Les échos logiques et déraisonnables de Benoist Magnat

Les gilets jaunes vu par quatre intellectuels : Frédéric Lordon, Michel Onfray, Dominique Méda et Daniel Mermet.
Pour mon compte, j’en fais partie des gilets jaunes et je ne déblatérais pas sur “nous”. Je dirai seulement dans un langage châtié que je vomi  (sans haine) Macron et toute sa bande qui vend la France aux banques, aux multinationales et aux plus riches, qui détruit tous nos acquis sociaux et qui nous vend (comme le pays) comme esclaves ou comme “rien” à ceux cités plus haut. Je vois avec peur la dictature en Marche et je ne crie qu’une chose “Macron démission” et  que vive une démocratie directe…
Benoist Magnat

RÉPONSE INTÉGRALE DE FRÉDÉRIC LORDON à l’invitation de Macron à des intellectuels pour débattre avec lui

23 mars 2019

“Cher Monsieur Macron,

Vous comprendrez que si c’est pour venir faire tapisserie le petit doigt en l’air au milieu des pitres façon BHL, Enthoven, ou des intellectuels de cour comme Patrick Boucheron, je préférerais avoir piscine ou même dîner avec François Hollande. Au moins votre invitation ajoute-t-elle un élément supplémentaire pour documenter votre conception du débat. Savez-vous qu’à part les éditorialistes qui vous servent de laquais et répètent en boucle que la-démocratie-c’est-le-débat, votre grand débat à vous, personne n’y croit ? Vous-même n’y croyez pas davantage. Dans une confidence récente à des journalistes, qui aurait gagné à recevoir plus de publicité, vous avez dit ceci : « Je ressoude, et dès que c’est consolidé je réattaque ». C’est très frais. Vous ressoudez et vous réattaquez. C’est parfait, nous savons à quoi nous en tenir, nous aussi viendrons avec le chalumeau.

En réalité, sur la manière dont vous utilisez le langage pour «débattre» comme vous dites, nous sommes assez au clair depuis longtemps. C’est une manière particulière, dont on se souviendra, parce qu’elle aura fait entrer dans la réalité ce qu’un roman d’Orwell bien connu avait anticipé il y a 70 ans très exactement – au moins, après la grande réussite de votre itinérance mémorielle, on ne pourra pas dire que vous n’avez pas le sens des dates anniversaires. C’est une manière particulière d’user du langage en effet parce qu’elle n’est plus de l’ordre du simple mensonge.

Bien sûr, dans vos institutions, on continue de mentir, grossièrement, éhontément. Vos procureurs mentent, votre police ment, vos experts médicaux de service mentent – ce que vous avez tenté de faire à la mémoire d’Adama Traoré par experts interposés, par exemple, c’est immonde. Mais, serais-je presque tenté de dire, c’est du mensonge tristement ordinaire.

Vous et vos sbires ministériels venus de la start-up nation, c’est autre chose : vous détruisez le langage. Quand Mme Buzyn dit qu’elle supprime des lits pour améliorer la qualité des soins ; quand Mme Pénicaud dit que le démantèlement du code du travail étend les garanties des salariés ; quand Mme Vidal explique l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers par un souci d’équité financière ; quand vous-même présentez la loi sur la fake news comme un progrès de la liberté de la presse, la loi anti-casseur comme une protection du droit de manifester, ou quand vous nous expliquez que la suppression de l’ISF s’inscrit dans une politique de justice sociale, vous voyez bien qu’on est dans autre chose – autre chose que le simple mensonge. On est dans la destruction du langage et du sens même des mots.

Si des gens vous disent « Je ne peux faire qu’un repas tous les deux jours » et que vous leur répondez « Je suis content que vous ayez bien mangé », d’abord la discussion va vite devenir difficile, ensuite, forcément, parmi les affamés, il y en a qui vont se mettre en colère. De tous les arguments qui justifient amplement la rage qui s’est emparée du pays, il y a donc celui-ci qui, je crois, pèse également, à côté des 30 ans de violences sociales et des 3 mois de violences policières à vous faire payer: il y a que, face à des gens comme vous, qui détruisent à ce point le sens des mots – donc, pensez-y, la possibilité même de discuter –, la seule solution restante, j’en suis bien désolé, c’est de vous chasser.

Il y a peu encore, vous avez déclaré : « Répression, violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit ». Mais M. Macron, vous êtes irréparable. Comment dire : dans un Etat de droit, ce ne sont pas ces mots, ce sont ces choses qui sont inacceptables. À une morte, 22 éborgnés et 5 mains arrachées, vous vous repoudrez la perruque et vous nous dites : « Je n’aime pas le terme répression, parce qu’il ne correspond pas à la réalité ». La question – mais quasi-psychiatrique – qui s’en suit, c’est de savoir dans quelle réalité au juste vous demeurez.

Des éléments de réponse nous sont donnés par un article publié il y a de ça quelques jours par le Gorafi sous le titre : « Le comité de médecine du ministère de l’intérieur confirme que le LBD est bon pour la santé ». On peut y lire ceci : « Christophe Castaner s’est réjoui des résultats des tests du comité de médecins et a aussitôt signé une ordonnance qualifiant de rébellion et outrage à agent toute personne qui mettrait en cause la fiabilité de cette étude ». M. Macron, voyez-vous la minceur de l’écart qui vous tient encore séparé du Gorafi ? Vous êtes la gorafisation du monde en personne. Sauf que, normalement, le Gorafi, c’est pour rire. En réalité, personne ne veut vivre dans un monde gorafisé. Si donc le macronisme est un gorafisme mais pour de vrai, vous comprendrez qu’il va nous falloir ajuster nos moyens en conséquence. Et s’il est impossible de vous ramener à la raison, il faudra bien vous ramener à la maison.

Tous les glapissements éditorialistes du pays sur votre légitimité électorale ne pourront rien contre cette exigence élémentaire, et somme toute logique. En vérité, légitime, vous ne l’avez jamais été. Votre score électoral réel, c’est 10%. 10% c’est votre score de premier tour corrigé du taux d’abstention et surtout du vote utile puisque nous savons que près de la moitié de vos électeurs de premier tour ont voté non par adhésion à vos idées mais parce qu’on les avait suffisamment apeurés pour qu’ils choisissent l’option « ceinture et bretelles ».
Mais quand bien même on vous accorderait cette fable de la légitimité électorale, il n’en reste plus rien au moment où vous avez fait du peuple un ennemi de l’État, peut-être même un ennemi personnel, en tout cas au moment où vous lui faites la guerre – avec des armes de guerre, et des blessures de guerre. Mesurez-vous à quel point vous êtes en train de vous couvrir de honte internationale ? Le Guardian, le New-York Times, et jusqu’au Financial Times, le Conseil de l’Europe, Amnesty International, l’ONU, tous sont effarés de votre violence. Même Erdogan et Salvini ont pu s’offrir ce plaisir de gourmets de vous faire la leçon en matière de démocratie et de modération, c’est dire jusqu’où vous êtes tombé.

Mais de l’international, il n’arrive pas que des motifs de honte pour vous : également des motifs d’espoir pour nous. Les Algériens sont en train de nous montrer comment on se débarrasse d’un pouvoir illégitime. C’est un très beau spectacle, aussi admirable que celui des Gilets Jaunes. Une pancarte, dont je ne sais si elle est algérienne ou française et ça n’a aucune importance, écrit ceci : « Macron soutient Boutef ; les Algériens soutiennent les Gilets Jaunes ; solidarité internationale ». Et c’est exactement ça : solidarité internationale ; Boutef bientôt dégagé, Macron à dégager bientôt.

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Dans le film de Perret et Ruffin, un monsieur qui a normalement plus l’âge des mots croisés que celui de l’émeute – mais on a l’âge de sa vitalité bien davantage que celui de son état civil –, un monsieur à casquette, donc, suggère qu’on monte des plaques de fer de 2 mètres par 3 sur des tracteurs ou des bulls, et que ce soit nous qui poussions les flics plutôt que l’inverse. C’est une idée. Un autre dit qu’il s’est mis à lire la Constitution à 46 ans alors qu’il n’avait jamais tenu un livre de sa vie. M. Macron je vous vois d’ici vous précipiter pour nous dire que voilà c’est ça qu’il faut faire, lisez la Constitution et oubliez bien vite ces sottes histoires de plaques de fer. Savez-vous qu’en réalité ce sont deux activités très complémentaires. Pour être tout à fait juste, il faudrait même dire que l’une ne va pas sans l’autre : pas de Constitution avant d’avoir passé le bull.

C’est ce que les Gilets Jaunes ont très bien compris, et c’est pourquoi ils sont en position de faire l’histoire. D’une certaine manière M. Macron, vous ne cessez de les y inviter. En embastillant un jeune homme qui joue du tambour, en laissant votre police écraser à coups de botte les lunettes d’un interpellé, ou violenter des Gilets Jaunes en fauteuil roulant – en fauteuil roulant ! –, vous fabriquez des images pour l’histoire, et vous appelez vous-même le grand vent de l’histoire.

Vous et vos semblables, qui vous en croyez la pointe avancée, il se pourrait que vous finissiez balayés par elle. C’est ainsi en effet que finissent les démolisseurs en général. Or c’est ce que vous êtes : des démolisseurs. Vous détruisez le travail, vous détruisez les territoires, vous détruisez les vies, et vous détruisez la planète. Si vous, vous n’avez plus aucune légitimité, le peuple, lui, a entièrement celle de résister à sa propre démolition – craignez même que dans l’élan de sa fureur il ne lui vienne le désir de démolir ses démolisseurs.

Comme en arriver là n’est souhaitable pour personne, il reste une solution simple, logique, et qui préserve l’intégrité de tous : M. Macron, il faut partir. M. Macron, rendez les clés.

Michel Onfray: “Le système ne se laissera pas confisquer le pouvoir qu’il a réussi à voler au peuple”

1 février 2019

“Le populisme est”, selon Michel Onfray, “la réponse des victimes malheureuses de la mondialisation dite ‘heureuse’ par les prétendus progressistes.”

Le philosophe dénonce “la violence libérale” et l’écologie des “bobos urbains”. La colère populaire est légitime mais le “système” ne rendra pas le pouvoir au peuple.

À l’heure où la France n’en finit plus de tenter de s’extraire de la crise des Gilets jaunes qui cristallise un profond mécontentement social, c’est un Michel Onfray combatif et particulièrement mordant qui monte au créneau pour dénoncer “la violence libérale” et l’écologie “des bobos urbains”. Prenant la défense d’une colère populaire, selon lui, légitime, le philosophe normand, passé maître dans l’art de la polémique, stigmatise la confiscation du pouvoir par un système qui l’a volé au peuple.

Interview
par Simon Brunfaut

Comment définissez-vous le mouvement des gilets jaunes?

C’est le retour du refoulé de la violence libérale que l’État maastrichien impose aux populations les plus fragiles depuis le Traité de 1992. Ajoutons à cela le mépris de la parole populaire exprimée lors du référendum de 2005 car les acteurs de la démocratie représentative se sont empressés de jeter cette parole souveraine aux orties avec le Traité de Lisbonne de 2008.

Ce mouvement demande de la démocratie directe contre la confiscation du pouvoir par le dispositif qui se dit représentatif. Il demande également du pouvoir d’achat afin de faire face à la cherté de la vie organisée par le capital. Il souhaite aussi de la dignité car on l’en prive depuis plus d’un quart de siècle. Il veut ce que la déclaration de droits de l’homme lui a promis: le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple et la décision de l’assiette, de l’étendue et des affectations de l’impôt.

Voyez-vous des similitudes avec d’autres mouvements sociaux à travers l’histoire?

Je relis ces temps-ci les pages des histoires de la Révolution française qui concernent ses prémices. C’est très intéressant. On y voit bien que ce sont de petites choses qui mettent en branle de grosses choses: le peuple ne fait pas la Révolution pour appliquer la république de Rousseau plutôt que celle de Montesquieu, mais pour du pain, du lait et du savon… L’enclenchement de la violence se fait avec le refus du Roi de répondre politiquement aux revendications et par la récupération de la parole populaire par les Jacobins, puis Robespierre. Nous ne savons pas vers quoi nous allons, mais la rigidité autiste du très jeune président de la république laisse craindre le pire.

L’indignation et la colère sont-elles des moteurs politiques suffisants?

Quoi d’autre sinon? L’Histoire a pour moteur essentiel les passions et non la raison. C’est ensuite, quand les historiens ou les philosophes l’écrivent, que l’Histoire donne l’impression d’obéir à des lois. En fait, elle obéit à des passions: colère et ressentiment, haine et envie, jalousie et convoitise. “L’homme est un animal frappeur” écrivait Schopenhauer. Il a raison, il ne faut jamais l’oublier…

En France, le Grand Débat National vient de se mettre en place. Le pouvoir politique a-t-il la volonté et la capacité d’entendre le peuple?

Il ne veut pas l’écouter. Macron l’a dit: il prétend organiser “un Grand Débat” mais précise en amont que la ligne politique ne changera pas… À quoi bon dialoguer alors? Il répond aux revendications légitimes par une débauche de répression et de violences qui stupéfie et sidère bien au-delà des sympathisants des Gilets jaunes.

Macron est le VRP de la politique libérale de l’État maastrichien: il a été placé là par un système médiatico-politique afin d’imposer son ordre, il effectue le job.

Les médias doivent-ils faire leur auto-critique? Comment la réaliser?

N’attendez jamais d’un journaliste qu’il vous dise qu’il s’est trompé : il serait professionnellement mort…

Jamais les coupables n’effectuent d’autocritique de leur plein gré: de l’Inquisition chrétienne médiévale aux retropédalages médiatiques de ceux qui avouent un prétendu “langage inapproprié” après une attaque médiatique du politiquement correct, en passant par les procès staliniens ou maoïstes, ceux qui avouent s’être trompés ne le font jamais que sous la contrainte. N’attendez jamais d’un journaliste qu’il vous dise qu’il s’est trompé: il serait professionnellement mort…

Croyez-vous à une internationalisation croissante du mouvement des Gilets jaunes?

Elle existe, il faut se reporter à l’article wikipédia qui établit la liste des pays de la planète dans lesquels des Gilets Jaunes se sont manifestés. C’est très impressionnant.

Est-ce la fin de la démocratie représentative? Comment mettre en place une démocratie plus directe?

L’avenir le dira mais les tenants du système pseudo-représentatif ont des ressources: l’argent, le pouvoir, les médias, donc les moyens d’acheter, de réprimer, d’endoctriner. En face, les Gilets Jaunes n’ont rien d’autre qu’une parole éclatée, des figures hétérogènes, des débats d’egos entre “représentants” autoproclamés, fractionnement entre une ligne prête à collaborer avec le pouvoir et une autre prête à lui résister, une ligne pacifique et une autre qui est violente. Le système ne se laissera pas confisquer le pouvoir qu’il a réussi à voler au peuple.

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Le référundum est souvent brandi comme une solution. En Grande Bretagne, c’est un référendum qui a mené au Brexit. Quelle est votre interprétation de ce choix?

C’est la volonté du peuple et ce qui m’étonne est moins que le peuple ait fait savoir qu’il voulait se désengager de cet État maastrichien — c’est son droit le plus strict puisque, comme tous les peuples en démocratie, il est souverain — que les contorsions faites par les eurocrates qui, nonobstant une fois de plus l’expression populaire, font tout pour que ce Brexit n’ait pas lieu: de la création du concept de “Brexit light”, qui dit tout, au refus pur et simple d’organiser cette sortie voulue par le peuple sous prétexte que, pour se séparer de l‘Europe, il faudrait qu’on obtienne son autorisation de l’Europe, en passant par le matraquage médiatique des scénarios catastrophes en cas de sortie. On ne peut mieux signifier qu’il s’agit d’un mariage forcé.

Dans ce contexte, l’Europe apparaît de plus en plus fragilisée et incapable de se renouveler. Un autre projet européen est-il possible?

Je persiste à croire que personne n’est anti-européen en Europe mais que c’est une performance de propagande que d’avoir réussi à établir l’équation: “pour l’Europe libérale = pour l’Europe”, “contre l’Europe libérale, parce qu’elle est libérale, et non pas parce qu’elle est Europe = contre toute Europe, donc pour le nationalisme, donc pour la guerre!”. L’idéal européen, c’est une Europe des Nations avec une monnaie commune, et non unique, avec une conservation de la souveraineté par les États. Un contrat de mariage, autrement dit: le contraire du mariage forcé…

Le populisme gagne du terrain un peu partout dans le monde. Un passage obligé et inévitable pour les démocraties contemporaines?

Je ne souscris pas à ce mot “populisme” parce qu’il procède des éléments de langage de l’État maastrichien qui s’en sert pour enfermer le débat politique dans un manichéisme qui opposerait “populisme” à “progressisme” comme le camp du mal au camp du bien. Que ceux qui se proclament eux-mêmes “progressistes” estiment qu’on peut louer le ventre des femmes afin de mieux pouvoir acheter des enfants en dit long sur la nature des progrès invoqués! Pour ma part, j’oppose plutôt les “populistes”, qui ont le souci des peuples, aux “populicides”, qui veulent s’en débarrasser. Par ailleurs, que le populisme, qui est souci des peuples, revienne au-devant de la scène internationale n’est pas étonnant: il est la réponse des victimes malheureuses de la mondialisation dite “heureuse” par les prétendus progressistes.

De nombreuses “Marches pour le climat” mobilisent actuellement les citoyens. La crise écologique peut-elle être résolue autrement que par une remise en question profonde du système capitaliste?

L’écologie est récupérée par les bobos urbains libéraux en mal de religion civique: “sauver la planète” est leur mantra. Si tel était vraiment leur souhait, pourquoi alors s’acharner sur les individus modestes que l’on culpabilise de polluer avec leurs vieilles voitures, de dégrader la planète avec leurs déchets, de la détruire avec leurs nourritures, tout en épargnant la classe supérieure avec ses voyages en avion, sa consommation excessive de métaux rares et très polluants à laquelle oblige la multiplication de leurs ordinateurs, de leurs portables, de leurs instruments domotiques, de leurs écrans et de leurs maisons multiples? Ou même avec le moteur électrique de leurs voitures hybrides qui pollue plus qu’un diesel si l’on prend en compte le coût écologique des métaux rares qui le composent et qui s’avèrent impossibles à recycler. À quoi il faut ajouter que ces moteurs obligent à pérenniser le nucléaire sans lequel ces écologistes ne pourraient pas recharger leurs batteries, les énergies renouvelables ne le permettant pas…

L’écologie mondaine qui fait la loi politique de nos démocraties maastrichiennes ne concerne que les bobos diplômés qui vivent dans les villes et qui ignorent ce qui distingue un veau, une vache, un taureau, un bœuf, une amouillante, un taurillon…

Si vraiment on voulait une écologie qui ne soit pas de surface ou qui serve de variable d’ajustement électoral pour faire basculer la droite libérale ou la gauche libérale dans le camp des vainqueurs, alors il faudrait effectivement un véritable programme de décroissance anti-libérale.

Grand débat : des intellectuels pris en otage

Par Dominique Méda, professeure d’université Paris-Dauphine
19 mars 2019

Invitée à débattre lundi soir avec Emmanuel Macron, la sociologue Dominique Méda estime que la rencontre s’est transformée en faire valoir présidentiel. Avec un chef de l’Etat qui n’a absolument pas pris la mesure de l’urgence sociale et écologique.

Tribune. Selon la définition communément admise (1), le débat est «une discussion généralement animée entre interlocuteurs exposant souvent des idées opposées sur un sujet donné». Après celui avec les maires, c’était au tour des intellectuels de tomber dans le piège : car de débat il n’y en eut point.

J’avais accepté l’invitation à participer pensant – bien naïvement je l’avoue – que nous pourrions au moins de temps en temps rebondir pour, à notre tour, répondre au président de la République. Mais il n’en a rien été. Comme avec les maires, le non-débat avec les intellectuels, a consisté en une litanie inexorable de «réponses» d’Emmanuel Macron aux questions posées par les intellectuels. Comme nous étions plus de 60, il aurait fallu pour qu’il puisse y avoir sinon un véritable échange, au moins un retour sur ce qui avait été dit par le Président, que chacun puisse vraiment se limiter à deux minutes de parole. L’envie de chacun d’exposer plus longuement sa vision a fait que l’on a assisté à la juxtaposition de questions-réponses au cours desquelles le Président a eu tout loisir d’asséner ses convictions devant des intellectuels pris en otage (au moins pour ceux qui étaient en désaccord profond avec sa politique, peu nombreux).

En le regardant parler pendant huit heures, écoutant certes chacun et répondant en effet aux questions, j’ai compris à quoi nous servions. Comme les maires, nous constituions le mur sur lequel le Président faisait ses balles, jouissant de la puissance de ses muscles et de la précision de ses gestes et donc de la propre expression, cent fois ressentie, de son moi. Nous étions son faire-valoir.

Sur les questions économiques et sociales, là où il y aurait en effet pu avoir débat, c’est-à-dire discussion animée sur des solutions diverses, la porte a été systématiquement refermée. La réponse aux toutes premières questions a clairement indiqué la voie : il n’y aura ni augmentation des dépenses publiques (ici litanie sur la dette léguée aux générations futures) ni augmentation des impôts des plus aisés (là refrain sur le poids de la pression fiscale) ni grand plan d’investissement dans la transition écologique et sociale (Nicolas Sarkozy l’a fait, et cela n’a rien changé…) ni expérimentation du revenu de base. Fermez le ban. Tout au long de la soirée, le travestissement de la vérité qui consiste à ne pas faire les distinctions qui s’imposent a été de mise, notamment sur la question des impôts. A la question de savoir s’il augmenterait les impôts des plus aisés, le Président a répondu ras-le-bol fiscal de toute la population ; sur l’augmentation de la taxe sur l’héritage, il a opposé la peur des paysans de ne pas pouvoir transmettre leur patrimoine à leurs enfants. Sans jamais distinguer entre les différentes catégories de la population, sans jamais répondre à la question précise portant sur les catégories les plus aisées pour lesquelles il serait évidemment possible de mettre en place une tranche d’imposition supplémentaire (en faisant la pédagogie minimale qui s’impose étant donnée l’ignorance générale qui entoure ce dispositif) ou bien de taxer plus fortement l’héritage.

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Voilà pour la forme. Mais le fond est pire. Car ce débat avait été organisé, presque en urgence, pour discuter de la grave crise sociale que traverse la France, pour mettre sur la table les diverses manières d’en sortir. L’impression que je retire de cette soirée est que le Président n’a absolument pas pris la mesure de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons, de l’urgence sociale et écologique. Il n’a pas pris la mesure de la colère sociale et du désir de justice qui traverse le pays, il n’a pas compris qu’à force de ne pas y répondre, le ressentiment s’accumule et que peu à peu, ceux qui jusqu’à maintenant se sont tus, les habitants des quartiers relégués, les allocataires de minima sociaux et les chômeurs menacés de sanctions, risquent de rejoindre la masse des premiers gilets jaunes qui se sont exprimés. Tout se passe également comme s’il ignorait la puissance des symboles : c’est une action symbolique que d’avoir supprimé l’ISF et mis en place le prélèvement forfaitaire unique. C’est une action symbolique qui serait nécessaire pour apaiser la crise.

Mais les symboles ne suffiront pas. Le mouvement des gilets jaunes est parti d’une réalité bien concrète. En France pour un nombre de plus en plus grand de personnes, le travail ne paye pas, les emplois sont en nombre insuffisant, le coût de la transition écologique ne peut être supporté par les plus modestes. Pour répondre en même temps à la question sociale et écologique, il n’y a qu’une solution, un investissement massif financé notamment par une augmentation du déficit. Le Président l’a refusé mais à mesure que le non-débat avançait, il a semblé prendre en compte une chose : la notion de dépenses publiques est trop générale, en effet certaines «dépenses» sont des investissements et non des coûts. Cela a été reconnu pour les dépenses d’éducation et de recherche (les interventions des Prix Nobel en faveur d’une amélioration du sort fait aux chercheurs étaient remarquables). Mais c’est aussi le cas des dépenses en faveur de la transition écologique et de son indispensable volet social. Encore un effort Monsieur le Président !

(1) Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales.

Dominique Méda professeure d’université Paris-Dauphine

Un appel de Daniel Mermet

19 mars 2019

NON À LA VIOLENCE !

La France est prise en otage par une minorité de casseurs en bandes organisées, qui n’ont d’autre but que la destruction et le pillage. C’est un appel à la résistance et à la fermeté contre cette violence sauvage qui s’impose à tous aujourd’hui. Depuis trop longtemps, ces milieux radicaux ont reçu le soutien du monde intellectuel et d’un certain nombre de médias. Il faut radicalement dénoncer ces complicités criminelles. Oui, criminelles. C’est un appel à la révolte contre cette violence que nous lançons devant vous aujourd’hui.

Non à la violence subie par plus de 6 millions de chômeurs[1], dont 3 millions touchent moins de 1055 euros bruts d’allocation chômage [2].

Non à la violence du chômage qui entraîne chaque année la mort de 10.000 personnes selon une étude de l’INSERM [3].

Non à la violence subie par près de 9 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté (1015 euros nets mensuels pour une personne seule), dont 2,7 millions de mineurs [4].

Non à la violence des inégalités devant la mort : l’espérance de vie d’un ouvrier est de 71 ans, l’espérance de vie d’un cadre supérieur est de 84 ans, soit 13 ans de différence [5].

Non à la violence de la destruction consciente de l’environnement, et de la destruction consciente des femmes et des hommes au travail.

Non à la violence subie par les agriculteurs : tous les trois jours, un agriculteur se suicide en France [6].

Non à la violence subie par les 35.000 morts de l’amiante entre 1965 et 1995 [7]. Aujourd’hui toujours, chaque année, 1.700 personnes meurent des suites de l’amiante [8].

Non à la violence des inégalités dans l’éducation : 17.000 écoles publiques ont fermé depuis 1980, selon l’INSEE [9].

Non à la violence en matière de logement : 4 millions de mal-logés en France selon la fondation Abbé Pierre, dont 140.000 sans domicile fixe [10]. On compte 3 millions de logements vacants en France [11].

Non à la violence subie par les morts retrouvés dans la rue: au moins 500 morts chaque année, selon le collectif Les Morts de la Rue [12].

Non à la violence subie par 1,8 millions d’allocataires du Revenu de solidarité active, un RSA de 550,93 euros mensuels pour une personne seule [13].

Non à la violence subie par les 436 000 allocataires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, un minimum vieillesse de 868,20 euros pour une personne seule [14].

Non à la violence subie par les 2 millions de personnes qui reçoivent l’aide alimentaire, dont 70 % sont des femmes [15].

Non à la violence de l’évasion fiscale, soit un vol de 80 milliards d’euros chaque année par quelques-uns au détriment de tous, de l’éducation par exemple ou de la santé [16].

Vous pouvez continuer et compléter cette liste des vraies violences.

Mais ces chiffres et ces statistiques ne sont que des indications qui ne permettent pas vraiment de mesurer la profondeur de la violence subie par les corps et les âmes d’une partie des gens de ce pays.

Violence de la fin du mois, violence des inégalités, violence du mépris de classe, violence d’un temps sans promesses. C’est évident, simple et profond. Leur violence en réponse n’est rien en face de la violence subie. Elle est spectaculaire, mais infiniment moins spectaculaire que la violence partout présente. Sauf que celle-ci, on ne la voit plus, elle est comme les particules fines dans l’air que l’on respire et d’ailleurs elle n’existe pas pour ceux qui ne l’ont jamais vécue, pour ceux qui sont du bon côté du doigt, pour ceux qui exercent cette violence et qui sont les complices, les véritables complices de cette violence-là, autrement meurtrière, autrement assassine. Mais pour les « petits moyens », depuis trop longtemps, elle est écrasante, mutilante, aliénante, humiliante. Et subie, depuis trop longtemps subie.

Ils se battent bien sûr, ils luttent, ils cherchent les moyens de lutter, les moyens de s’en sortir pour eux et leurs enfants. Pour tous.

Et un jour, quelqu’un a enfilé un gilet jaune.

Daniel Mermet