Est-ce si difficile de réaliser qu’à partir du moment où un gouvernement d’extrême droite accède au pouvoir, il en est fait de la vie démocratique de ce pays?
Par Laurent Sagalovitsch
Qu’on en soit aujourd’hui à évoquer la possibilité d’une Marine Le Pen à l’Élysée en dit long sur l’état de déliquescence morale à l’œuvre dans la société française. Une nouvelle fois, rien, ni la précarité de l’existence ni l’incertitude de l’époque, ne peut légitimer l’approbation d’une politique qui, si elle était appliquée, ressemblerait à une sorte de perpétuation de la collaboration, ces heures noires de l’Histoire de France dont on aimerait tant qu’elles n’existèrent jamais.
Le simple fait de vouloir mettre en œuvre une mesure comme la préférence nationale –réalise-t-on vraiment de quoi il s’agit, du poids de son ignominie, de sa parfaite imbécillité?– devrait suffire à disqualifier Madame Le Pen et tous ses affidés. Voilà donc la France, qui ne fut jamais aussi grande que lorsqu’elle fut une terre d’asile pour tous les persécutés de la Terre, en passe de devenir un état paria, une nation où il faudrait opérer une différence entre l’étranger et le Français, établir des régimes spéciaux qui verraient certains être disqualifiés ou remerciés au seul motif de leur origine.
Ne comprend-on pas que c’est mettre là le doigt dans un engrenage dont nul ne peut dire jusqu’où il nous mènera, jusqu’où il nous perdra? Qu’à partir du moment où vous commencez à opérer une distinction entre des résidents d’un même pays, vous empruntez un chemin qui vous mène droit vers une forme de ségrégation, un régime racial où bientôt ce seront les musulmans, les juifs, tous ceux aux origines douteuses, à qui on refusera d’accéder à telle profession ou à tel logement?
C’est avec toutes nos forces qu’il faut dire à Marine Le Pen que jamais la France ne s’abaissera à pareille infâmie. Que seulement y penser, c’est déjà rabaisser la nation française, l’humilier, la salir, cracher à la face de son histoire. On ne peut pas aimer son pays au détriment de ceux qui eurent l’inconvénient de naître ailleurs. Ou que les tragédies de la vie ont poussé sur la route de l’exil, vers cette France éclairée, patrie des droits de l’homme et terre de l’humanisme.
Aussi quand j’entends certains hésiter sur leur vote de la semaine prochaine, quand je vois des étudiants renvoyer dos à dos Emmanuel Macron et Marine Le Pen, j’ai le sang qui me monte à la tête. De quelle déréliction souffrent ces esprits pour tenir de tels propos? De quel mal sont affublés ceux qui entendent s’abstenir pour mieux punir le président actuel? Est-ce si difficile de réaliser qu’à partir du moment où un gouvernement d’extrême droite accède au pouvoir, c’en est fait de la vie démocratique de ce pays?
Qu’il n’y a pas de retour en arrière. Que tôt ou tard les libertés seront confisquées, les droits fondamentaux bafoués. Qu’une fois lancée, la machine de l’exclusion ne peut plus s’arrêter. Que sitôt qu’un pouvoir autorise la population à laisser libre cours à ses pulsions les plus morbides, plus rien ne s’oppose à ce que, sous peu, ce qui naguère était une démocratie enviée de tous devienne un régime scélérat où l’humanisme est bafoué, renié au profit de la force brute, de la force sale.
Aujourd’hui, quand on se retourne vers le passé, à l’heure de se souvenir des heures sombres de la collaboration, on ressent comme une honte et une sidération au regard de l’attitude des autorités françaises de l’époque. Et pourtant, des décennies plus tard, voilà qu’un nombre considérable de citoyens français songent à élire ceux qui sont leurs dignes successeurs, de ces esprits égarés qui au mépris de toute considération humaine jetèrent la France plus bas que terre.
On voudrait cracher à la face de la résistance, de ces âmes magnifiques de courage qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Vous cherchez la revanche, vous n’aurez que la honte. Et ne dites pas que cette fois, vous ne savez pas. L’avenir ne vous accordera aucune circonstance atténuante. C’est en conscience que vous aurez porté au pouvoir celles et ceux par qui la nation périclitera.
Peu importe l’état de votre bulletin de paie ou le niveau de vos ressources, la hauteur de vos frustrations, l’insupportable poids de vos exaspérations, vos rancœurs, vos ressentiments. Quand on en vient à la morale, à l’éthique, à la survie d’une nation, à son honneur, à son rang et à son prestige, à la préservation de son identité, oui de son identité, on oublie tout, le ventre qui gronde de faim, les fins de mois difficiles, les rebuffades en tous genres.
On vote les dents serrées, s’il le faut.
Et on bâtit des idéaux qui rassemblent au lieu d’exclure.
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