Des universitaires et citoyens du pays, dont le Prix Nobel Jacques Dubochet, apportent leur soutien au mouvement de désobéissance civile. Selon les signataires, «le contrat social a été brisé»
21 octobre 2019
Nous, soussignés, représentons des disciplines et domaines académiques différents. Les vues que nous exprimons ici nous engagent et n’engagent pas les institutions pour lesquelles nous travaillons.
Quels que soient nos domaines d’expertise, nous faisons tous le même constat: le gouvernement suisse, au même titre que d’autres gouvernements, a été incapable de mettre en place des actions fortes et rapides, sans équivalent, pour faire face à la crise climatique et environnementale dont l’urgence est relevée tous les jours.
Cette inertie ne peut plus être tolérée.
Les observations scientifiques sont incontestables et les catastrophes se déroulent sous nos yeux. Nous sommes en train de vivre la 6e extinction de masse, le rythme d’extinction des espèces est 1000 fois supérieur à ce qu’il a été durant l’histoire du vivant. Au-delà des mammifères, dont la disparition est la plus visible, des espèces d’oiseaux, d’amphibiens, d’insectes se sont également éteintes. Or toutes ces espèces sont essentielles pour le maintien de nos écosystèmes. Et donc aussi de leur production, c’est-à-dire de notre capacité à nous nourrir. Des millions de personnes subissent déjà de plein fouet les effets du dérèglement climatique et de la perte de biodiversité. Des enfants, des familles ont déjà perdu leur maison ou leur vie.
Défi immense
Le mois de juillet 2019 a été le plus chaud jamais enregistré: des feux se sont déclarés partout, en Afrique, en Amérique du Sud, en Sibérie et dans le cercle arctique. L’Amazonie, en particulier, est en train de brûler à une vitesse alarmante. Ces incendies émettent encore plus de gaz à effet de serre et réduisent la surface de forêt capable de capturer le CO2.
Nous ne pouvons plus continuer d’ignorer ces faits. Avec l’augmentation des températures et la montée des eaux, des écosystèmes vont continuer de s’effondrer. Et avec la raréfaction des ressources, l’effondrement de notre civilisation est probable. Les plus fragiles dans nos sociétés vont être frappés en premier et en continuant sur ce chemin, notre futur est en danger.
Nous avons déjà dépassé le 1°C de température supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle. Nous avons le choix de l’avenir et savons que contenir l’augmentation de la température en dessous de 1,5°C serait beaucoup moins dommageable, selon le rapport «SR15» du GIEC d’octobre 2018, que d’atteindre les 2°C et au-delà. En plus de ce rapport essentiel, d’autres publiés récemment, comme le rapport du GIEG «SROCC» du 24 septembre 2019, CNRS-CEA-Météo France du 17 septembre 2019, montrent que les dernières connaissances scientifiques accélèrent les grandes conclusions qui sont connues depuis trente ans.
Pour répondre à ce défi immense, nous devons faire une transition vers des sociétés à zéro émission et réduire de moitié les émissions mondiales d’ici à 2030. Il nous reste peu de temps pour agir et les 18 prochains mois vont être critiques pour mettre en place des changements drastiques et sans précédent.
Incompréhension des enjeux
En Suisse, les politiques actuelles en matière climatique et de protection de la biodiversité ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et de l’urgence à laquelle nous faisons face. Nos objectifs de croissance et de développement économique restent en contradiction avec ce qu’il est indispensable de prendre comme mesures. A tous les niveaux politiques, il existe une incompréhension totale de l’échelle de l’action requise: la maison brûle et nous nous félicitons du pas que le bébé a fait dans la bonne direction vers la sortie. Prenons comme exemple la consommation, la mobilité ou le chauffage: l’attente est que la technique va permettre de continuer dans la direction actuelle, sans changement sociétal profond, ce qui montre une méconnaissance de l’échelle de temps, de l’ampleur de l’action et les effets rebonds.
Il est inconcevable que nous et nos descendants devions payer les conséquences de la catastrophe annoncée qui se dessine devant nous. Lorsqu’un gouvernement renonce sciemment à sa responsabilité de protéger ses citoyens, il a échoué dans son rôle essentiel. Le contrat social a donc été brisé et il est dès lors fondé de se rebeller pour défendre la vie, notre vie.
En conséquence, nous déclarons soutenir le mouvement non violent Extinction Rebellion (XR) et les actions de désobéissance civile qui sont prévues depuis fin septembre. Nous soutenons la demande de XR de déclarer un état d’urgence climatique et environnementale et d’établir une assemblée citoyenne pour travailler avec les scientifiques pour développer un plan crédible et juste pour une décarbonisation totale de nos sociétés et une préservation des écosystèmes.
1. Prof. Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie 2017, professeur à l’Université de Lausanne
2. Prof. Dominique Bourg, professeur ordinaire à l’Institut de géographie et de durabilité à l’Université de Lausanne
3. Prof. Antoine Guisan, professeur ordinaire à l’Université de Lausanne
4. Prof. Guido Palazzo, professeur d’éthique à l’Université de Lausanne
5. Prof. Sascha Nick, professeur de durabilité à la Business School Lausanne et chargé de cours à l’Université de Lausanne
6. Dr. Luigi d’Andrea, biologiste et arboriculteur, Neuchâtel
7. Prof. Christian Arnsperger, professeur à la Faculté des géosciences à l’Université de Lausanne
8. Prof. Philippe Thalmann, professeur d’économie de l’environnement à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne
9. Prof. Valérie D’Acremont, professeure de médecine tropicale et santé globale à l’Université de Lausanne
10. Dr. Nathalie Chèvre, maître d’enseignement et de recherche, écotoxicologue à l’Université de Lausanne
11. Prof. Edward Mitchell, professeur en biodiversité du sol à l’Université de Neuchâtel
La liste complète des signataires (81 académiques et plus de 220 citoyens) est disponible sur le site «Soutien XR».