LETTRE internationale – fermeture des archives

Au Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale,
Au Ministère de la Culture, 

Chères Mesdames, Chers Messieurs, 

Le 15 janvier 2020, le Service historique de la Défense (SHD) à Vincennes a annoncé l’application d’une nouvelle consigne surprenante du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN): tous les documents classifiés, même ceux créés il y a plus de 50 ans, doivent désormais être formellement déclassifiés avant de pouvoir être communiqués au public. Nous, chercheurs travaillant sur la France provenant du monde entier, en sommes profondément inquiets.

De prime abord, cette consigne ne fait que reprendre les principes déjà énoncés par l’Instruction Générale Interministérielle 1300 sur la protection du secret de la Défense nationale de 2011. Mais en pratique, elle représente une rupture radicale. Depuis des décennies, nous avons effectué nos recherches dans les archives françaises avec des documents classifiés qui sont communicables après la limite de 50 ans déterminée par les articles L.213-1 et L.213-2 du Code du Patrimoine. Or, l’accès à ces mêmes documents qui étaient librement communicables sont maintenant restreints. En principe, cette consigne ne devrait mener que à des délais plus ou moins longs pour les chercheurs, étudiants et citoyens qui souhaiteraient consulter des archives classifiées. En pratique cette nouvelle pratique a tout simplement interrompu leur communicabilité indéfiniment. Comme la consigne est ambiguë et qu’aucune explication n’est venue accompagner pour ce changement, le SHD a tout simplement gelé l’accès à des documents essentiels aux recherches sur la Deuxième Guerre Mondiale, la guerre d’Indochine, et la guerre d’Algérie. Nos collègues effectuant des recherches à Vincennes se sont vus refuser leurs demandes de consultation sans moyen de faire appel. La recherche scientifique n’est pas juste ralentie, elle est actuellement complètement interrompue.

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Quelle que soit la motivation à l’origine de cette nouvelle consigne, son effet est désastreux. Tout d’abord, le travail que ce changement implique pour le personnel des archives est énorme. Les documents portant mention de classification ne sont pas rangés à l’écart des autres documents; le même dossier ou carton d’un fonds peut contenir des douzaines de documents portant mention de classification qui devront tous être déclassifiés individuellement avant de pouvoir être communiqués. Les services d’archives étaient déjà surchargés et en sous-effectif avant cette directive. Comment pourraient-ils assumer la quantité de travail supplémentaire pour gérer le flux de demandes de déclassification qui arriveront désormais?

Deuxièmement, cette consigne, annoncée de manière abrupte, perturbe profondément l’activité des chercheurs. Si ses effets se font déjà ressentir au SHD à Vincennes, il est certain qu’elle affectera également la communicabilité de documents aux Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine, aux Archives Nationales d’Outre-Mer à Aix-en-Provence, et dans bien d’autres dépôts d’archives. Jusqu’à ce que des consignes claires sur la déclassification des archives soient émises, chercheurs et citoyens ne pourront pas être certains d’obtenir l’accès à des vastes quantités de documents essentiels à leurs recherches.

Troisièmement, et c’est ce qu’il y a de plus grave, les effets de cette consigne sont profondément régressifs et contraires à la démocratie. La vaste majorité des documents concernés par cette consigne ont déjà été librement communicables depuis bien longtemps. Leur confidentialité est désormais caduque. Depuis plusieurs années, les efforts politiques et scientifiques pour ouvrir les archives sur la période de Vichy et la guerre d’Algérie au public ont mené à des recherches importantes et sont à la base de débats publics essentiels au fonctionnement de notre République. Le président de la République lui-même a reconnu l’importance de ce travail en septembre 2018, quand il a reconnu l’usage de la torture sur Maurice Audin par l’armée française en Algérie, et a demandé l’ouverture des archives à ce sujet. Et pourtant, nous voyons maintenant l’accès à ces mêmes archives effectivement interrompu. Des documents consultés depuis des années sont re-scellés, et nous ne savons pas quand ou comment ils seront communicables. En pratique, cette consigne revient à annuler les décisions qui depuis plusieurs années tendent à ouvrir les archives. Elle porte un coup d’arrêt brutal à la recherche au moment précis où tant de progrès ont été réalisés, et où tant de recherches restent encore à faire. Celles-ci ne pourront s’accomplir que dans des conditions d’accès claires et apaisées.

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Nous, chercheurs sur la France, professeurs, étudiants, citoyens, demandons clarification de ces nouvelles consignes sur la déclassification des documents. Surtout, nous exigeons l’accès à ces documents comme prévu par le code du patrimoine. Les documents soumis par cette consigne à la déclassification sont essentiels non pas juste pour la recherche scientifique, mais également pour le patrimoine et le bon fonctionnement de la République. Faut-il le rappeler, depuis 1794, il est un principe fondamental que les archives appartiennent à la Nation et qu’elles sont consultables par les citoyens. Ces documents ont déjà été communicables, il n’y a pas de raison que cela change.

Signés 

The French Colonial Historical Society
The George Rudé Society
H-France
Middle East Studies Association
North American Society for Intelligence History
The Society for French Historical Studies
Society for the Study of French History
Western Society for French History