Burkina Faso, suite
Tout Super, une entreprise féminine de produits alimentaires locaux
Nous rendons visite dans un quartier de Ouaga non loin du Centre Culturel Burkinabé à Madame Traoré, productrice de produits alimentaires transformés à base de produits entièrement locaux. Madame Traoré nous montre dans sa maison qui est aussi son bureau toute la gamme de produits qu’elle a mis au point en collaboration avec ses filles et d’autres femmes associées. Par exemple le karité est une production de ses collaboratrices mais sur la base d’une recette particulière consistant à chauffer les noix à la vapeur sans ajouter d’eau ce qui permet au noix de garder une texture légère et une odeur agréable de cacao.
Mais Madame Traoré, excellente cuisinière, élabore en permanence des recettes nouvelles qui enrichissent la gamme de produits de son entreprise. Pas moins d’une quinzaine de sachets de 500 g sont en vente chez elle: farine de maïs, farine de mil, grumeaux de mil, mais surtout des produits tout préparés prêts à chauffer en 20 minutes de cuisson et contenus dans des sachets alimentaires hermétiques professionnels. Le riz, le couscous de mais ou de mil y sont déjà pré préparé avec des épices, de la tomate, de l’ail, des oignons. Le fameux riz au soumbala contient tout ce qu’il faut de viandes et d’épices, de même le couscous de haricots niébe aux fines herbes, le “super yongon précuit” avec feuille de haricots, mil, riz o fonio. Les pâtes à base de farine de niébé sont prêtes à l’emploi. Nous plaisantons que ce sont là des plats idéals pour étudiants pressés ou jeunes professionnels qui ne savent pas faire la cuisine. En Occident c’est avec les plats préparés que les plus grandes entreprises font le plus de profits. Alors que Madame Traoré se bat pour vendre sa production au marché car elle n’a pas le soutien de l’Etat comme les industriels en Occident en ont toujours bénéficié pour se développer. Ses céréales, mil, riz et maïs sont locales et c’est bien indiqué sur les emballages aux jolies etiqettes. Mais elle doit faire venir les sachets alimentaires d’Allemagne ne trouvant pas d’emballages suffisamment résistants produits au Burkina.Peut être que ces emballages existent mais cette entrepreneuse dynamique n’y a pourtant pas accès.
Madame Traoré fait frire et nous goûter d’excellent beignets à base de haricots niébé. C’est très bon, léger et nourrissant en même temps. Je mange aussi les “chips”, genre de barre de céréales faites de farine de pain de singe ou fromager. Ils sont acidulés et nourrissants, excellents pour le creux de 4h, pour les sportifs et les gens fatigués de courrir dans la ville. Quelque chose qui, affinés et mis dans un emballage coloré, se vendrait parfaitement bien dans les rues des grandes métropoles à la place des barres chocolatés américaines bourrées de sucres omniprésentes car vendues par la publicité agressive des multinationales américaines. Madame Traoré produit aussi du soumbala et des piments en poudre prêts à l’emploi dans des boites en plastiques adaptées. Elle a tant raison d’être fière d’elle, de produire des bonnes choses et de bien en vivre en femme libre et autonome. Il est évident que le pays gagnerait à soutenir des personnes aussi créatives et dynamiques. Par des filières spécifiques, elle parvient à toucher le marché des Africains aux Etats Unis et certains produits comme les chips de fromager partent dans un conteneurs par la route vers le port de Dakar. Mais le transport et la logistique est le point faible de cette vente, car cher et aléatoire. Le train n’existe quasiment plus et il est évident que c’est à l’Etat de prendre en main de désenclavement d’un pays tel que le Burkina Faso, ce que le regretté Thomas Sankara avait commencé à faire en très peu de temps.
Je promet à Madame Traoré de mettre ses produits “Tout Super” en valeur et cela me semble n’être que justice. Je voudrais tellement aider dans cette valorisation tout comme j’aimerais que nos produits locaux dans les pays de l’est, les Balkans yougoslaves et la Bulgarie soient reconnus comme faisant partie d’un patrimoine mondial particulier. La cuisine est aussi en voie de mondialisation et ceux qui ne sont pas présents dns l’imaginaire mondial risquent de disparaitre sous la pression de l’uniformisation des goûts et des pratiques propagée par la publicité occidentale.
Karité industriel en route vers l’Occident
Nous visitons une grande maison qui est le siège de la coopératives Karibio. Trente femmes y travaillent dont certaines sont salariées. A l’ombre d’un grand arbre à neem la maison tient lieu d’entrepôt de produits emballés, de bureau, de cuisine, de salles commune avec centre d’éducation et centre de santé. Les graines de neem jaunes sèchent au milieu de la cour sur une grande toile cirée. J’achète et je testerai plus tard l’excellent savon à l’huile de neem, au miel et au karité que produisent les coopératrices. De même elles proposent une pommade crème de corps associant karité et cire d’abeille parfumée. Les deux ingrédients renforcent ainsi leurs vertus apaisantes et cicatrisantes respectives et la pommade imprègne plus facilement la peau que le karité brut. La coopérative produit également une gamme de produits alimentaires dont la confiture de karité et l’huile de sésame d’une bouteille d’un litre. Je pense au prix exhorbitant auquel est vendue l’huile de sésame en Europe dans les magains bio, un flacon de 200 ml à 6 Euros, cette bouteille d’un litre vaudrait donc 25 Euros et non les 9 Euros vendus en catalogue, dont je sais de toute façon que c’est déjà un prix plus élevé que ce que les femmes peuvent prétendre pour une production artisanale vendue dans une bouteille en plastique sur le marché local. Enfin les coopératrices me montrent une gamme de produits de soins de corps et de visage dans des emballages standardisés prêtes pour être acceptées par l’acheteur occidental. J’apprends qu’une entreprise canadienne a investi dans l’usine de la coopérative située hors de Ouaga. Les Canadiens fournissent les machines, les emballages et aussi les attestations d’agriculture biologique et toutes les certifications nécessaires à l’exportation. Ils fournissent aussi le mode d’emploi des produits et achètent également le karité brut prêt à être expédié: une grande bassine contient des sacs hérmétiques d’un kilo qui ne sont pas destiné à la vente au détail. J’ai enfin compris comment les grandes entreprises occidentales se fournissent en karité en Afrique de l’Ouest pour mettre 2, 5 % du précieux ingrédient dans les shampooigs, lotions et crème industrielles sans que jamais la provenance du produit ne soit mentionnée.
Afrika Tiss, coopérative écologique de tissage
Enfin Souleymane m’emmène à Afrika Tiss, une coopérative de tisseuses qui réalise les fameux tissus Faso Danfani à partir du coton biologique filé dans l’entreprise toujours étatique Fasofil. Dans une cour ombragée une quinzaine de femmes travaillent sur des métiers à tisser en bois, du plus petit au plus grand qui prend presque toute la largeur de la cour, selon la longueur du tissu désiré.
Je suis subjuguée par les couleurs magnifiques, du bleu indigo pur, du jaune orange doré, du blanc crème, et du rouge pourpre. La coordinatrice de projet Véronique Ouédraogo arbore une robe splendide taillée dans un tissu bleu, noir et blanc qui est exactement tout ce que j’aime pour les étés de Pologne ou de Méditérannée. Le tissu est solide, comme d’un fil indestructible et léger à la fois. Rien en commun avec les tee shirt chinois dont nos marchés sont remplis. A Ouaga même le vendeur de tee shirt avec le portrait de Sankara réalise les impressions sur du tee shirt chinois ce qui met en colère mes amis militants qui rêvent d’un militantisme soutenant les produits locaux. Les femmes d’Africa Tiss travaillent ensemble et mettent plusieurs jours ou semaines à réaliser une pièce. Ce travail d’artiste devrait être payé à sa juste valeur, c’est pourquoi une Française, Monique Clapette, a organisé en 2013 un circuit de vente en commerce équitable. La boutique de produits Afrika Tiss se trouve à Paris dans le fameux centre alternatif Les Grands Voisin du 14ème arrondissement. Je me promet d’y aller mais j’aurais également aimé commander un tissu pour une robe auprès d’une tisserande dont nombreuses sont celles qui travaillent dans leur maison. Je n’en aurai pas le temps mais mon ami Rasmata me fait cadeau de son tissu noir, bleu et lilas parfait pour un tailleur léger pour les jours et les soirées d’un été européen.
Yelemani – le Centre d’agroécologie de Blandine Sankara
Blandine Sankara accepte de me recevoir dans son célèbre centre agroécologique. Nous traversons à moto 60 km de banlieues campagnardes de Ouaga. Je ressens une certaines appréhension car Blandine Sankara est une personnalité et mes rencontres avec les personnalités ne se sont pas toujours bien passées, contrairement à mes rencontres avec les gens simples, amis militants de base ou femmes productrices locales. Appréhension inutile car Madame Sankara est une personne affable et sympathique. Elle a mon âge et représente cette génération révolutionnaire des années 80 qui a grandit dans des espoirs immenses et a dû se mesurer à la mort, à l’injustice et à la violence du système d’exploitation mondialisée. Dans cette terre de désolation après la perte « non seulement d’un grand leader, »- le souligne -telle- « mais d’un frère aimé, d’un être cher », elle a reconstruit ce qu’elle a pu sur les ruines en partant de la base de survie, de la terre nourricière. Mais avant d’aborder les questions douloureuses et les problémes politiques actuels, nous visitons le Centre Yelemani pour la Souveraineté Alimentaire. C’est un grand terrain clôturé ou les deux entrepôts à outils et la grange de stockage jouxtent des parcelles de terre soigneusement cultivées. On est dans la saison de repos, la saison de maraichage s’étendant, contrairement à mes habitudes européennes, du mois d’octobre après la saison des pluies à février, la saison des récoltes.
« Actuellement c’est la saison des céréales, les 6 femmes membres de la coopérative cultivent leur propre champ de mil, de maïs et ne viendront s’occuper des légumes qu’une fois leur récolte ramassée et vendue » nous explique Madame Sankara. L’association comprend des coopératrices mais aussi des salariées et des stagiaires étudiants en agroécologie. Son but est de montrer que l’agroécologie, la culture sans pesticide, est viable et possible, peut nourrir les familles et même tout un peuple, surtout sur ces terrains proches d’un barrage et proprices à la culture des légumes. La terre est rouge et grasse mais le terrain avait été abandonné et il a fallu le défricher. Pour cela Blandine Sankara a dû murir son projet longuement, bouger les autorités, trouver les bonnes personnes et les convaincre de participer.
Nous en discutons assis sous le toit en chaume d’une petite salle aux bancs en bois qui sert de centre de formation aux coopératrices. Il n’a pas été facile de consituter l’équipe du projet car l’indivualisme, ce poison capitaliste, et croyance que la survie ne peut etre assurée qu’indivuellement, touche la société burkinabée comme les sociétés européennes. La première équipe de femmes contactée par le biais des autorités a rapidement jeté l’éponge, déçue de ne pas accéder facilement à un argent susceptible de changer radicalement leur vie en augmentant leur pouvoir monétaire. Le but du projet était tout autre. Il s’agissait de vivre correctement de l’agriculture pour convaincre les jeunes qu’il est vain de chercher une fortune aléatoire dans la ville alors que le moyens de production des richesses est sous leur pieds, leur terre. Peut être que les autorités, ne voulant pas faciliter la tâcher à la porteuse d’un nom si célèbre, aient craint que la réussite du projet ne soit un menace à leur pouvoir et n’aient pas désigné les personnes appropriées. Finalement, le bouche à oreille, le contact de femme à femme a eu raison des oppositions politiques. Des femmes solides ayant besoin d’un revenu stable ont finalement constitué l’ossature de la coopérative. Au Burkina Faso comme partout, la classe moyenne achète des produits industriels dans les supermarché vantés par la publicité tandis que les politiques imposent les cultures de rente au détriment des culture vivrières locales. Yelemani propose la démarche inverse : produire des légumes bio de façon écologique, avec des méthodes traditionnelles renouvelées par l’échange d’expériences d’horizons divers afin de vendre les produits à la ville à un prix permettant aux productrices de vivre et de ne pas brader leur savoir faire.
C’est bien du produir local et consommer local si important pour l’écologie, la lutte contre la sécheresse et le changement climatique dont il s’agit. Yelemani est une espèce d’AMAP burkinabée avec un usage collectif de la terre sous forme associative. Les femmes savent cultiver la terre de façon traditionnelle, elles assimilent vite les nouvelles techniques dispensées par des chercheurs en agroécologie qui viennent régulièrement enthousiasmés par le projet. Blandine nous raconte les expérimentations réalisées récemment par des étudiants doctorants latino américains sur le quinoa menées sur une autre parcelle de l’association. Yelemani est aussi un centre de recherche alternatif ouvert à ceux et celles qui luttent pour la souverainté alimentaire. Je pense à ma terre natale, à la terre de mes grands parents à Tarnobrzeg, à mon jardin d’éden d’enfance regorgeant de cassis, groseilles, fraises, prunes, cerises griottes et pommes que nous travaillons à rammasser tout l’été. Je parle de cette terre grasse et fertile pour laquelle les paysans polonais ont lutté des centaines d’années pour les arracher aux mains des seigneurs, et qu’ils ont fini par obtenir par la construction de la Pologne Populaire et la réforme agraire de 1946. Je pense au travail collectif familiale et l’entraide de voisinage typique de ces villages traditionnelles encore dans les années 50 et 60 et son prolongement, la construction collective et familiales des maisons, en bois puis en brique. Mais je dois aussi raconter à Blandine que tout cela n’est plus. Dans le capitalisme les paysans ont perdu le poids politique et le respect qu’il inspirait au parti communiste. Ils ont du fermer les exploitations du fait de la concurrence étrangère. La terre en friche pendant 15 ans est passée pour une obole aux mains d’oligarques qui l’exploitent avec les subventions européennes pour des cultures industrielles. La terre de ma grand mère est en friche depuis 20 ans et je suis en passe de me faire déposséder de cette terre par les violences et les manipulations familiales qui visent en faire propriétaire mon cousin, seul garçon de la famille, afin qu’il vende la terre aux oligarques et puisse payer son crédit immobilier à Varsovie. Les femmes et la terre sont les ressources naturelles premières spoliées par le capitalisme.
Blandine nous raconte comment lors de ses études en Suisse elle avait compris que seul un projet concret pouvaient démontrer que les cultures à l’exportation sont un outil de domination impérialiste et une dépossession des paysan/es de leur terre et de leur savoir faire. Un tel projet devait cependant avoir l’adhésion de classes urbaines consommatrices qui trouveront leur compte dans une nourriture locale saine et bon marché. Blandine Sankara s’est alors lancée dans la contruction de Yelemani. Bien entendu, sans investissement initial il est impossible de d’ouvrir une exploitation agricole ex nihilo. Elle a obtenu en Suisse un soutien financier et technologique pour le puit et le réservoir d’eau fonctionnant à l’énergie solaire, indispensable à l’arrosage des légumes. Par la suite il a fallu aussi démarcher un à un les réseaux de classe moyenne urbaines et leur livrer en voiture les panier de légumes. La vente fonctionne toujours ainsi mais de plus en plus de consommateurs souhaitent centraliser l’achat de produits locaux dans un marché bio à Ouagadougou ce qui permettrait aux productrices d’avoir un revenu stable et inciterait davatange de personnes à croire au projet. Je parle à Blandine de Madame Traoré et du fait qu’une telle productrice locale serait tout à fait intéressée par un stand ou une boutique pour sa nourriture maison.
Je suis en admiration devant la tenacité de Madame Sankara, sa patience et sa détermination. Elle met en place à son échelle ce que son frère avait commencé à construire pour le pays : l’autodetermination alimentaire, la clé de l’indépendance réelle. Les courgettes et les aubergines grandissent, les salades sont variées et touffues, le basilic est odorant, l’ail et les oignons verts s’épanouissent. Le jardin produira aussi des tomates, des carottes, des pommes de terre, des radis, du piment, des poireaux, des betteraves, des haricots et des choux. Au loin poussent mes chers arbres à karité. Blandine évoque aussi des ruches à miel, le projet d’élever des animaux, de produire et de vendre du fromage de chèvre… Elle nous donne de magnifiques salades et le basilic à l’arôme puissant. Mais le projet est également politique. Yelemani anime des ateliers dans les écoles au sujet de la souverainté alimentaire. Un concours a permis aux enfants des villages de comprendre que leur propre connaissance de l’agriculture est une valeur importante dans la société. Le chantier est vaste et dépasse les possibilités d’une seule structure locale. Blandine n’évoque que pudiquement les luttes politiques qui ont mis à bas le régime de celui qu’on considère au Burkina comme l’assassin de son frère. Les jeunes du Balai Citoyen et en général les Sankaristes saluent son travail. Yelemani participe à toutes les luttes contre l’accaparement des terres, contre les OGM et pour la spouverainté alimentaire. Mais la meilleur façon de rendre hommage à Thomas Sankara serait de réaliser sa politique afin que le pays entier puisse consommer ses produits, les valoriser avec fierté sur le marché international et en tirer les revenus nécessaires à son indépendance. Je pars d’ici le coeur rempli d’espoir devant tant de belles personnes qui ne baissent jamais les bras et luttent tous les jours pour leur idéal. Nous nous arrêterons en chemin pour acheter un excellent pain cuit dans la boulangerie d’un centre agricole catholique,avant de participer le soir même à la projection du film sur Thomas Sankara organisée par le Balai Citoyen dans le quartier de Dagnoen qui jouxte le cimettière ou Sankara avait été officiellement enterré.
Thomas Sankara, le leader précurseur des luttes globalisées
L’assemblée assez dense est assise sur des chaises en plastiques sur une petite place devant les maison. Les camarades du Balai Citoyen ont dressé un écran sur lequel ils projettent à partir d’un ordinateur le film du réalisateur suisse Christophe Cupelin sur Thomas Sankara. Le film me fait une grande impression. Les images originales d’archives alternent avec les entretiens avec les collaborateurs.trices de Sankara ainsi qu’avec des militants qui ont mon âge et ont participé jeunes aux mobilisations de ce temps révolutionnaire. On voit les réalisations de la Révolution sankariste – la construction du chemins de fer, des routes, la vaccination des enfants, les tribunaux populaires qui jugent la corruption dans lesquels la punition est surtout la honte publique. Tous les interlocuteurs du film ne sont pas des apologètes de Thomas Sankara. Des fonctionnaires racontent comment ils se moquaient de l’exigence de porter la tenue Faso Danfani en guise d’uniforme baptisée « Sankara arrive » car le leader avait l’habitude de contrôler inopinément des fonctionnaires à leur poste. L’interdiction des syndicats et les conflits avec de grands intellectuels comme Joseph Ki Zerbo ont plutôt été les faces sombres du système sankariste. Mais les images d’assemblée populaires de femmes criant «à bas les maris qui battent les femmes » ou les reportages sur les hommes incités à aller au marché et à s’acquitter des tâches ménagères le 8 mars pour comprendre la vie des femmes sont particulièrement émouvantes.
Blandine avait également évoqué des brigades de jeunes nettoyant les rues et plantants des arbres dans un mouvement auquel chaque citoyen devait participer en travaillant, en founissant les outils, de l’eau ou des fonds pour nourrir les travailleurs. Une société entière s’édifiait dans un élan collectif plein de déterminaton, dans une organisation rappelant les réalisations de l’époque stalinienne en Europe de l’Est mais avec un entrain bien plus authentique que la coercition imposée par le système soviétique.
Le travail collectif construit une nation mais Thomas Sankara semble bien plus proche de notre époque qu’un Trocki ou un Lénine. Les images fortes le montrnte parlant très simplement au citoyen dans la rue, interpellant le quidam sur ce qu’est l’impérialisme et son lien avec la consommation de produit importés. Le film présente de larges extraits de discours ou Thomas Sankara apparait beau, plein d’humour, de pédagogie, de détermination et de sagesse. Ses paroles si simples mais puissantes que les femmes peuvent faire les mêmes taches que les hommes aussi bien qu’eux et doivent pouvoir développer leur talents font preuve d’un féminisme tranquille, qui n’a besoin d’aucune justification que l’evidence de sa justesse. Une ancienne femme ministre confirme l’énorme importance que Sankara apportait au rôle des femmes dans son gouvernement. De même, le développement de la production locale agricole, artisanale et industrielle est présentée comme une nécessité de lutte antimpérialiste. Outre les thèmes traditionnelle du communisme qui furent ceux du système en Europe de l’Est (mobillisation des masses pour construire une nouvelle société, bataille de la production collective, réforme agraire, construction des infrastructures et éducation des masses…) Sankara développe les thèmes qui sont ceux de notre modernité : l’émancipation des femmes, l’écologie et la lutte contre la déforestation, l’inégalité des échanges mondiaux, la consommation des produits importés, bref, la mondialisation déjà en marche. Je comprends alors que Sankara fascine aujourd’hui bien au dela de son pays parce que sa réthorique ressemble plus à celle d’ Chavez qu’à celle d’un Lénine, Trocki ou même Castro. Sankara est en fait le premier leader de gauche de l’époque de la mondialisation. Il annonce Chavez dont il est le précurseur, dans une dimension d’un leader révolutionnaire populaire mondial.
Par l’organisation de ces projections populaires, les camarades du Balai Citoyen restituent au peuple son histoire, redonnent l’espoir et galvanisent l’envie d’un changement. Les thèmes sankaristes n’ont pas pris une ride, ils sont eême d’une acuité brulante tel le revenu des paysans, l’éducation, les infrastructures, et naturellement la dette odieuse impérialiste. Le film est clôt par le fameux discours prémonitoire sur la dette à Addis Abbeba. Les paroles de Sankara « je ne serai pas là à la prochaine assemblée » raisonnent d’un triste écho et mon coeur se serre car la lutte ne fait que commencer et les camarades le savent fort bien. Les organisateurs redisent aux citoyens rassemblés que ce sont eux qui sont les dignes héritiers du grand leader et qu’en tant que tels le mémorial de Thomas Sankara est leur maison et leur oeuvre commune. De très jeunes gens enthousiastes sont les piliers de l’organisation du mouvement.
Plus tard nous discutons longuement avec les camarades sur la façon dont le mouvement fut la matrice du grand soulèvement d’octobre 2014 même si nombreux furent les groupes qui participèrent aux manifestations. Mais le Balai Citoyen est le seul à se situer directement comme héritier direct du sankarisme. Je retiens le slogan affiché sur le mur du bureau « Ensemble on n’est jamais seul ». Je me sens concernée par cet espoir alors que la solitude est le fléau qui casse nos vie dans le monde occidental. Les camarades m’expliquent que les Cibals ou « Balayeurs Citoyens » ont séduit les citoyens avec de vraies campagnes de nettoyage des rues, d’ou la propreté des rues de Ouaga et la profusion de poubelles publiques. Le symbole du mouvement, le balai africain, a aussi sa signification métaphorique – objet usuel fabriqué à la main partout dans la région, il est composé de brins d’herbes sauvages qui poussent à profusion. Un brin peut être cassé mais la liasse nouée ensemble est indestructicle. Tout comme un indivudu seul peut être détruit mais le peuple uni est invincible. Cette unité est un long travail exigeant d’éducation populaire permanente. Au Burkina Faso, dans un entre-deux fragile de « transision démocratique » comme en Tunisie post 2011, l’organisation du peuple en structure apte à vraincre l’impérialisme n’est pas encore gagnée. Le Balai Citoyen ne se définit d’ailleurs pas comme une structure politique mais comme un mouvement citoyen. L’avenir est ouvert et l’espoir des jeunes palpable, mais s’il est impossible de revenir à une dictature pure et simple, le programme sankariste n’est pas encore à l’ordre du jour dans toute la société burkinabé.
Je reste marquée et enchantée par l’espérance ressentie dans ce petit pays dynamique. Je prends le bus pour poursuivre ma route à l’Est vers le Niger , ou je retrouverai le grand fleuve et amorcerai ma remontée vers chez moi en Europe.