By Dante Barontini
July 31, 2020
Μετάφραση Vanessa De Pizzol
Égratigner le mur de mensonges qui s’est élevé à propos du Recovery Fund est difficile, mais pas impossible. Il faut du temps, de la patience, de l’attention. Et le “risque” est fort que d’ici peu la réalité réussisse à s’imposer, brûlant le voile de bêtises répétées surtout par les ministres, les éditorialistes du dimanche, les présentateurs de JT sans colonne vertébrale ni professionnalisme.
De notre côté, nous avons dès le départ indiqué certains points très critiques, qui font douter de l’applicabilité du mécanisme décisionnel pensé pour le seul Recovery Fund (et le Budget européen lui-même, auquel il est lié). Dans tous les cas, nous continuons à démonter, seul ou en très bonne compagnie, le contenu financier du “plan”.
Mais si c’est justement Mario Monti (ancien Commissaire européen, ancien président du conseil, ancien leader d’un petit parti personnel qui n’a pas survécu, membre de longue date du groupe Bildeberg, establishment “européiste” pur et dur, etc.) qui, dans le cadre d’un petit discours édifiant et fallacieux, émet les mêmes réserves, alors il doit bien y avoir un vrai problème.
La phrase sibylline qui lui a échappée dans un texte dont l’enthousiasme est mitigé sur le Corriere, a été repérée par quelques-uns, avant d’être rapidement étalée au grand jour : « Le budget de l’UE 2021-27 et le Recovery Fund, pour produire leurs effets, exigent que la décision sur les nouvelles ressources propres soit ratifiée par tous les États membres, comme s’il s’agissait d’une modification des Traités (et peut-être que certains pays auront l’idée de recourir au référendum…) ».
Seulement quelques lignes pour évoquer que ce qui a été “conclu” au Conseil européen à propos des milliards magiques qui devraient « provenir de l’Europe » est en instance. Il s’agit pour l’instant d’une proposition, rien de plus, que 27 Parlements nationaux au bas mot devront approuver. Et les populations de certains pays, c’est bien connu, ont été entraînées au cours des dernières années à percevoir les “Méditerranéens” comme de nuisibles cigales pique-sous. Même si dans la réalité, c’est l’exact opposé qui a lieu (il suffirait de rappeler les rebates – réductions sur les contributions à verser au budget communautaire – ou le scandaleux dumping fiscal effectué aux dépens des partenaires).
Cette condition politiquement instable ne sera tirée au clair que dans les prochains mois. Et seulement après un accord des 27 à l’unanimité, on pourra éventuellement commencer à raisonner sur la distribution des fonds réunis par l’endettement normal sur les “marchés” ; bref, par les dettes publiques qui iront s’ajouter à celles qui sont déjà en cours.
Monti écrit en fait : « Nous ne devons pas nous leurrer sur le fait que le “super-frein” que Rutte, comme à son habitude, voulait (la possibilité pour un pays pris individuellement de bloquer les versements sur le Recovery Fund aux pays qui ne respecteraient pas les conditions convenues), dans la mesure où il n’est pas adopté par le Conseil européen, ne fasse plus partie du débat ».
Nos ministres, éditorialistes, leaders d’opposition, etc. nous ont bombardés du message totalement opposé (« Coup porté aux populistes : c’est un nouveau départ pour l’Europe »), alors que tout le débat public repose sur « que ferons-nous de tout cet argent ».
En réalité, la situation est tout autre. Ce mécanisme de governance inventé pour le Recovery Fund – Commission européenne (“gouvernement”) plus « majorité qualifiée du Conseil européen » (sommet des 27 chefs d’État et de gouvernement) – n’est prévu par aucun traité de l’UE.
Il équivaut donc, légalement, à un nouveau traité, qui doit être approuvé au niveau national. Tant qu’il n’y a pas de vote parlementaire de tous les pays, ce dispositif baroque n’a, tout simplement, aucune existence.
Mais si ce dispositif n’existe pas, les 750 milliards dont on parle à tort et à travers n’existent pas non plus. « Il suffit qu’un seul Parlement vote “non” , explique Monti lui-même, Pas de ressources propres. Pas de possibilités pour l’UE de s’endetter sur le marché. Pas de budget septennal. Pas de Recovery Fund ».
Bref, nos faiseurs d’opinions devraient s’équiper d’un rosaire et allumer un certain nombre de cierges pour que la Vierge Marie intervienne sur les cerveaux des députés – ou, irais-je même jusqu’à dire, de l’électorat – d’un pays « frugal » pour les convaincre de prononcer le « oui » tant attendu.
Monti, chien de garde féroce de l’establishment continental, nous conseille en fait de ne pas suivre les « parlementaires souverainistes hollandais », dont l’insupportable Rutte est le représentant le moins fruste, « de démontrer qu’eux, oui, savent être intransigeants envers les pays qui ne maîtrisent pas leur économie, contrairement à ce mollasson de Rutte… »
Comment faire pour les convaincre ? C’est simple : faire en vitesse ce qu’eux, avec tout l’establishment européen, exigent de nous et des autres “Méditerranéens” : « Il est essentiel que notre pays donne des signes concrets et rapides de sa volonté et sa capacité à réaliser sérieusement ce qui est bénéfique pour notre économie et que l’UE nous demande de faire, parce que nous sommes une pièce importante de l’Europe ».
Pour parler sans équivoque : faire des coupes budgétaires dans les dépenses pour les retraites, l’éducation, la santé, l’administration publique (comme cela est explicitement mentionné dans le texte de l’“accord” concernant le Recovery Fund).
Tout cela pue les “conditions à respecter” , direz-vous ? Même si tout le monde affirme qu’il n’y en a pas ici, alors que dans le MES oui (quelques-uns, plus menteurs que la moyenne, seraient même capables de dire que même dans le deuxième cas il n’y en a pas…) ?
Eh bien, Monti vous le rappelle, du ton sardonique qui est le sien : « Qu’ils comportent ou non des formes explicites de conditions à respecter, les aides des autres se trouvent cependant en position subalterne ».
Jusqu’à citer explicitement le pauvre Dante Alighieri et son « come sa di sale lo pane altrui, e come è duro calle lo scendere e’l salir per l’altrui scale » [« Et tu feras l’essai du goût amer du sel sur le pain étranger ; tu sauras s’il est dur de monter et descendre les escaliers d’autrui ».]
Le discours est clair : il n’y a pas de “contributions à fonds perdu”, il n’y a aucune solidarité européenne, mais uniquement des prêts sous conditions et très, mais très “salés”. Non pas en termes d’intérêts à payer, peut-être, mais certainement en termes d’autonomie décisionnelle et de “raison sociale”.
Pire. Il n’est même pas dit que cet argent sera disponible. Car, justement, « le non d’un Parlement suffirait ».
Ce que ne disent ni Monti ni les autres – car ils devraient entamer une lourde réflexion sur le pas en arrière fait en direction d’une “approche intergouvernementale” ouvertement conflictuelle – c’est que cette incertitude procédurale construite comme un « cautère sur une jambe de bois », reposant sur un désaccord inconciliable entre des groupes de pays ayant des intérêts et une situation de dette (publique) différents, sera un très sérieux problème pour l’architecture européenne. Même si l’approbation l’emportait.
Avec une “innovation” digne d’une cause plus importante, c’est en fait un “gouvernement de minorité” qui a été ébauché, selon lequel il suffit de créer un groupe de pays représentant 35% de la population continentale pour bloquer tout versement des fonds à un pays considéré (à tort ou à raison peu importe) “défaillant” dans la réalisation de certaines “réformes”.
En ce moment, cette minorité ayant un pouvoir de veto potentiel est représentée par les cinq “frugaux” (Pays-Bas, Autriche, Danemark, Suède, Finlande) qui ne disposent cependant pas du poids démographique suffisant. Il suffirait toutefois que l’Allemagne (avec un autre pays, même de petite dimension) s’aligne sur un de leurs “niet” pour que les jeux soient faits.
Berlin se retrouve de la sorte avec le joystick décisif entre les mains, tandis que dans la chronique elle passe pour un “médiateur solidaire”…
Le soupçon que toute cette esbroufe de quatre jours soit convenue est en somme bien plus qu’un soupçon malveillant.
Mais au moment où l’on aurait déclenché ce piège à la gorge d’un des malheureux “Méditerranéens” – et l’Italie est le premier suspect, pour l’instant – on peut facilement imaginer une évolution future des institutions européennes caractérisée par des « minorités de blocage variables » sur tel ou tel sujet, par rétorsion ou jeu d’usure.
Manœuvrer un continent avec ces prémices, en plein cœur de la crise la plus grave depuis l’après-guerre, ne semble pas très facile. Il ne suffit pas d’être féroce, pour gagner les guerres. On devrait pourtant bien s’en souvenir à Berlin, et du côté des Boers comme Rutte…