Par Ibrahim Sene
Alors que le FMI confirme que l’Afrique sera bien en récession cette année, les grands créanciers ont fait un geste : ils gèlent le service de la dette pour un groupe de 76 pays, dont quarante pays africains, ce qui va leur permettre de consacrer leurs ressources budgétaires à soutenir leur économie. Un moratoire donc, qui ne signifie pas une annulation. Sur le continent, la décision est saluée mais suscite aussi des réserves et des déceptions.
Pour ces 76 pays les remboursements cette année représentent 32 milliards de dollars : 12 milliards détenus par les États, 8 milliards par les créanciers privés – ceux là seront gelés – et 12 milliards aux mains d’institution internationales, principalement la Banque mondiale, feront eux aussi l’objet d’un moratoire, si l’on en croit les déclarations d’intention du président de la Banque mondiale.
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La France voulait une annulation de la dette des pays africains. Pour l’instant, elle a obtenu un moratoire du club de Paris (les pays prêteurs) et du G20.
Les dettes des pays africains culminent aujourd’hui à 365 milliards de dollars, un chiffre produit avant la crise du coronavirus. Parmi les principaux créanciers : la Chine, 40% du montant total, les pays riches du Club de Paris, le FMI, la Banque mondiale, mais aussi de nombreux créanciers privés, entreprises ou gestionnaires de fonds.
Des attentes déçues
En Afrique, les ministres des Finances, réunis le 19 mars en visioconférence, avaient appelé à une suspension du paiement des intérêts des dettes pour l’année 2020 – soit 44 milliards de dollars – afin de pouvoir combattre le coronavirus et ses conséquences économiques.
Ils avaient également demandé un moratoire sur les intérêts et le principal des dettes des nations africaines « fragiles ». L’accord obtenu par la France est donc en deçà de leurs attentes.
Un moratoire ne suffit pas, estime l’économiste et chercheur sénégalais Moussa Demba Dembélé : « Le moratoire signifie pour l’instant on suspend le paiement, mais vous devez cette dette dans un proche avenir ; ce qui veut dire que le fardeau sera toujours là. Et ce n’est pas évident que dans un proche avenir, dans deux ans, dans trois ans, que les pays africains aient les moyens de payer cette dette. Et surtout que pour certains créanciers, ce moratoire risque d’être accompagné de pénalités. »
Le chercheur sénégalais rappelle : « le président Macky Sall avait demandé l’annulation pure et simple de la dette. C’est une mesure qui est à la fois pressante et légitime pour permettre aux pays africains d’utiliser les ressources qui devraient aller au service de cette dette pour lutter contre cette pandémie. » Un sentiment partagé par de nombreux acteurs de la société civile.
Cependant, cette annonce ne va pas résoudre les problèmes, remarque Broulaye Bagayoko, le secrétaire permanent du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes en Afrique, le CADTM Afrique : « Pour eux, le moratoire c’est attendre la fin de la crise coronavirus. Quand ils font cela, c’est pour donner du temps aux pays pour pouvoir passer la crise du coronavirus et par la suite, il y aura un plan de la dette africaine, ce n’est pas du tout une solution pour nous. »
Tout ce qui permet à l’Afrique de dégager du budget immédiat pour répondre à la crise du coronavirus va dans le bon sens, estime pour sa part Messie Komlan, le secrétaire général du Forum de la société civile ouest africaine, FOSCAO – une organisation sous régionale créée par la Cédéao : « Mon grand-père dit que pour manger un éléphant, il faut le couper en petit morceau ; donc il faut aller étape par étape, et nous pensons que c’est une première bonne étape et nous continuons de pousser pour une annulation pur et simple. »
Messie Komlan espère en effet une annulation ou, pour le moins, une renégociation réelle des dettes africaines, et notamment des taux d’intérêts exorbitants pratiqués par certains créanciers.
Résoudre les «problèmes structurels» des États
Alors l’annulation de la dette des pays africains sera-t-elle difficile à réaliser ?
« Le principe est simple : les créanciers renoncent à leurs créances », pose l’économiste togolais Kako Nubokpo. Pour cet ancien ministre et doyen de l’Université de Lomé, le diable est dans le détail. « Il faut distinguer la dette publique de la dette privée » explique-t-il. « Sur la dette publique, les États peuvent être en première ligne et donc annuler la dette. Mais pour les dettes privées, ce sont les petits porteurs en général, donc beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. »