Leurre sans avenir ? Ou premiers signes prometteurs ? Depuis quelques semaines, le ton de l’Elysée à l’égard de Moscou a changé. Ce fut d’abord, le 19 août, la réception de Vladimir Poutine à Brégançon. Ce fut ensuite le discours prononcé le 29 août face aux ambassadeurs de France, où le président consacra un long passage justifiant et théorisant la relance d’un « dialogue franc et exigeant » avec la Russie. Avec cette proposition clé de construire « une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe ».
Puis, le 9 septembre, les ministres des affaires étrangères et des armées se sont déplacés à Moscou pour rencontrer leurs homologues, et ce afin de commencer à « abaisser le niveau de défiance ». Ce format avait été gelé depuis 2014. Certes, ni la levée des sanctions imposées par l’UE en 2014 contre la Russie, ni a fortiori des manœuvres militaires conjointes ne sont à l’ordre du jour. Et le chef de l’Etat insiste sur un dialogue « sans faiblesse ni naïveté » avec son homologue russe. Mais, à Paris, on se flatte de bientôt accueillir un sommet à quatre – France, Allemagne, Russie, Ukraine – qui pourrait contribuer à lever les tensions dont le conflit en Ukraine est l’un des épicentres.
Comment expliquer cette évolution ? D’abord par un certain réalisme. Les dirigeants français semblent désormais comprendre que, ni maintenant ni plus tard, Moscou ne « rendra » la Crimée rattachée à la « mère patrie » en 2014 avec l’approbation de 95% de ses habitants (l’« annexion » de ce territoire, dénoncée par les Occidentaux, avait servi de prétexte à une néo-guerre froide). Plus généralement, Emmanuel Macron a estimé, devant les diplomates français, que la Russie avait marqué des points géopolitiques considérables dans les dernières années, non seulement malgré, mais peut-être même à cause de la relégation que l’Occident lui a imposée. Cela vaut pour le Moyen-Orient, à commencer par la Syrie, mais aussi pour l’Afrique, où, de la RCA jusqu’au Mali, l’influence française est défiée par les sirènes russes.
En battant froid Moscou, on risque d’accélérer son rapprochement avec Pékin, alerte le chef de l’Etat
Pire : en battant froid Moscou, on risque d’accélérer son rapprochement avec Pékin, alerte le chef de l’Etat. Par ailleurs l’actuel président américain se soucie moins du camp occidental que des intérêts propres des Etats-Unis. Quitte à dénoncer unilatéralement ou à laisser s’éteindre des accords de limitation des armements (nucléaires et conventionnels) stationnés en Europe conclus du temps de l’Union soviétique. Emmanuel Macron s’interroge : peut-on rester simple spectateur de ce face à face Moscou-Washington ?
A tout cela s’ajoutent peut-être des facteurs moins avouables (outre, bien sûr, les intérêts des certaines grandes firmes françaises). Le maître de l’Elysée a subi une grave secousse avec le mouvement des Gilets jaunes, et redoute désormais un embrasement sur les retraites, au point d’être contraint d’avancer avec prudence sur les « réformes » et les coupes budgétaires qu’il comptait imposer au pays sabre au clair. Du coup, les projets lyriques, lancés du mont Olympe puis de la Sorbonne, de relancer une nouvelle Europe, avec la France comme élève modèle, ont fait long feu. On peut donc imaginer qu’un succès en politique étrangère serait le bienvenu pour compenser ces déceptions.
Les réactions horrifiées ne se sont pas fait attendre. Le Monde (09/09/18) a publié par exemple une tribune d’une rare violence signée par Bruno Tertrais, un géopolitologue très représentatif des cercles atlantistes. Celui-ci accuse Macron de faire naïvement le jeu de Poutine et de mettre en danger ses alliés en confortant la Russie dans son vieux tropisme soviétique…
En Allemagne, on regrette que la France ait joué en solo et sans prévenir : l’Elysée a fait peu de cas de la « politique extérieure commune de l’UE »
Et au sein de l’UE, on maugrée. Dans les pays baltes et en Pologne, bien sûr, mais aussi en Allemagne, où l’on regrette que la France ait joué en solo, et sans prévenir. De fait, l’Elysée a fait peu de cas de la « politique extérieure commune de l’UE ». Ce qui est déjà, en soi, à souligner. Le chef de l’Etat a par ailleurs lancé aux ambassadeurs, en substance : je sais bien qu’il y aura des résistances, y compris dans vos rangs, citant même l’existence d’un « Etat profond » qui pourrait s’opposer à une politique moins anti-russe. Le Quai d’Orsay était implicitement visé.
Il faut donc rester prudent. Le locataire de l’Elysée demeure un militant zélé de l’intégration européenne. Mais dans un monde où les incendies éclatent de toutes parts, du côté du Golfe persique en particulier, on aurait tort de négliger d’éventuelles hirondelles. Aussi fragiles soient elles.
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