«Non BFM-TV, la grève n’est pas finie. Elle n’a fait que commencer»

8 février 2020

Depuis le 5 décembre, les médias dominants n’ont eu de cesse de rappeler sur tous les écrans que la grève s’essouffle, encore et encore, toujours plus. Pourtant, force est de constater que des centaines de milliers de personnes de tous les secteurs ont de nouveau défilé dans les rues du pays, ce jeudi 6 février, contre une réforme des retraites que l’on ne présente plus, décriée jusqu’au sacro-saint Conseil d’Etat. Reportage et analyse de la situation.

Les pieds sont encore douloureux de la marche depuis Gare de l’Est. Installé-es au Royal VI Nation, qui borde la place du même nom, on se sert une bière, on commande un Ricard, on sirote un jus de fruits, ou bien l’on fait la queue pour les toilettes. Les yeux sont rivés sur le grand écran LCD de la brasserie, branché – comme ils le sont toujours – sur BFM-TV. Un bandeau passe, légendant des images montrant un coin de la place totalement vide, car les cortèges arrivent de l’opposé ; énième manipulation foireuse de l’image en mouvement. « DEUX MOIS DE MOBILISATION, À QUOI BON ? » peut-on lire alors. Dans la salle, entre deux gorgées, on rit jaune. Et sur le plateau, des gens que l’on a jamais vu en manif’ déblatèrent, inlassablement, sans que personne ne les écoute.

De 13h30 à la tombée du soir, on a marché, dans la joie que procure la lutte et le sens du commun ; dans la conscience collective de l’absolue nécessité, la nécessité première, celle de ne plus céder, sur rien. Et dans cette brasserie, où l’on veut partager un moment de commun supplémentaire, dans cette brasserie tout juste, où l’on se réchauffe comme on le peut, s’abat le retour froid au monde capitaliste, à celui de BFM-TV et ses diatribes nauséabondes.

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Voilà deux mois en effet que, chaque semaine, des manifestations massives ont lieu partout dans le pays, dans chaque ville, dans chaque bourg, dans chaque grande artère des centre-villes, pour exiger l’abandon pur et simple de la réforme des retraites, et la hausse immédiate des pensions. S’il est vrai que l’on est à présent bien loin du million de personnes dans les rues – million dépassé lors des premières semaines du mouvement – il n’y a que la bourgeoisie pour nier ce fait qui la déborde de toutes parts : le mouvement continue. On se bouge jusqu’au delà de l’Atlantique, en Guadeloupe et en Martinique, et le silence médiatique autour de ces mobilisations n’en est que plus assourdissant.

Alors certes, les manifestations sont moins offensives, moins massives, et le secteur des transports s’est quasi-totalement remis au travail. Mais il faut voir ce que la grève des transports a lancé : une formidable vague de grèves sectorielles, simultanées et unanimes ; un florilège d’actions locales, imprévisibles, intraitables, débordant tous les cadres et toutes les assignations du mouvement social. Une grève, somme toute, à la Gilets Jaunes.

Si les syndicalistes de toujours ont maintenu la pratique de la manifestation, littéralement pour manifester la continuité du mouvement dans l’opinion publique, mais aussi pour se rendre compte, à chaque fois de plus, que l’on est pas tout-e seul-e à faire grève et que cela est bon, la force de cette grève doit se lire dans ses actions de harcèlement quotidien des pouvoirs en place. Des avocat-es qui jettent leur robes aux pieds de la Garde des Sceaux ; des profs qui jettent leurs livres aux pied du rectorat, et d’autres qui en murent carrément l’entrée ; des soignant-es qui jettent leur blouse aux pieds de la Ministre de la Santé ; des grévistes RATP qui jettent leurs uniformes à la maison de la RATP… Des exemples comme ceux-là, on en a des dizaines. Et il ne faut pas voir autre chose dans ces actions symboliques que l’expression du refus, du ras-le-bol accumulé sur des années d’un travail exploité. Plus qu’une renonciation aux outils, plus qu’un abandon, c’est un avertissement : « C’en est assez de votre monde, nous n’en voulons plus. Et regardez ce qui se passe quand nous nous passons de vous. »

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Lors d’une soirée de soutien aux grévistes du 93, organisée à la fac de Paris 8 ce vendredi 7 février, une doctorante en sociologie, syndiquée à SUD éducation expliquait à ce propos : « Dans les universités, ce sont 70% des TD [travaux dirigés, cours en petits groupes ndlr] qui sont dispensés par des vacataires au contrat précaire. Si demain on arrête les cours, c’est littéralement la fac qui s’arrête. » L’expression est saluée d’un tonnerre d’applaudissements.

Et à toutes ces actions de blocage, de soutien, de fierté, il faut ajouter les démissions collectives de responsables de la fonction publique, les blocages d’entrepôts, les invitations groupées à des galas où l’on est pas convié-e, à des pièces de théâtre présidentielles, et le saccage des permanences LREM… Auxquelles il faut, par-dessus tout, ajouter les journées nationales, comme le lundi noir qui se profile le 17 février.

Non BFM-TV, la grève n’est pas finie. Elle n’a fait que commencer. La grève des transports ne fut que le prélude de quelque chose de plus grand : la multiplication des foyers de la colère, des raffineries aux ports, des gares aux écoles, des facs aux tribunaux, des hôpitaux aux centrales électriques. La grève n’est pas finie, car au demeurant, ce n’est pas tant la question de la retraite qui se joue, mais la question du travail même, et de la condition au travail. Au travail, et non pas de l’emploi, ce qui vient expliquer pourquoi même dans les lycées, la jeunesse vient se mobiliser contre les E3C ( épreuves de contrôle continu du bac), quoi qu’en dise Jean-Michel Blanquer.

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Il est vrai, à LaMeute, nous n’aimons pas beaucoup les défaitistes. Mais nous n’aimons pas non plus que l’on nous taxe d’utopistes. Nous ne disons pas que le gouvernement a déjà perdu, que le capitalisme est déjà mort. Nous disons simplement que les faits sont là. Que depuis 2015, il n’y eut pas un seul moment de répit en France. De l’état d’urgence à la Loi Travail. De la Loi Travail à l’avénement de Macron. De Macron à ses ordonnances. Vers la sélection à la fac, les fermetures d’hôpitaux, d’écoles, de lignes de trains. De l’austérité aux privatisations. Et des privations constantes jusqu’aux Gilets Jaunes. Et des Gilets aux chasubles de la grève. Ce n’est pas de l’optimisme, c’est une suite logique, et en face, le Capital est lui aussi monté d’un cran. Voire deux.

La situation en France est indissociable d’un malaise global. Si toutes les villes du pays connaissent leur lot de révoltes naissantes, c’est que, dans le monde entier, pas une région n’est épargnée par la contestation grandissante du néo-libéralisme. Et c’est tant mieux.

Ami-es grévistes, camarades de partout : tenez bon. Chaque jour qui passe vient gonfler vos rangs.

https://www.lameute.info/posts/non-bfmtv-la-greve-nest-pas-finie?fbclid=IwAR1nTfdcCpDNjcTYK_tRB6v