Par la rédaction de Mediapart
11 Janvier 2019
Cette semaine, on en est venu aux poings. Ceux du boxeur Christophe Dettinger, placé en détention provisoire dans l’attente de son procès ; ceux du commandant de police Didier Andrieux, soutenu par le procureur de la République mais soumis à une enquête de l’IGPN. Comment en est-on arrivé à ce niveau inouï de violence physique ? Comment l’espace public s’est-il subitement transformé en ring ?
Après le mutisme, puis les quelques concessions, le pouvoir, face au mouvement des « gilets jaunes », a tranché en faveur de la répression. Tout à sa défense de l’ordre public, il met en avant les dégradations matérielles commises dans les quartiers aisés de la capitale et les lynchages observés ici et là pour légitimer son action. Celle-ci se traduit par un usage immodéré de la force : au cours des différents samedis de mobilisation, jamais autant de munitions n’ont été utilisées, provoquant un nombre incalculable de blessures, pour certaines irrémédiables, parmi les manifestants. Et les interpellations se sont multipliées au point de mettre la justice dans l’embarras.
Lors de ses vœux du 31 décembre, Emmanuel Macron oscillait encore entre la compréhension d’une « colère » exprimant le désir de « bâtir un avenir meilleur » et la dénonciation des « porte-voix d’une foule haineuse ». Le 4 janvier, fini le « en même temps » : le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, disqualifie unilatéralement un mouvement d’« agitateurs qui veulent l’insurrection et, au fond, renverser le gouvernement ».
Dans les rues, les hostilités reprennent dès le samedi suivant : les manifestants considèrent que la violence sociale qu’ils subissent depuis des années, symbolisée par la politique néolibérale de cadeaux aux plus riches, n’a pas été entendue. Le premier ministre répond à cet « acte VIII » en annonçant un nouvel arsenal répressif visant à étendre la responsabilité civile des casseurs, à sanctionner l’absence de déclaration de manifestation, à réprimer comme un délit le fait de porter une cagoule et à interpeller préventivement des manifestants préalablement fichés, à l’instar de ce qui se fait pour les hooligans du football.
En faisant ce choix, le pouvoir, outre qu’il tourne le dos aux exigences démocratiques portées par les gilets jaunes, attise la conflictualité dans le pays. Les mobilisations ouvrières s’appuient traditionnellement sur deux leviers : la manifestation, pour convaincre l’opinion publique du bien-fondé des revendications, et la grève, pour établir un rapport de force avec l’instance à faire céder, qu’elle prenne la forme du patronat ou du gouvernement. Comme lors des émeutes de 2005, la mobilisation des gilets jaunes ne dispose pas de cet outil, d’où le recours épisodique à la violence comme moyen d’assurer le bras de fer et d’obtenir des résultats. L’État devrait le comprendre, et désamorcer les tensions plutôt que d’appuyer sur l’accélérateur. Puisqu’il refuse de prendre ses responsabilités, l’escalade est inévitable.