Quelle démocratie en Europe ? Quelles élections pour quelle Europe ?

Par Danielle RIVA

La démocratie dans l’Union européenne va mal, très mal. Le libéralisme de la direction européenne ne peut s’accorder avec une démocratie respectueuse de la souveraineté et du vote des peuples. Les exemples se suivent et se ressemblent :

– 2001, les Irlandais ont voté contre le traité de Nice, ils ont été obligés de retourner aux urnes,

– 2005, les votes Français et Hollandais en faveur du Non au référendum sur la Constitution européenne sont contournés par le traité de Lisbonne 2007,

– 2008, annulation (encore) du vote des Irlandais et revote pour qu’ils finissent par aller « dans le bon sens » (c’est-à-dire pour la ratification du traité de Lisbonne),

– 2015, les Grecs ont voté majoritairement contre le plan de Bruxelles qui leur imposait une diète insoutenable, exigée ensuite par la troïka,

– 2016, contestation du vote des Britanniques pour le « leave », (sortir de l’UE).

Sans oublier le secret que l’UE entretient sur les questions importantes concernant tous les Européens, comme par exemple autour du traité avec le Canada, ni les sanctions, les mises en demeure contre les Etats rétifs à appliquer les décisions de la commission européenne comme les pays du groupe de Visegrad, ou actuellement l’Italie.

L’UE est bien une machine bureaucratique qui tourne dans une sphère étroite pour elle-même et ne supporte aucune intervention des peuples.

Le « cas » du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie) est un bon exemple. Privés de leur souveraineté après le deuxième conflit mondial, car abandonnés au bloc soviétique lors du partage de Yalta, une fois libérés, les pays du groupe de Visegrad se sont repensés comme des Etats souverains. Ils ont d’abord adhéré à l’Otan pour assurer leur défense, tout en étant poussés par « l’ami américain » à rejoindre l’Europe. Bref, ils sont, avant tout, sous la « bannière des Usa ».

Le plan des Usa avait une logique : une Union à 27 pays aussi différents les uns des autres (entre autres sur le plan économique) ne pouvait que créer des problèmes, d’autant que les décisions européennes doivent être prises à l’unanimité des 27. C’était une pierre dans le jardin de la construction européenne. Pour les « cousins américains » L’Europe doit rester une puissance marginale, vassale, et encore plus avec Trump. L’autre petite pierre dans la construction européenne c’est celle de Gorbatchev qui a accepté la réunification de l’Allemagne, contre quelques tonnes de blés, sachant qu’il faisait ainsi de cette dernière le géant économique et politique de l’UE.

Il reste que les nouveaux entrants sont parfois nerveux sur la question de leur indépendance face à la commission européenne. La démocratie : n’est-ce pas aussi préserver la pluralité des opinions ?

Europe : A quand la « crise des crises » ?

Les scientifiques nous expliquent que notre Univers se dilate tout en étant en expansion. Les « crises » succédant aux « crises » il semblerait que l’Union européenne se dilate. A quand la rupture ?

La crise grecque

En Juillet 2018 : l’Eurogroupe (les ministres des Finances de l’UE) a décidé d’arrêter le financement du programme de sauvetage de la Grèce. « Il prétend que le programme et la crise grecque sont terminés ». Par contre pour le FMI : « la dette souveraine grecque reste, extrêmement non soutenable » « En réalité, ce que l’Eurogroupe a fait fut de reporter une fois de plus la décision finale sur la Grèce. La Grèce restera sous une supervision très stricte de l’UE jusqu’en 2060. Le FMI restera dans le programme, mais en tant que « conseiller ». Ses politiques demeureront, mais pas son argent. L’Allemagne a refusé tout allégement de la dette, qui serait la seule solution au problème grec ». (Dimitris Konstantakopoulos, juillet 2018 sur la crise de la dette grecque, The Delphy initiative).
Les Grecs sont isolés, sans soutien des autres Européens qui ne veulent pas subir ce que les Grecs subissent.

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La « crise des migrants »

Après sa réunification, l’Allemagne a assez rapidement pris une posture impériale. Impériale ? Et comment ! Un exemple récent : quand Merkel décide en 2015, sans en référer aux autres européens, d’ouvrir ses frontières aux migrants venant du Moyen Orient pour échapper à la guerre en Syrie, elle a été encensée comme LA figure « morale européenne ». Une fois atteint le nombre nécessaire pour faire tourner son économie – elle a besoin de main d’œuvre formée et peu chère – elle ferme sa frontière.
Elle s’est heurtée immédiatement au refus des pays de Visegrad, qui ont exclu d’abandonner leur toute nouvelle souveraineté et de donner un droit de passage aux migrants, dont ils ne veulent pas. Il peut y avoir des raisons historiques à ce refus, autres que la toute récente souveraineté acquise. La Hongrie se souvient d’avoir été occupée au cours de son histoire au 16ème siècle par les Ottomans dont les traces sont encore très visibles dans le pays. Tout comme l’Autriche, d’avoir bloqué en 1529 sous les remparts de Vienne, l’avancée de Soliman le magnifique (Soliman par ailleurs soutenu par François 1er, mais c’est une autre histoire).
Avec cette décision solitaire, elle va créer en Europe un Maelstrom qu’elle paye aujourd’hui. Démissionnant de son poste de responsable de la CDU elle ne peut plus se représenter comme chancelière. L’Allemagne se redécouvre avec une formation d’extrême droite, et un début inédit de ralentissement économique. Elle est affaiblie mais pour autant il ne semble pas qu’elle veuille changer de politique.

La « crise avec la Hongrie de Orban »

C’est une autre des conséquences de la « crise des migrants ». D’un côté Orban est vilipendé pour sa politique anti-migrants. De l’autre il met en place une politique libérale inspirée par l’Union européenne. En décembre 2018 des centaines de milliers de Hongrois manifestent contre la loi dite de « l’esclavage », qui permet aux entreprises de demander aux travailleurs jusqu’à 400 heures supplémentaires pour ne les payer que 3 ans plus tard ! (Elles étaient précédemment plafonnées à 250 heures par an). Non seulement Orban est un bon élève de l’UE, mais en plus il subventionne les multinationales, essentiellement des entreprises allemandes, par des facilités fiscales. En fait « Depuis 2010, les modifications du code du travail ont été écrites avec l’aide d’intervenants industriels allemands ». (« L’économie politique de la nouvelle loi esclavagiste », par Agnes Gagyi et Tamas Gerocs).

Cela peut expliquer pourquoi la Hongrie si critiquée reste admise dans le groupe du PPE du parlement européen. Il y aurait donc deux poids, deux mesures, selon que l’on est Grec ou Hongrois.

Le feuilleton de la « crise du Brexit »

Il est clair que l’Europe joue un double jeu. D’une main, elle prépare des sanctions dures contre une Grande Bretagne qui repousse l’accord « négocié » par une Theresa May déstabilisée par deux votes de censure (le premier venant de son propre parti, le deuxième des Travaillistes). De l’autre, elle œuvre pour que le « leave » (quitter l’UE) se transforme en « remain » (rester) en soutenant discrètement la campagne de la City pour un second référendum qui annulerait l’ancien ! « Faut-il tenir compte de ce vote alors que les Britanniques auraient été mal informés et n’auraient pas compris les enjeux ? », entend-on d’une part et d’autre de la Manche.
Les Britanniques ont voté à une courte majorité le Brexit, certes, mais ce vote est légalement valable. La City y est opposée car elle craint de perdre son rang de première place financière européenne et celui de l’une des plus grandes au niveau mondial. La City milite donc pour un nouveau référendum. C’est Londres (ville globalisée) et l’Ecosse (un pas vers l’indépendance) qui ont le plus voté pour le « remain ». Mais si Theresa May échoue à signer un accord avec l’UE, ce sera une sortie « no deal » sans accord, aux conséquences fâcheuses pour ses échanges avec l’Europe et donc aussi pour ses voisins (droits de douane etc.), sans parler de la question de l’Irlande.

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Macron aimerait bien, au passage, récupérer quelques éléments importants de la City pour renforcer la France des affaires. Mais l’Allemagne ne voit pas d’un bon œil s’éloigner le Royaume uni, ce pays frère qui a tant fait, comme elle-même, pour la marche libérale de l’économie européenne et dont les deux animateurs principaux ont été deux sociaux-démocrates anglais et allemand : Tony blair et Gerhard Schröder.

Bruxelles cherche à transiger. Le Brexit aura-t-il vraiment lieu ? Comme pour toute série Télé, il y aura une suite !

La « crise entre la France et l’Italie »

La France, regarde l’UE se fendiller tout en se gardant bien d’intervenir, pour ne pas fâcher Merkel. Elle tient à « ce couple » qui lui donne l’illusion d’être encore au premier rang des décideurs.
Après tout, la « crise des migrants » ne concernait que les pays du Sud et du Sud Est de l’Europe, laissés à eux-mêmes : Grèce, Italie, Espagne et les Balkans. D’autre part Macron ne veut pas que les migrants pénètrent sur le territoire sachant que le Rassemblement National de Le Pen veille. A-t-il été sanctionné ? Non, bien sûr. N’aspire-t-il pas à se faire reconnaître comme le « premier des européens » pour « la souveraineté européenne » ? N’est-il pas pour les « réformes » ? C’est-à-dire pérenniser et servir la domination de la finance en Europe ?
Mais Macron, qui ne perd jamais un moment pour se montrer méprisant, se permet de faire la leçon à tout le monde, aux Grecs, aux Hongrois, aux Polonais, aux Italiens. Récemment, surtout à l’Italie de Salvini, en le traitant de « cynique », et « d’irresponsable ». Insultes relayées par Moscovici, commissaire européen Français, traitant Salvini de fasciste et de raciste. Les Italiens aiment la France, mais pas au point d’accepter des insultes.
Certes, il y a eu plusieurs accrochages entre l’Italie et la France. Entre autres parce que di Maio et Salvini ont besoin pour assurer leur cohésion interne d’avoir un ennemi commun. Macron, le « premier européen » répond totalement à leurs vœux.

Or, Salvini et di Maio ont de quoi y répondre. Ils s’amusent à mettre en évidence l’hypocrisie de la France, son assujétissement à l’Allemagne, et son traitement de la question migratoire. L’Italie a connu plusieurs vagues de migrants, d’abord venant des pays de l’Est (plus d’1 million de Roumains et près de 500000 Albanais) puis du Moyen Orient et de l’Afrique Sub-saharienne. Entre 2007 et 2017, plus de 1 million d’étrangers ont été régularisés. 178000 ont acquis la nationalité en 2015 (soit parce que l’un des parents est Italien soit à leur demande à leur majorité, 18 ans). En 2018, plus de 6 millions d’étrangers ont été recensés (près de 9% de la population). Un bouleversement total pour un pays qui a été si longtemps terre d’émigration. Ce qui n’est pas sans problèmes.

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Voter pour quelle Europe ?

Pour combien de temps encore cette Europe libérale va-t-elle tenir ? Elle s’est discréditée aux yeux de tous les Européens en posant une main de fer sur les politiques de l’Etat providence, par des mesures d’austérité qui assèchent et détournent les budgets dédiés au social, mais permettent à certains de s’enrichir grâce « à la main invisible du marché ».

L’Europe de la culture, l’Europe de la recherche et de la science sont soumises à une obligation de rentabilité. Quant à « l’Europe de la défense » elle peine à sortir des limbes. Les deux acteurs principaux – après le départ de la Grande Bretagne – la France et l’Allemagne, n’ont pas exactement la même perception des dangers actuels qui se déploient dans le monde. La France est peut-être plus proche de la Grande Bretagne que d’une Allemagne « plus provinciale » qui s’est toujours considérée jusque-là comme une dépendance privilégiée de l’empire Us. Elle a du mal à comprendre pourquoi elle n’a plus cette relation étroite avec l’Amérique de Trump. Mais surtout elle ne veut pas dépendre de la dissuasion nucléaire française.

Levons l’hypocrisie : l’Europe libérale ne fonctionne pas, ne protège pas, elle divise. C’est un mythe destiné à nous faire accepter la perte de notre souveraineté économique, sociale et politique, une concurrence féroce, le dumping social, la suprématie d’un affairisme mercantile à toute autre raison.

On peut dire à l’avance et sans trop se tromper, que le résultat des élections européennes, dans ce contexte, va se traduire par un fort taux d’abstention, un écroulement de la social-démocratie, une perte de substance de la droite et une montée des « extrêmes ».

Que nous reste-il à faire ?

Ce qui se passe en France peut avoir valeur d’exemple. Personne ne peut préjuger qu’elle va être la fin du mouvement. Les Gilets Jaunes, démontrent globalement qu’il est possible de refaire société, de respecter la diversité des citoyens en militant pour imposer une démocratie citoyenne souveraine, populaire, pluraliste et égalitaire en droit et en devoir : « par le peuple pour le peuple ». Que c’est redevenu possible, que ce processus en cours, concerne tous les peuples européens. Le Gilet Jaune, au-delà de susciter une simple sympathie, devient un symbole de résistance et de renouveau, il est peut-être ce pas fondamental du retour de la classe à la lutte anticapitaliste et anti-impérialiste.

Février 2019

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