Les causes profondes de la crise italienne

La crise italienne puise sa source dans la situation économique du pays et dans les déficiences institutionnelles de la zone euro.

Par Patrick Artus
(chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis)
5 juin 2018

La crise italienne a bien sûr une composante politique : la nouvelle coalition de gouvernement (Mouvement 5 étoiles-Ligue) a affirmé sa volonté de réduire fortement les impôts (sur les ménages, sur les PME), de rendre plus généreux le système de retraite, de mettre en place un revenu universel, d’accroître les dépenses de sécurité, le tout pouvant aboutir à un déficit public impossible à financer (supérieur à 6 ou 7 % du PIB).

Même si la coalition ne parle plus d’une sortie de l’Italie de l’euro, son ton reste fortement antieuropéen. Cela a conduit àl’inquiétude des marchés financiers, à la forte hausse des taux d’intérêt à long terme en Italie : l’écart avec l’Allemagne est monté jusqu’à 290 points de base, avant de revenir à 230 points de base après la formation du gouvernement.

Une situation économique catastrophique

Mais, au-delà de cette composante politique de la crise, il est important d’en analyser les deux causes économiques : l’une est liée aux difficultés structurelles de l’économie italienne, l’autre aux déficiences institutionnelles de la zone euro. Commençons par l’économie italienne. Celle-ci est dans une situation catastrophique. Le problème n’est pas lié à la situation des finances publiques (le déficit public de 2018 devrait être inférieur à 2 % du PIB, il se finance sans difficulté auprès des investisseurs domestiques italiens) mais à la situation des entreprises.

Les entreprises italiennes ont massivement sous-investi depuis le début des années 2000. En vingt ans, le volume de leur investissement a progressé de 40 % contre 90 % en France et en Allemagne, et 150 % en Espagne ; ce sous-investissement des entreprises explique la stagnation et même le recul (de près de 5 % depuis le début des années 2000) de la productivité en Italie.

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La stagnation de la productivité explique la faiblesse de la profitabilité des entreprises, qui, associée aux difficultés des banques (encore aujourd’hui l’encours de crédit aux entreprises a reculé de plus de 4 % sur un an), a contraint les entreprises italiennes à réduire leurs investissements, créant ainsi un cercle vicieux : productivité faible – profitabilité faible – investissement faible – productivité faible.

Cela explique aussi le recul de la compétitivité-coût et la baisse des parts de marché à l’exportation de l’Italie. Depuis 1996, les exportations (en volume) de l’Italie ont augmenté de 70 %, celles de la France de 130 %, le commerce mondial de 170 %, les exportations de l’Allemagne de 230 %. Avec l’absence de gains de productivité et le vieillissement démographique, la croissance de long terme (potentielle) de l’Italie est nulle : il est donc impossible d’augmenter les salaires ou les dépenses publiques. Comment alors éviter une crise politique ?

Pas de mécanisme de correction

La crise italienne résulte aussi des déficiences institutionnelles de la zone euro. L’absence de fédéralisme a deux conséquences graves. La première est qu’aucun mécanisme ne vient corriger la divergence des niveaux de revenu entre les pays de la zone euro ; il n’y a pas de transfert des pays riches avec croissance forte vers les pays pauvres en croissance faible. Le PIB par habitant de l’Italie a baissé de 30 % par rapport à celui de l’Allemagne ; le pouvoir d’achat des ménages italiens a reculé de 12 %, en niveau absolu, de 2007 à aujourd’hui. L’appauvrissement des Italiens les a poussés vers les partis populistes.

La seconde conséquence est qu’il n’y a pas de mutualisation du risque sur les dettes publiques entre les pays de la zone euro. Il peut donc apparaître une crise spéculative sur une des dettes souveraines de la zone, aujourd’hui la dette italienne. Ces causes profondes étant très difficiles à corriger, la crise se répétera quelle que soit l’évolution de la situation politique en Italie.

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* Patrick Artus est chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis.