L’Italie sous Draghi: l’offensive du capital s’accélère, le massacre social aussi

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Alors que l’économie et la politique internationales font face à des turbulences particulières, le capitalisme italien semble avoir trouvé son «homme de la Providence»1. Il s’agit du super banquier Mario Draghi, ex-président de la BCE (Banque centrale européenne), devenu président du Conseil des ministres (premier ministre) il y a six mois, par décision autocratique du président de la République Sergio Mattarella. Cette nomination fait suite à un véritable martellement médiatique et d’obscures manœuvres de palais ; elle a été avalisée à une très grande majorité (respectivement 84% et 82% des élus à la Chambre des députés et au Sénat), par un Parlement ressemblant de plus en plus à une caisse de résonance.

Depuis lors, selon le récit du régime qui s’est imposé, tout se passe bien. Le Covid, effrayant, semble régresser sensiblement. La croissance du Produit intérieur brut (PIB) s’envole euphoriquement au-delà de +5% (après une chute de 8,9% en 2020). De l’Union européenne (UE), considérée soudainement comme une mère et non plus comme une marâtre, tombent des pluies d’euros. La fierté sportive moissonne les médailles olympiques. Et, cerise sur le gâteau, l’Italie revient sur le devant de la scène internationale en lançant, depuis le G202, une initiative sur l’Afghanistan (sera-t-elle reprise ?). Le made in Italy connaît une reprise ; mais, d’une part, on ignore si elle va durer et, d’autre part, elle a déjà des effets désastreux pour une bonne partie des classes laborieuses.

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Le gouvernement Draghi est le troisième exécutif en trois ans, depuis le début de la XVIIIe législature3. Le premier des trois était un gouvernement Movimento 5 Stelle (M5S) et Lega, polémique envers l’UE et faisant de l’œil au «souverainisme», nommé le Conte I (1er gouvernement dirigé par Giuseppe Conte). Il est suivi, 15 mois plus tard, par le Conte II (2e gouvernement dirigé par Conte), un exécutif M5S et Parti démocratique (PD) qui a amélioré les relations avec l’UE. Le gouvernement actuel a mis un terme à ces oscillations, en affirmant sa doctrine à la fois atlantiste et européaniste, mais cachant les tensions entre ces deux termes. L’équipe de Draghi s’est également attelée à remettre de l’ordre dans la politique sociale, en redonnant davantage de garanties aux instances du grand capital et du système bancaire, remettant ainsi en question les (minimes) concessions que les deux gouvernements précédents ont faites au mécontentement populaire et aux attentes des classes laborieuses victimes de décennies de politiques dites d’«austérité»4.

La grande opportunité que le gouvernement a saisie au vol est la relance de l’économie italienne à partir du PNRR, le Plan national de relance et de résilience, approuvé par le gouvernement Draghi et qui s’arrime au programme NextGeneration 2021-2027 de l’UE, ce dernier étant financé à raison de 807 milliards d’euros au total. C’est presque un tournant historique de la part de l’UE, qui cherche à tenir tête à ses deux principaux concurrents, les Etats-Unis et la Chine. Dans l’avant-propos du PNRR figure une phrase révélatrice: «la destinée de l’Italie n’est pas nécessairement le déclin»5. L’exécutif italien se donne ainsi la tâche d’enrayer le long déclin qui a porté la part de l’économie du pays au marché mondial de 4,2% au milieu des années 1980 à 2,8% aujourd’hui. Le nouvel «homme de la Providence» avait déjà, en 2006, défini les termes de cette «reprise», alors qu’il était gouverneur de la Banque d’Italie. Il expliquait, en effet, que la crise de l’économie italienne était essentiellement due à une faible productivité du travail et à une dépense sociale excessive. Sur cette base il présentait les grandes lignes suivantes pour sortir le pays de cet embourbement:

  • réformes structurelles, pour accroître la productivité du travail et la compétitivité des entreprises;
  • davantage d’internationalisation de l’économie et de la finance;
  • privatisations;
  • privilèges fiscaux pour les entreprises;
  • pas d’augmentations des salaires s’il n’y a pas d’augmentation de la productivité;
  • coupures dans les retraites publiques et développement de la prévoyance privée;
  • davantage de flexibilité (de précarité) dans les rapports de travail;
  • réduction de la dette publique6.

A quelques nuances près, ce sont les lignes de force suivies depuis une quinzaine d’années par les divers gouvernements. Leur mise en pratique n’a pas sorti l’Italie de l’ornière de la stagnation, mais elle a fait passablement régresser les conditions de vie et de travail de millions de salarié·e·s, elle a triplé le nombre de pauvres, elle a forcé à émigrer plus de 1,5 million de chômeurs ou de personnes en sous-emploi.

Et maintenant? Maintenant, l’«impératif absolu» (c’est une formule de Draghi) consiste dans la reprise de l’accumulation des profits. Ce qui signifie la relance de la production, de la productivité et du rendement des entreprises. Après quelque prudence initiale, le gouvernement réel a donné un coup d’accélérateur à cette politique. Par gouvernement réel j’entends son noyau dur, c’est-à-dire le président du Conseil des ministres (Mario Draghi) et les ministres de l’Economie (Daniele Franco), de la Transition écologique (Roberto Cingolani), de l’Innovation technologique et de la Transition digitale (Vittorio Colao), des Infrastructures et des Transports (Enrico Giovannini), du Développement économique (Giancarlo Giorgetti), ainsi que du premier conseiller économique de Draghi (Francesco Giavazzi). Autrement dit des techniciens étrangers au Parlement, qui parlent peu et décident (presque) tout, préférant laisser aux chefs des grands partis politiques de la majorité (PD, M5S, Lega, Forza Italia, etc.) et de l’opposition (Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, alliée du Hongrois Viktor Orban) les discours quotidiens à l’adresse de l’électorat-«souverain» que chaque parti veut capter ou détourner.

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Cette accélération des décisions du gouvernement Draghi a conduit notamment au lancement d’un PNRR qui énonce clairement les priorités du capital, sous les dénominations foncièrement trompeuses de «transition verte» et «transition digitale», ainsi que de réorganisation de l’instruction avec le maximum de subordination aux exigences des entreprises des écoles secondaires (du second degré) et des universités. Ces trois «missions» captent 106 milliards d’euros sur un total de 191 qu’impliquent le PNRR, bien loin devant les postes santé et cohésion sociale et territoriale (26,8 milliards d’euros au total).

Dans le domaine de la santé, par exemple, la part la plus importante revient à la mise à jour technologique et digitale des hôpitaux, alors que la pandémie a révélé clairement qu’un système sanitaire strictement centré sur les hôpitaux est inapte à faire face à ce genre de crise. Le chapitre santé ne dit mot sur la médecine préventive, pas plus que sur la prévention des maladies et accidents du travail, alors que ces derniers avoisinent les 645’000 par an depuis cinq ans, avec plus de 1000 décès. Tandis que l’insistance est mise sur le développement de la télémédecine.

La première tranche de financements européens est arrivée, soit 25 milliards d’euros, source d’ambiance de fête dans les milieux patronaux, puisque ce sont quelque 90’000 entreprises qui vont bénéficier de cette manne sous forme d’avantages fiscaux, de prêts à bas taux d’intérêt, y compris pour la délocalisation sous ses diverses formes. Simultanément a été lancée la séquence des «réformes structurelles», subordonnées aux financements européens. Or les résistances, qu’elles soient corporatives, sectorielles ou syndicales, ces dernières étant les plus molles au demeurant, ne semblent pas à même de faire obstacle à la détermination de l’exécutif.

Le gouvernement a d’ores et déjà pris la décision de ne procéder à de nouveaux engagements, dans le secteur public, que sous contrat de durée déterminée ou temporaire et de ne renouveler le contrat national de la fonction publique, arrivé à échéance il y a neuf ans, que si les objectifs de productivité sont atteints. Il est déterminé à faire tomber toute limite à la pratique dévastatrice des appels d’offres et de la sous-traitance, pratique qui sévit déjà de manière scandaleuse en Italie depuis vingt ans. Il a raccourci la durée des procédures judiciaires, «afin d’attirer davantage d’investisseurs étrangers», slogan managérial inlassablement répété par la ministre de la Justice Marta Cartabia7. L’exécutif s’apprête aussi à promulguer de nouvelles exonérations fiscales pour les entreprises et à relâcher les contrôles publics sur leurs activités. Bref, le gouvernement, en fait l’Etat comme une machine au service de l’accumulation du capital, comme Etat des capitalistes qui met fin à la «grève de l’investissement privé» en mettant ses propres moyens à la disposition de ceux qui le veulent, un rôle revendiqué par Draghi avec fierté :

“«La transition énergétique, la compréhension de l’importance de la recherche, le parcours qui amènera les générations futures vers les objectifs de 2030-2050, impartissent à l’Etat un rôle actif crucial. Non seulement par l’édification des infrastructures clé de la recherche et du développement. Mais surtout par la capacité à catalyser les investissements privés dans les secteurs prioritaires. En leur donnant confiance. En simplifiant les procédures. En aidant les entreprises à gérer les risques dans les nouvelles aires d’investissement […]. Pour l’Italie c’est un moment favorable. En effet, avec les garanties offertes par l’Europe et par les choix gouvernementaux, la capacité à dépasser les barrières identitaires de la part des politiques, l’abondance des financements publics et privés, les circonstances sont exceptionnellement favorables pour les entreprises et les familles qui investiront leurs capitaux et leurs épargnes dans la technologie, la formation et la modernisation.»

Au début de la crise, souligne Draghi, l’Etat a «élargi aux entreprises des garanties pour 208 milliards d’euros et des aides pour 10 milliards». C’est la «dette vertueuse»8 contractée par le Conte II et son gouvernement, avec le soutien de quasiment toutes les forces politiques institutionnelles. Moyennant une incroyable expansion de la dette publique, les deux derniers gouvernements ont réussi à tenir en respect l’anormale pléthore (comparée aux standards européens) de petits entrepreneurs, commerçants, professions libérales, artisans, travailleurs autonomes ou indépendants, à désamorcer leurs protestations et doléances, par de généreuses dépenses publiques nourries grâce à la dette.

Cette pléthore de petits accumulateurs de capital représente une véritable épine dans le pied de chaque gouvernement bourgeois en Italie; et pourtant avant-hier (lorsqu’elle était concentrée dans les campagnes) et aujourd’hui (lorsqu’elle est presque entièrement urbaine) c’est un allié décisif du grand capital pour contrôler, intimider, détourner et diviser la masse des prolétaires et des salarié·e·s. On a assisté plusieurs fois, ces derniers mois, à des mobilisations d’un secteur ou l’autre des petits ou moyens entrepreneurs, rapidement retournés au calme dès lors qu’ils ont perçu des indemnités et des subventions qui, dans certains cas, ont même dépassé leurs gains usuels des années pré-2020, notamment grâce à une organisation spectaculaire d’escroqueries, en particulier autour du chômage partiel Covid-19. C’est là une autre «dette vertueuse» mais qui, à la différence de celle qui profite aux transnationales et aux banques, ne va pas se perpétuer, car un débroussaillage de cette jungle est essentiel pour relancer la compétitivité du système dans son entier.

Emporté par l’optimisme qui règne dans les salons romains le gouverneur de la Banque d’Italie, et de ce fait membre du directoire de la Banque centrale européenne, a proposé de « compléter l’architecture économique européenne » en transformant l’émission d’eurobonds9, afin de la rendre non plus exceptionnelle mais permanente, gonflant ainsi les budgets européens, ce qui nécessite une politique budgétaire commune de l’UE. C’est un projet porté également par Draghi. Cette volonté d’une Union européenne plus forte et soudée se retrouve dans l’implication du chef du gouvernement pour la construction accélérée d’une armée européenne commune. Le coup de massue historique essuyé en Afghanistan, y compris par l’Italie, qui a investi le plus gros contingent militaire à l’extérieur de ses frontières depuis 1945 – sur vingt ans quelques 50’000 soldats y ont passé – a conduit à… ce «bon conseil». Se profile ainsi une autre importante tranche d’une «dette vertueuse» à contracter, au moment où les Etats-Unis ne garantissent plus leur rôle de gendarme mondial de l’Occident. Une première avance à ce titre apparaît dans le budget de 2021, qui marque un accroissement considérable des dépenses militaires, de +8,1% par rapport à 2020. L’Italie post-fasciste n’a jamais renoncé à la place au soleil revendiquée par Mussolini, et ce n’est pas ce gouvernement plein d’ambitions qui va y renoncer. Son aire d’influence «naturelle» s’étend à la Libye, à l’Afrique du Nord et aux Balkans, sur une base anti-turque et anti-russe et sur une échelle globale anti-chinose et va même au-delà, dans la mesure où, après le Brexit, Rome tente de prendre la place de partner mineur du militarisme éternel des cousins français. L’industrie militaire italienne est, du reste, l’une des branches les plus prospères de l’industrie du pays, pauvre en électronique, en chimie et désormais même en automobile, mais toujours gaillarde dans l’industrie de la mort.

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La gestion de l’épidémie par le gouvernement Draghi&Co a quelque chose à voir avec ça. En effet, le choix du coordinateur de la campagne de vaccination s’est porté sur un général des chasseurs alpins, qui n’a de cesse de «faire la guerre» au virus. L’Italie est en première ligne pour les décès dus au virus, suite à la gestion désastreuse voire criminelle de la pandémie par les deux derniers gouvernements. Après avoir laissé le virus se répandre pendant des mois dans les hôpitaux, les maisons de retraite, et surtout dans les usines et les lieux de travail pour ne pas entraver la production de profits, on en est arrivé à une série de règles (parfois absurdes) de «distanciation sociale», puis à des vaccins. Cette façon chaotique de procéder a néanmoins servi à réaliser une expérience d’imposition d’une discipline sociale qui a réussi jusqu’à présent à dissimuler les responsabilités écrasantes du système par une série de chasses aux «enquiquineurs» de service, qui se concentrent maintenant, comme en France, contre les no-vax et no-green-pass. Avec aussi l’aide de la folie des théories complotistes, il a été possible de créer un fossé entre les salarié·e·s – mais aussi de manière plus générale entre les citoyens et citoyennes – vacciné·e·s et non vacciné·e·s. Les gouvernements Conte II et Draghi ont ainsi contribué à semer la peur tous azimuts et à imposer des pratiques de distanciation physique (qui dans la langue étatique est traduite par «distanciation sociale»), de normalisation du travail et de l’enseignement à distance, générant un surcroît d’atomisation des relations sociales qui ne profite qu’à la classe dominante.

Le cadre des réalisations répressives de ce gouvernement dit d’unité nationale serait incomplet si nous passions sous silence le fait qu’il a mis en application les décrets Salvini (une législation anti-immigrés) qui permettent d’attaquer systématiquement les piquets de grève, en premier lieu ceux des opérateurs du secteur de la logistique, organisés par le syndicat SI Cobas. Cela a permis aux nouvelles agences Pinkerton [agence privée de sécurité créée aux Etats-Unis au XIXe siècle] opérant en Italie et à de nombreux petits patrons de recourir librement à la violence contre les grévistes – essentiellement des immigrés.

Cela jusqu’à ce que, le 18 juin dernier, se soit produit la mort annoncée, devant un supermarché Lidl de la province de Novara, celui d’Adil Belakhdim. Evénement suivi de quelques jours d’une hypocrite contrition nationale, après quoi tout est redevenu comme avant: chaque piquet de grève dans le secteur de la logistique est confronté à un déploiement disproportionné de policiers, chaque manifestation ouvrière ou de chômeurs non autorisée est aux prises avec des plaintes individuelles ou collectives. Dans ce contexte, les discussions qui traversent le gouvernement autour de la suppression partielle ou intégrale du revenu de citoyenneté ou de la contre-réforme des retraites réjouissent le patronat, tandis que les décrets Salvini sont et resteront intouchables.

Pour toutes ces raisons, le gouvernement Draghi apparaît, pour l’heure, comme le début d’une nouvelle ère. Quelles seront ses caractéristiques ? Cela dépendra autant des nombreuses inconnues et contradictions auxquelles il aura à faire face, sur les plans national et international, qu’à la force de la contestation de classe en Italie.

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L’optimisme du régime à l’œuvre aujourd’hui en Italie – rappelons la formule de Renato Brunetta: «un alignement des planètes qui ne se répétera pas – a son envers dans le massacre social en cours, qui a commencé avec la crise économique et pandémique. La masse salariale totale a baissé de 7,9%, le chômage partiel a frappé presque 6 millions de salariés, 954’000 postes de travail précaires sont passés à la trappe, en majorité des emplois occupés par des femmes, ayant souvent été contraintes à s’auto-licencier vu l’impossibilité de concilier travail et garde des enfants obligés de suivre l’école à distance depuis leur domicile. L’indice des inégalités sociales (calculé selon l’indice de Gini) est passé de 34% à 41%10. Au cours des derniers mois, le nombre de salarié·e·s occupées, dont les 4/5 sont temporaires, a augmenté d’environ 400 000 (tandis que chez les indépendants, la baisse s’est poursuivie). Mais la question est la suivante: à quelles conditions de salaire, de temps de travail, de sécurité au travail, de droits? En moyenne, ces conditions sont bien pires qu’antérieurement.

A ce titre, les conséquences de l’utilisation capitaliste de la pandémie/syndémie (pas moins capitaliste)11 ont été fort bien documentées dans une enquête relative au secteur touristique. Ce dernier représente le 13% du PIB italien et a été l’une des activités les plus violemment frappées par la crise12. C’est l’un des domaines de prédilection du passage de la précarité à l’hyperprécarité, de la flexibilité à l’hyperflexibilité, du recours systématique à des «formes contractuelles plus délétères: externalisation des tâches, travail régulier sur appel, travail intermittent, et même des formes de travail gratuit».

Ce à quoi s’ajoutent le stage, le voucher (une forme de travail accessoire, précaire, pour des prestations dites occasionnelles sous-payées, entre 8 et 10 euros l’heure, mais souvent moins car elles se couplent facilement avec des heures au noir), ainsi que des horaires de 50 à 60 heures hebdomadaires pour des salaires plus proches de l’aumône, desquels il faut souvent déduire les frais de nourriture et de logement, autrefois plus fréquemment garantis. Le tableau est encore plus noir, dans la mesure où bien des entreprises du secteur ont recours au contrat collectif national multiservices, l’un des pires qui soit, au lieu de celui du tourisme, et où le travail au noir peut être aussi diffusé que la règle. Par exemple en Campanie, il représente le 50% des emplois du secteur.

Cette authentique destruction de la condition prolétarienne, qui s’est encore accélérée ces deux dernières années, remonte à loin: 25 ans de lois et de décrets visant à précariser les rapports de travail qui ont dévasté le droit du travail né des luttes ouvrières des années 1960 et 1970 – le premier pas a été franchi en 1997 avec le premier gouvernement Prodi (centre-gauche).

Nous avons aujourd’hui plus de 40 contrats de travail différents, qui peuvent coexister en un même lieu de travail, produisant une fragmentation institutionnelle diffuse de la condition des ouvriers, des des masses prolétarisées, des salarié·e·s. Pour couronner le tout, le contrat de durée indéterminée a été supprimé en mars 2015, par le gouvernement dit de centre-gauche de Matteo Renzi, et remplacé par le «contrat à protection croissante» qui a institué la liberté presque inconditionnelle de licenciement.

Dans le même esprit, au cours de ces dix dernières années les inspecteurs du travail, déjà fort peu nombreux auparavant, ont été réduits de 27% (de 5500 à 4000). En même temps, le système lacunaire d’inspection de l’Institut national d’assurance en cas d’accident du travail (INAIL) et de l’Institut national de la prévoyance sociale (INPS) a été affaibli, en étant placé sous la tutelle d’une entité du ministère du Travail et des politiques sociales qui prive ces instituts des banques de données administratives, indispensables pour les contrôles. Rien d’étonnant qu’en cas de contrôle sérieux, ce qui arrive exceptionnellement, on tombe sur un 100% d’entreprises qui ne sont pas en règle, comme cela a été le cas pour des dizaines d’inspections effectuées à Milan (Lombardie), à Bergamo (Lombardie) et à Prato (Toscane)13. Information gratifiée que d’un entrefilet dans les médias, et oubliée le lendemain. Tandis que s’étendent les formes étouffantes de surexploitation, avec des cas allant jusqu’à 7 jours de travail par semaine, avec des journées de 12 à 14 heures. Lorsque les travailleurs se rebellent, comme ils le font depuis des mois à la Texprint de Prato, la police intervient en les bombardant d’amendes, de plaintes, de matraquages, laissant la voie libre aux patrons (dans ce cas-ci chinois) qui organisent l’agression des piquets de grèves à coups de briques et de bâtons14. Et Prato, comme l’indique une brochure officielle, avec une fierté nationaliste-localiste, n’est pas n’importe quel endroit : c’est «l’un des plus grands districts industriels d’Italie, le plus grand centre textile d’Europe et l’un des plus importants centres mondiaux de production de fils et de tissus de laine»15.

Bien que l’Italie ait perdu une partie de ses grandes industries, tout n’y est pas uniquement comme à Prato. En effet, à côté de grandes entreprises historiques (Office national hydrocarbures, ENI, Office national électricité, ENEL), ainsi que d’autres entreprises en croissance (Luxottica, Prysmian, Ferrero, Techint, etc.), il y a un solide réseau de petites et moyennes entreprises de la métallurgie et des machines, de la mode, de la décoration d’intérieur, de la pharmacie, de production de niche tournée vers le marché mondial (comme, par exemple, Ferrari) qui exigent une main-d’œuvre spécialisée et conservent les anciennes garanties contractuelles pour les employés de longue date, y compris dans un contexte d’intensification de la pression productiviste.

Il est clair toutefois que la tendance va vers l’extension de conditions de travail similaires à celles régnant à Prato, y compris dans le secteur public. Prenons l’exemple de la Fincantieri (construction navale, avec siège social à Trieste, appartenant à 72% à la société Fintecna, contrôlée par le ministère italien de l’Economie), qui dans ses chantiers navals de Monfalcone, Marghera et Ancona est parvenue au score de 1 salarié direct pour 4 à 5 salariés de sous-traitance ou sous-sous-traitance. Ces derniers sont en grande partie des immigrés, enchaînés à des rapports de travail que même la magistrature «je-m’en-foutiste» italienne a dû qualifier de néo-esclavagisme avec une connotation raciste.

Prenons aussi l’exemple de la protestation des salarié·es d’Alitalia, qui vient d’exploser il y a peu de temps, organisée avec les grandes confédérations syndicales, et avec l’Union syndicale de base (USB) et la Confédération unitaire de base (CUB). Le mouvement est dirigé contre la nouvelle compagnie nationale d’aviation qui va remplacer Alitalia sous le nom d’Italia trasporto aereo (ITA), car l’entreprise a décidé, d’une part, de ne pas mettre en vigueur le contrat collectif de travail du secteur de l’aviation, afin de réduire de 30% les salaires, sous prétexte qu’il s’agira désormais d’une «compagnie low cost» et, d’autre part, de supprimer plus de 7000 postes de travail. « ITA est pire que le plus rustre patron privé » s’est écrié un syndicaliste des plus modérés en exprimant ce que refuse de dire la quasi-totalité de la gauche politique et syndicale «radicale».

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L’Etat, loin d’être super partes entre le Capital et le Travail, agit de plus en plus comme l’Etat capitaliste, l’Etat des capitalistes, étant depuis longtemps le premier employeur de main-d’œuvre précaire, voire donc comme un Etat entrepreneur. Il l’est tout autant dans son rôle d’Etat du trésor (avec une fiscalité de classe) et d’Etat policier – nous avons déjà évoqué sa fonction d’Etat démolisseur du droit du travail, un droit résultat des luttes ouvrières des années 1960 et 1970. L’accès aux hautes fonctions gouvernementales de grands commis du capital financier, tels que Lamberto Dini, Carlo Azeglio Ciampi, Mario Monti, Tommaso Padoa-Schioppa, Anna Maria Tarantola et, aujourd’hui Mario Draghi, Daniele Franco, etc., ou de puissants capitalistes comme Silvio Berlusconi, est représentative de cette tendance.

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Le gouvernement Draghi est l’héritier de cette interminable offensive capitaliste et étatique contre la classe des travailleurs et le prolétariat dans son entier et, dans cette optique, il instrumentalise autant que faire se peut les pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés au nom de l’urgence pandémique, dans le but d’approfondir les processus en cours d’atomisation et de «distanciation» sociale, moyennent entre autres de très importants investissements publics réalisés sur endettement.

Il tient en place parce que le niveau d’auto-organisation et d’autonomie de la classe des salarié·e·s est à ses minima historiques, tandis que le degré de subordination aux priorités des entreprises et de l’Etat des organisations syndicales historiques (CGIL, CISL, UIL) est lui à son maximum historique. Nous en sommes arrivés là après un long processus de transformation radicale de la division internationale du travail, de l’organisation du travail, du contenu du travail, du «marché» du travail, mais aussi des partis politiques ouvriers-bourgeois – que je ne peux développer dans le cadre de cet article –, et d’un changement non moins radical de l’idéologie des travailleurs, sur lequel je vais m’étendre un peu.

Je ne pense pas qu’il faille idéaliser l’ouvrier de l’industrie o l’ouvrier agricole (il bracciante) du Parti communiste des années 1950-1960. Leur façon de penser était, malgré tout, imprégnée de nationalisme, médiée par le «résistancialisme»; leur structure psychologique était, malgré tout, grégaire. Il était sujet au culte acritique du chef, que ce soit Stalin, Palmiro Togliatti ou un autre, sa vision politique a été progressivement formée au moule d’une adhésion quasi superstitieuse à la légalité démocratique et aux élections. Sa vision des relations entre les sexes était plus proche de celle du catholicisme traditionnel que du communisme.

Mais, malgré ces lourds handicaps, ces prolétaires avaient un sens aigu des intérêts communs de la classe ouvrière, de leur propre dignité personnelle en tant que producteurs, du rôle décisif de la classe travailleuse dans la société, et de la nécessité de la lutte collective organisée des exploité·e·s pour faire valoir leurs besoins et leurs droits violentés contre les capitalistes. Autant d’éléments rares aujourd’hui, du moins avec l’intensité d’une certaine période, même parmi les prolétaires les plus actifs. On a grandement sous-estimé la dimension idéologique des attaques bourgeoises, de leur capacité à faire pénétrer en profondeur l’individualisme, la mésestime de soi et des prolétaires comme classe et comme personnes, l’attachement aux valeurs marchandes, le sexisme, l’esprit d’entreprise, virus des plus corrosifs face à la conscience et à l’organisation de classe.

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Dans ces dix dernières années, comme le souligne Fabrizio Burattini [voir l’article publié sur ce site en date du 7 septembre 2021], un seul secteur se mobilise à contre-courant :

«le secteur de la logistique, qui se heurte aux profonds processus de restructuration de la branche. Avec une détermination et une force induites par l’importance de l’immigration dans ses rangs, encore peu frappée par la délétère idéologie de l’autolimitation des luttes et encore préservée du sentiment de résignation systématiquement instrumentalisé par les appareils bureaucratiques des grands syndicats, les travailleurs de la logistique ont obtenu des victoires partielles significatives, parvenant à imposer dans plusieurs entreprises des améliorations de salaires et des conditions de travail»16.

De là la capacité de ces dizaines de milliers de porteurs à mener, comme l’explique une publication du syndicat SI Cobas, «de vraies luttes, avec de vraies grèves, de vraies coordinations, de vraies plateformes de lutte et pas simplement des proclamations que l’on exhibe pour les oublier aussitôt. Ces luttes ont parfois réussi à changer les rapports de force en faveur des travailleurs de la logistique voire au-delà, en obtenant des améliorations significatives des conditions de travail et des contrats.»

Par-delà les améliorations matérielles, par définition toujours transitoires comme nous le montrent les restructurations d’entreprise en cours dans ce même secteur, et compte tenu du fait que ces luttes concernent une part minoritaire des travailleurs du secteur (de 1 à 2 millions, selon les modalités de calcul), l’élément nouveau le plus important de ce cycle de luttes est «qualitatif» : il s’agit de «luttes véritablement auto-organisées par les travailleurs eux-mêmes et qui ont donné lieu à une expérience de nouveau syndicalisme militant. Il se distinguait du syndicalisme de base plus traditionnel en ce qu’il combinait l’auto-organisation, la participation directe des travailleurs impliqués, et l’organisation, qui est de toute façon vitale pour les luttes auto-organisées, grâce à la contribution de militants politiques internationalistes de longue date. Elle s’est d’autant plus différenciée de la pratique des grandes centrales syndicales traditionnelles, Cgil-Cisl-Uil, que ces dernières déresponsabilisent les travailleurs et leur insufflent la logique de l’entreprise et du marché, les transformant en machines de travail disciplinées et en clients et utilisateurs de leurs services»17.

L’élan de cette expérience de lutte du prolétariat de la logistique a notamment amené à la création de l’Assemblée des travailleuses et des travailleurs combatifs, qui a l’ambition de réunir en un front unique de lutte contre les patrons et le gouvernement les (quelques) résistances nées dans les entreprises et dans la société, et à proclamer une grève générale de tout l’archipel du syndicalisme «de base», le 11 octobre prochain.

Ce sont là les premiers pas d’un long chemin vers la renaissance d’un mouvement prolétaire sur le plan des luttes immédiates. Or cette perspective se heurte déjà à une dure répression patronale-étatique, se concrétisant par des licenciements politiques, des arrestations, des mesures de renvoi vers l’étranger, des plaintes, des agressions contre des piquets de grève et même l’assassinat d’Adil Belakhdim en juin dernier, pendant la lutte contre les 300 licenciements à Piacenza (Emilie) ordonnés par le colosse états-unien FedEx.

D’autre part aussi un certain apaisement se fait jour suite aux améliorations matérielles considérables obtenues (la combativité n’est pas une «marque de fabrique», quoi qu’il en soit…). Ces premiers pas vers la renaissance d’un mouvement prolétarien sont surtout remis en cause par la lenteur et les limites politiques avec lesquelles les secteurs de classe touchés par les licenciements (sans parler des autres) se mettent en mouvement.

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À ce titre, une réaction parmi les plus significatives est venue du collectif des travailleurs de la GKN, une fabrique de composants pour automobiles, sise à Florence – appartenant au fonds britannique Melrose – fermée pour cause de délocalisation et entraînant le licenciement de quelque 500 salariés. Mais même les initiatives très suivies de ce collectif de travailleurs au sein de la Fiom (Fédération des employés et ouvriers métallurgistes, affiliée à la CGIL) sont restées «enfermées» dans une dimension d’entreprise, voire territorialiste, sans même essayer de se connecter avec les travailleurs de Whirpool à Naples, d’Embraco à Turin, de Gianetti ruote dans la région de Milan, des différents établissements Stellantis dans lesquels s’annoncent des licenciements, alors qu’il s’agit de réalités propres au secteur de la métallurgie et des machines, souvent dans la même branche de la production liée à l’automobile et ressortissant au même milieu syndical.

Autre exemple, les protestations des riders (les coursiers) ont été également trop faibles. Capables d’organiser une grève nationale d’un jour, en mars, impliquant une trentaine de villes; incapables cependant de générer une réelle organisation transversale des différentes entreprises et villes concernées. Quant à la grève d’Amazon, également en mars dernier, elle a d’abord obtenu un succès médiatique disproportionné puis, ces derniers temps, ces mêmes médias donnent un grand retentissement à la récente signature, avec les confédérations syndicales, d’un protocole d’accord par lequel l’entreprise s’engage à «mettre en place une méthode de négociation avec le syndicat». C’est finalement un engagement plutôt générique, accompagné en outre d’une campagne de spots de la firme dans les grands médias, dans lesquels des salariés (souvent des immigrés) expriment leur satisfaction d’«être Amazon»… spots suscitant l’interrogation: «à quoi sert le syndicat»?

Bref, les forces en lice à l’heure actuelle sont trop modestes: pour s’opposer efficacement aux attaques du gouvernement Draghi, qui agit avec grande habileté et ne se prive pas de lancer des appâts aux forces de travail les plus qualifiées en matière informatique18 ; pour s’opposer également aux assauts de la Confindustria (la plus grande association patronale du pays)19 et à une Union européenne qui s’apprête à engager de nouvelles réformes des retraites. Toutefois la poussée des luttes qui ont mené à l’appel à une grève unitaire de tout le syndicalisme de base exprime une réelle nécessité.

Je ne pense pas que l’unité d’action des organismes syndicaux «de base» pourra être ainsi stabilisée, acquise, car il existe plusieurs syndicalismes «de base» différents. L’un, né dans les années 1980-90 du siècle dernier, composé essentiellement de travailleurs italiens, enraciné surtout dans la fonction publique, cherchant à rétablir l’ancien welfare state, quitte à y parvenir avec une certaine dose de souverainisme contre la perfide Union européenne.

L’autre est né après la crise de 2008, enraciné dans la logistique et d’autres secteurs de production, composé de travailleurs de diverses nationalités, surexploités, ayant mené un nombre de luttes d’une intensité sans précédent dans le syndicalisme d’avant, à l’exception peut-être du Slai Cobas. Je pense plutôt à la projection (à leur capacité de s’adresser) des protagonistes des luttes dans le secteur de la logistique et de l’Assemblée des travailleurs combatifs vers la masse des travailleurs et travailleuses et des salarié·e·s membres des trois syndicats confédéraux et en direction de la masse encore plus grande des jeunes (et moins jeunes) travailleurs et travailleuses précaires non syndiqués.

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Cette perspective pourrait s’orienter vers une plateforme revendicative unitaire nécessitant, encore une fois, des cadres prolétaires et militants capables de l’animer et de lui donner un retentissement toujours plus large. Ce n’est pas juste un rêve; pour la première fois depuis je ne sais combien d’années ou pour la première fois tout court, en juin dernier, des délégués du syndicat FIOM mais d’autres syndicats aussi, dans des dizaines d’unités de production de la métallurgie et des machines, ont décrété des grèves de protestation contre l’assassinat d’Adil Belakhdim et contre la répression des luttes du SI Cobas.

La route sera longue et accidentée, c’est sûr. Il suffit de penser à la quasi-inexistence et à l’éclatement extrême de l’opposition politique organisée sur une ligne de lutte de classe. C’est une opposition prisonnière d’illusoires plans de transformation d’un capitalisme pourtant irréformable, comme nous l’a démontré le passé et nous le démontre le présent, un capitalisme dont les «émergences» se multiplient et s’enchevêtrent chaotiquement les unes sur et contre les autres, induisant même de plus en plus de doutes sur le «miracle chinois».

Si je devais rédiger un cahier de doléances exhaustif, je me demanderais également dans quelles anfractuosités ont échoué les mouvements féministes et environnementalistes des années passées20, et où en est la renaissance du marxisme révolutionnaire dans ce pays qui, au siècle dernier, participa si intensément aux aléas de l’Internationale communiste et qui, encore dans l’après-guerre, a contribué à la critique communiste du capitalisme. Cela dit sans mélancolies ni regards rétrospectifs complaisants. Fort heureusement, la lutte des classes en Italie dépend, beaucoup plus qu’on ne le pense dans nos milieux, de ses développements internationaux. Mais tant mieux si de bonnes nouvelles peuvent aussi venir d’ici.

*

Cet article, publié d’abord par A l’Encontre, a été reçu le 22 septembre 2021 ; traduction par Dario Lopreno, revue par l’auteur.

Pietro Basso est membre de la rédaction de la revue Il Cuneo rosso et du blog Il Pungolo rosso (https://pungolorosso.wordpress.com/tag/cuneo-rosso/).

Illustration : DAVOS/SWITZERLAND, 25JAN13 – Mario Draghi, President, European Central Bank, Frankfurt is captured during the special address session at the Annual Meeting 2013 of the World Economic Forum in Davos, Switzerland, January 25, 2013. . . Copyright by World Economic Forum. swiss-image.ch/Photo Remy Steinegger

Références

1. Le 13 février 1929, deux jours après la signature des Accords du Latran, le Pape Pie XI a défini Mussolini comme «l’homme que la Providence nous a fait rencontrer». Ces accords légalisent le statut territorial du Vatican, accordent à ce dernier d’importantes indemnités financières et instituent un Concordat entre l’Eglise catholique et l’Etat italien, reconnaissant le catholicisme comme religion d’Etat.
2. « Le G20 regroupe les 19 principaux pays industrialisés et émergents ainsi que l’Union européenne. Ces pays représentent à peu près 85% de l’activité économique mondiale et environ deux tiers de la population de la planète. Bien que ses décisions ne soient pas contraignantes, le G20 joue un rôle clé en tant que forum mondial pour les questions économiques, financières et monétaires d’ordre international » (site de la Banque nationale suisse, Questions internationales). Précisons que la Suisse participe, sur invitation, aux rencontres des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 et à plusieurs groupes de travail. [ndt. D.L]
3. La XVIIIe législature a commencé le 28 mars 2018, avec les dernières élections politiques nationales. Il en est sorti un Parlement vraisemblablement plus du tout représentatif des rapports de force électoraux actuels, dans lequel les élus affiliés à l’un de 6 partis membre de la coalition gouvernementale – Mouvement 5 étoiles, Ligue, Parti démocrate, Forza Italia, Italia viva et Liberi e uguali – représentent plus du 90% des députés et des sénateurs, et dont 55% sont issus des deux formations M5S et Lega, qui ont toutefois aussi d’extrêmement importantes divergences en leur sein comme entre elles. [ndt D.L]
4. Je fais référence ici à deux mesures prises par le gouvernement Conte I. Il s’agit :

– D’une part, du revenu de citoyenneté et de la retraite de citoyenneté, en faveur de quelque 3 millions de pauvres, qui a coûté 19 milliards d’euros en 3 ans.

– D’autre part, de la réforme des retraites, dite « quota 100 », accordant la retraite anticipée à moins de 300’000 salariés, une réforme qui a coûté 10 milliards d’euros en 3 ans et qui a essentiellement profité non point à des travailleurs usés par la pénibilité du travail, mais à des travailleurs du secteur public au salaire moyen ou moyen-élevé. Il s’agit aussi ici de la remise en question de la diminution des taxes patronales sur le coût de la main-d’œuvre (nommée le « cuneo fiscale »), décidée par le gouvernement Conte II, qui a augmenté de 20 à 40 euros mensuels les salaires inférieurs à 40’000 euros annuels, mesure qui a coûté 3 milliards d’euros par année.

Comme étalon de comparaison pour ces chiffres, il suffit de préciser que les patrons de l’hôtellerie-restauration se sont vus octroyer, en un an et demi, plus de 20 milliards d’euros; ou que durant la seule année 2020 l’Etat italien a payé plus de 60 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers ; ou encore qu’entre 2000 et 2019 il a versé 1434 milliards d’euros d’intérêts, tandis que la dépense publique totale de 2021 se monte à 812 milliards d’euros.

5. Conseil des ministres, Piano nazionale di ripresa e resilienza. Italia domani, #NextGenerationItalia, Rome, mai 2021, disponible sur https://www.governo.it/sites/governo.it/files/PNRR.pdf. [ndt D.L]
6. Les textes de ces discours sont repris dans un petit ouvrage intitulé Ripartire da Draghi, avec le sous-titre qui a le mérite d’être clair, Un vaccin anti-démagogie. Les meilleurs discours de Mario Draghi contre la politique du bavardage, publié en décembre 2020 par ses fans du quotidien Il Foglio.
7. «Au dumping fiscal de l’Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg notre gouvernement répond par un dumping criminel italien», commente l’économiste Ernesto Screpanti (Ernesto Screpanti, Visco, Draghi e il Recovery Plan: un ottimismo ingiustificato, sinistrainrete.info, 28/08/2021). On peut dire, en effet, que ce gouvernement vise une paix «définitive» avec les gangs/entreprises du crime organisé, ce qui a été annoncé par Draghi avec le silence sur la mafia dans son discours d’investiture – quelque chose de très inhabituel car dans la rhétorique institutionnelle, la «lutte contre la mafia» est une formule obligée dans les discours d’investiture des chefs de gouvernement.
8. Draghi a introduit cette distinction entre dette vertueuse et non vertueuse lors de l’inauguration de la 41e rencontre du mouvement intégriste-catholique-affairiste Comunione e Liberazione, en août 2020.
9. « L’eurobond ou euro-obligation est un emprunt émis en commun par les pays de la zone euro sur les marchés. Concrètement, les eurobonds consistent à mutualiser, à l’échelle européenne, la dette des pays de la zone euro. C’est-à-dire que les pays mettent en commun leur dette, et la remboursent ensemble, en émettant ensemble ce que l’on appelle des obligations » (https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/eurobond.html). [ndt. D.L]
10. Le Global Wealth Report du Crédit suisse explique qu’en Italie, fin 2020, il y avait 1’480’000 millionnaires en $, soit 187’000 de plus qu’en 2019, tandis que les fortunes supérieures à 50 millions $ étaient aux mains de 3560 personnes, soit 785 de plus eu’en 2019 ; dans le même laps de temps le nombre des personnes en situation de pauvreté absolue a augmenté de 20%, totalisant 5.6 millions d’individus.
11. La pandémie est l’épidémie dans son extension très large voire maximale. La syndémie est la conjonction entre l’environnement (dans ses composantes et intrications biologiques et sociales) et l’épidémie ou la pandémie. [ndt D.L]
12. Il turismo di chi ci lavora, C. Caravelle, M. Cerimele (dir.), mai 2021, disponible sur https://centroriformastato.it/il-turismo-di-chi-ci-lavora/ . C’est une enquête intéressante contenant toutefois des conclusions politico-syndicales désolantes, prisonnières de la logique du moins pire qui, d’une manière générale, prépare le terrain au pire.
13. Cf. TGCOM24, Lavoro, decine di controlli in aziende di Prato e Milano: 100% irregolari, Milan, 11/08/2021 (https://www.tgcom24.mediaset.it/cronaca/lavoro-decine-di-controlli-in-aziende-di-prato-e-milano-tutte-irregolari_36733857-202102k.shtml) et Ispettorato del lavoro di Milano, Task force « Alt caporalato ». Irregolari tutte le imprese controllate, Rome, 06/08/2021 (https://www.ispettorato.gov.it/e404.html).
14. Des informations sur cette lutte se trouvent sur le site du SI Cobas (http://sicobas.org/?s=Texprint). Alors que j’écris cet article, arrive la nouvelle d’une descente de Carabiniers, à Prato, suite à la «découverte», à Venus Ark, une entreprise du textile appartenant à un Chinois, de dizaines de demandeurs d’asile contraints à travailler 7 jours sur 7 jusqu’à 14 heures par jour, pour un salaire de 2 à 3,50 euros l’heure, avec 78% des salariés n’ayant pas de contrat.
15. Città di Prato, Distretto tessile, sur https://www.cittadiprato.it/IT/Sezioni/436/DISTRETTO-TESSILE/. [ndt D.L]
16. Fabrizio Burattini, Italie. Une «restauration» sans révolution, 07/09/2021, disponible sur https://alencontre.org/europe/italie/une-restauration-sans-revolution.html. [ndt.D.L]
17. Cfr. SI Cobas, Carne da macello, libro sulle lotte della logistica e sulla storia del SI Cobas, Red Star Press, Roma, 2017, pp 7-8.
18. Dans un prochain article – mais pas immédiatement, ce serait prématuré – je voudrais analyser l’impact des investissements d’Etat pour le PNRR sur la structure industrielle italienne et sur la force de travail impliquée.
19. Il faudrait aussi réfléchir autour des effets sociaux du « mécénat » assumé par un certain nombre d’entrepreneurs italiens, qui ont fait des dons à des structures sanitaires du secteur public en temps de Covid, octroyant des primes à la production sans consulter le syndicat et, plus récemment, en faisant des donations à leurs propres salariés au chômage partiel. Le 17 septembre dernier la nouvelle est tombée, la famille de marchands de pétrole Moratti a «donné» (ne serait-ce pas plutôt «rendu») à ses salarié·e·s 1,5 million d’euros au vu de leurs difficultés matérielles.
20. Pour un examen moins incomplet de la situation italienne actuelle, il faudrait se pencher aussi sur les protestations no-vax, no-green-pass, sur leur double matrice sociale et l’idéologie qui les traverse, sur les peurs diffuses qu’elles expriment, ainsi que sur les critiques, plus ou moins brutes, du statu quo qu’elles portent. Je ne désire pas toutefois le faire ici de manière trop synthétique.

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