par Pino Arlacchi
6 février 2024
Quatre défaites dans quatre conflits menés en moins de deux ans. Des conflits toujours en cours, qui se dirigent vers des issues ruineuses. Et pas seulement pour les victimes. Les États-Unis et leurs malheureux prolongements à Kiev, en Europe et à Tel-Aviv ont perdu et perdent sur toute la ligne. En Ukraine, à Gaza, au Liban et au Yémen, les anciens patrons de la planète accumulent fiasco sur fiasco. Le reste du monde, ce qu’on appelle le Grand Sud, assiste perplexe à cette fin de partie.
Le fiasco ukrainien est le résultat d’une guerre de position classique, à la manière de la Première Guerre mondiale, où deux armées s’affrontent et où celle qui dispose des ressources brutes les plus importantes – armements, jeunes hommes à envoyer au front, territoire, budget – l’emporte. Dans le cas présent, la Russie l’emporte dans une proportion de huit à dix contre un. Et c’est de la Russie seule que dépend le fait que le conflit se termine par la simple annexion de l’Ukraine russophone au-delà du Dniepr.
Les autres conflits sont des guerres asymétriques, semblables à celles perdues par la Russie en Afghanistan et par les puissances occidentales à l’autre bout de la planète, du Vietnam à l’Afghanistan, de l’Algérie à l’Indochine. Des guerres où les soldats, les navires, les avions et les canons ne sont que d’un côté, et de l’autre des formations irrégulières pratiquant des tactiques non conventionnelles telles que la guérilla et les attaques surprises. Aujourd’hui, elles utilisent également des engins explosifs improvisés, des drones, des roquettes et des missiles bon marché. Les guerres asymétriques sont les guerres des pauvres et des faibles, mais elles sont très souvent victorieuses.
Les États-Unis et leurs derniers alliés se battent aujourd’hui en vain au nom d’un ordre mondial qui n’existe plus. Ils se battent contre un ordre mondial émergent, considéré comme plus juste et plus sûr par la majorité des États de la planète. Parmi eux figurent certaines des plus grandes démocraties du monde : l’Inde, l’Indonésie, le Brésil.
Les États-Unis et l’Europe sont en train de perdre en mer Rouge face aux Houthis du Yémen qui, au nom de la cause palestinienne, détruisent le mythe des États-Unis en tant que garants de la liberté de navigation. Le Hezbollah libanais passe à l’attaque et a contraint Israël à déloger des dizaines de milliers de personnes au nord, à la frontière avec le Liban, sur une bande de son propre territoire de plus de dix kilomètres. Dans le passé, c’est Israël qui a créé ces zones à l’intérieur des pays voisins. À Gaza, le Hamas a réussi à survivre à une attaque vicieuse qui a fait plus de 26 000 victimes civiles. Sa direction est toujours intacte et a atteint son objectif de ramener la question palestinienne au centre des préoccupations mondiales. Dans le même temps, il a démontré la faiblesse politique et militaire d’Israël et des États-Unis, au point de forcer ces derniers à demander à la Chine une aide diplomatique sur Gaza et la mer Rouge.
Au Moyen-Orient, nous sommes désormais confrontés à l’alternative suivante : soit l’escalade vers une nouvelle guerre, en l’occurrence contre l’Iran en tant que sponsor du Hezbollah et des Houthis, soit le retrait de Gaza avec la réouverture du discours sur les deux États.
Il est important de noter qu’une confrontation à grande échelle avec l’Iran dépend presque exclusivement de Washington. Une guerre totale contre l’Iran est peu probable, car il s’agirait d’une nouvelle guerre américaine contre un pays islamique, menée cette fois dans l’isolement le plus complet. Aucun pays de la région, à l’exception d’Israël, ne se rangerait du côté des États-Unis.
En effet, la tragédie de Gaza n’a pas interrompu mais renforcé le vaste processus de détente qui se déroule depuis plusieurs années dans la région, parallèlement au retrait américain. Aujourd’hui, les alliés traditionnels des Américains ne pensent qu’à en découdre avec un Iran qui n’est plus un ennemi et qui est soutenu par la Chine et la Russie.
Le mot d’ordre au Moyen-Orient est aujourd’hui la réconciliation, le dialogue. Les pays du Golfe se sont rapprochés de l’Iran depuis 2019, et en 2022 Abu Dhabi a rétabli des relations diplomatiques avec Téhéran.
Le blocus du Qatar par l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis a pris fin en 2021. Dans le même temps, l’Arabie saoudite et les EAU se réconcilient avec la Turquie. En mai 2023, la Syrie de Hassad est réadmise au sein de la Ligue arabe.
L’Arabie saoudite poursuit son dialogue avec l’Iran après l’accord historique de l’année dernière négocié par la Chine, et refuse de faire quoi que ce soit contre les Houthis. Après une guerre sanglante entre Riyad et San’a qui a fait des dizaines de milliers de victimes et s’est terminée par le contrôle de la capitale et de 80 % du territoire du Yémen par les Houthis, Riyad est dans un état de paix de facto avec les Houthis qu’il n’a pas l’intention de violer.
Il est également peu probable que les gouvernements européens, déjà à la limite des ressources engagées en Ukraine, s’engagent dans une nouvelle guerre désastreuse au Moyen-Orient. Contre un Iran qui n’est plus isolé et qui est sur le point d’avoir la bombe atomique.
Qu’il est loin le temps où les Etats-Unis étaient capables de créer des coalitions de 42 pays auxquels ils envoyaient aussi la facture d’une guerre. La première guerre contre l’Irak en 1990-1991 a coûté aux Etats-Unis 7 milliards de dollars, soit un peu plus de la moitié des 13 milliards de dollars soutirés par le Japon et même pas 13 % du coût total supporté par l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, les Emirats et d’autres.
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