Le conflit en Ukraine est voué à l’escalade

 par M. K. BHADRAKUMAR
Nov. 30, 2022

Le lieu de réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN les 29 et 30 novembre – Bucarest – est celui où, il y a dix ans, l’ancien président américain George W. Bush a persuadé les partenaires transatlantiques des États-Unis que l’Ukraine et la Géorgie devraient un jour rejoindre leur alliance militaire. Les ministres des affaires étrangères ont dûment “réaffirmé” cette décision hier et en sont restés là.

Toutefois, dans leur déclaration sur le conflit en Ukraine, ils ont affirmé avec force que l’OTAN “ne reconnaîtra jamais” l’incorporation par la Russie de quatre régions ukrainiennes et ont souligné la détermination de l’alliance à “poursuivre et renforcer le soutien politique et pratique” à Kiev.

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui est le porte-parole de Washington, a averti qu’en dépit de la bravoure de l’Ukraine et des progrès réalisés sur le terrain, la Russie conserve de fortes capacités militaires et un grand nombre de troupes, et que l’alliance continuera à soutenir Kiev “aussi longtemps qu’il le faudra… nous ne reculerons pas”.

Ces déclarations trahissent l’absence de toute nouvelle réflexion, alors que l’évolution de la situation sur le terrain montre que les plans les mieux conçus de Washington sont en train de s’effondrer. On observe également des signes croissants de désunion sur la question de l’Ukraine parmi les alliés européens des États-Unis et entre ces derniers et l’administration Biden.

Les néoconservateurs de l’équipe Biden, qui constituent la force motrice du Beltway, sont toujours aussi passionnés. La lueur d’espoir que représentait l’opinion modérée exprimée récemment dans la célèbre déclaration de 30 législateurs démocrates a été brusquement étouffée.

Moscou a également tiré les conclusions qui s’imposent, comme en témoigne la position du ministère russe des affaires étrangères selon laquelle il est insensé, dans le climat actuel d’hostilité incessante de Washington, de tenir la commission consultative bilatérale dans le cadre du nouveau traité START entre la Russie et les États-Unis, qui devait initialement se tenir au Caire du 29 novembre au 6 décembre.   

Là encore, il ne faut pas attendre grand-chose de la rencontre du président français Emmanuel Macron avec le président Biden à la Maison Blanche demain. Macron espère toujours être le dirigeant occidental qui acceptera les conditions de capitulation du président Poutine et entrera dans les livres d’histoire, mais en réalité sa crédibilité est en lambeaux en Europe et dans les cercles atlantistes en particulier, et même en France.

La priorité numéro un de l’Europe à ce stade, qui constitue un tournant dans le conflit en Ukraine, devrait être son autonomie stratégique pour agir dans ses propres intérêts. Mais cela exige une réflexion approfondie sur ce que l’Europe veut faire de manière autonome et, deuxièmement, la compréhension qu’au fond, un intérêt stratégique ne peut être réduit à des intérêts de sécurité.

Dans notre nouveau monde hobbesien, un monde de zones économiques concurrentes, le premier objectif de l’Europe devrait être de parvenir à une autonomie économique stratégique. Mais cet objectif est-il encore réalisable lorsque sa sécurité énergétique, qui était à la base de sa prospérité et de sa puissance industrielle, a été réduite en miettes dans les profondeurs de la mer Baltique par des mains invisibles ?

Quoi qu’il en soit, les événements en cours en Ukraine vont certainement créer une nouvelle dynamique. L’accélération visible de l’offensive russe à Bakhmut au cours des dernières semaines réduit considérablement le délai pour la prise de la ville, qui est passé de plusieurs semaines à quelques jours tout au plus. Des signes similaires apparaissent à Maryinka et à Ugledar dans la région du Donbass.

Si Bakhmut est le pivot de la ligne de défense ukrainienne dans le Donbass, Maryinka est l’endroit d’où les forces ukrainiennes bombardent la ville de Donetsk ; et la prise d’Ougledar permettra aux forces russes de se déplacer vers la ville de Zaporozhye et d’écarter définitivement tout défi futur au pont terrestre vers la Crimée et aux ports de la mer d’Azov.

Le fil conducteur est que le renforcement continu des forces russes déployées dans le Donbass, après la mobilisation de près de 400 000 soldats, commence à donner ses premiers résultats. Pour une fois, les forces russes sont plus nombreuses que celles de l’Ukraine et les fortifications russes ont été considérablement renforcées.

La chute de Bakhmut signalera que la bataille du Donbass, qui est le leitmotiv de l’opération militaire spéciale russe, entre dans sa phase finale. La ligne de défense ukrainienne dans le Donbass s’effrite. Le contrôle du Donbass par la Russie est à portée de main dans un avenir envisageable.

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Que se passera-t-il ensuite ? L’objectif russe pourrait être de repousser les forces ukrainiennes plus loin de la région du Donbass et de conserver les steppes à l’est du Dniepr comme zone tampon. En effet, l’oblast de Dnipropetrovsk est également riche en ressources minérales, contenant d’importants gisements de minerai de fer, de manganèse, de titane-zirconium, d’uranium, de charbon anthracite, de gaz naturel et de pétrole, ainsi que de charbon lignite, et constitue le principal centre de l’industrie sidérurgique ukrainienne, en plus d’être une région de culture céréalière intensive, d’élevage et d’industrie laitière. Sa perte sera un coup dur pour Kiev.  Sur le plan politique, le récit de la victoire de Kiev – selon lequel l’Ukraine est en train de gagner la guerre et est sur le point de s’emparer de la Crimée, etc. devient insoutenable pour longtemps

Dans le même temps, l’Europe se débat elle aussi avec ses démons : elle est incapable de se débarrasser de l’idée d’un plafonnement du prix du pétrole russe, qui ne manquera pas d’avoir un effet boomerang et d’aggraver encore la sécurité énergétique de l’Europe ; elle doit intensifier ses importations de GNL en provenance de Russie, qui est bien moins cher qu’en provenance d’Amérique ; elle n’est pas en mesure de réagir au lancement de la très importante loi sur la réduction de l’inflation aux États-Unis ou à la migration de l’industrie européenne vers les États-Unis ; elle est incapable de renforcer le rôle international de l’euro pour absorber une partie de l’épargne excédentaire mondiale, etc.

C’est pourquoi, en ce moment décisif, face à l’escalade imminente du conflit en Ukraine dans les semaines à venir, les néoconservateurs américains s’efforcent d’intensifier les livraisons d’armes à l’Ukraine. Les néoconservateurs gagnent invariablement les batailles de territoire au sein du Beltway, surtout sous un président faible. Si les républicains intensifient les enquêtes sur Biden, sa dépendance à l’égard des néocons ne fera qu’augmenter au cours de la période à venir.

La propagande en faveur d’un changement de régime en Russie ne va pas s’estomper, même face aux dures réalités émergentes de la situation sur le terrain en Ukraine. L’objectif des néoconservateurs, comme le dit succinctement l’historien d’investigation Eric Zuesse, est de “détruire la Russie si vite que la Russie ne sera pas en mesure de détruire l’Amérique en représailles”. L’absurdité pure et simple de cette pensée est évidente pour tout le monde, sauf pour les néoconservateurs. Ainsi, ils vont soutenir maintenant que l’erreur cardinale des États-Unis en Ukraine a été leur incapacité à mettre des bottes sur le terrain dans ce pays en 2015 même.

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