Le manque de solidarité est un «danger mortel» pour l’Europe, selon Jacques Delors

Face au coronavirus, le Conseil européen de jeudi a montré les divisions entre les 27, en particulier entre pays du Nord et du Sud.

Par Sophie de Ravinel

Le manque de solidarité fait «courir un danger mortel à l’Union européenne», a averti samedi 28 mars l’ancien président de la Commission européenne Jacques Delors, dans une déclaration transmise à l’AFP par l’institut à son nom qu’il a fondé. Âgé de 94 ans, il ne s’exprime que très rarement désormais.

«Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne», estime l’ancien ministre français de l’Économie, qui a présidé la Commission de 1985 à 1995. «Le microbe est de retour», ajoute ce grand défenseur de l’Europe, qui a suivi, selon l’Institut, les derniers développements au sein de l’Union et sa réponse face à la pandémie, en particulier le Conseil européen de jeudi qui a montré les divisions entre les 27, en particulier entre pays du Nord et du Sud.

«Pour que l’Union européennes fonctionne, il faut la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce »

Proche de lui et ancien collaborateur à la Commission européenne, Jérôme Vignon souligne que « ces propos sont bien dans la ligne de Jacques Delors qui a rarement pris la parole ces dernières années, sauf pour systématiquement tenter d’encourager à plus de coopération et de solidarité entre les États membres ». « Jacques Delors répétait souvent cette maxime, insiste Jérôme Vignon : ‘Pour que l’Union européenne fonctionne, il faut la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce’ ».

Read also:
Defeating the pandemic, Cuba opens to tourism – US tries to sabotage with protests

Ce conseiller de l’Institut Jacques Delors et ex-président des Semaines sociales de France partage ce diagnostic, regrettant que l’Europe se soit « trop appuyée sur des mécanismes automatiques et des obligations légales, pas assez sur la solidarité entre les nations ». Cette absence de solidarité s’est particulièrement exprimée le 27 mars, lors du dernier Conseil européen, lorsque la question des « emprunts Corona » a été abordée.

« Depuis la crise grecque, 2013-2014, souligne Jérôme Vignon, plusieurs États membres dont la France, ont proposé des émissions publiques d’emprunts lancées conjointement par les États pour faciliter le financement de la dette de ceux qui connaissent les difficultés les plus graves. Jusqu’à présent et encore au cœur de cette crise, regrette-t-il, le noyau central européen s’est refusé à cette mutualisation des dettes alors que lui-même bénéficie pleinement du bon fonctionnement de l’union économique et monétaire. Ils ont préféré assouplir les conditions de recours à des lignes de crédit, ouvertes individuellement à chacun, mais non pas garanties par tous. » « Comme le souligne Jacques Delors, c’est la survie de l’Europe qui est en jeu aujourd’hui », insiste son ancien collaborateur.

Enrico Letta : « Le virus n’a rien à voir avec le déficit ou la dette et nous touche tous ».

Président de l’Institut Jacques Delors, l’italien Enrico Letta s’est exprimé vendredi dans nos pages pour regretter lui aussi et dénoncer l’incapacité des vingt-sept à décider de mesures économiques communes. « Après deux grandes crises, la crise financière et celle des migrants – qu’on a choisi de sous-traiter à la Turquie -, nous sommes face à un risque majeur, dans une Europe affaiblie par le Brexit », prévient Letta qui juge « grave » l’échec de jeudi du Conseil européen. Pour lui, « la responsabilité n’est pas généralisée. Ce n’est pas celle de toute l’Europe, comme on le dit par raccourci. » Il juge en particulier « irresponsables » des pays fondateurs comme les Pays-Bas, « qui cherchent à remplacer le Royaume-Uni dans un rôle de «Doctor No », ou encore l’Autriche. « Le virus n’a rien à voir avec le déficit ou la dette et nous touche tous », a-t-il encore ajouté, convaincu que « ce Covid-19 est utilisé dans la propagande, au sein de l’Europe comme en dehors, de ceux qui cherchent à la détruire ».

Read also:
“Man muss die Finanzminister in ihre Sprache ansprechen“ | Interview mit Gaby Zimmer