Depuis huit ans, l’État euromaïdan se construit, ou se détruit, contre une part de la population ukrainienne identifiable par ses liens profonds avec la Russie. Le régime d’oppression qui en résulte est ici analysé de manière concrête : le territoire, les faits marquants, les protagonistes, les structures, les façons de penser et d’agir .
La grande majorité des occidentaux découvrent avec la guerre actuelle qu’une guerre civile sévit en Ukraine depuis 2014 à l’est du pays.
Qui ne comprend pas les origines de cette guerre ne comprend rien au conflit actuel.
La coexistence pacifique dans l’Ukraine d’avant 2014 tenait à un équilibre dont la fragilité se lit dans la géographie d’un territoire large de 1500 kilomètres d’Est en Ouest.
En 2001, 30% des ukrainiens sont de langue natale russe, essentiellement situés à l’est et au sud. La capitale kievienne était représentative de la nation, avec une proportion de 25%.
L’Ukraine n’est une nation indépendante que depuis trente ans, suite à la chute du mur et à sa séparation du bloc soviétique. Les populations orientales d’Ukraine ont donc vécu plusieurs siècles sous la Russie tsariste, un siècle sous l’Union Soviétique, et quelques dizaines d’années sous Ukraine indépendante.
La bipolarisation historique, culturelle et politique se lit clairement sur la carte électorale des présidentielles de 2012, où le président élu Viktor Yanoukovitch est très majoritaire dans les régions est et sud.
On voit sur cette carte complémentaire, les régions de Volhynie et Galicie, berceaux du nationalisme anti-soviétique – qui étaient sous autorité polonaise jusqu’en 1939 -, et à l’opposé, le Donbass.
Les carnages fondateurs de la coalition euromaïdan
En 2013, le président Viktor Yanukovych annonce un rapprochement économique avec la Russie, pas vraiment bien reçu par l’UE et l’OTAN, ni par certains partis et citoyens ukrainiens.
La « révolution de la dignité » de 2014, très active à Kiev et dans la moitié Ouest de l’Ukraine, part comme toujours d’un large mécontentement, dans un État faible où la corruption oligarchique est la règle.
Pendant un temps, les manifestations sont pacifiques. Dans quelle mesure sont-elles manipulées par les États-Unis, c’est difficile à dire. La Secrétaire d’état Victoria Nuland avoue que « les États-Unis ont investi quelque 5 milliards de dollars en Ukraine depuis 1991… pour soutenir les aspirations du peuple ukrainien à un gouvernement fort et démocratique qui représente ses intérêts », jurant la main sur le cœur qu’ils n’ont pas servi à « supporter le Maïdan ».
Dès novembre 2013, soit trois mois avant le renversement, le député du Parti des régions Oleg Tsarov déclare au parlement de la Rada :
« Les activistes de l’organisation « volya » se sont tournés vers moi pour me fournir des preuves claires qu’au sein de notre territoire, avec le soutien et l’assistance directe de l’ambassade des États-Unis, le projet Techcamp est installé et réalisé, dans le cadre duquel des préparatifs sont faits pour une guerre civile en Ukraine. Le projet Techcamp prépare les spécialistes à la guerre de l’information et au discrédit des institutions en utilisant les médias modernes. »
De fait, alors que la contestation semblait se calmer, la situation s’envenime à partir de janvier 2014 avec l’apparition de groupes de guérilla urbaine très bien organisés. Kiev se mue en véritable champ de bataille, avec d’un côté les forces de l’ordre, de l’autre les groupes paramilitaires bandéristes de Praviy Sektor, associés aux cellules « d’auto-défense maïdan » supervisées par le « commandeur de Maïdan » Andreiy Parubiy, ancien leader du parti “Social-nationaliste“ de consonance nazie.
Aux combats de rues viennent s’ajouter des tirs à balles réelles qui font de nombreux morts et blessés les 18 et 19 février, dans les rangs des émeutiers ainsi que des policiers (les “Berkouts“). Le président Yanoukovitch parvient in extremis à signer une trêve avec les leaders politiques de l’opposition maïdan.
En guise de trêve, la journée du 20 février se termine par un carnage, avec une cinquantaine de morts par tirs de snipers. Les chefs de parti Vitaliy Klychko (UDAR) et Arseniy Yatseniuk (“Opposition unie“) s’empressent de faire porter la responsabilité sur les Berkouts, suite à quoi le président Yanoukovitch s’enfuit à l’étranger.
Cette version d’un dérapage des forces de l’ordre est, aujourd’hui encore, soutenue par les directions des médias occidentaux, en dépit des informations contradictoires diffusées par leurs propres journalistes, nombreux à avoir effectué un valeureux travail de terrain ce jour-là.
L’enquête la plus sérieuse et complète a été réalisée par le docteur en sciences politiques de l’Université d’Ottawa, l’ukrainien Ivan Katchanovski. Il a immédiatement rassemblé, avec souci d’exhaustivité, les pièces à conviction disponibles :
« L’analyse qualitative du contenu comprend les données suivantes : environ 1 500 vidéos et enregistrements de diffusions en direct sur Internet et à la télévision dans les médias de masse et les médias sociaux de différents pays (quelque 150 gigaoctets), des reportages et des messages sur les médias sociaux de plus de 100 journalistes couvrant le massacre depuis Kiev, quelque 5 000 photos et près de 30 gigaoctets d’interceptions radio accessibles au public, de tireurs d’élite et de commandants de l’unité spéciale Alfa du Service de sécurité de l’Ukraine et des troupes intérieures, ainsi que les enregistrements du procès du massacre de Maidan. Cette étude s’appuie également sur des recherches de terrain sur le site du massacre, sur les rapports de témoins oculaires, tant des manifestants du Maïdan que des commandants des unités spéciales du gouvernement, sur les déclarations d’anciens et d’actuels responsables du gouvernement, sur des estimations des trajectoires balistiques approximatives, des balles et des armes utilisées, ainsi que des types de blessures, tant chez les manifestants que chez les policiers. Cette étude établit une chronologie précise des différents événements du massacre, l’emplacement des tireurs et des tireurs d’élite du gouvernement, ainsi que la chronologie spécifique ».
L’étude de 80 pages, complétée par deux montages vidéo de témoignages in situ (ici et là), basée sur des méthodes explicites éprouvées en milieu académique, est accessible moyennant une simple inscription via e-mail sur le site academia.edu :
http://www.academia.edu/8776021/The_Snipers_Massacre_on_the_Maidan_in_Ukraine
Pour comprendre la situation, voici un plan épuré : les manifestants progressent selon les pointillés jaunes en direction des bâtiments publics (en rouge) gardés par les “berkouts“, le grand hôtel Ukraina est face à la croix blanche à la droite des manifestants :
Le plan de reconstitution des emplacements et tirs de snipers (plan 1) est plus large :
Conclusions principales de l’étude du Dr Ivan Katchanovski :
- La provenance des tirs de snipers concerne une quinzaine de sites occupés par des « volontaires » de maïdan (étoiles rouges sur le plan 1). Outre les expertises médicales qui pointent les provenances, beaucoup de blessés et témoins les ont confirmées sous serment au tribunal de Kiev, en 2017 (voir déclarations de 47 blessés ici, des témoins ici, les incohérences des expertises officielles là ).
Certains blessés sont revenus sur leurs déclarations initiales, ce qui n’est pas surprenant étant donné que la légitimité du renversement maïdan, qu’ils ont soutenu, est en jeu.
- Les snipers du gouvernement (unités alpha et omega) se trouvent sur les bâtiments ministériels ou dans la rue (étoiles jaunes), et une grande partie de leurs tirs identifiés (lignes jaunes) sont dirigés vers des sites de snipers présumés.
- Une multitude de témoignages et images attestent que les premiers à essuyer des tirs sont les policiers (Berkuts), tôt le matin (bien avant 9 heures), notamment en provenance du Conservatoire de musique, principalement occupé par des miliciens pro-maïdan de Praviy Sektor.
- Les premiers morts et blessés sont des berkuts. Les émeutiers ont ouvert le feu.
- Les snipers officiels “alpha“ et “omega“ ne seraient déployés qu’après les tirs essuyés par les policiers berkuts, pendant qu’ils battent en retraite.
- Stratégiquement situé, l’hôtel Ukraïna (entouré d’un rectangle violet sur le plan 1) est quasi intégralement contrôlé par les défenseurs de Maïdan, qui surveillent de près les accès. De nombreux militants maïdan engagés sur la rue Instytuts’ka ont remarqué que les tirs provenaient de cet hôtel, pendant qu’on leur tirait dans le dos.
- « Les différents types de preuves analysées à partir d’une telle perspective théorique indiquent que les groupes armés et les dirigeants des organisations d’extrême droite, comme le Secteur droit et Svoboda, ainsi que des partis oligarchiques, comme Patrie, étaient directement ou indirectement impliqués à divers titres dans ce massacre de manifestants et de policiers. Cette tuerie de masse était une opération sous faux drapeau réussie, organisée et menée par des éléments de la direction de Maidan et des groupes armés dissimulés afin de remporter le conflit asymétrique pendant l’ »Euromaïdan », et de s’emparer du pouvoir en Ukraine. Cette étude fournit également une explication rationnelle de l’échec de l’enquête gouvernementale à trouver et poursuivre les personnes directement impliquées dans cette tuerie de masse, ainsi que la falsification de l’enquête.
[Le bilan présenté par le procureur en 2016 est en effet consternant de vacuité ; il n’est même pas capable d’expliquer pourquoi l’officier Berkut Pavlo Abroskin est emprisonné. Parce qu’il faut un “coupable“, sans doute].
« Cependant, la nature spécifique et le degré d’implication de chacune de ces organisations politiques et de certains dirigeants et manifestants armés restent flous. De par sa nature, un tel massacre sous faux drapeau n’aurait pu être organisé et mené à bien que par un petit nombre de dirigeants et de manifestants du Maïdan ».
- Aucun des chefs de groupe d’« auto–défense maïdan » n’a été blessé ni tué. Pourtant :
« Certains députés de Svoboda ont été filmés dans la zone du massacre ou dans la ligne de mire des tireurs de l’hôtel Ukraina, d’Arkada et de Zhovtnevyi, bien que cela fut irrationnel du point de vue de la sécurité personnelle, car les informations sur les tireurs dans ces endroits étaient disponibles auprès des manifestants blessés de Maidan et d’autres témoins, ainsi que dans les annonces de la scène de Maidan ».
Autrement dit, les leaders nationalistes s’aventurent en terrain dangereux, sans crainte, et ne sont jamais visés par les snipers.
Un autre leader de Svoboda est filmé par la BBC « gardant, avec quelques manifestants Maidan, l’entrée des escaliers et des ascenseurs de l’hôtel [Ukraina] », sans aucun signe de panique, alors que dans le même laps de temps, des membres de sa propre unité « Svoboda d’autodéfense Maidan ont été massacrés par des tireurs de ce côté de l’hôtel ».
Déduction du chercheur : « Mais ces actions deviennent rationnelles si ces députés de Svoboda ont agi soit en connaissance de cause, soit sur ordre dans le cadre de l’opération sous faux drapeau ».
Nous ne faisons qu’effleurer l’amoncellement de preuves convergentes sur lesquelles s’appuie le Dr Katchanovski pour affirmer, sans nuances, qu’il s’agit d’un massacre sous faux drapeau.
Ce dense faisceau de preuves révèle la nature sacrificielle du Coup d’État : des dizaines de militants maïdan ont quasi-certainement été abattus dans le dos par des tirs « amis », ou bien sur les côtés : ci-dessous, le militant qui tente de ramener son camarade blessé se fait percer la jambe par une balle unique qui se loge dans l’autre jambe. Difficile exploit pour les berkuts qui se trouvent en face, mais pur exploit de cruauté pour ceux qui flinguent également les camarades-sauveteurs.
Ici c’est un street-medic blessé par la même arme qui a tué celui qu’il secourait, selon l’expertise balistique, en provenance de l’hôtel Ukraina ou de la banque Arkada.
Le « commandeur de Maïdan » Andreiy Parubiy est filmé le 1er avril devant l’hôtel Dniepr (ou Dnipro, marqué 18 en haut du plan 1), après avoir été promu Secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense. Il supervise l’évacuation du matériel de miliciens Praviy Sektor, sacrément bien équipés. Malgré l’occupation du Conservatoire de musique, leurs talents de violonistes n’ont pas marqué les esprits. Les longues valises plates recèleraient plutôt des fusils de précision à longue portée, selon certains médisants.
Andreiy Parubiy a été récompensé par la coalition maïdan, qui brille par ses quatre ministres du parti raciste ultra-nationaliste Svoboda, vice-premier ministre et ministre de la Défense inclus. Le poste de procureur général de Kiev est aussi confié à un membre de Svoboda, Oleg Machnitizki, en charge de l’enquête sur le massacre.
Des journalistes allemands ont identifié sans mal l’hôtel Ukraina comme pivot de la tuerie, et parviennent à interroger le procureur.
- « Vous savez qu’il y avait aussi des snipers dans l’hôtel Ukraina ? »
- Machnitzki, pris au dépourvu : « … Nous enquêtons sur ce sujet ».
Quelques secondes plus tôt, pourtant :
…
Ils savent qui « est responsable » des tirs sans savoir d’où partaient une grande partie des tirs létaux, donc. En mathématiques, on appelle ça la preuve par l’absurde… d’une mauvaise foi coupable.
Deux semaines après le renversement, une conversation entre Urmas Paet et Catherine Ashton, responsables des affaires étrangères d’Estonie et de l’UE, est dévoilée ; Paet affirme qu’« il est de plus en plus évident que derrière les tireurs d’élite, ce n’était pas Yanukovich, mais quelqu’un de la nouvelle coalition », et que des balles « de même type » ont touché des civils et des policiers. C’est la dernière fois que l’on entendra les dirigeants européens évoquer, malgré eux, l’affaire.
Heureusement qu’en occident, ce n’est pas la réalité qui compte, mais les fables entretenues par les médias et les politiques.
Malheureusement pour les ukrainiens, les conséquences sont directes, et la nature du Coup d’État n’a pas échappé à toutes les consciences.
2 mai 2014, Massacre à Odessa
Les ukrainiens n’ignorent pas que le parti Svoboda, implanté à l’extrême Ouest du pays, s’est construit sur un nationalisme raciste dont l’antisémitisme s’est opportunément effacé, laissant le champ libre à une détestation atavique ciblée sur la Russie et les « moskals ». Voyant se confirmer leurs doutes, par les écoutes de Paet et Ashton, sur les manigances criminelles en vue du coup d’État, une forte proportion de citoyens ukrainiens sont catastrophés. Les russophones et/ou antifascistes sont évidemment les premiers à réagir, mais l’éventail de citoyenneté est large.
Ils prennent naturellement comme une injustice ou insulte provocatrice l’abolition de la loi sur les langues régionales, qui conférait au russe un statut officiel selon le souhait des populations locales. Les protestations pacifiques et déterminées se multiplient à l’est et au sud, puis se durcissent au rythme des répressions, et de l’évidence qu’aucune concession démocratique ne leur sera accordée.
La ville prospère, paisible et multiculturelle d’Odessa est temporairement épargnée de la vague répressive. La contestation s’y organise sur le champ Kolikovo, où un lieu de débat permanent est installé, avec le soutien de députés du Parti des régions. Un consensus se forme autour d’une solution de moindre mal, instaurer un modèle fédéral avec de fortes autonomies régionales, référendum à l’appui.
Le 2 mai 2014, une horde de fans de foot ultras, ou prétendus tels, se détourne subitement de sa passion, délaissant le match du jour pour déferler sur Odessa. Les jours précédents, des centaines de miliciens de Praviy Sektor étaient venus des oblasts de Kiev et Dnipropetrovsk notamment, par bus et par train. Ils se repèrent à leur accoutrements, tatouages, attitudes, et à leur salut aux relents fascistes, qui n’était usité avant l’ère maïdan que par les ultranationalistes ukro-occidentaux :
“Gloire à l’Ukraine !“, auquel répond l’alter : “Gloire aux Héros !“, trois fois de préférence et en chœur si le cœur ou les tripes s’y prêtent. [Traduction phonétique : Slava Ukrayini ! … Heroyam slava !].
La journée de violence et de provocation, où les tireurs embusqués s’en donnent à cœur joie dans l’indifférence des officiers de police supérieurs, font d’abord deux morts dans les rangs des supporters maïdan, puis un nombre indéterminé de défenseurs de Kolikovo, pour se terminer par une horrifique tuerie dans la Maison des syndicats, où plus de 40 odessites opposants au gouvernement maïdan seront massacrés.
Les personnes portées disparues sont nombreuses, il pourrait donc y avoir plus de cent morts.
Le détail des faits, provocations, acteurs et pièces à conviction est longuement analysé ici, selon quatre séquences :
- Phase d’acheminement des forces euromaïdan vers Odessa.
- Émeutes meurtrières en centre-ville.
- Convergence de milliers d’émeutiers vers le champ Kulikovo et massacre à la Maison de syndicats.
- Répression arbitraire et écrasement de la contestation odessite par le régime euromaïdan.
À l’inverse de la tuerie de Kiev, les témoignages, très fournis, proviennent d’activistes anti-maïdan rescapés ou de proches. La lecture du livre des rescapés “I saw the death“ est un moyen sans égal pour se figurer la réalité. La complexité des faits rend plus difficile l’établissement d’une preuve formelle en accord avec les standards judiciaires. Néanmoins, une enquête sous un régime d’État de droit identifierait certainement l’essentiel de la chaîne de commandement en cause dans l’exécution de cet immonde massacre, qualifié de « pogrom » par de nombreux témoins ; ce qui supposerait au préalable de faire cesser les menaces de répression et de mort subies par les témoins terrorisés.
Au centre-ville, les deux premiers morts par balles sont des supporters de maïdan. Toutes les observations portent à conclure qu’ils ont été sacrifiés de la même manière qu’à Kiev, avec des conséquences différentes : à Kiev, le résultat était de faire porter la responsabilité sur la police, donc sur le gouvernement et le président. À Odessa, les anti-maïdan sont censés porter le chapeau de la mort des pro-maïdan, et provoquer leur colère, donc les conditions nécessaires pour la mise en place et la couverture du massacre orchestré par « certaines autorités », selon les propos mêmes du procureur général de Kiev, membre de Svoboda.
Alors que plusieurs unités de police et de police secrète (SBU) sont présentes dans le centre-ville rapidement vidé des émeutiers, celles-ci ne sont pas envoyées à la Maison des syndicats incendiée. Il faudra une heure pour que de troupes conséquentes soient dépêchées, et elles resteront très passives encore longtemps, une fois sur place. Il est impossible que le ministre de l’Intérieur Arsen Avakov ne suive pas de près les évènements, et il serait étonnant que le chef de l’exécutif, Yatseniuk, ne soit pas informé en temps réel.
Conséquences :
- À Kiev, Coup d’État réussi et installation au pouvoir de la coalition maïdan.
- À Odessa, écrasement de la contestation par la terreur et les arrestations arbitraires consécutives.
Dans les deux cas, selon toute vraisemblance, la doctrine “La fin justifie les moyens“ est appliquée, excluant toute considération de décence et d’humanité. À Odessa, l’ennemi à abattre étant directement visé, les exécutants fanatisés ont fait preuve d’une cruauté et d’une bestialité sans limites, dévolus à la volonté glaciale et inhumaine des donneurs d’ordre, ou bien inconsciemment entrainés dans une folie meurtrière.
[Des regards hagards ou démentiels semblent attester de l’usage de drogues selon des rescapés, qui témoignent également de sursauts d’humanité parmi les meurtriers improvisés et manipulés].
- Sur l’autel de Kiev, les berkuts assassinés sont oubliés, et les martyrs sacrifiés sont érigés par les commandeurs au rang de « centurion céleste », héros de la nation en remodelage euromaïdan.
- Sur le bûcher d’Odessa, la tuerie bestiale des « ennemis » de la nation euromaïdan est brandie à titre d’exemple et de terreur, à la face de tous les ukrainiens qui oseraient entraver son érection.
La grande bifurcation
Pendant ce temps-là, à Kiev, les soutiens au maïdan et les « maïdauns », nom donné par les odessites aux “ultras“ et bandéristes violents, vivent une toute autre histoire.
Le 15 mars 2014, le philosophe Marc Sagnol s’interroge :
« Comment expliquer, comment comprendre cette juxtaposition, cette symbiose parfois entre les opposants libéraux et pro- européens, les mouvements citoyens qui luttent contre la corruption et se présentent même comme étant plutôt à gauche, et ces groupes paramilitaires d’extrême droite, ultra nationalistes et fascisants, que l’on voit se préparer sur le Khrechtchatik en « colonnes » de 10 ou 12 membres prêts à monter à l’assaut sur les barricades ? Je discute avec des amis de Kiev. « Cela ne vous gêne pas d’être avec ses gens la ? » « non ce n’est pas grave, ils vont se calmer », me répond-on en général. En attendant, ce sont eux qui ont pris de force la mairie de Kiev, le ministère de l’agriculture, le bâtiment de l’union des syndicats leur QG, et cela ne gêne personne ».
« Le dimanche 23 février, après l’émotion suscitée par les nombreux morts, il y eut une certaine euphorie politique, la joie du départ de Ianoukovitch et la visite par la population de sa résidence luxueuse de Mejigorie… que l’ancien président avait privatisé et qui est désormais reprise par l’État. Mon caméraman, originaire de Zaporojié, et très hésitant sur la « révolution » de Maïdan, était d’un coup fier d’avoir contribué, par sa venue à Kiev, au changement de régime. Puis il a vite déchanté.
… le Parlement semble tétanisé. Plus aucune opposition, quelle que soit la loi proposée… Il faut savoir que les gros bras de « Praviy Sektor » montent la garde devant le Parlement, ce qui n’incite pas les députés à voter contre. Un nombre impressionnant de lois passent ainsi sans discussion.
Le plus surprenant, c’est la manière dont le nouveau cabinet est présenté. Avant d’être proposés au Parlement, les futurs ministres sont proposés au Maïdan, à la rue donc, qui décident de leurs nominations. Les ministres sont présentés un à un : « Acceptez-vous qu’un tel soit ministre… » et Le Maïdan répond par des acclamations ou par des refus. Sans surprise, puisque que Svoboda et Praviy Sektor ont pris la plus grande part, sur les barricades, à la conquête du pouvoir, ils ont le plus grand nombre de morts sous les coups des snipers qu’ils ont probablement commandité, ils réclament maintenant leur dû et l’obtiennent. C’est ainsi qu’on voit des casseurs, quelques jours plus tôt à jeter des pavés sur les flics, obtenir soudainement un ministère, acclamé par le Maïdan… »
Il faudrait savoir à quel point la tolérance de citoyens modérés vis-à-vis d’adeptes de la force brute, a été favorisée par la subversion sophistiquée du soft-power américain. À travers l’USAID, la NED (National Endowement for Democracy) et autres fondations, tous les types d’associations, de la lutte anti-corruption jusqu’à la protection des abeilles et papillons rares, sont financées et insidieusement influencées.
Une fois la dynamique lancée, l’effet boule de neige prend le relai, entretenu par la propagande médiatique, mais aussi par des sentiments et rationalités très humaines. On ne tourne pas le dos du jour au lendemain à un mouvement que l’on a soutenu des mois durant, et qui répond ou semble répondre à nos idéaux ou aspirations, à une « victoire » sur l’injustice. Il est facile alors de croire à ce qui nous arrange, et de fermer les yeux sur ce qui dérange, y compris des monstruosités dont la portée est atténuée par un “doute“ entretenu par la propagande médiatique.
Le peuple a repris le pouvoir dans les rues de Kiev, mais quel « peuple » ?
La composition de la « coalition maïdan » en donne une idée. Son flanc situé à droite de l’extrême droite et au-delà, est débordant.
Parti Svoboda :
- Vice-Premier ministre : Oleksandr Sych
- Ministre de la Défense : Igor Tenyukh
- Ministre de l’Écologie : Andreï Mokhnyk
- Ministre de l’Agriculture : Ihor Shvaika
Du côté des milices de Praviy Sektor :
- Ministre de l’Éducation et de la Science : Serhiy Kvit.
- Secrétaire du Conseil national de Sécurité et de Défense : Andrei Parubiy, le « commandeur de Maïdan ».
- Ministre de la Jeunesses et des Sports : Dmitri Boulatov.
- Ministre de l’Intérieur : Arsen Avakov.
Arsen Avakov n’a pas de lien d’appartenance avec Praviy Sektor, mais il est ministre de l’Intérieur pendant le massacre d’Odessa et sera un pivot de la mise en place de l’appareil répressif fasciste ; ses accointances à venir dissiperont toute ambiguïté : en 2016, Arsen Avakov place Vadim Troyan à la tête de la police nationale, lequel était commandant adjoint du bataillon néo-nazi Azov, au plus fort de la guerre civile.
Le ministre Serhiy Kvit est un ex-membre de la faction paramilitaire bandériste Trident, rouage essentiel de l’organisation Praviy Sektor (Secteur Droit), assemblage de milices fascistes dirigé par Dmitri Iaroch, ami de Kvit.
Annoncée « depuis la scène de Maidan après que les gens ont commencé à scander le nom du chef de Praviy Sektor », la nomination de Dmitri Iaroch comme Secrétaire adjoint du Conseil de sécurité et de défense nationale, en fait l’acolyte d’Andreiy Parubiy.
Dmitri Iaroch se charge dès mars 2014 de créer le bataillon néo-nazi Azov avec des recrues de Praviy Sektor, envoyé aux premières lignes de la guerre civile, sur les fronts de Donetsk et Marioupol notamment.
L’émeutier Dmitri Boulatov, nommé ministre de la Jeunesse et des sports, est membre de l’UNA-UNSO, cellule paramilitaire inscrite dans la continuité de l’OUN-UPA créée par le « héros » nationaliste Stepan Bandera dans les années 1930. Intégrés dans la division SS Galicie en 1939, ces milices massacrent les juifs de Lviv, puis volent de leurs propres ailes brunes après 1943 et procèdent à des opérations de nettoyage ethnique, se livrant aux exécutions systématiques et tortures d’hommes, femmes et enfants juifs et polonais.
Tous les groupes et partis d’extrême droite revendiquent l’héritage de Stepan Bandera, père de leur nation ukrainienne essentialisée.
Le chef du parti Svoboda Oleh Tiagnibok, pour ne pas dire “Führer“, cofondateur aux côtés de Parubiy du parti social-nationaliste, s’est trop répandu en diatribes antisémites pour apparaitre dans les organigrammes gouvernementaux. Il attend son heure, exerçant un pouvoir certain dans les coulisses de l’euromaïdan.
La mise en place de l’arsenal Maïdan est bien sûr contrôlée de près par les États-Unis, comme le montre cette rencontre du futur Premier ministre Arsène Yatsenouk et du leader de Svoboda avec le sénateur John McCain, l’Ayatollah américain du combat contre l’État Russe :
Un mois avant le renversement, le 28 janvier 2014, l’ambassadeur des États-Unis à Kiev Geoffrey Pyatt tapait le bout de gras avec la secrétaire d’État Victoria Nuland (les russes sont meilleurs en écoutes qu’en poison) :
Nuland : Qu’en pensez-vous ?
Pyatt : Je pense que nous sommes dans la danse. Le morceau Klitschko [ex-boxeur, chef du parti UDAR] est évidemment l’électron compliqué ici [ … ]
Nuland : Bien. Je ne pense pas que Klitsch devrait entrer dans le gouvernement. Je ne pense pas que ce soit nécessaire, ni que ce soit une bonne idée.
[Il n’y entrera pas].
Nuland : Je pense que Yats est le type qui a l’expérience économique, l’expérience du gouvernement. Il est le… ce dont il a besoin c’est que Klitsch et Tyahnybok soient sur la touche.
[Yats est le petit nom de Yatseniuk, leader de la coalition “Opposition unie“ focalisée sur l’adhésion à l’UE. Il sera Premier ministre jusqu’en 2016. Oleg Tyahnybok est le chef du parti fasciste Svoboda, il ne sera pas nommé, comme prévu. Peut-être pour son travers exhibitionniste ?].
Euromaïdan, un État de guerre
Ces nominations actent le contrôle intégral des structures de maintien de l’ordre étatique par les leaders d’extrême droite, mais aussi des structures d’éducation nationale, à un moment où aucune manifestation antimaïdan de grande ampleur n’a encore eu lieu dans le pays. Tout se passe comme si le gouvernement maïdan anticipait une guerre civile sans merci, et de longue haleine (la jeunesse, c’est l’avenir…).
Ils savent que les réformes législatives menées tambour battant, de surcroit par un gouvernement non-élu, sont absolument inacceptables pour les ukrainiens d’affinités russes. On reconnait là la stratégie du choc chère aux américains, en parfaite adéquation avec l’idéologie du nationalisme bandériste.
L’électrochoc déclenche sans surprise les contestations massives dans l’est et le sud du pays, où les autorités maïdan sont considérées illégitimes ; les citoyens rassemblés face aux mairies crient haut et fort « Non au fascisme ! ».
Dans la péninsule de Crimée, qui bénéficie d’un statut d’autonomie avancé, la Cour suprême locale s’appuie sur la jurisprudence de l’indépendance du Kosovo pour affirmer la conformité au droit international de son indépendance, au cas où le référendum y soit favorable ; c’est le cas le 16 mars 2014, avec officiellement 94% des suffrages.
Dans le Donbass, plusieurs municipalités font une déclaration de non reconnaissance du gouvernement maïdan, avec le soutien de la population et souvent, d’unités entières de police et de militaires. Le référendum d’indépendance se tiendra le 11 mai 2014, dans une tension extrême.
Il est temps d’approfondir la nature de « la droite de la droite » ukrainienne, telle que la qualifiait le chef du Quai d’Orsay à l’époque, Laurent Fabius, devenu passoire en chef du Conseil constitutionnel.
L’omniprésent Andreiy Parubiy fonde en 1991, aux côtés d’Oleg Tiagnibok, le parti « Social-nationaliste », qu’il quitte au moment du ravalement de façade qui donne le parti Svoboda en 2004.
Jeunesses du parti Social-nationaliste dans les années 1990 :
À une symétrie axiale près, on retrouve la rune nazie du crochet de loup ou “Wolfsangel“, emblème de la division SS “Das Reich“ de sinistre mémoire à Oradour sur Glane, reprise par le régiment Azov.
La référence au nazisme est mollement contredite, les I et N imbriqués signifiant également « Idée de la Nation », qui est effectivement un mantra de la doctrine développée par le nationaliste historique Yaroslav Stetsko, un des principaux inspirateurs du parti Social-Nationaliste. Stetsko était en 1941 un leader de l’OUN-B, faction de l’Organisation Nationaliste d’Ukraine menée par Stepan Bandera.
Dès la fin juin 1941, l’OUN participe activement au progrom des juifs de Lviv aux côtés des nazis, fournissant des miliciens endoctrinés et des listes de juifs à exécuter en priorité. C’est à ce moment précis que Yaroslav Stetsko écrit dans un mémorandum, le 7 juillet 1941 :
« Je […] prends toute la mesure du rôle incontestablement nocif et hostile des juifs, qui aident Moscou à esclavagiser l’Ukraine. […] Par conséquent, je m’en tiens à l’établissement de la liquidation des Juifs et à l’opportunité de transférer en Ukraine les méthodes allemandes d’extermination des Juifs, en excluant leur assimilation… ».
Cette adhésion formalisée à la criminalité antisémite nazie va bien au-delà d’un simple opportunisme nationaliste de circonstance, contrairement à ce que le révisionnisme euromaïdan voudrait nous faire croire. Le pogrom de Lviv sera suivi des massacres systématiques de polonais et juifs par les milices UPA de l’OUN, de leur propre initiative et indépendamment des allemands.
Le texte doctrinaire « Les deux révolutions » de Yaroslav Stetsko, référence des Social-nationalistes, a l’apparence d’un manuel de bonne conduite (nous soulignons) :
« Le contexte d’éducation des héros n’est pas différent de celui de l’ensemble de la citoyenneté. Eux seuls ont la capacité d’approfondir et de discerner correctement les valeurs éthiques. Il y a en eux une forte tension de la volonté, une perception aigüe, l’assimilation organique et l’esprit d’initiative (de leur propre chef) face aux maximes éthiques, une fascination fanatique de l’idée… L’héroïsme est le résultat de l’idéalisme. Ce n’est pas seulement une disposition potentielle, mais une disposition réelle dans la vie, c’est une manifestation d’idéalisme dans le rang, une manifestation réelle d’idéalité et d’éthique, face à un danger formidable pour la vie individuelle. Combler le fossé entre le réel possible et le souhaitable, entre la fin et les moyens, quand il faut risquer sa vie, c’est la compétition du héros. »
« Il y a une lutte, une lutte pour un nouveau type complet, pour un homme accompli national-social-altruiste (liberté), l’idéal de celui-ci sur une large échelle, parmi les masses les plus larges. »
« On parle de devoir, pas de « sacrifice »… L’idéal du nouveau monde est de rendre l’ampleur du « sacrifice » d’aujourd’hui, dans notre sens de l’obligation, au moins égale à la taille des utilisations égoïstes d’aujourd’hui dans les cercles plus larges de la citoyenneté. »
« Le combattant national ne cherche pas la mort de l’homme, mais la victoire de l’idée nationale. Il élimine non pas l’homme mais la personnification de la domination étrangère sur sa nation. Il n’aspire pas au « bonheur du couteau et du sang », mais au bonheur de la victoire de l’idée. Lorsque le chemin de la victoire passe par le sang, les cadavres et les épées consacrées, alors le sang, les cadavres et les épées sont les moyens d’atteindre le but. Et la joie de les utiliser est la joie d’être le seul moyen de réaliser la victoire, la réalisation d’une idée. Et l’élimination d’une personne ou d’un obstacle forcé est due au fait qu’il s’oppose à la réalisation d’un idéal. »
Les dirigeants de l’Ukraine euromaïdan semblent avoir appliqué à la lettre, en élèves disciplinés, les préceptes de Yaroslav Stetsko. La glorification des « héros » nationalistes, la figure imposée au quotidien du salut bandériste « Gloire aux héros », les marches aux flambeaux à l’effigie de Stepan Bandera dans les rues de Kiev, ne sont pas des commémorations, mais des rites initiatiques formateurs de l’ukrainien nouveau, sommé de servir « l’Idée de la nation » ; la mystique du héros bandériste rejoint celle du « Surhomme » hitlérien.
Les militants maïdan partis affronter les berkuts sur l’avenue Intituts’ka ne faisaient qu’accomplir leur devoir, et peu importe si ceux qui sont tombés ont été assassinés par leurs propres camarades – les uns et les autres agissant sur ordre des « commandeurs de maïdan » – puisque c’était « le moyen d’atteindre le but » ; du moins est-ce ainsi que doit penser le social-nationaliste ; du moins est-ce ainsi que la « centurie céleste », cette cohorte de héros modernes sacrifiés, s’est fabriquée.
L’idée de la nation maïdan est une hybridation entre les visées bandéristes ukrainiennes, qui ne représentent en 2014 qu’une fraction de l’Ouest de l’Ukraine, et l’idée globaliste portée par les États-Unis et leurs vassaux européens, dont l’ennemi maintes fois désigné est la fédération de Russie. Les sénateurs John MacCain et Lindsey Graham réaffirmaient ainsi leur soutien aux soldats ukrainiens, en présence du Président Porochenko : « 2017 sera l’année de l’offensive […] C’en est assez de l’agression de la Russie. Il est temps qu’il payent un plus lourd tribut ».
Plus intelligent mais pas moins cynique, le stratège américain Brzezinski pointait « l’enjeu essentiel », en 1998, déjà :
Le caillou dans la botte de l’Oncle Sam rejoint l’ennemi intérieur des bandéristes, c’est le descendant ukrainien des « bolchéviques », l’obstacle « qui s’oppose à la réalisation d’un idéal », qu’il s’agit « d’éliminer ». Avec la revendication d’une telle idéologie, la nomenclature simili-nazie Social-Nationale du parti éponyme, le Wolfsangel dérivé de la symbolique nazie, sans oublier les pogroms de l’ère Bandera, héros sanctifié, la généalogie avec le nazisme s’alourdit méchamment.
Ce n’est pas un hasard si Stetsko demeure une référence. Exilée avec lui depuis 1945, en Allemagne notamment, sa femme Slava Stetsko a œuvré sans relâche à la perpétuation de l’Idée, d’abord en occident, puis après son retour en Ukraine, quatre ans après la mort de son mari. Sur un site bibliographique ukrainien, on peut lire :
« Le « Trident » est le successeur direct de Bandera par l’intermédiaire de Slava Stetsko, qui, au début des années 1990, a facilité, grâce à son énergie et à ses relations avec les émigrés, l’organisation de tout un groupe d’organisations nationalistes de diverses obédiences. Le « Trident » était une aile paramilitaire de la jeunesse associée au Congrès des nationalistes ukrainiens [fondé par Slava Stetsko.]. »
Rappelons que le chef de Praviy Sektor et initiateur du bataillon Azov, Dmitri Iaroch, est leader de la faction Trident dès 1995, le passage de flambeau s’est donc fait sans intermédiaire.
Cette nationaliste acharnée, qui a « co-organisé des conférences internationales, congrès à Washington, Toronto, Munich…, Chicago, Manchester, Paris, Madrid, Rome » en tant que responsable au sein du « Bloc des nations anti-bolchéviques » (l’ABN, présidé par son mari), qui « connaissait personnellement les dirigeants de nombreux États » , morte en 2003 après deux mandats de députée d’Ukraine, a eu le temps de transmettre la doctrine et les méthodes de l’OUN (qu’elle a aussi réactivé et présidé), elle a contribué à la réorganisation des factions et partis, faisant sans doute fructifier ses liens tissés avec les services occidentaux, qui ont coopéré avec les bandéristes tout au long de la guerre froide.
Un document déclassifié de la CIA indique que le rôle dual de l’ABN est de supporter la guérilla nationaliste en Ukraine, « et de conduire la propagande à l’étranger » ; une « source allègue que le personnel de Bandera travaillerait pour les services secrets américains, anglais et même français ». En 1949, « des négociations pour une réunion de l’OUN se sont tenues au domicile de Iaroslav Stetsko… ».
Ces nationalistes rivés à l’héritage de Stepan Bandera, anciens et actuels, partagent une constante essentielle : aucun ne fait de retour d’expérience sur la très longue, glaçante et sanglante campagne de tueries et tortures opérées par l’OUN-UPA en Galicie et Volhynie.
L’historien Norman Davies, relate dans le livre “No Simple Victory“ :
« Les villages étaient incendiés. Les prêtres catholiques étaient découpés à la hache ou crucifiés. Les églises brûlées avec tous leurs paroissiens. Des fermes isolées attaquées par des bandes armées de fourches et de couteaux de cuisine. Des gorges sont tranchées. Les femmes enceintes sont transpercées de baïonnettes. Des enfants sont coupés en deux. Des hommes sont pris en embuscade dans les champs et emmenés. Les auteurs de ces crimes ne pouvaient pas déterminer l’avenir de la province. Mais au moins ils pouvaient déterminer que ce serait un futur sans Polonais. »
L’historien Mark Mazower cite un ordre écrit de l’OUN daté début 1944 :
« Liquider toute trace polonaise. Détruire tous les murs d’églises catholiques et des autres lieux de prière polonais. Détruisez les vergers et les arbres dans les cours pour qu’il n’y ait aucune trace que quelqu’un ait vécu là… Prenez garde au fait que si quoi que ce soit de polonais persiste, les Polonais auront des prétentions sur notre terre ».
De ce nettoyage ethnique visiblement planifié, d’une atrocité inouïe, les nationalistes ukrainiens ne parlent pas ; ils nient l’évidence. Le vice-recteur de l’« Ostroh academy » se prononce sur Radio Liberté, en 2016 : « Les spéculations sur le thème du “massacre de Wolyn“, qui est souvent diabolisé et mythifié, contribuent à cultiver des sentiments anti-ukrainiens ».
Bogdan Chervak, chef actuel de l’OUN :
« Les combats de la partie ukrainienne, en particulier l’OUN et l’UPA, n’avaient qu’un seul objectif – libérer le territoire de Volhynie des forces d’occupation, parmi lesquelles les Polonais, en particulier l’Armée de l’Intérieur, qui considéraient la Volhynie comme faisant partie de la Pologne ».
35 000 à 100 000 morts selon les estimations, dont une majorité de femmes et d’enfants, de la manière que l’on sait, se résumerait donc à « libérer le territoire ».
Le problème, avec une telle capacité de déni, c’est que l’innommable, l’inconcevable, le monstrueux finit par se reproduire, surtout quand les héritiers n’ont rien changé au fond de l’idéologie motrice, comme s’ils étaient figés dans une croyance immuable.
L’euromaïdan a même reproduit l’oppression des autorités polonaises sur cette région. Par exemple, alors que dans les années 1920, la Pologne avait interdit la langue ukrainienne dans les écoles et l’administration, les nationalistes ukrainiens firent de même avec la langue russe en 2014.
Si je t’opprime, c’est normal, si tu m’opprimes, je te détruis.
Telle est la maxime qui se profile dans le flou de cette consternante idéo-logique.
Rien d’étonnant donc à ce que les schémas bandéristes se perpétuent, avec notamment une pratique quasi normalisée de la torture et d’innombrables exécutions sommaires dès 2014. La persécution pointe jusque dans les propos télévisés du Président Porochenko, voyant l’avenir des enfants du Donbass « dans les caves », promesses implicites de bombardements hors objectifs militaires, qui seront cyniquement tenues, huit durant, par ciblages d’intensité variable, d’immeubles, maisons, écoles, hôpitaux en activité.
Les preuves définitives de l’existence d’actes de sauvagerie ont été livrées ces dernières semaines, avec ces images de prisonniers russes et donbassiens, purs aveux dont on ne sait pas trop s’ils relèvent de la bête fierté de la bête cruelle, ou de la volonté de semer la terreur.
La vidéo connue où les soldats ukrainiens tirent en série sur les jambes de prisonniers russes est localisée près de Kharkiv à Malaya Rohan (voir France 24), zone de combat où une unité “Kraken“ réputée tortionnaire, était présente.
Le conseiller du Président Zelensky, Oleksiy Arestovitch, ne nie pas le crime de guerre, promet « une enquête », et trouve à dire que « s’il s’avère que le soldat a eu des proches et des enfants tués à Kharkiv, bah on comprend que… ».
Un officier de la légion géorgienne, qui combat avec l’armée d’Ukraine, annonce publiquement : « On ne prend pas de prisonniers russes ni Kadyrovites [Tchètchènes], pas un seul ». No comment.
Un reporter “embedded“ côté Ukraine confirme la règle, diffusant la nouvelle : « … les volontaires ukrainiens, autant que je sache, ne prennent aucun prisonnier ».
Les exactions sont brandies sur les réseaux sociaux comme des trophées, comme ce jeune captif russe, montré vivant mais déjà torturé (son œil est énucléé), puis étendu mort, avec mention « Looking for nazis », sous-entendu, il les a trouvés.
Plusieurs exécutions à mort sont filmées, ponctuées d’un victorieux « Gloire aux héros ! », comme ici, où trois russes ont semble-t-il été égorgés, le dernier agonisant étant achevé au fusil face caméra (le New York Times a authentifié la vidéo).
D’autres prisonniers russes sont pendus, brulés vifs attachés à une chaine ou crucifiés… Il n’y a pas de limite à l’horreur et au sadisme.
Pour boucler la boucle, cinq déserteurs de l’armée d’Ukraine racontent pourquoi ils ont fui Rubeznhoye pour se rendre aux russes : « Ils ont amené une vingtaine de personnes, femmes et hommes, des civils avec brassards blancs au bras, et nous avons reçu l’ordre de les fusiller ». Les donneurs d’ordre seraient de « Praviy Sektor », l’armée régulière serait donc sous l’autorité des milices fascistes, sans doute sous statut d’« unités de défense territoriale », dans le Donbass du moins. Les soldats auraient refusé d’exécuter les civils, puis se seraient enfuis, profitant d’une soirée de beuverie.
[ Voir ici les témoignages des habitants de Marioupol sur le modus operandi de l’armée ukrainienne vis-à-vis des civils en 2022 ; ou ce reportage sur la torture à Marioupol et Khramatorsk en 2014/2015, avec implication possible d’agents de la CIA et du MI6 ].
Reste une question essentielle : Comment l’idéologie bandériste a-t-elle été déployée en Ukraine depuis 2014 ?
La fin justifie les moyens
D’emblée, la coalition euromaïdan décide d’imposer sa politique, ouvertement hostile à toute une partie de la société ukrainienne, par la force. Après six semaines d’existence, le gouvernement maïdan envoie déjà les chars contre la population civile. Au bout de trois mois, il envoie des supersoniques bombarder les villes. Le 2 juin 2014, les habitants de Lugansk observent un étrange balai aérien, stupéfaits et incrédules.
Pour justifier de l’envoi des troupes militaires, le mouvement anti-maïdan est décrété « terroriste », non sans quelques résistances au sein de l’armée. À Kramatorsk, le Colonel Aleksandr Shvets désobéit, déclarant que « jamais dans l’histoire de l’Ukraine un soldat aéroporté n’a tiré sur sa propre population ».
On voit que la coalition maïdan, également dénommée « junte » militaire, doit faire face non seulement à une résistance régionale, mais aussi à une résistance diffuse dans tout le territoire, avec une gradation croissante en direction de l’Est. Si elle a pu être sous-estimée, cette résistance est clairement anticipée, et les ultra-nationalistes placés aux postes clés de la hiérarchie militaire et policière, s’empressent de compenser l’affaiblissement des défections par l’activation des forces paramilitaires extrémistes. Les bataillons de « volontaires » prolifèrent, alimentés par les factions armées de Praviy Sektor, les hooligans, les repris de justice et autres malfrats (beaucoup sont libérés de prison par une loi d’amnistie, ou par contrat où ils s’engagent à combattre en échange de libérations anticipées)…
Bataillon Azov : financé par l’oligarque Kolomoïskiy, mis en place par le chef de Praviy Sektor, Dmitri Iaroch. Le premier commandant est Andreiy Biletskiy, leader du parti Patriotes d’Ukraine, un nazi pur jus adepte de la « purification raciale » (voir ici son décalque de la doctrine nazie). Les cadres d’Azov forment en 2016 le parti Corps national, présidé par Biletskiy.
Andreiy Biletskiy en scène avec le leader de Svoboda Oleh Tiagnibok :
Bataillon Aïdar : cofinancé par l’oligarque Kolomoïskiy. Initié par Sergueï Melnychuk, capitaine d’autodéfense maïdan, élu député du Parti radical en 2014. Les combattants expérimentés ont cependant été sélectionnés par Andreiy Parubiy, fondateur du parti Social-nationaliste et futur président du parlement.
Bataillon Dniepr-1 : Lié à Kolomoïskiy. Le député de Svoboda Andrey Denisenko est chargé de la formation et du recrutement du bataillon. L’officier de Dniepr-1 Vlodimir Parasiouk était un chef de groupe de « défenseurs Maïdan » réputé pour sa violence, probable tueur de Berkuts à Kiev. Il déclare en 2020 avoir « ouvert le feu avec son groupe en réponse aux tirs de Berkuts ». Dniepr-1 est suspecté d’avoir participé au massacre d’Odessa.
Denisenko et Parasiouk rejoignent l’Oukrop, groupe parlementaire viscéralement russophobe codirigé par Dmitri Iaroch, chef de Praviy Sektor. L’Oukrop devient un parti politique en 2016.
Bataillon Sich : Dévolu à la répression politique dans les régions hors conflit, mais considérées hostiles (taux de russophones élevés…). Sept députés de la Rada y sont plus ou moins directement engagés, issus du parti Svoboda ou de son ancêtre le parti Social-Nationaliste, dont Andreiy Tiagnibok, le frère du chef de Svoboda, et Oleg Ossoukhoski, député Svoboda jusqu’en 2019.
Bataillon Donbass : Même mission que le Sich, Basé à Dniepopetrovsk ; cofinancé par Kolomoïskiy.
Amnesty International a recensé « plus de trente bataillons dits « volontaires » », dont certains deviendront partie intégrante de l’armée, comme les régiments Azov et Aïdar. Les néo-nazis et les suprématistes blancs sont très attirés par ces formations, de simples psychopathes ou délinquants viennent grossir les rangs.
Un élément remarquable est l’imbrication du politique et du militaire, à l’image des partis bandéristes toujours associés à une composante paramilitaire. Parubiy (Secrétaire du comité de défense et sécurité nationale), Iaroch (conseiller du chef d’état-major de l’armée en 2015), Biletskiy (promu au ministère de l’Intérieur), députés de Svoboda aiguillés par leur chef Tiagnibok, tous sont impliqués dans le processus de décision étatique et législatif, tout en contrôlant l’encadrement des bataillons jusqu’aux sous-officiers. Pour assurer la marche intransigeante de « l’Idée de la nation », il faut que les exécutants de terrain soient prêts à « combler le fossé… entre la fin et les moyens », dixit Stetsko.
Dans son succinct rapport “ Abus et crimes de guerre…“, Amnesty ne s’est penché que sur le cas Aïdar : « Les membres du bataillon de défense territoriale Aïdar, qui opère dans le nord de la région de Louhansk, ont été impliqués dans des abus généralisés, notamment des enlèvements, des détentions illégales, des mauvais traitements, des vols, des extorsions et de possibles exécutions ».
En dépit des milliers de dossiers de plaintes soumis à la CEDH et au TPI par les associations et instances de Droits de l’homme de Louhansk et Donetsk, aucune enquête internationale, et à fortiori de procès, n’a été lancé.
Ordre et désordre du renouveau bandériste
L’argument phare utilisé par les occidentaux pour minimiser la dérive fasciste en Ukraine maïdan, consiste à dire que les partis ouvertement nationalistes n’ont obtenu que quelques pourcents aux élections législatives. C’est vrai, mais cette vision purement comptable ne reflète en rien la réalité.
[ Pour simplifier, toutes les tendances nazies, fascistes, nationalistes dures… seront désignées sous le vocable “bandéristes“].
L’ennemi désigné par l’Ukraine maïdan, dès ses prémisses, est l’État russe. L’ennemi extérieur est une chose, l’ennemi intérieur, une autre. L’euromaïdan se manifeste par une guerre civile contre les républiques du Donbass depuis 2014, et par une guerre sourde contre environ un tiers de la population intérieure, qui depuis des décennies se considère ukrainienne autant que russe, par sa descendance, sa langue natale, ses origines ethniques slavo-russes, culturelles, historiques ou positionnements politiques.
Une forme d’épuration s’est produite, de différentes manières :
- Certain(e)s ont fui pour se réfugier en Crimée (vite rattachée à la Russie) comme cette procureure de Kiev (voir ici et là), ou bien dans le Donbass, ou en Russie.
- Certains ont simplement exprimé leur opposition aux mesures de la coalition maïdan, comme à Kiev, Odessa, Dniepopetrovsk… Ceux-ci ont subi de plein fouet la répression par la police politique (SBU) et autres unités.
Alors que des bataillons de volontaires bandéristes finissent par être rattachés au ministère de l’Intèrieur d’Arsen Avakov, équipés et formés aux armes lourdes, le ministre de la Défense Mikhail Koval instaure dans tout le pays des « unités de défense territoriale », par sélection de « volontaires » (parfois sous la contrainte !) basée sur leur « attitude patriotique », chargées de faire respecter les couvre-feux, « lutter contre les groupes de sabotage et de reconnaissance», « maintenir la sécurité et l’ordre public… ».
Avec de telles prérogatives, qui de surcroit empiètent sur la police établie, la voie est grande ouverte à l’arbitraire, d’autant que les miliciens de Praviy Sektor et autres bandéristes aguerris y ont nécessairement une place de choix.
L’oppression est extrême pour tout ukrainien ayant des affinités avec la Russie, tout signe d’appartenance (ruban de St Georges des aïeuls…) pouvant être utilisé comme “preuve“ de collusion avec les « terroristes », lors de fouilles ou perquisitions. Les sentiments de méfiance, de haine ou de racisme antirusse s’instillent fatalement, particulièrement chez les jeunes, au gré des actualités sur les « terroristes pro-russes » du Donbass, ou de la propagande médiatique, quand ce n’est pas directement enseigné dans les écoles. Parler russe dans un bar, parler ukrainien avec un accent russe, ou ne pas répondre par un « Héroiyim Slava », peuvent vous coûter de graves ennuis. Dès lors que ces populations restent très nombreuses en Ukraine, l’atmosphère est extrêmement malsaine.
Les assassinats de plusieurs journalistes insoumis à la doxa officielle auront suffi à terroriser les autres, et l’interdiction des médias décrétés « pro-Kremlin » finissent d’enfoncer le pays dans la pensée unique euromaïdan.
C’est ainsi qu’un ordre répressif fasciste au service de « l’Idée de la nation », latent ou violent, s’installe en Ukraine au long de huit années de conflit.
Le gouvernement ne maîtrise évidemment pas la politique de sécurité intérieure. Il doit composer avec :
- La supervision de l’OTAN et des États-Unis.
- Les nationalistes bandéristes qui ont l’ascendant sur les forces militaro-civiles de l’État.
- Les oligarques, dont Komoloiskiy, qui coopèrent avec les bandéristes, dans un contexte de corruption aggravée.
Sachant que ni les États-Unis, ni les bandéristes, ni une bonne partie de la classe politique ukrainienne n’avaient de volonté d’apaiser les relations avec la Russie, la situation s’est dégradée jusqu’au point de rupture actuel.
Le président Zelensky avait pourtant quelques soutiens favorables à un apaisement ; en mars 2020, Sergueï Sivokho, ex-candidat du parti “Servants du peuple“ devenu conseiller pour le Conseil de sécurité et de défense, présente en conférence de presse la “Plate-forme nationale pour la réconciliation“, dont le but est de résoudre pacifiquement le conflit avec le Donbass. Il est interrompu puis jeté à terre par des militants du Corps national, organe politique issu du régiment Azov. La violence physique par des néo-nazis confirmés équivaut à une menace de mort, la plateforme n’ira pas plus loin.
Le système judiciaire ne fonctionne par différemment, lorsque des bandéristes risquent un procès pour assassinats. À la fin 2015, c’est une bande armée de Praviy Sektor qui fait irruption dans le bureau de trois juges en charge du massacre d’Odessa, avec présence des médias, s’il vous plait. Tous trois signent leur lettre de démission, les massacreurs courent toujours.
Les factions bandéristes opèrent en toute transparence, comme pour les tortures et exécutions de prisonniers russes : pas de terreur sans publicité de la terreur.
Ces actions contrôlées n’affectent en rien l’opinion publique, grâce à la machine propagandiste des médias locaux et occidentaux, dédiés à la cause euromaïdan et largement indifférents aux crimes nazis perpétrés depuis huit ans. Ces intimidations sont pleinement cohérentes avec l’idéologie bandériste de fusion entre objectifs politiques et combat physique, menaces comprises, la fin justifiant les moyens.
Quant au gouvernement Zelensky (comme les précédents), il est pieds et poings liés à ces factions qui assurent l’ordre fasciste et le front guerrier, mais aussi au pouvoir des oligarques, au sein d’une mélasse où chacun s’assure une part du gâteau de la corruption et des fonds alloués par l’occident (Zelenskiy lui-même apparait dans les Panama papers, ce qui ne laisse pas d’interroger.)
Relais législatifs et gouvernementaux
Les bandéristes ont des accès directs aux centres de décision politique, pas toujours lisibles sur le papier. Le parcours d’Andreiy Parubiy, acteur majeur du coup d’État en 2014 (voir plus haut), est très instructif. Immédiatement nommé Secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense d’Ukraine, en duo avec le chef de Praviy Sektor Dmitri Iaroch, il contribue à la mise en place de l’appareil de répression fasciste et à la rapide escalade vers la guerre civile.
Ayant quitté en 2005 le parti Social-nationaliste, ses accointances nazies se font peu à peu plus discrètes. En 2012 il est élu député du parti “Front pour le changement“ dirigé par Arseni Yatseniouk, futur Premier ministre maïdan, qu’il suit dans son nouveau parti Front populaire pour se faire élire député aux élections anticipées de fin 2014. La famille politique ukrainienne sait se faire tolérante pour les bandéristes acharnés. Le poste de « Vice-président » de l’Assemblée (la Verknovda Rada) sera même créé expressément pour lui ; réélu en 2016, il devient président de la la Verknovda Rada (pas sûr que ça fasse une grande différence), et en 2019 il se lance sous la bannière “Solidarité européenne“, parti du Président Porochenko qui perdra face à Zelenskiy.
C’est ainsi que le « soical-nationaliste » Andreiy Parubiy gère l’agenda législatif tambour battant pendant cinq ans, représentant le parti du Premier ministre, faisant le lien avec la nébuleuse bandériste dont Praviy Sektor, mais aussi probablement les États-Unis. Il se rend en 2016 à Washington pour le Dialogue sécurité US-Ukraine, où son intervention, réduite selon le journal The nation à « une récitation de leitmotivs des néoconservateurs », néanmoins qualifiée d’« inspirante et impressionnante » par le membre du Conseil atlantique Ariel Cohen. Parubiy n’a visiblement pas contredit Stephen Blank, membre du Conseil américain de politique étrangère, qui déclarait en préambule : « Poutine ne peut pas et ne veut pas s’arrêter… nous devons arrêter Poutine, car rien d’autre ne le fera », car en effet, « il n’y a aucune base » pour un dialogue avec la Russie.
Poutine est tellement inarrêtable que six ans plus tard, il était encore dans l’expectative, regardant s’enliser le conflit du Donbass et les accords de Minsk II, étant même amené à calmer certaines ardeurs en Russie ; en effet, l’adjoint à la présidence russe Dmitry Kosak déclarait en juillet 2020 :
« En ce qui concerne les différentes déclarations de personnalités politiques et d’organisations concernant la possibilité et les perspectives de l’intégration du Donbass dans la Fédération de Russie. C’est exclusivement l’opinion de leurs auteurs. Au niveau étatique, la question n’a jamais été envisagée en ces termes, même pour un avenir proche. »
Côté Ukraine, qu’a fait le Président Zelenskiy élu en aout 2019 ? Reconduire le poste de Vice-premier ministre chargé de « l’intégration euro-atlantique », c’est-à-dire d’envisager une intégration dans l’OTAN ; le Président Poutine a dû apprécier le signal.
Qu’il fut conseillé par Parubiy, ou pressurisé par les faucons de la Maison Blanche, la seule réussite de Zelenskiy fut de donner l’illusion d’une volonté pacificatrice. Une illusion qui n’a d’ailleurs que valeur statistique : entre deux tentatives d’imposer un cessez-le-feu dans le Donbass, totalement inacceptable pour les néo-nazis maîtres du jeu sur le terrain et soutenus par les faucons américains, Zelenskiy rappelait son allégeance par ce genre d’affirmations : « L’OTAN est le seul moyen de mettre fin à la guerre dans le Donbass. Le MAP [plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN] sera un véritable signal pour la Russie » (6 avril 2021).
Zelenskiy n’a même pas obtenu l’arrêt des bombardements dans les zones strictement civiles du Donbass, violations continuelles des accords de Minsk II et des conventions de Genève :
- Sous la présidence Zelinskiy : voir ici deux mois après son élection en 2019, là en 2020, là en 2021, ici en 2022…
- Sous Porochenko : ici en 2015, ici en 2016, là, ici et là en 2017, ici en 2018…
Plusieurs reporters de guerre ont rapporté des monceaux de preuves des frappes intentionnelles sur les civils, ignorées des occidentaux. Zelenskiy les a toujours niées.
La diplomatie schizophrène ne convainc qu’à travers l’information stroboscopique cadencée par la presse occidentale.
Côté représentation politique, le parti arrivé deuxième aux législatives de 2019, Solidarité Européenne, mérite notre attention. En octobre 2021, onze députés et membres de ce parti entonnaient joyeusement, au sein de la Verkhnovda Rada (Assemblée unicamérale, il n’y a pas de Sénat en Ukraine), un « Notre père est Bandera, notre mère est l’Ukraine, nous nous battrons pour l’Ukraine… », chant en vogue sur les réseaux sociaux, qu’ils ponctuent par le salut « Slava ukrayina, Herojam słava [Gloire aux Héros] ».
Nous connaissons désormais la place qu’occupe le concept de héros dans l’idéologie bandériste ; les rescapées du massacre d’Odessa le savent de longue date.
Dans ses “Mémoires d’Oksana“, l’une d’elles raconte : « Je savais qu’ils allaient nous mettre à genoux, nous faire crier Gloire à l’Ukraine, et je réalisais – surtout du fait que je ne m’y plierais pas – que la mort m’attendait ». Tatiana, échappée in extremis du bâtiment incendié : « J’entendais ces chants sauvages des Bandéristes « Gloire aux héros ! pour le pays uni et indivisible !« , étendue sur l’herbe du Kulikovo, crachant mes poumons saturés de résine noire ».
Des millions d’ukrainiens en ont une perception similaire. Si elles n’ont pas fui, ces citoyennes vivent encore à Odessa. Lancé de l’enceinte démocratique de la Rada, le cri de “Gloire“ des députés de Solidarité européenne s’entend comme un appel de soumission à l’ordre fasciste.
La dame en rouge sur la photo, Ivanna Klympush-Cyncadze, était Vice-premier ministre chargée de l’intégration européenne et euro-atlantique, de 2016 à 2019. À sa droite se tient Volodymyr Vyatrovych, barbu et souriant, historien spécialiste de l’OUN-UPA formé à l’Université de Lviv (fief bandériste de l’Ouest Ukraine). La coalition maïdan le nomme, dès mars 2014, à la tête de l’Institut ukrainien de la mémoire nationale ; pour la loi de « décommunisation » de 2015, il établit une liste « généreuse » de 520 personnalités soviétiques à faire disparaitre de l’espace public (noms de rues, monuments…). C’est l’homme de confiance pour imprimer l’histoire de Bandéra sous sa révision la plus attrayante, relativisée et décriminalisée.
Le député Mykola Kniazhytsky (à gauche au 1er rang) est originaire de Lviv, il a notamment voté en 2015 la loi de réhabilitation « des combattants pour l’indépendance de l’Ukraine au XXème siècle », sans exclusion de ceux qui ont intégré la division SS Galicia, ni mention de l’épuration ethnique planifiée.
Faut-il alors assimiler cette « Solidarité européenne » à la solidarité mécanique et organique des idéologies nazi-fascistes ?
Ce serait aller vite en besogne, mais l’attitude des dirigeants européens, rivés comme un seul Homo Erectus contre l’État russe, exaltés par leurs succès de contrôle des peuples par le Covid (n’oublions pas les milliers de médecins privés d’exercice pour délit d’opinion scientifique et citoyenne, ni la transformation des Constitutions en serpillères jetables…), informe sur la nature tendancielle de cette « solidarité ».
Pour clore le tour d’horizon, une revue ciblée des gouvernements Zelenskiy s’impose.
Il a nommé deux Premiers ministres :
- I. Olekseiy Honcharuk (29 aout 2019).
- II. Denys Shmyhal (4 mars 2020).
I.
Premier ministre : Olekseiy Honcharuk.
Origine : Ouest Ukraine ou Nord Ukraine ? Études managériales à Kiev.
Singularités : Ne restera à son poste que 7 mois.
Ministre de l’Éducation : Hanna Novosad.
Origine : Vinnytsia, Ouest Ukraine.
Singularités : Conseillère du ministre Sergueï Kvit (issu de Praviy Sektor) en 2014, puis cheffe de divers départements au ministère de l’Éducation jusqu’en 2019. Elle assure la continuité politique.
Ministre de l’Intérieur : Arsen Avakov.
Origine : Azerbaïdjan, ex-Union Soviétique.
Singularités : Seul ministre non démis depuis l’insurrection contrôlée. Mandat d’arrêt d’Interpol en 2012 pour transfert illégal de propriétés (sauvé par son immunité parlementaire). Architecte de la refonte fasciste des forces de sécurité. Il est maintenu malgré la déclaration commune de 24 ONG : « Avakov est responsable de l’échec de la réforme de la police, du sabotage de la sélection des officiers de police, du maintien à des postes clés de fonctionnaires de police corrompus et de suspects dans les affaires de l’EuroMaidan, de l’absence d’enquête sur les attaques contre les activistes civiques et de nombreux scandales de corruption liés à lui-même et à son cercle proche ».
Ministre de la Justice : Denys Maliuska.
Origine : Khmelnitsky (le maire du chef-lieu est élu Svoboda), Ouest Ukraine.
Singularités : Conseiller de la Banque Mondiale pendant 10 ans.
Ministre des territoires temporairement occupés et des vétérans [de la guerre du Donbass] : Oksana Vasylivna Koliada.
Origine : Wolhynie, Ouest Ukraine.
Ministre de la Défense : Andriy Zahorodniuk
Origine : Kiev. Double-diplomé en Grande Bretagne, dont Université Oxford.
Singularités : Entrepreneur dans l’armement.
II.
Premier ministre : Denys Shmyhal (Du 4 mars 2020 à aujourd’hui).
Origine : Lviv, Ouest Ukraine. École polytechnique de Lviv.
Singularités : Ex-gouverneur de l’oblast Ivano-Frankivsk (avec Lviv et Ternopil, c’est l’un des trois fiefs principaux du nationalisme bandériste).
Ministre de l’Intérieur : Arsen Avakov.
Singularités : Démissionne en Juillet 2021. Remplacé par Denys Monastyrsky. Origine et études : Khmelnitsky, Ouest Ukraine.
Ministre de l’Éducation et des Sciences : Lubomyra Mandziy
Origine : Lviv, Ouest Ukraine. Études à Lviv.
Singularités : Démissionne pour raisons de santé. Remplacée par Serguei Shkarlet, accusé de multiples plagiats scientifiques.
Vice-premier ministre à la réintégration des territoires temporairement occupés : Iryna Vereshchuk.
Origine : Lviv/Rava-Ruska.
Ministre de la Défense : Oleksii Reznikov
Origine : Lviv, Ouest Ukraine. Études à Lviv.
Singularités : Intégré depuis 2019 au processus de négociation avec la Russie. A vu la guerre venir en janvier 2022.
Les affectations liées aux domaines privilégiés du nationalisme bandériste, Sécurité (Répression – Guerres), Justice (Impunité des criminels en service commandé…), Éducation (Endoctrinement), Territoires (“Occupés“), met en exergue l’attention apportée à la culture natale des ministres protagonistes, très généralement originaires des contrées occidentales historiquement dominées par les forces politiques bandéristes (Lviv, Ivano-Frankisk, Khmelnitsky…). Les premières équipes de l’euromaïdan ayant mis en place les structures et lancé la dynamique, il suffit de s’assurer la loyauté des ministres administrateurs, sans nécessairement faire appel à des leaders idéologues ; ces derniers continuent d’exercer le véritable pouvoir, en coulisses, par les voies détournées, ou au sein de la Verknovda Rada (qui exerce un pouvoir législatif moins dérisoire que les chambres d’enregistrement à la française), ou au sein de l’académie (réécriture de l’histoire par l’Institut ukrainien de la mémoire nationale…), ou par terrorisme paraétatique.
Parmi les signes visibles de cette hégémonie, l’existence pérenne de camps d’apprentissage à la violence pour enfants de six ans et plus, instruits au maniement des armes par les instructeurs du régiment Azov. De cette pouponnière à futurs néo-nazis, tolérée ou encouragée par l’État ukrainien, le “journal“ Le Monde nous dresse le tableau idyllique des « petits soldats d’Ukraine » ; article solidaire… Ceux qui avaient 11 ans à son ouverture en 2015 sont peut-être au front actuellement, voire morts pour une cause martelée dans leur cerveau de gamin pré-pubère.
Le culte de Bandera est de plus en plus banal dans la société de Maidan, sa figure est courante dans les rues, à travers les marches massives de Kiev, mais aussi à travers la couverture médiatique ukrainienne, les monuments élevés à son culte quotidiennement du côté ouest, y compris de Kiev, à travers les politiciens comme nous l’avons vu avec Solidarité européenne….
Autre signe des temps, un message (vite effacé) de Zelenskiy_official daté du 9 mai, jour de victoire contre Hitler en Russie, met en avant un soldat arborant la “Totenkopf“ d’une division Waffen SS, initialement formée de gardiens des camps-de-la-mort nazis. Si ce n’est pas intentionnel, c’est qu’ils ne savent plus où sont leurs nazis – selon divers observateurs, les officiers néo-nazis ont été disséminés dans les unités de l’armée d’Ukraine (FAU) préexistantes.
Les pays fascistes et nazis ont toujours été en guerre, contre leur propre peuple ou contre les autres peuples. Ainsi en va-t-il de l’Ukraine, ou de ce qu’il en reste, poussée dans le précipice par les vents atlantistes. Le blob dérivant des entités européennes, qui ne sont plus des nations, entraine avec lui l’Ukraine, et par corrélation et réciprocité, le blob UE accélère sa propre fascisation.
Les peuples du blob, ballottés comme des bouchons dans la tempête, subiront des souffrances à la mesure de celles qu’elles ont laissé se répandre à leurs portes. Les décors en trompe-l’œil dressés par les forcenés du Mensonge, ersatz de Goebbels déguisés en démocrates, s’effondreront d’eux-mêmes un jour ou l’autre. Plus vite ces décors tomberont, ébranlés par les élans citoyens de décence et de vérité, moins dure sera notre chute.
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