Par Mathias Thépot
Quand il s‘agit d’aborder la question climatique, il demeure de nettes divergences entre le citoyen lambda et les élites économiques. Le débat autour des propositions des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, qui ont été votées le 21 juin après neuf mois de travaux, est venu le rappeler. Les jours précédents le vote final, lobbys et économistes médiatiques n’avaient pas de mots assez forts pour exprimer leur désarroi face aux intentions des citoyens tirés au sort, qui ne donnent pourtant qu’un avis consultatif…
“En lisant les propositions de la “Convention citoyenne” on reste ahuris par tant de bêtises, de simplismes, d’inconséquence. C’est l’expression à l’état chimiquement pur de la pensée économique au 1er degré. Elles transformeraient la France en Venezuela en deux mois“, invectivait sur twitter Olivier Babeau, le fondateur du think tank économiquement libéral Institut Sapiens. “Certaines propositions de la Convention Climat auraient des conséquences économiques catastrophiques qui se traduiraient par un abandon des politiques en faveur du développement durable“, assurait de son côté Nicolas Bouzou sur BFM Business.
Décalage complet
Rien de surprenant, au demeurant, qu’en matière d’écologie les citoyens demandent des changements radicaux d’un système économique qui ne s’est pas montré capable, seul, de donner les gages suffisants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les consommations énergétiques.
Certes, les “experts” ont pu souffler lorsque les 150 citoyens ont rejeté à 65% la proposition de réduction du temps de travail à 28h sans perte de salaire. Mais ils ont tout de même voté le principe de taxer à hauteur de 4% les dividendes distribués au-delà de 10 millions d’euros pour financer la transformation de l’outil productif ; mais aussi d’obliger à la rénovation des bâtiments d’ici à 2040 ; ou de mettre un coup de frein au modèle d’hyperconsommation carbonée via l’instauration d’obligation d’affichage de l’impact carbone des produits et services, tout en rendant d’ici à 2023 tous les produits manufacturés vendus en France réparables.
Las, pour les décideurs économiques, c’en est trop. “On en perd le sens du réalisme“, estime dans les Echos François Asselin, le président de la Confédération des PME (CPME). Ces propositions ont “une tonalité globale qui ne correspond pas trop à une vision du monde de l’entreprise“, déplore pour sa part le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) Alain Griset. Le décalage est complet : les élites économiques entendent interdictions, obligations et taxes quand les citoyens proposent plus de sobriété dans les modes de consommation, de solidarité et de transparence.
“L’opinion, elle est comme ça !”
“L’opinion, elle est comme ça !“, tranchait également le chef économiste de Natixis Patrick Artus sur BFM Business. “Si on gouverne en démocratie directe en France, on va fermer les frontières, sortir du capitalisme, augmenter le SMIC de 20%, … Nous (les économistes) on sait que cela conduit à une catastrophe économique mais il y a 60 % des français qui pensent autrement“, explique-t-il sans détour. Tout juste admet-il “un problème pour nous, économistes“, car “cela veut dire que l’on n’a pas bien expliqué“. Avouons qu’il y a là un sérieux travail d’introspection à mener pour les économistes dont parle Patrick Artus, car ils bénéficient déjà d’une forte visibilité sur les chaines d’infos en continu et autres émissions de débat sur les chaînes à fortes audiences…
Mais que les experts en économie se rassurent – et se tempèrent – la tendance n’est pas à l’application des propositions les plus radicales de la Convention citoyenne. Le gouvernement ne l’a jamais caché. Sur la fiscalité, par exemple, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie Agnès Pannier-Runacher a déjà assuré lundi 22 juin sur Europe 1 que “l’augmentation des impôts (…) n’est peut-être pas la meilleure chose à faire dans un moment de crise. Nous avons été très clairs sur ce sujet“. Bref, pas question de donner dans l’écologie dite “punitive” : “Je préfère effectivement les incitations, je préfère la responsabilisation collective – lorsqu’on dit qu’il ne faut pas utiliser la climatisation à tort et à travers, je fais confiance aux Français pour se mettre dans cette posture”.