Réponse à Bernard Thibault et à quelques autres camarades.

« Rien n’est plus abominable que des inquiétudes qui ne sont pas fondées ». 

Sacha Guitry

Dans un texte récent au sujet des affiliations internationales de la CGT, Bernard Thibault a voulu mettre en garde les délégués du 52e congrès confédéral de la CGT. Il a ainsi affirmé  qu’avec l’affiliation de la CGT à la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et à la Confédération Syndicale Internationale (CSI) «C’est toute la conception de notre organisation et sa vision du syndicalisme qui est en question”

 

Au risque de surprendre, je dirai pour ma part que je suis d’accord avec ce constat, surtout si cela signifie que les orientations de la CGT sont dorénavant compatibles avec ces deux organisations. Bien sûr être d’accord avec le constat est une chose, partager son contenu est une autre chose!

 

Car justement, est ce le cas? Pour certains, cela semble aller de soit, mais en sommes nous si sûr? La clarté du débat exige d’éviter toutes ambiguïtés. Tout le monde sera d’accord qu’il faut éviter les options partisanes ou les constats définitifs. Il est, en effet, préférable de contribuer à faire avancer la réflexion de tous et de toutes a partir des positions réelles de chacun. 

 

Il est donc utile qu’elles s’expriment. Il ne faut pas s’en inquiéter !

 

Pourquoi faudrait-il s’en plaindre, pourquoi craindre fébrilement une discussion que l’on annonce comme contradictoire, pourquoi y voir des intentions obscures!  Après, tout un Congrès cela doit servir à tout mettre sur la table, faire un bilan, en discuter de manière fraternelle et responsable donc sans fantasmes, ni caricatures.

 

Or, si l’on tient compte des prises de position de ces derniers jours, il semblerait que des camarades souhaitent prendre une autre direction que celle de répondre à des interrogations nombreuses et bien légitimes. Donc résumons, selon certains camarades,  l’engagement international de la CGT se réduirait de manière assez simpliste  à quitter la CES pour adhérer à la Fédération Syndicale Mondiale (FSM). N’est ce pas aller vite en besogne ou alors n’est ce pas vouloir faire diversion quant à des problèmes réels qui se posent dans la CGT et beaucoup moins semble t’il dans la CES et la CSI.

 

Car au fond ce qui est en débat, là ou celui-ci a lieu, ce sont bien les orientations défendues par la direction de la CGT pour ce Congrès. C’est-à- dire la stratégie, les alliances, les pratiques, le fonctionnement même de la Confédération dont la question des affiliations n’est pas indépendante mais totalement dépendante. Au fond de quelle CGT avons-nous besoin? C’est à cette vraie question qu’il faut répondre !

 

Mais comme Bernard Thibault et d’autres camarades ont exprimé sur ce problème des affiliations internationales une opinion simplificatrice à l’excès, j’ai ressens le besoin de m’exprimer, en espérant que cela sera utile à les réflexion plus générale.

 

Qu’en est-il ?

 

Bernard Thibault parle de l’affiliation de la CGT à la CES comme le résultat de circonstances. Ainsi comme dans la belle au bois dormant de Charles Perrault, il explique qu’après 20 années et  soudainement le syndicalisme européen en serait venu à considérer qu’il ne pouvait vivre sans la CGT.  

 

Toutefois, bien avant cette décision il ne précise pas que la quasi-totalité des organisations syndicales en Europe était partisane de l’acceptation de la CGT dans les rangs de la CES. Mais alors dira t’on, si c’était le cas pourquoi ne pas l’avoir fait avant. Certes les statuts de la CES ne le permettaient pas,  mais surtout l’opposition de la CFDT et de FO l’en empêchait. Ce qui fit la différence ce ne sont pas les circonstances, mais le changement d’orientation stratégique et la conversion au respect des institutions européennes dont la CGT fit le choix. D’ailleurs Bernard Thibault les revendique, ce qui est parfaitement son droit.

 

En effet, c’est cela et rien d’autre qui entraîna la levée des écrous ! Il est vrai également qu’elle fut négocié et obtenu par Louis Viannet et non par Bernard Thibault sur la base de nos nouveaux choix européens et de concessions supplémentaires exigées par la CFDT.

 

Evidemment 20 ans après avoir rejoint les rangs de la CES et de la CSI, le bilan n’est pas particulièrement positif. En réalité, cela est même pire, puisque de nombreux militants et syndicat s’interrogent sur l’utilité de ces deux affiliations internationales. Quoi de plus normal, quand ces deux confédérations sont invariablement aux abonnés absents des luttes sociales qui se mènent en France comme ailleurs. Il serait intéressant de savoir ce que les militants CGT et les travailleurs dans les entreprises savent de ce que font ou ne font pas la CES, la CSI ? Connaissent ils déjà l’existence de ces organisations ? 

 

Pour répondre, se cacher derrière la critique de la CES et la CSI dont l’activité serait jugée insuffisante et insatisfaisante pourrait être un argument qui prête a sourire. Il nous faut donc faire preuve de lucidité et de mesure.  

 

D’abord comme le propose Bernard Thibault peut-on s’imaginer  voir la CES « prendre le chemin de la rue »  pour contester les choix des institutions européennes. Evidemment, non! Par insuffisance ou négligence de sa part? Encore moins, mais tout simplement parce que ce n’est pas son rôle ! De ce point de vue on ne saurait lui reprocher  d’être parfaitement cohérente avec elle-même, c’est à dire avec la fonction institutionnelle qui est la sienne. Le problème par contre, c’est de savoir si la CGT est cohérente avec elle-même, c’est-à-dire avec les positions qu’elle dit défendre vis à vis et au sein de la CES?

Par exemple la CES a soutenu le traité de Maastricht que la CGT a combattu. La CES est bien sur en faveur de l’Euro. Mais aussi  des Traités européens comme celui de Lisbonne qui a piétiné le vote d’une majorité de français, tout particulièrement celui des travailleurs. C’est pourquoi fort logiquement la CES se prononce pour une plus grande intégration supranationale. Ceci d’ailleurs l’avait amené à soutenir le projet de constitution européenne que la CGT avait rejeté. Bernard Thibault doit s’en souvenir.

 

D’ailleurs ce dernier reconnaît lui-même que “ la CES est un outil indispensable pour une transformation politique et institutionnelle de l’EuropeC’est à dire en langage clair pour plus d’intégration supranationale, position qui n’est pas une surprise venant de la part de quelqu’un qui avait du en 2005 se résigner au vote du CCN de la CGT. 20 ans après, personne ne lui reprochera son obstination!

Depuis,  ce postulat a été confirmé par la déclaration des syndicats français avec le DGB allemand avant la ratification du traité d’Aix La chapelle par Angéla Merkel et Emmanuel Macron sur la coopération et l’intégration franco allemande. Dans ces conditions, une question se pose, à laquelle bien des militants aimeraient une réponse ! Que devient le combat de la CGT pour le respect de la souveraineté nationale et la souveraineté du peuple, sujets qui ne sont pas indépendant des exigences démocratiques légitimes du mouvement des gilets jaunes, dont l’actualité du combat semble avoir disparu des radars confédéraux.

 

On l’admettra, ce n’est pas là des préoccupations  secondaires. Qu’en pensent les délégués au 52e Congrès confédéral de la CGT? Sont-ils d’accord ou ont ils changé d’opinion à ce sujet? Il faut espérer que la discussion le montrera!

 

Autre exemple l’action pour la paix. C’est un sujet sur lequel à juste raison la CGT à une opinion critique sur son activité, ou plutôt son manque d’activité. Il est vrai, que depuis Henri Barbusse la coopération et le désarmement sont des sujets qui de tout temps ont mobilisés la CGT. Or, la CES tout comme la CSI ne s’opposent pas aux politiques d’ingérence y compris militaire dans les affaires intérieures d’états indépendants et cela contrairement à la Charte des Nations Unies.

C’est ce que Bernadette Segol avait déclaré, et ce fut le cas en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Lybie! Qu’en diraient les délégués si on leur posait la question ? A ce sujet, qu’en est il du  Venezuela ou il faut rappeler que l’affilié de la CSI : la CTV avait bénéficié des largesses financières de l’AFL-CIO qui est un de ses autres affiliés pour soutenir en 2002, un coup d’état factieux dans ce pays? A t’on entendu, ou vu la CSI « prendre la rue » pour protester contre les tentatives de putsch à Caracas de la part des mêmes forces qui hier s’opposaient à Chavez?

 

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Si, comme le dit B. Thibault nos orientations ne sauraient obéir à un «supplément d’âme, ou un  phénomène de mode », il semblent donc aller de soi  qu’elles doivent correspondre pour l’essentiel avec les orientations, les stratégies, les visions et les pratiques qui sont celles des organisations avec lesquelles ont a fait le choix de s’affilier, dans ce cas : la CES et la CSI.

Or, la large majorité des adhérents  de la CES, de la CSI n’ont aucun problème avec la politique des puissances occidentales Washington en tête, ou encore avec le néo libéralisme qu’ils veulent au mieux aménager en lui donnant un visage humain. Il est vrai que la CSI compte dans ses rangs un grand nombre de syndicats dont la relation incestueuse avec leur gouvernement, le patronat, les institutions supranationales est une réalité comme c’est le cas en Israël avec   la Histadrout ce syndicat corrompu qui s’accommode très bien du massacre des Palestiniens à Gaza et qui est indéfectiblement solidaire du criminel Netanyahu.

 

N’évoquons pas ici la mainmise de la CSI  sur l’OIT ou le « pluralisme » dont parle Bernard Thibault membre du conseil d’administration est une pantalonnade. Guy Ryder l’actuel directeur général de l’OIT n’est il pas l’ancien secrétaire général de la CISL puis de la CSI. Passons sur l’indépendance financière de la CES dont le budget est assumé à hauteur de 75% par les institutions de Bruxelles.

 

D’ailleurs si l’on observe attentivement ce qu’a été l’activité internationale de la CGT depuis le précédent Congrès de Marseille, on peut dire que pour l’essentiel son activité a coïncidé avec les orientations défendues par la CES et la CSI. Il est donc faux, et même contradictoire d’affirmer  que ces affiliations n’auraient « aucune influence sur la détermination de nos prises de position ». Car sinon à quoi sert-il d’être affiliés internationalement?

 

Pour Bernard Thibault comme d’autres camarades dont on a pu lire le vibrant appel à rester dans la CES et la CSI, il faudrait y être pour avec d’autres confédérations de lutte infléchir les orientations de ces deux organisations dans un sens plus combatif. Si l’on tient compte des faits évoqués plus haut, c’est évidemment très louable, mais ni réaliste, ni crédible. Par ailleurs, cet argument a été utilisé, il y a plus de 20ans avec les résultats qu’on sait. Le bilan est de ce point de vue accablant, et ne risque pas d’être démenti par le prochain Congrès de la CES qui fera suite à celui de la CGT, ni après celui de la CSI qui s’est conclut par la déroute de certaines ambitions ne touchant pas aux orientations mais plus prosaïquement aux choix affligeant des dirigeants. Lutte des places ou lutte des classes ?

On rêve donc d’une CES et d’une CSI plus combatives quand il faudrait réfléchir sur les causes de l’abîme entre les nécessités et les réalités. Pour aider à s’en convaincre, on pourrait prendre comme mètre étalon le nombre de manifestations à Bruxelles. Elles sont aujourd’hui quasi inexistantes, sans parler d’une absence de soutien aux luttes en cours. On notera toutefois que le 26 avril la manifestation à Bruxelles de 8000 participants (selon la CES) se réduisit à un appel pathétique à voter aux élections européennes.

 

Enfin nous dit-on, le monde a changé, la société a évolué, le syndicalisme et le rapport des forces ne sont plus les mêmes. Il faut nous transformer, abandonner nos certitudes ! Bigre, cela signifie t’il qu’il faudrait en rabattre ou tout au contraire trouver des raisons supplémentaires de lutter contre la malfaisance du capitalisme et les ambitions hégémoniques de l’impérialisme le plus puissant. à travers, une mondialisation source principale de l’explosion des inégalités dans le monde, de l’affairisme, de la corruption, du pillage des richesses, de la prédation et la destruction de l’environnement ?

Bizarrement on ne répond pas!

Pourtant, on  serait tenté de dire qu’il faut s’unir, chercher et construire les convergences avec toutes les forces sociales et politiques qui sont disponibles dans le monde pour résister à ce rouleau compresseur qui met en cause le devenir même de l’humanité toute entière. Qui peut prétendre que seul, il aura la force de surmonter les obstacles, de faire face aux défis, être à la hauteur de ce que la situation exige !

 

Pour ma part, je pense que cela implique comme nous le disions, mais comme nous avons cessé de le dire « un renouveau des relations syndicales internationales ». C’est-à-dire des relations sans exclusive, sans ostracisme, dans le respect de chacun, sans jugements de valeur ni a priori. Cela signifie des relations et des coopérations normales avec tous les syndicats qui veulent agir, mobiliser, unir, et cela, depuis les lieux de travail. Cela exige la mise sur pieds de coordinations nécessaires inter professionnellement autant que professionnellement   afin de peser plus fort et en faveur d’un rapport de force qui puisse contribuer à gagner partout et ensemble, pas les uns sans les autres.

Faire ces choix  devraient impliquer toutes les organisations et structures syndicales internationales par conséquent oui la FSM et ses affiliés.  Rien de plus, mais rien de moins.

 

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Nous n’en sommes pas là, mais justement pourquoi? De quoi avons-nous peur ? Manquons-nous de convictions sur la validité de notre démarche comme sur celle de la CES et de la CSI.

En sommes nous restés 30 ans en arrière, au Mur de Berlin, à la guerre froide et à la prétendue fin de l’histoire.

Affirmer dans un appel de syndicalistes CGT que « la FSM est encore plus refermée sur elle-même que lorsque nous l’avons quitté » est non seulement faire preuve d’ignorance, c’est profondément malhonnête et c’est surtout insultant pour les presque 100 millions dans 130 pays qui en sont membres, y compris des organisations de la CGT. Qu’en pensent les syndiqués du CITU en Inde, de la CTB au Brésil, de la COSATU en Afrique du Sud, de PAME en Grèce, de la CTC de Cuba. Comment concevoir des relations normales, constructives et « civilisés » de manière aussi méprisantes. Cela est d’autant plus choquant qu’il s’agit là d’organisations qui n’ont de cesse de manifester concrètement leur solidarité aux luttes des travailleurs en France. N’avons nous donc rien à apprendre des autres pour manifester autant d’arrogance.

 

En 1995, la CGT avait fait le choix de travailler avec tous sans exclure quiconque, dans une démarche de respect mutuel.  Elle reposait sur une analyse objective qui était et demeure celle d’un syndicalisme international dont l’institutionnalisation, le manque de visibilité et l’inefficacité demeure des réalités. Cette orientation indépendante loin de nous marginaliser comme le laissent entendre certains nous avaient permis de réunir 110 délégations étrangères au 45e congrès d’une grande diversité et de toutes affiliations internationales. Elle avait été unanimement approuvée par les délégués. En quoi la situation a t’elle changée au point d’obliger la CGT à renoncer à ces engagements ?

Certains camarades parlent d’un programme international d’actions en faveur du droit de grève et des libertés, du progrès social, très bien. Mais, justement attaquons nous ensemble aux causes véritables et pas uniquement aux conséquences, c’est-à-dire à la logique et la nature même du capitalisme et des politiques de domination impérialiste qui sont à l’origine de ces problèmes. De telles exigences ne passent pas par la défense boutiquière d’affiliations là ou ailleurs, mais par une volonté politique réelle, qui ne saurait être réduite à l’usage de la rhétorique, mais qui tout au contraire implique des actes !

 

Oui, la CGT est unitaire et internationaliste. Elle l’était bien avant la FSM, la CISL/CSI, la CES. Elle n’a jamais réduit ses engagements à des affiliations. Elle s’est toujours déterminée en toute indépendance, à partir de ses principes,  de ses orientations de classe de sa fidélité aux intérêts souverains des travailleurs et de notre peuple, pour les revendications et pour changer la société. Ce ne sont pas les appartenances qui ont décidé depuis sa naissance de ces engagements en faveur de la solidarité internationale des travailleurs. C’est méconnaître et mépriser l’histoire de la CGT que feindre d’ignorer le travail de générations de militants pour construire des relations bilatérales et multilatérales fortes. Ce combat la CGT ne saurait le déserter, cela implique une autre hauteur de vues que la justification fébrile d’affiliations à la CES et à la CSI qui pour l’heure sont loin d’avoir convaincus les militants de la CGT. Le moment est venu d’en faire le bilan et de prendre des décisions en conséquences. C’est  la responsabilité des syndicats CGT et de nul autre.

 

Jean-Pierre Page

jean.pierre.page@gmail.com

 

La position de Bernard Thibault

LA CGT DANS LE SYNDICALISME EUROPEEN

 

Convoqué en mai  à Dijon, Le prochain congrès confédéral de la CGT verra les syndicats  se prononcer sur l’activité menée ces dernières années par la confédération, fixer le cap pour l’avenir et élire la direction nationale de l’organisation.

A cette occasion  diverses opinions s’exprimeront : c’est le propre d’une organisation démocratique que de permettre l’expression des différents points de vue.

C’est dans ce contexte que quelques militants semblent vouloir   obtenir du  Congrès    une rupture stratégique et historique en prônant une sortie de la CGT de la  Confédération Européenne des syndicats à laquelle nous avons adhéré il y a 20 ans après avoir surmonté bien des obstacles pour y parvenir.

Minimisant l’événement, d’autres pourraient considérer   que ce n’est pas là un enjeu prioritaire pour les syndiqués, que ce serait une question secondaire, éloignée du quotidien des adhérents confrontés d’abord à la précarité, au chômage et aux conséquences dévastatrices des choix dictés par les néolibéraux en France et en Europe.  Il serait  donc inutile de  faire toute une histoire des  engagements internationaux de la CGT.

Bien au contraire, au travers de ce débat nécessaire c’est toute la conception de notre organisation et de sa vision du syndicalisme qui est en question.

Je suis  persuadé qu’une grande majorité des syndiqués a bien conscience de la nécessité pour la CGT d’étre présent sur la scène internationale et donc européenne face aux directions d’entreprises et aux gouvernements organisés et coordonnés au-delà des frontières.

Il faut donc accepter la polémique  et je souhaite y participer.

Dès sa création en 1973 la CGT a revendiqué toute sa place dans la Confédération Européenne des Syndicats. Georges Séguy, Henri Krasucki puis enfin Louis Viannet ont inlassablement milité pour que le syndicalisme européen soit uni par-delà les parcours  historiques et les pratiques syndicales différentes.

Concours de circonstance c’est quelques jours après le congrès de Strasbourg de  février 1999   que J’ai eu l’honneur de représenter  la CGT  pour l’installer au  comité exécutif de la CES et consacrer ainsi notre adhésion en mars de la même année.

Une seule organisation s’y opposa lors du vote final : FO qui tenta de se justifier en rappelant les origines de la scission avec la CGT en …1947 sur une base anticommuniste ! Toutes les autres organisations convenaient enfin que la crédibilité et la représentativité de la CES elle-même passaient par la reconnaissance de la CGT comme acteur syndical incontournable et nécessaire aux objectifs que s’assignaient les syndicalistes en Europe.

Notre volonté d’apporter notre contribution à la construction des convergences et des luttes en Europe et au-delà ne découle pas d’un phénomène de mode mais s’enracine dans une conviction affirmée et une tradition historique : la CGT se doit d’étre  unitaire et internationaliste.

Toutes les étapes de nos engagements internationaux ont été très largement validées par chacun des congrès de la CGT.

La confédération Européenne des syndicats est aujourd’hui composée de 89 organisations issues de 39 pays disposant de 45 millions de membres. Conformément à ses statuts, elle est constituée de « syndicats libres, indépendants, démocratiques » et s’affirme « unitaire, pluraliste, représentative de l’ensemble du monde du travail, sur le plan européen ». C’est donc une évidence de constater qu’y siège des syndicats dont la démarche peut- étre pour certains proche de celle de la CGT et pour d’autres plus éloignées.

C’est une autre évidence de constater que ce pluralisme syndical  peut provoquer des confrontations de points de vue lorsqu’il s’agit de définir  les objectifs et les moyens d’action à mettre en œuvre pour assurer la défense des travailleurs en Europe.

Doit-on pour autant déserter le terrain quand la tâche est difficile ?

Pourquoi vouloir faire un cadeau à ceux qui s’efforcent d’isoler la CGT systématiquement et sur tous les plans et plus largement d’affaiblir le mouvement syndical, pour être plus à l’aise dans la  conduite de  leur politique ?

L’action syndicale au niveau national, dans chaque pays reste  indispensable mais ne suffit pas. La coopération syndicale en Europe dans les entreprises et les groupes multinationaux est incontournable pour combattre le néolibéralisme et la mise en concurrence des travailleurs. Des milliers de militants de la CGT  dans leur entreprise, leurs fédérations s’efforcent au quotidien de construire l’unité avec des camarades  d’autres pays tout simplement parce que c’est une dimension incontournable de l’action syndicale. La Confédération Européenne est le cadre naturel et commun à tous pour ce travail unitaire par-delà les frontières.

L’un des arguments pour tenter de justifier notre désertion repose sur la critique d’une CES « pas assez revendicative et combative ». Je peux entendre cette critique et la partager, elle n’est pas nouvelle et à ma connaissance la CGT ne s’est jamais privé d’exprimer son opinion sur la conduite de l’organisation, de faire des propositions pour susciter davantage de luttes coordonnées pour des conquêtes communes. Il n’y a aucune raison que cela change à l’avenir

Quelques soient les griefs à adresser à sa direction il faut aussi convenir que la Confédération Européenne est d’abord le fruit de ce que veulent en faire chacune des organisations membres.

La plupart des syndicats sont confrontés à l’urgence et à la pression des événements dans leur propre pays. Réformes drastique du droit du travail, des systèmes de protection sociale, mise en concurrence exacerbée des travailleurs. La « troisième guerre mondiale est sociale ».Elle se développe aussi sur le théâtre européen. Il n’est donc pas surprenant que chaque organisation soit « aspirée » par la tentation d’un  repli national d’autant que le « nationalisme politique » progresse en de nombreux endroits en Europe comme en France.

Il faut donc agir et intervenir sans relâche pour convaincre que la dimension internationale de l’intervention syndicale n’est pas un supplément d’âme, qu’elle ne saurait se contenter de l’expression ponctuelle de solidarités de principe, face à un capitalisme mondialisé, cohérent sur l’essentiel en dépit de sa diversité.

Pour peser sur les événements il faut  étre présent dans le concert européen. Il faut y jouer notre partition CGT, forte et fière de sa  réputation et respectueuse de celle des autres. Nous ne devons étre ni censeurs ni donneur de leçons mais plus simplement engagés délibérément, avec toutes les autres bonnes volontés, pour renforcer les capacités  du syndicalisme et prétendre ainsi modifier le cours des choses.

Ne sous estimons pas l’impact de l’opinion de la CGT dans la marche du syndicalisme international. L’avis de la CGT ne laisse pas insensible qu’on partage ses analyses ou pas son avis est attendu.

Quel message serait envoyé si nous décidions de renoncer ? Ce serait l’incompréhension la plus totale chez tous nos partenaires syndicaux.

Comment expliquer à tous les autres syndicalistes d’Europe qu’ils font fausse route ? Qu’ils n’ont rien compris « à la lutte des classes » et qu’à ce titre la CGT décide de faire cavalier seul en Europe en quittant la CES ?

Il faut en étre conscient la CGT serait la seule organisation en Europe dans cette situation. Je n’ose y croire.

On peut comprendre que, face aux ravages générés par l’Union Européenne dans sa forme actuelle, le sentiment puisse se développer que la CES joue un rôle insuffisant et insatisfaisant. La CES est un outil indispensable qui peut étre davantage mis au service d’une nécessaire transformation institutionnelle et politique de l’Union Européenne. Sans elle il ne peut y avoir d’Europe sociale.

La CES doit retrouver le chemin de la rue européenne comme elle le fera par une euro manifestation le 26 avril prochain à Bruxelles.  L’insistance de la CGT pour construire ce rendez-vous a été essentielle, tout comme pour la préparation de la première manifestation internationale à Genève le 17 juin en défense du droit de grève et des libertés syndicales partout dans le monde.

En siégeant sur les bancs des représentants des travailleurs à l’Organisation Internationale du Travail, depuis juin 2014, je côtoie des militants syndicaux du monde entier. Certains assument leur engagement dans des conditions de précarité et d’insécurité intolérables. Je constate leur intérêt permanent pour l’apport qui est celui de la CGT au plan international.

Je suis convaincu qu’ils attendent du 52e Congrès la confirmation des engagements internationaux  de la CGT.

 

  1. Sacha Guitry (1885-1957) homme de théâtre. Le veilleur de nuit, 1911
  2. « La CGT et la CES, un point de vue de Bernard Thibault », Syndicollectif, 17 avril 2019
  3. « Un internationalisme en actes. Une contribution collective pour le Congrès de la CGT », Syndicollectif, 6 mai 2019
  4. Bernard Thibault, déjà cité.
  5. Comité Confédéral National de la CGT : l’instance la plus importante entre deux congrès.
  6. Déclaration commune : »l’Europe que nous voulons » CGT, CFDT, CFTS, UNSA, FO et DGB, 9 novembre 2018
  7. Bernadette Segol, ancienne secrétaire générale de la CES, interview à l’Humanité. 25 mai 2011.
  8. CTV : Centrale des Travailleurs du Venezuela, affiliée à la CSI. Son leader Carlos Ortega était un des initiateurs du coup d’état contre Chavez. Il avait pour cela bénéficié d’une contribution de 154 377 dollars de la part de l’AFL-CIO, vis son « Solidarity Center », impliqué par ailleurs dans 90 pays.
  9. « Un internationalisme en acte », déjà cité.
  10. « Un internationalisme en actes » déjà cité
  11. Appel « Pour un internationalisme en actes » déjà cité