l’avenir de la nouvelle entente entre l’Amérique et la Corée du nord (dans le domaine nucléaire principalement).

UN DEMI-SIÈCLE TOURMENTÉE ENTRE PYONGYANG ET WASHINGTON

Un bref retour sur un passé lointain et récent permet d’appréhender la période de la Seconde Guerre mondiale, le temps de l’armistice puis celui de la montée des tensions avec la maîtrise de l’arme nucléaire par les Corées du nord.

Bref retour sur le passé lointain et récent : l’omniprésence japonaise

La Corée en tant qu’Etat se forme très tôt, des regroupements de tribus sont attestés deux millénaires avant notre ère, mais c’est à partir du XIVe siècle qu’un Etat fort et administratif naît dans la péninsule, après la fin de la domination mongole. A la faveur d’un affaiblissement de l’Etat à la fin du XIXe siècle, la Corée devient un enjeu entre les puissances japonaise et chinoise. Après un traité de protectorat en 1905, qui lie Corée et Japon, le voisin nippon commence sa colonisation « légalisée » par un traité d’annexion en 1910. L’occupation et la colonisation brutale de la Corée par les Japonais sont marquées par l’expropriation des paysans, l’exploitation économique et une politique de promotion de la culture japonaise. Cette occupation provoque des attentats et des révoltes, comme celle de 1919, dont la répression aurait fait plusieurs milliers de morts. Le colonisateur cherche à faire de la Corée son réservoir de ressources ou de main-d’œuvre, mais aussi de cobayes médicaux humains, d’esclaves et de prostituées (les « femmes de réconfort » coréennes « fournies » aux troupes japonaises, en particulier durant la seconde guerre mondiale).

Rappel succinct des années de guerre et d’après-guerre : l’armistice

Fédérée autour du communiste Kim Il-sung (grand-père de Kim Jong-un), la résistance enregistre des succès face à l’occupant japonais. Tant et si bien que cette activité sur le terrain vaut au gouvernement provisoire en exil (nationaliste et libéral) d’obtenir des Alliés l’indépendance de son pays à l’issue de la seconde guerre mondiale. A la fin de la guerre, et avec la capitulation des Japonais, les Soviétiques prennent pied dans le nord de la Corée dès le début du mois d’août 1945. Les Américains arrivent un mois plus tard par le sud et installent un gouvernement militaire à Séoul. Ce faisant, ils maintiennent en place l’administration héritée de la colonisation japonaise. L’Union soviétique occupe le Nord, les Etats-Unis le Sud, de part et d’autre du 38e parallèle. Une résolution de l’ONU impose des élections libres dans le pays en 1947. Dans le Sud, ces élections portent au pouvoir l’ancien chef du gouvernement provisoire, le nationaliste libéral Syngman Rhee. La décision internationale n’est pas reconnue par l’URSS, qui n’organise pas ces élections de son côté de la frontière.

Le 19 juillet 1948, la République populaire démocratique de Corée est proclamée, avec Pyongyang pour capitale. Après de nombreux incidents le long de la frontière précaire, située sur le 38e parallèle, le Nord prétexte une incursion du Sud pour faire traverser la ligne à des milliers de soldats le 25 juin 1950. Le 28 juin, après trois jours de combats, Séoul tombe. Alors que l’URSS pratique la politique de la « chaise vide » à l’ONU, l’organisation condamne l’attaque et envoie une force de seize pays, dont le commandement est assuré par les Américains. Le 7 octobre, tout le terrain perdu par le Sud a été repris, et les forces de l’ONU traversent le 38e parallèle à leur tour. Alors que toute la péninsule est presque entièrement conquise, la Chine intervient, envoie des troupes de « volontaires » et fait reculer celles envoyées par l’ONU. Les positions se figent autour du 38e parallèle à partir de juillet 1951.

En juillet 1953, les deux années de négociations, et de guerre de position sur le terrain, entre Nord et Sud se soldent par un simple armistice, avec un très léger gain territorial pour le Sud. L’armistice étant une simple décision politique, les deux Etats sont toujours officiellement en guerre, tant qu’une paix ou qu’une capitulation n’a pas été signée. A ce titre, malgré la création de la zone coréenne démilitarisée (DMZ) entre les deux Etats, en 1953, les escarmouches ont été nombreuses en soixante-six ans. On peut citer l’envoi par le Nord d’équipes de guérilla au Sud dès les années 1960, l’organisation d’attentats contre les dirigeants du Sud ou contre le vol 858 de la Korean Air en 1987… Plus récemment, en 2010, le Nord a bombardé l’île de Yeonpyeong, qui avait déjà été le théâtre d’affrontements navals en 1999 et 2002.

La montée des tensions : le facteur nucléaire et balistique

Dès les années 1950, la péninsule coréenne est largement nucléarisée, côté Sud, par les Américains qui pointent des missiles vers le Nord. Ils seront retirés à partir des années 1970. Pyongyang, elle, n’en dispose pas avant le lancement de son programme nucléaire clandestin en 1998. C’est une filière pakistanaise, liée à l’ingénieur Abdul Qadeer Khan, qui est soupçonnée d’avoir fourni à la Corée du Nord les plans, et de l’aide, pour mettre au point la bombe A. Le père de la bombe pakistanaise a par ailleurs reconnu en 2004 avoir coopéré avec Pyongyang et Téhéran pour mettre sur pied leurs programmes nucléaires. Malgré cette suite d’escarmouches, de hausse de la tension entre les deux Etats, les Coréens tentent, timidement, de revenir sur le chemin de la réunification. Depuis le 15 juin 2000, Séoul et Pyongyang ont admis qu’il faudrait « œuvrer ensemble pour la réunification », et l’ont réaffirmé en 2007.

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Au début de 2016, il y avait eu l’essai présenté comme celui « d’une bombe H » et d’un missile. Puis il y a celui du 3 mars, juste après le vote par l’Organisation des Nations unies (ONU) de sanctions alourdies contre Pyongyang, pendant lequel la Corée du Nord a effectué six nouveaux lancés de ou missiles en mer du Japon. Celui du 30 juillet 2017, quand Pyongyang a annoncé avoir testé un missile capable de toucher « tout le territoire américain », mais aussi l’Europe. Puis deux missiles tirés au-dessus du Japon, le 29 août, le 15 septembre et le 29 novembre. Cet épisode ressemble bien à une nouvelle tentative d’intimidation de la part du régime de Kim Jong-un qui tire régulièrement des missiles au gré de la situation internationale. Il apparaît comme le dernier en date d’une longue série de conflits, d’escarmouches et de coups de pression depuis 1947 entre la Corée du Nord et ses deux voisins3.

En quelques heures historiques à Singapour, un bref instant annulé4, le 12 juin 2018, la hache de guerre est définitivement (?) enterrée à travers une poignée, de mains, une déclaration américano-nord-coréenne et quelques échanges d’aimabilités protocolaires.

DEUX PAGES ET UNE POIGNÉE DE MAINS POUR L’HISTOIRE

Après 70 ans de guerre et de tensions, Donald Trump et Kim Jong-un écrivent l’Histoire à Singapour, et cette fois-là, par une signature au bas d’un parchemin et nos par quelques Tweets compulsifs et contreproductifs. Il y a l’écrit, l’oral et le non-dit.

L’écrit ou ce qui restera dans les archives de l’Histoire

La « rencontre historique » entre Donald Trump et Kim Jong-un, mardi 12 juin 2018 à Singapour, s’est conclue par la signature d’un document « complet » scellant l’engagement des deux dirigeants à mener une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne tout en garantissant la sécurité de la Corée du Nord. En effet, le président américain et le dirigeant nord-coréen ont bouclé cette journée diplomatique parfaitement orchestrée par une cérémonie commune au cours de laquelle ils ont signé ensemble un texte sous le regard des caméras du monde entier. Le document (deux pages) consiste en un échange de points de vue destinés à entamer une « nouvelle ère » dans les relations entre les États-Unis et la Corée du Nord dont les dirigeants ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Les deux pays promettent de travailler à une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne, ce qui constituait la demande majeure de l’administration américaine. En échange, Washington participera aux efforts pour bâtir une situation pacifique durable et stable dans cette région, Trump s’engageant à fournir les garanties de sécurité que réclame le pouvoir nord-coréen. Le texte annonce la tenue de négociations qui seront conduites par le secrétaire d’État Mike Pompeo5 et par un responsable nord-coréen pour fixer les détails de cette nouvelle collaboration qui doit promouvoir la paix dans la région. L’affaire doit s’appréhender sous l’angle juridique, diplomatique et géopolitique.

En termes juridiques, il s’agit d’une sorte de contrat synallagmatique. Le contrat est dit « synallagmatique » ou « bilatéral », lorsque ses dispositions mettent à la charge de chacune des parties ayant des intérêts opposés l’exécution de prestations qu’elles se doivent réciproquement. Et, c’est bien de ce dont il s’agit dans le cas d’espèce avec cette sorte de donnant-donnant, à savoir qu’on ne veut donner une chose qu’en recevant une autre chose. Nous sommes bien loin de l’idée américaine de départ qui consistait à amener Kim Jong-un a quia (renoncer à son arsenal nucléaire) sans de solides garanties dès le début du processus de rapprochement diplomatique. Tout ceci est oublié, balayé.

En termes diplomatiques, la rencontre de Singapour conforte l’idée selon laquelle « La patience doit être un des premiers principes de l’art de négocier » comme le rappelle justement Talleyrand. Elle nous rappelle que quand on entreprend une négociation, il faut établir à quoi l’on veut aboutir et comment, ce que les Américains avaient eu trop tendance à oublier. Par ailleurs, le principe même de la négociation, pour celui qui a un minimum d’expérience de la chose diplomatique, veut qu’il faut sans cesse trouver des formules ménageant tous les intérêts, toutes les susceptibilités. Et cela n’est pas une mince affaire lorsque les susceptibilités des uns et des autres sont grandes. Ensuite, la diplomatie est toujours plus facile quand on marchande à partir d’une position de force. Posséder l’arme nucléaire est un atout non négligeable dans son jeu. En diplomatie, l’ultimatum est la dernière exigence avant le compromis. Enfin, comme le soulignait François Mitterrand, « c’est un excellent texte, car il exprime les arrière-pensées de tout le monde ».

En termes géopolitiques, le sommet rebat les cartes. De paria (« rogue state »), la Corée du nord se range désormais dans la catégorie des pays fréquentables, y compris et surtout par l’un des pires État voyou, à savoir les États-Unis. Désormais, Washington a plus d’égards avec ses ennemis qu’avec ses fidèles et dociles alliés occidentaux. Quels sont les leçons que tireront la France, l’Allemagne, l’Europe de cette « étrange défaite » (Marc Bloch) qu’ils viennent de subir, étant peu ou pas informés par le grand frère américain si ce n’est par la voie de de Tweets rageurs ? Cela n’incitera-t-il pas l’Iran à reprendre l’enrichissement de l’uranium pour consolider sa position de négociation au risque de subir les foudres américano-israélo-saoudiennes ?6 Quid de l’avenir du régime de non-prolifération en général et du TNP en particulier ?

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L’oral ou ce qui restera dans la mémoire

Les deux dirigeants disent s’engager dans une « nouvelle ère ». Lors de sa conférence de presse, le président américain a affirmé que Kim Jong-un avait promis de détruire « très bientôt » un site de tests de missiles et que, lors de leurs discussions, le sujet des droits de l’Homme avait été brièvement abordé. Le septuagénaire a enfin insisté sur le fait qu’il n’avait « cédé sur rien » lors du sommet. Juste après la signature de l’accord, Donald Trump a été interrogé sur une possible invitation de Kim Jong-un à la Maison-Blanche. « Absolument, je le ferai », a répondu le président américain. Mais son homologue nord-coréen n’a pas répondu lorsqu’il lui a été demandé s’il aimerait aller à Washington. « Nous allons nous rencontrer souvent. Nous avons développé un lien très spécial », a insisté Donald Trump, avant de préciser lors de sa conférence de presse que de nouvelles discussions se tiendront entre Washington et Pyongyang « la semaine prochaine ». Le président américain annonce l’abandon des exercices militaires avec la Corée du Sud, prenant Séoul de court. Si cet engagement se concrétise, le président des Etats-Unis aura cédé sur l’une des principales demandes de Pyongyang, sans obtenir de contrepartie concrète.

Le non-dit ou que nous réserve l’avenir

La rencontre de Singapour, un rapprochement historique qui semblait inconcevable il y a seulement quelques mois encore, tant les deux homes multipliaient les gestes de provocation. C’est peut-être cela le miracle de la diplomatie et de ses palabres discrètes et interminables qui débouchent parfois sur des accords. En diplomatie, les seuls traités durables seraient les traités conclus entre les arrière-pensées, a-t-on coutume de dire. Le moins que l’on puisse dire est que l’accord, tel que nous le connaissons, est encore très flou, très brumeux7. Le phasage de la négociation a-t-il été arrêté à Singapour ou bien est-il réservé pour la suite ? Quel est l’objectif final de la négociation ? Traité de paix assorti d’une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne et d’engagements précis de non-agression de l’Amérique ? Mais quelle est la valeur de la parole donnée par Donald Trump à la lumière de ses foucades sur les dossiers commerciaux et iraniens ? Toutes ces questions restent sans réponses à ce stade. Force est de constater, par ailleurs, que les droits humains ont été peu ou pas abordés à Singapour8. En un mot, les questions ne manquent pas9.

Si elle met un terme à une confrontation d’une durée exceptionnelle (plus d’un demi-siècle et à cheval sur deux siècles), la déclaration de Singapour soulève un certain nombre de questions incontournables pour les mois et les années à venir. En effet, cette rencontre inédite n’est que la première étape de négociations qui s’annoncent compliquées.

DES QUESTIONS INCONTOURNABLES

Même s’il est toujours délicat de prévoir ce qui se passera dans les prochains mois, dans les prochaines années (les récents ratés de la prévision imposent l’humilité), on peut dire, sans grand risque d’erreur, que nous sommes au début d’un long processus qui doit être appréhendée dans le contexte géopolitique global. Il met en lumière un trou noir européen et l’absence de la France.

Le point de départ d’une longue négociation diplomatique bilatérale

Si la déclaration de Singapour du 13 juin 2018 constitue un point de départ, elle ne peut en aucune manière être considérée comme un point d’arrivée. Elle constitue un cadre pour les discussions futures dont on peut imaginer qu’elles se poursuivront pendant plusieurs années et qu’elles connaitront des hauts et des bas. Contrairement à ce que les Américains envisageaient au début des discussions (démantèlement « complet, irréversible et vérifiable » de l’arsenal nucléaire de la Corée du nord), Kim Jong-un n’a pas accepté de lâcher la proie pour l’ombre. L’arme nucléaire constitue son unique assurance-vie pour le futur afin de desserrer l’étau international qui le contraint (sanctions10, statut de paria, économie faible…)11. Quelles sont les engagements réciproques et le calendrier envisagé ? Le diable est dans les détails. Nous le saurons dans les prochaines semaines. De plus, cet accord bilatéral doit être replacé dans son contexte régional. Où en sont les négociations entre les deux Corées et comment vont-elles s’articuler avec les discussions entre Washington et Pyongyang ? Seront-elles distinctes ou interdépendantes ? Envisage-t-on une réunification à terme des deux Corées ? La politique erratique de Washington et les bonnes dispositions de Pyongyang réactivent les divisions sud-coréennes. Faut-il coller à l’Amérique ou s’en découpler ? Le président Moon Jae-in peut-il être un de Gaulle asiatique ? Ce résultat met en position délicate le Japon, fidèle allié des États-Unis dans la région. Il interroge sur le degré d’implication dans la coulisse de la Chine qui souhaite conserver à sa frontière un État non hostile ou proche de l’OTAN12. A-t-elle une authentique stratégie dans ce dossier ?13 Quid de la Russie qui est restée très silencieuse si ce n’est pour plaider pour la retenue au moment des tensions puis pour se féliciter du succès de l’approche coopérative.

L’incidence du contexte géopolitique sur la donne coréenne

Si la déclaration de Singapour du 13 juin 2018 constitue une avancée diplomatique sans précédent, elle ne peut en aucune manière être déconnectée du contexte géopolitique ambiant. Deux exemples viennent immédiatement à l’esprit : la double déconvenue venue de Washington sur l’accord nucléaire iranien (retrait de l’accord du 14 juillet 2015 alors que l’AIEA certifie la bonne foi de Téhéran en violation de la règle Pacta sunt servanda) et sur le commerce international (imposition de sanctions aux Européens et autres alliés occidentaux au nom de la sécurité internationale en violation des règles de l’Organisation mondiale du commerce).

Pour ce qui est du dossier iranien, il est évident que Kim Jong-un capitalise sur cette rencontre (reconnaissance officielle par son plus vieux rival) tout en ne se défaisant pas à n’importe quel prix de son atout majeur, la maîtrise de la technologie nucléaire et balistique. Il sait ce qu’il en coûte de se retrouver dans le plus simple appareil au pôle nord face à l’imprévisible Donald Trump. Ce dernier ne reconnait que les rapports de force. Il n’a pas cédé au chantage américain : dénucléarisation immédiate de la péninsule coréenne. Si elle doit intervenir, elle interviendra au moment opportun et après avoir engrangé quelques substantiels bénéfices de l’opération.

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S’agissant du dossier commercial, c’est la première fois depuis 1945 que les États-Unis tournent le dos aussi ostensiblement au système multilatéral qu’ils ont contribué à mettre en place après la Seconde Guerre mondiale. Kim Jong-un a compris que l’administration américaine ne croit qu’au bilatéralisme et à la force. Oubliée l’initiative des six ainsi que les concessions sans retour tangible sur investissement. Donald Trump avait besoin d’un succès diplomatique médiatique (Cf. son « impatience narcissique »), il en a payé le prix en acceptant le principe d’une approche graduelle du processus de négociation. Même s’il paraît incontrôlable, le leader nord-coréen n’est pas l’idiot du village que nos experts nous présentaient, il y a quelques semaines encore. C’est un fin stratège doublé d’un habile tacticien, (libération des trois prisonniers américains, purge dans son entourage de représentants de la vieille garde14, rapprochement spectaculaire avec le président sud-coréen, Moon Jae-in…). Il a su habilement se glisser dans les interstices d’un multilatéralisme moribond pour faire triompher un bilatéralisme conquérant. Il a su se forger une nouvelle légitimité sur la scène internationale.

La révélation indéniable du trou noir européen et de l’absence française

Si la déclaration de Singapour du 12 juin 2018 constitue une consécration de l’approche coopérative, elle ne peut en aucune manière être déconnectée du problème européen. Humiliés à Charlevoix par leur plus fidèle allié, ils sont aux abonnés absents dans le règlement du dossier coréen. Ils paient au prix fort l’absence de vision stratégique sur les grandes problématiques du monde. Bruxelles se contente, fort modestement, de se féliciter du résultat obtenu à Singapour.

Quant à Jupiter et son fidèle chef de la diplomatie, ils brillent par leur transparence, signe du déclassement constant de la France sur la scène internationale. La diplomatie efficace ne se résume pas à de brillants discours technocratiques et à des coups médiatiques à jet continu. Rappelons, à titre informatif, ce qu’il déclamait bravache, content de lui, sur le sommet du G7 : « Ça s’est passé comme je l’avais prévu. J’avais dit en Conseil des ministres que, si Trump voulait la confrontation, on l’isolerait et que ce serait six contre un. Tout le monde a tenu et a suivi mon initiative. … Et Trump ne connaît que le rapport de force. J’avais donc pris l’initiative de réunir auparavant nos partenaires européens, afin d’être certains qu’ils camperaient sur la même ligne que moi. Et tout le monde a suivi ! À commencer par Justin Trudeau, qui a compris qu’il fallait tenir bon face à Trump ». Vu le résultat final, il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser…15 Emmanuel Macron devrait se souvenir qu’en diplomatie, plus que dans d’autres domaines, les mots ont un sens bien précis et qu’il faut, autant se faire que peut, se garder de l’inflation des superlatifs16.

Quant à nos perroquets à carte de presse adeptes de la servitude volontaire dans l’Hexagone, ne voilà-t-il pas qu’ils commencent à s’interroger sur la pérennité de la lune de miel entre l’Amérique et la Corée du nord17, ne sachant pas que le processus sera long (13 ans pour la négociation avec l’Iran). Ils sont d’habitude moins regardants lorsqu’il s’agit des réunions en carton-pâte de Jupiter (la dernière en date étant la Libye). Par ailleurs, ils semblent découvrir la versatilité et l’imprévisibilité de Donald Trump 18 mois après sa prise de fonctions18. D’authentiques experts des relations internationales en vérité ! En un mot, les pinailleurs pinaillent. L’accord de Singapour est un coup de maître. Il se mesure à l’aigreur des dépités.

Au moment où « Trump fracture l’Occident »19, cette séquence canado-singapourienne devrait ramener à l’évidence Occidentaux et Français en particulier sur ce qu’est l’Amérique et sur la façon dont il faut la traiter. « Certes les États-Unis ne sont pas nos ennemis. Comment pourrait l’être cette grande démocratie qui, deux fois, est venue à notre secours et nous a ensuite protégés contre la menace bien réelle des armées Russes ? Mais ce sont des amis bien encombrants qu’il faut tenir à distance, et, dans bien des domaines d’implacables adversaires »20. Nous devrions méditer cette remarque pertinente d’un ambassadeur dans ses Mémoires. Il n’est qu’à voir le nombre de leurs bases à l’étranger pour se faire une idée de leur capacité de déstabilisation du monde21. Sur le dossier iranien, dans ses dimensions nucléaire et commerciale, nous devrions également prêter attention aux dernières réflexions de notre ex-ambassadeur à Téhéran, François Nicoullaud dans son blog22. Au lieu de sucer la roue des Américains (bombardement de sites chimiques syriens, participation au Groupe restreint sur la Syrie, obéir au doigt et à l’œil aux injonctions américaines à l’OTAN…), nous devrions prendre nos distances par rapport à Washington et adopter une politique étrangère indépendante (Cf. le prochain sommet de l’OTAN à Bruxelles des 11 et 12 juillet 2018). Nous en retirerions d’immenses bénéfices diplomatiques et commerciaux. Faute de quoi, nous risquerions d’être relégués au statut peu enviable de dindon de la farce, nous contentant de pousser des cris d’orfraie après chaque trahison américaine ! Comme le dit si justement l’humoriste, Nicolas Canteloup : « en diplomatie, les conneries ne s’ajoutent pas, elles se multiplient ». Pour les Européens incapables de s’accorder sur la réponse au défi migratoire, le changement, c’est maintenant, pourrait-on dire et cela encore plus après l’étreinte de Singapour.

 

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