«Nous nous dirigeons vers une baisse des retraites de l’ordre de 25%», selon Henri Sterdyniak

03.09.2019

Alors que les partenaires sociaux ont de nouveau rendez-vous à Matignon les 5 et 6 septembre pour parler réforme des retraites, le futur «système universel» inquiète certains observateurs, qui craignent une réforme injuste. L’économiste Henri Sterdyniak a livré son analyse à Sputnik et prévoit une baisse future des pensions.

Déjà 18 mois de discussions. Et ce n’est pas fini. Le futur «système universel» de retraite sera à nouveau le sujet des débats qui auront lieu à Matignon les 5 et 6 septembre prochain. Sera présent Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, pressenti pour faire son entrée au gouvernement. L’accompagneront syndicats, patronat, mais aussi le Premier ministre Édouard Philippe.

Alors qu’Emmanuel Macron tient «à un grand débat» concernant ce chantier, qui doit incarner «le changement de méthode» suite à la crise des Gilets jaunes, il a également remis en question l’âge de départ à la retraite à taux plein à 64 ans, principale mesure du rapport de Jean-Paul Delevoye. Le locataire de l’Élysée dit préférer «un accord sur la durée de cotisation».

Du côté des syndicats, seule la réformiste CFDT est favorable au «système universel» voulu par la majorité. Les autres ne veulent pas d’un système unique par points, à l’exemple d’Yves Veyrier, numéro Un de Force ouvrière. Ce dernier ne voit «aucune raison de défaire» le cadre actuel, «qui garantit une retraite convenable». Pour Philippe Martinez, patron de la CGT, «il y a besoin d’améliorer ce système, mais pas de tout changer». Comme d’autres observateurs, il craint un système par points «injuste».

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Sputnik France a demandé à l’économiste Henri Sterdyniak, officiant notamment à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), son avis sur la question. Pour lui, une telle réforme mènera à une baisse des pensions pour les futurs retraités. Entretien.

Sputnik France: Quel est l’objectif du gouvernement avec cette réforme?

Henri Sterdyniak: «On peut distinguer l’objectif affiché, qui est celui de passer à un nouveau système qui sera universel et plus contributif, de l’objectif réel, qui est celui de garantir que la part des retraites dans le PIB n’augmentera pas dans les années à venir. Le ratio retraités-actifs va obligatoirement évoluer à la hausse. L’objectif est donc de baisser progressivement le niveau des retraites, de l’ordre de 25% d’ici à 2050. L’avantage de passer à un nouveau système est d’accélérer la baisse des retraites.»

Sputnik France: Quel crédit accordez-vous à la volonté affichée du Président de la République de mettre en place «un grand débat», censé acter le changement de méthode du gouvernement après la crise des Gilets jaunes?

Henri Sterdyniak: «Pour qu’un grand débat puisse avoir lieu, il faudrait qu’il soit ouvert. C’est-à-dire que l’on accepte l’idée qu’il faudra peut-être augmenter les ressources du système. Donc accepter la hausse des cotisations et ne pas simplement se dire que le problème est de savoir sur qui va peser la baisse des retraites.»

Sputnik France: Plusieurs observateurs craignent un futur système par points, qu’ils jugent «injuste», notamment pour les classes sociales les moins aisées. Qu’en pensez-vous?

Henri Sterdyniak: «Un système très contributif risque de défavoriser les travailleurs manuels. Si le critère principal pour déterminer le niveau de pension est avant tout l’âge, cela pénalise les travailleurs qui ont du mal à se maintenir en emploi au-delà de 60 ans, soit à cause de l’usure physique, soit à cause de la désindustrialisation du pays qui fait disparaître des métiers et augmenter le chômage. Le risque avec le système envisagé est de favoriser des personnes qui peuvent plus facilement se maintenir en emploi et qui ont une longue espérance de vie, comme les cadres, au détriment des travailleurs à bas salaire.»

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Sputnik France: La question de la pénibilité occupe une partie des débats…

Henri Sterdyniak: «C’est un problème majeur. Il existe des professions qu’il est difficile de pratiquer au-delà d’un certain âge. Je pense aux aides-soignantes ou aux routiers, par exemple. Il faudrait donc imaginer que pour ces professions, on puisse bénéficier de la retraite plus tôt avec des conditions correspondantes à celles dont ils auraient pu bénéficier en se retirant plus tard de la vie professionnelle. Mais visiblement, on n’en prend pas le chemin. Il faut voir ce que va donner la concertation. Dans l’idéal, il faudrait ouvrir des négociations dans les branches et les entreprises afin de baisser l’âge de l’accès à la retraite à taux plein pour certaines professions.»

Sputnik France: D’ici quelques mois, à quoi pourra s’attendre un jeune qui rentrera sur le marché du travail à l’âge de 23 ans?

Henri Sterdyniak: «Si l’on maintient la durée de cotisation requise à 43 ans, il aura sa retraite à 66 ans. Maintenant, la question est de savoir quelle sera dans 40 ans la situation du marché du travail, la pénibilité des différents emplois, etc. La crainte d’un niveau de retraite plus faible qu’aujourd’hui est légitime. Actuellement, la retraite en France est relativement généreuse, les retraités ont à peu près le même niveau de vie que les actifs. Si le projet du gouvernement passe, on peut s’attendre à un niveau de vie inférieur de 25% pour les retraités du futur. C’est préoccupant. En revanche, il faut rappeler que ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui seront aux commandes dans 30, 40 ans et ils pourraient très bien décider de maintenir un niveau satisfaisant de retraite. Rien n’est inscrit dans le marbre.»

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Sputnik France: Que préconisez-vous pour sauver le système des retraites tout en gardant une certaine justice sociale?

Henri Sterdyniak: «D’abord, il faut accepter l’idée d’augmenter un peu les taux de cotisation. Il faut maintenir des âges de départ relativement faibles pour les métiers pénibles. Cela devra se faire branche par branche. Il est également nécessaire de se donner des objectifs en termes de taux de remplacement. Le danger du système préconisé par le gouvernement est que ce dernier pourra fixer selon sa volonté la valeur du point d’année en année pour équilibrer le système. Cela veut dire que les travailleurs n’auront aucune garantie sur le niveau de leurs retraites, puisqu’il pourra baisser à la discrétion du gouvernement. La bonne réforme consisterait à se fixer des objectifs afin que les travailleurs avec un salaire moyen aient un taux de remplacement de l’ordre de 75%, quitte à augmenter les ressources du système.»

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