25 Octobre 2021
Le débat enflammé sur la présidentielle organisé par les médias aux ordres ne tient compte ni des priorités des Français ni d’un débat démocratique. Et l’opposition de gauche se croit obligée de rester sur les thèmes promus par les garants de l’hégémonie culturelle de l’oligarchie capitaliste néolibérale.
Toutes les études d’opinion montrent que les trois priorités des Français sont le pouvoir d’achat, la protection sociale dont la Sécurité sociale fait partie (santé, retraites, prestations familiales, de logement et de précarité, accidents du travail et maladies professionnelles), et la sûreté et la sécurité. Si on regarde les études d’opinion pour la jeunesse, il convient d’ajouter l’écologie.
Ce à quoi l’Europe nous contraint
Par ailleurs, comme l’opposition de gauche ne pratique pas l’éducation populaire refondée au sein du mouvement social et des citoyens, la grande majorité des Français ne savent pas que chaque pays de l’Union européenne (UE) doit soumettre son programme de stabilité budgétaire par obligation prévue dans les traités. Et bien sûr, ce plan de stabilité doit être obligatoirement conforme aux décisions prises en commun au Conseil européen des ministres de l’Économie dans le cadre du « semestre européen ». Ce processus mis en place après la crise de l’euro de 2008 consiste à réunir les ministres de l’Économie dès le mois de mars ; ils définissent ensemble dans le respect du pacte de stabilité les grandes lignes des budgets de l’année suivante pour les États-membres. La Commission européenne à partir des décisions des ministres envoie à chaque État des recommandations pour mettre en œuvre les décisions qu’ils ont prises.
Les États qui se sont engagés à établir leur projet de budget selon ces lignes directrices établissent à partir des recommandations de la Commission des « lignes directrices nationales » en conformité avec les grandes orientations définies en commun, avec le choix des dispositions pour les respecter.
Ils élaborent également un projet de budget de mise en œuvre des choix faits dans leurs lignes directrices nationales, soumettent ce projet à l’automne à la Commission européenne qui vérifie sa conformité avec les engagements pris et donne son imprimatur. Le projet du budget est dès lors soumis au Parlement national, soit à l’Assemblée nationale et au Sénat en France. En clair, le budget d’un État est davantage préparé avec les instances communautaires qu’avec la représentation nationale. Évidemment, cette préparation ne donne lieu à aucun débat public.
Les hypothèses exagérées du programme de stabilité pour 2021-2027
Le programme de stabilité français qui doit s’imposer à la France, quel que soit le président de la République désigné le 24 avril 2022, implique la mise en œuvre de contre-réformes sociales d’une ampleur plus importante que celles des années 2012-2019. L’accentuation du freinage des dépenses de santé, la diminution des dotations aux collectivités locales, le maintien du gel du point d’indice de la fonction publique, la baisse des retraites et du volume des prestations sociales via la sous-indexation et le recul de l’âge de la retraite en sont les conséquences les plus importantes.
Deux remarques sur la synthèse que nous venons de vous présenter.
La première est que le plan de stabilité ne précise pas les contre-réformes concrètes mais les obligations du plan de stabilité obligent à ces contre-réformes.
La deuxième est qu’une lecture littérale de ce programme laisserait supposer que l’austérité serait de même ampleur que dans la période précédente. Mais en y regardant de plus près, Bercy a calculé son plan avec des hypothèses d’un optimisme maladif (exagération de la croissance notamment à partir de fin 2022 et 2023 mais aussi ralentissement de la diminution des prestations qui devrait créer de nouveaux mouvements sociaux importants). En rectifiant ces hypothèses exagérées, nous concluons que pour respecter ce plan, les gérants du capital seront obligés de durcir l’austérité à un niveau jamais atteint en France. Le rapport des dépenses publiques (hors crédits d’impôts) au PIB passerait de 53,8 % en 2019 à 61,3 % en 2020 (mesures d’urgence sanitaires obligatoires) et à 53,1 % en 2027 !
Le programme de stabilité est construit avec une augmentation forte de la charge d’intérêts mais une baisse de toutes les autres dépenses (rémunérations, achats courants des biens et des services, investissements, etc.) allant d’une baisse de 4 à 10 % entre 2022 et 2027 par rapport au PIB ! Avec les hypothèses de base macroniennes très optimistes, la baisse des dépenses et la baisse des taux de prélèvements obligatoires devra être plus forte pour compenser (croissance plus faible, élasticité prévue trop forte des prélèvements obligatoires à législation constante, etc.). Il est donc peu probable que la baisse du déficit public prévu reste à 2,8 % du PIB en 2027 (avec une dette à 118 % du PIB) sauf à augmenter la pression austéritaire sur les travailleurs. La lutte des classes sera donc intense, comme nous l’avons analysé dans un précédent numéro. Même le Haut Conseil des finances publiques pense que le niveau de la croissance à partir de 2023 est par trop optimiste.
Un gouvernement qui cherche à étouffer la « guerre de classe » depuis les Gilets jaunes !
Quel autre pays de l’OCDE a indemnisé le chômage partiel à 84 % du salaire brut pendant la crise de la Covid-19 ? Réponse : aucun !
Quel autre pays de l’OCDE a décidé de donner un « chèque énergie » à ses citoyens en compensation de l’augmentation des prix des carburants pour environ 4 milliards d’euros… avant même toute forme de protestation ? Réponse : aucun !
Ce paradoxe français tient en une évidence qui apparaît en posant cette dernière question : « Quel pays de l’OCDE a connu une insurrection du type des Gilets jaunes ? » Réponse : aucun ! (1)
Une réalité s’impose : la France est le maillon faible du capitalisme développé du fait de la lutte populaire. Macron et ses conseillers l’ont d’ailleurs fort bien compris en cédant 17 milliards d’euros en panique face aux manifestations du samedi des Gilets jaunes. Ce même Macron a cédé encore sur sa « réforme des retraites » au début de la pandémie de la Covid-19. Puis ce fut la politique du « quoi qu’il en coûte ». L’État a considéré en avril 2020 que la population française n’assumerait pas une austérité liée à la pandémie du coronavirus, bref il fallait payer… et les déficits publics frôlent les 120 % du PIB (sans compter les PGE, prêts garantis par l’État aux entreprises… dont les remboursements sont pour le moins « incertains » !).
Visiblement le pouvoir ne cherche pas la confrontation frontale. Et la Commission européenne pense la même chose en autorisant à Macron ce qui avait été refusé au Grecs en 2015 : pour elle, la situation française est trop tendue… Il faut céder et ouvrir les vannes de « l’argent magique »… en attendant des jours meilleurs pour imposer l’austérité quand le rapport de force le permettra.
Ainsi nous sommes dans une contradiction difficile à résoudre : l’Europe libérale a besoin d’une politique économique d’austérité… et la France est incapable de la mettre en place.
Comment faire ?
Les directions des organisations politiques et syndicales de gauche, qui depuis novembre 2018 n’ont rien compris au mouvement de révolte en question, n’intègrent pas cette réalité de la confrontation de classe. Aucun appel à la mobilisation contre l’inflation massive n’est à l’ordre du jour ! « Les gauches », y compris Mélenchon, préfèrent bien mieux participer au cirque électoral avec Zemmour en clown triste.
Outre la voie politique que nous avons proposée sur notre édito « Comprendre le passé, analyser le présent… », il nous paraît urgent d’ouvrir partout le débat sur l’analyse de la situation, sur un diagnostic à partir du réel, sur nos actions au sein du mouvement social afin de se mettre collectivement à la hauteur des enjeux sur les liens du capitalisme néolibéral et de l’Union européenne avec les politiques austéritaires et anti-sociales. Mais aussi sur les nouvelles pratiques démocratiques pour recouvrer la souveraineté populaire
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