Alors qu’elle bénéfice d’une dynamique positive à treize jours du premier tour, Marine Le Pen est loin d’être la candidate des classes populaires comme elle l’affirme. Bien au contraire, le programme de la candidate d’extrême droite multiplie les gages en direction du patronat et des classes dominantes.
Par Emile Causs
1er avril
Marine le Pen, en hausse dans les sondages, se la joue « social »
Si à près d’une semaine du premier tour des élections présidentielles, le président sortant Macron se tient toujours largement en pole position pour remporter la course à sa propre succession, Marine le Pen semble bénéficier depuis quelques jours d’une dynamique qui pourrait rebattre les cartes. De quoi provoquer quelques « sueurs froides » du côté de la macronie selon le JDD ce dimanche et inquiéter au sein de l’entourage d’Emmanuel Macron.
A l’instar d’Edouard Philippe qui déclarait ce jeudi 31 mars au Parisien que « Marine Le Pen peut gagner la présidentielle » ou encore de Jacques Attali, chroniqueur du très patronal Les Echos chef d’entreprise et proche de Macron, qui affiche la même inquiétude, expliquant « que peu de gens veulent reconnaître que la réélection d’Emmanuel Macron est loin d’être acquise, et que celle de Marine Le Pen est parfaitement possible ».
Ce vendredi, la candidate du Rassemblement National s’enthousiasmait à l’occasion d’un déplacement en Alsace, déclarant « sentir un espoir » se « lever » en sa faveur, avant d’ajouter qu’il « est parfaitement possible de battre Emmanuel Macron ». Cela se traduit dans les sondages, où la candidate d’extrême droite réduit l’écart avec le président sortant tant au premier qu’au second tour.
Ainsi, si certains avaient imaginé que la guerre en Ukraine disqualifierait définitivement la candidate d’extrême-droite en raison de ses proximités avec le régime de Poutine, la dynamique est inverse. Comme l’explique Gilles Ivaldi, chercheur en science politique à Science Po, dans un article relayé par le JDD, le recentrage des préoccupations de la population autour des problématiques économiques du fait de la guerre ukrainienne et de la crise de l’inflation ouverte par celle-ci, pourrait bénéficier à Marine Le Pen et servir l’image « sociale populiste » qu’elle tente de se donner depuis plusieurs années. Force est de constater sur ce terrain, que la candidate du Rassemblement National bénéficie également du phénomène Zemmour qui radicalise les discours réactionnaires. En comparaison, Marine Le Pen apparait moins agressive et plus intégrée au système
Selon une enquête électorale de CEVIPOF réalisé entre le 21 et 24 mars, 58% de la population « déclarent que les prix et le pouvoir d’achat auront une influence importante sur leur vote en avril, soit une hausse de 6% début mars ». De cette manière, la réponse des candidats sur les questions du pouvoir d’achat, de l’inflation et l’impact économique de la guerre, pourrait déterminer en grande partie le résultat du premier tour. Or, la candidate d’extrême droite depuis le début de l’élection présidentielle, notamment pour se démarquer de Zemmour, fait campagne autour d’une ligne sociale-xénophobe. Une posture qui pourrait lui être favorable dans le sprint final.
Baisse de la TVA, augmentation des salaires, nationalisation des autoroutes, retraites, … alors que, Marine Le Pen met l’accent sur ses mesures dites « sociales » et rejoue la traditionnelle rhétorique démagogique de l’extrême-droite, l’objectif pour celle qui se présente comme la « candidate du pouvoir d’achat » est plus que jamais d’attirer le vote des classes populaires. Il faut donc le répéter celles-ci n’ont rien à gagner avec Marine le Pen. Décryptage.
Un programme économique au service des intérêts du patronat
A rebours de que veut nous faire croire Marine Le Pen, son programme est loin d’être de « gauche », comme l’avance pourtant une étude du Cevipof. En réalité la stratégie du RN depuis l’échec du second tour de 2017, est de se rendre présidentiable en multipliant les gages adressés à la bourgeoisie. Dans cette optique, le parti d’extrême droite n’a cessé de renforcer son adhésion au néo-libéralisme depuis un an, en particulier sur les aspects économiques. A ce titre, en février Marine Le Pen rétropédalait déjà sur la retraite à 60 ans afin de rassurer le patronat à deux mois des présidentielles. Mais qu’en est-il de son programme ?
« Dans ce domaine économique, le rôle de l’État est avant tout de créer un environnement favorable au développement des entreprises, poumons de notre économie, sur tout le territoire ; c’est précisément ce que j’attends par la mise en place d’un État stratège ». Ce postulat présenté page 21 dans le « manifeste » de Marine Le Pen, a pour mérite d’éclairer sa position néo-libérale sans ambiguïté : elle se pose comme partenaire particulier du patronat avant tout. Comme l’explique Romaric Godin dans un article pour Médiapart, « c’est une position de principe assez proche de celle défendue par Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. D’ailleurs, comme tous ces candidats, Marine Le Pen a repris la demande expresse du patronat français de réduire les impôts de production. Elle va même très loin sur ce chemin en proposant d’en finir avec la cotisation foncière des entreprises (CFE), mais aussi en exonérant de cotisation sociale de solidarité (C3S) les entreprises qui relocaliseraient. ».
Dans cette droite lignée, Marine le Pen propose de relancer « la prime d’aménagement des territoires » permettant de verser de l’argent public aux entreprises s’installant dans certaines régions de France. Elle poursuit en proposant de supprimer « les impôts de succession lors de leur transmission à la génération suivante ; dans le cadre d’un pacte Dutreil dont les conditions seront mises à jour, les héritiers ne paieront plus d’impôts s’ils s’engagent à garder pendant au moins 10 ans l’entreprise. » Nous ne pouvons être plus clairs que la prétendante à l’Elysée lorsqu’elle affirme par la suite « supprimer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui entrave la conservation et la transmission des patrimoines ». De cette manière, nous pouvons reprendre Romaric Godin qui rappelle justement que « sur [le] sujet de l’héritage qui fracture clairement la droite et la gauche autour de ceux qui veulent durcir la fiscalité et ceux qui veulent l’alléger, la candidate du RN est indubitablement du côté droit ».
L’objectif est clair, il s’agit de subventionner davantage le patronat et de moins le solliciter. Mais alors qui payera la dette de 2 834,3 milliards d’euros et la balance déficitaire atteignant 77,6 milliards d’euros, qu’elle présente en préambule de ses mesures économiques, et qu’elle s’est déclarée attachée à rembourser ? Il ne s’agira pas d’aller chercher dans les poches du patronat, à rebours Marine Le Pen, défend le projet du « Fonds Souverain Français (FSF), qui propose « aux français de s’associer [à la politique économique portée par le RN], à travers la mobilisation de leur épargne. Cette épargne atteint aujourd’hui des niveaux très élevés et il apparaît pertinent de l’orienter vers le développement économique de notre pays […]. Garantissant une rémunération d’au moins 2 % aux Français qui y auront investi, il sera destiné à l’investissement, dans l’économie française. […] Une sélection rigoureuse dans les choix d’investissement permettra à la Nation de disposer d’un fonds pérenne, qui contribuera de manière déterminante à la croissance, à l’emploi et au bien-être des Français. » En proposant de devenir « actionnaire de la maison française, investisseur et donc acteur du redressement national », Marine Le Pen souhaite en réalité se servir de l’épargne des travailleurs pour financer des projets portés par le marché financier et visant la rentabilité. Autrement dit, de l’argent de plus dans les poches du patronat. Derrière le même mot d’ordre,« redonner du pouvoir d’achat à la population », la candidate d’extrême-droite souhaite également privatiser l’audiovisuel, ce qui au-delà de poser problème quant à la question du contenu, engraissera les plus riches.
Pour ce qui est de ses propositions pour la jeunesse, la même logique est à l’œuvre. Marine le Pen souhaite encourager l’embauche de jeunes en alternance avec des subventions versées directement aux entreprises et octroyer « un soutien aux étudiants qui travaillent pendant leurs études » sous conditions de réussite aux examens (la précision est importante). Elle propose, en outre, « pour les jeunes actifs, des dispositifs sans précédent [qui] seront également mis en place : exonération d’impôt sur le revenu pour tous les moins de trente ans et dispense d’impôt sur les sociétés pour tous les jeunes créateurs d’entreprises, pour une durée de cinq ans ». En réalité, derrière la mise en scène sociale, ses mesures pour la jeunesse vont dans le même que celles portées par les autres candidats néolibéraux : faire de la jeunesse une main-d’œuvre profitable au service du patronat.
Quid des mesures sociales ?
Pour ce qu’il en est de ses mesures phares, notamment concernant la baisse de la TVA et l’augmentation des salaires : celles-ci se révèlent n’être que pure hypocrisie. Si la baisse de la TVA est partagée par plusieurs candidats à la présidence française, dans le programme de Marine Le Pen celle-ci n’a pas vocation à s’attaquer aux profits faramineux du patronat. Concernant l’augmentation des salaires, c’est une tromperie de plus ! Marine Le Pen, compte pour cela sur la bonne volonté du patronat, et surtout propose une mesure « gagnant-gagnant aux entreprises » : en cas d’augmentation de 10% de tous les salaires jusqu’à 3 Smic, elles seront exonérées de cotisation patronale ! Outre l’aspect ridicule de l’augmentation mis à jour par l’inflation et l’explosion des prix, c’est tout simplement un coup de pouce en plus au patronat qui en arrière-plan est réalisé. D’autant plus que la question est assez symptomatique de la démagogie du RN : en septembre dernier Marine Le Pen s’était déclarée opposée à l’augmentation des salaires et se refuse toujours à l’augmentation du SMIC. L’agitation de leur hausse relève avant tout d’un calcul électoral.
Ainsi, l’image antisystème de l’extrême droite et Marine Le Pen, ne résiste pas à la lecture de son programme. D’autant plus, que le programme raciste du RN s’attaque profondément aux conditions de vie des travailleurs, notamment issus de l’immigration. Comme l’explique Romaric Godin avec « la priorité nationale [du programme de Marine Le Pen], qui réserverait aux Français l’accès à certaines prestations sociales et à certains services publics. Cette mesure est donc une mesure économique visant à appauvrir une partie des ménages résidant en France ».
En tout cela, nous pouvons avoir un avant-goût de ce que Marine Le Pen ferait au pouvoir : appliquer la politique exigée par la bourgeoisie, avec ses doses supplémentaires de racisme, xénophobie et d’autoritarisme. Pour reprendre la conclusion que nous faisions déjà en mars 2021 concernant le contenu « anti-système » du RN : Une politique finalement pas si éloignée de celle que Macron mène à l’heure actuelle, et pour cause il s’agit d’une politique de classe, une politique bourgeoise au service des intérêts des classes dominantes auxquelles Macron comme Le Pen sont inféodées. Dans ce cadre, l’inanité du « Front républicain » apparaît à nouveau dans toute sa splendeur et soulève une question centrale, la nécessité d’une perspective politique ouvrière et populaire, qui défende les intérêts des exploités et des opprimés, refuse que les travailleurs, les chômeurs et la jeunesse ne paient la crise, s’oppose au racisme et à l’islamophobie mais aussi aux attaques contre les droits des femmes. Un programme qui implique le renversement du capitalisme, lequel ne saurait être mené depuis les institutions forgés par les classes dominantes. »
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